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Cire fondue qui monte Surplus de mèche brûlé

Combustion de la cire

Figure 4.4 – Plusieurs cycles avec autocatalyse permettent d’entretenir la combustion lente de la cire. (a) Différents composants intervenant dans la dynamique de la bougie sont représentés. (b) Convection des gaz chauds produits par la bougie et de l’air frais nécessaire à la combustion de la cire fondue présente sur l’extrémité de la mèche.

pèce vivante. Nous avons également besoin de respirer, de manger et d’évoluer dans un monde "tempéré", et des variations trop brutales dans la dynamique de notre environnement nous sont généralement fatales. Cette adaptation d’un processus à un environnement reste néanmoins situationnelle et ne peut être aisément transmise ou modulée d’un système à l’autre.

4.4 Récursivité et reproduction

L’étape suivante dans notre évolution constructiviste est l’intégration des phénomènes de reproduction. Bien que cette étape soit en pratique fortement associée à la suivante, il a été choisi de la présenter en premier car elle en reste néanmoins préalable. Les phénomènes précédents peuvent éventuellement se propager ou se scinder (tel un feu de forêt), mais ne possèdent pas une organisation qu’ils peuvent transmettre (dans le cas d’objets artificiels, la structure est souvent présente, mais les bougies ne prolifèrent fort heureusement pas encore dans nos résidences). Il leur faut en effet une frontière avec l’environnement afin de délimiter le système comme une unité. Ce point est je l’avoue discutable, mais la notion même d’individu nécessite dans l’acception courante qu’on puisse le percevoir comme isolable de son environnement, même si un couplage fort reste nécessaire à sa survie.

De même que la peau fait office de frontière à l’échelle de l’organisme humain, la mem-brane délimite les milieux internes et externes de la cellule vivante. Afin de simplifier consi-dérablement le problème rencontré lorsqu’on étudie une cellule réelle, même en considérant une simple membrane à phospholipides, un modèle irréductible traduisant les phénomènes de régulation et reproduction accomplis a été introduit par Varela et al. [Varela et al., 1974;

McMullin and Varela, 1997]. Dans la théorie de l’autopoïèse, cette cellule hypothétique et pri-mitive, maintenant sa fonction et son organisation par la régénération de ses composants, a été nommée automate de tessélation4.5.

(b) (a) C C C C C C B B B B B B B A A A A A A A A A A A A D + 4 4 3 3 1 2 2

Figure 4.5 – (a) Ce schéma représente le principe de fonctionnement de l’automate de tessélation proposé dans [Bourgine and Stewart, 2004]. Il a simplement été reproduit et vectorisé le plus fidèlement possible afin d’améliorer l’impression. (b) Cycle de division d’un tel automate. Même si le partage doit être initié par des contraintes extérieures, la réparation de la membrane et le retour à l’équilibre sont réalisés de manière autonome.

Le fonctionnement d’un tel automate est le suivant : le nutriment A présent dans l’environ-nement est absorbé par la cellule en traversant sa membrane. Ce mouvement n’est pas réversible

et limité par la concentration de A dans le milieu interne. Celui-ci se transforme en B par une simple réaction qui a lieu à l’intérieur de la cellule sous des conditions particulières. Les B ainsi produits peuvent se transforment en C au contact de la membrane (il peut éventuellement s’agir d’une simple reconfiguration spatiale ou lien entre molécules). Les C sont les constituants de ladite membrane et sont donc partiellement en contact avec l’environnement qui peut potentiel-lement les agresser ou les arracher (passage à l’état D). Malgré un fonctionnement apparemment simpliste, des propriétés remarquables émergent :

1. La quantité de constituants A, B et C est régulée en permanence pour satisfaire des contraintes physiques. Ces contraintes, qu’il s’agissent de lois physiques25ou de propriétés de l’environnement local, ne sont nullement connues du système qui ne pourrait souvent exister sans elles. Le système s’est simplement développé en adéquation avec elles et régule implicitement et en permanence sa fonction ou structure pour les satisfaire.

2. Une érosion continue ou un dégât minime sur la membrane est compensé rapidement. En effet, qu’une déchirure de la membrane soit directement causée par l’environnement ou résulte d’un déséquilibre de pression local, les composants B vont être évacués vers la zone de fuite. De même que les plaquettes pour le sang, ceux-ci vont se lié à la membrane restante pour cicatriser la cellule. Néanmoins, si la blessure est trop importante, l’action des B ne sera pas assez rapide pour maintenir le fonctionnement de la cellule. Des verbes d’actions sont utilisés ici, mais il va sans dire que ces régulations ne sont pas la volonté d’un être intelligent tel qu’on l’entend communément.

3. Enfin si la cellule est pincée, celle-ci va augmenter la surface de sa membrane pour re-trouver un équilibre avec son environnement d’après 1). Si on opère alors une scission, les deux déchirures résultantes vont être réparées d’après 2). On obtient ainsi deux cellules identiques entretenant la même fonction et possédant les mêmes dimensions.

Même s’il nécessite ici une intervention extérieure pour se diviser et se reproduire, ce système dispose implicitement d’un mécanisme pour produire de l’ordre dans un environnement autre-ment chaotique ou uniforme. Bien qu’ils affichent la plupart du temps une complexité immense, beaucoup de processus actuels de reproduction reposent sur les mêmes principes26. Ainsi la duplication du noyau ou la transmission de gènes lors de la mitose ou méiose chez les eucaryotes impliquent souvent une différenciation de sous-fonctions à l’intérieur même d’une seule cellule (telle l’interprétation des gènes pour produire des protéines), mais le principe fondamental de di-vision reste le même. Ces phénomènes de composition, intégration et spécialisation des fonctions va être maintenant développée.

4.5 Spéciation progressive des cellules

Cette étape est détaillée non seulement pour introduire les origines potentielles des orga-nismes multicellulaires mais également pour expliquer comment des processus avec des sub-strats et niveau d’organisation très variables peuvent interagir de façon quasi-transparente. Si l’on prend pour exemple un corps humain, les organes ou neurones communiquent par des propa-gations chimiques et électriques qui ne partagent pas les mêmes dynamiques. Il est alors difficile de comprendre comment des échanges parfois très complexes pourraient dériver de principes

25. On peut citer l’équilibre des pressions, réalisé par exemple via la pression osmotique chez les êtres vivants. Elle doit être finement régulée pour éviter l’implosion ou l’explosion de la cellule

26. Il peut même s’agir de la reproduction de processus mentaux, qui suit des principes similaires. Cette diffé-renciation sans contrainte physique immédiate sera discutée dans les chapitres traitant d’apprentissage

physiques précédemment décrits.

Afin d’expliquer certains phénomènes de spécialisation et éventuellement celui de la spé-ciation, nous allons brièvement étudier deux classes de configurations spatiales qui conduisent à des organisations de natures différentes. Le premier cas est celui d’une proximité spatiale entre plusieurs systèmes. Les ressources de l’environnement étant limitées, les systèmes rentrent en concurrence si tous n’y ont pas un accès immédiat. La dynamique de chacun des systèmes est alors différenciée par le simple fait que les interactions avec l’environnement ne sont plus homogènes. Si les contraintes de l’environnement deviennent trop fortes, le système peut éven-tuellement disparaître27. Dans le cas contraire, soit à cause de la pression de l’environnement, soit par une adaptation de sa propre fonction ou structure, sa dynamique sera modifiée. Il de-vient alors adapté à un nouvel environnement qui intègre à part entière les autres individus et constitue par la même une forme archaïque de communication par interaction avec les systèmes proches. Des exemples de telles spécialisations via l’environnement apparaissent constamment durant le développement, transformant progressivement des cellules souches en cellules extrême-ment spécialisées. Le phénomène d’apoptose ou mort programmée des cellules permet de même par des contraintes spatiales sur la diffusion de messages chimiques de séparer les doigts au départ palmés de l’embryon. Que ce soit au niveau cellulaire ou à celui de l’embryon, l’évolution ontogénétique reflète et fournit une trace sinon une preuve de la différenciation phylogénétique28. Une autre source potentielle d’organisation est le phagocytage d’un système par l’autre. L’en-vironnement du système intérieur est alors le milieu interne du système enveloppant. Ce type d’inclusion se retrouve à l’échelle des cellules avec les mitochondries mais aussi à plus grande échelle, avec la présence de bactéries provenant de l’extérieur du corps dans le système digestif. Les anticorps produits par le système immunitaire de l’organisme ne sont pas si différents des antigènes (virus, bactéries, parasites, ...) contre lesquels ils luttent ("Vos anticorps appartiennent à votre club, voilà tout" [Dennett, 1996] p.42). Simplement pour les anticorps, tout ce qui re-connu comme extérieur donc potentiellement ennemi doit être éliminé. De même une théorie probable de l’origine des cellules modernes est l’assimilation d’ARNs (sorte de virus primitifs) et leur différenciation au sein du milieu interne de la cellule conduisant à un contrôle progressif des fonctions de la cellule, en particulier la production de protéines29.

Quel que soit le mode de spéciation choisi, une organisation ou hiérarchie implicite en ré-sulte. Ces organisations résultant d’interactions et de différenciations se retrouvent également au niveau des sociétés. Chez les insectes sociaux, chaque individu dont l’œuf est initialement indifférencié prend un rôle particulier selon son alimentation ou place dans la colonie. Bien que l’intelligence émergente ("swarming intelligence" en anglais) concurrence parfois la notre, aucun individu ne définit le groupe. La dissymétrie entre les systèmes permet une modulation des uns par les autres, bien que les relations soient souvent réciproques. On ne contestera pas que le cer-veau a une place à part dans l’organisation et le fonctionnement du corps, ne serait-ce que comme

27. On observe alors une régulation du nombre des individus relativement aux ressources disponibles. Si on couple cette régulation à la reproduction, on obtient une dynamique similaire à celle des populations animales dans une niche écologique donnée. Ce point sera repris plus en détails dans le chapitre traitant des principes retenus dans le modèle implémenté.

28. La formulation originale de Ernst Haeckel, "ontogeny recapitulates phylogeny", n’est pas défendue telle quelle ici. L’embryon humain à un stade donné ne correspond pas à la version adulte d’une autre espèce, la différenciation entre les espèces est simplement progressive durant l’embryogenèse.

(b) Inclusion

Proximité

(a)

A

A

B

B

Figure 4.6 – Sur chaque schéma, chaque cellule ou système produit une dynamique différente en fonction de son environnement (fond blanc ou gris). (a) De par la barrière formée par les cellules environnantes, la cellule ne peut communiquer avec le milieu extérieur et interagit seulement avec les produits des autres cellules. (b) L’environnement de la cellule phagocytée est le milieu interne de la cellule enveloppante. Cette dernière peut donc moduler l’activité de la cellule qu’elle englobe.

le siège apparent de nos pensées réflexives et comme précurseur de nos actions volontaires. Néan-moins, des sous-systèmes du corps humain spécialisés pour accomplir certaines fonctions peuvent contrôler certains aspects de nos comportements sur lesquels le cerveau n’a aucune influence. L’illusion d’un contrôle absolu provenant de notre mental (ou de notre conscience vocalisée) est démentie à travers certaines expérimentations. Ainsi les arcs réflexes passant par la moelle épinière ne peuvent être fort heureusement pas contrôlés dans la majorité des cas afin de garan-tir notre survie. De même l’illusion d’optique de Müller-Lyer persiste même conscientisée. Plus impressionnants, les problèmes de conflits internes chez les patients split-brain (dont les deux hémisphères deviennent quasi-indépendants par ablation du corps calleux) remettent en question l’unicité du pouvoir de décision ou même de la conscience, puisque chaque hémisphère cérébral semble pouvoir prendre le contrôle des muscles pour effectuer des comportements contradictoires. Afin de faire la transition avec la section suivante, on remarquera pour finir que la dif-férenciation des moyens de communication dans l’organisme suit les mêmes principes. Même avec l’apparition des premières cellules nerveuses puis celle des interneurones, la propagation de signaux chimiques telle que les hormones reste présente et primordiale. Qu’il s’agisse d’une diffusion par le sang, la lymphe ou le système nerveux, les signaux interagissent et se modulent dans des organes qui peuvent eux-mêmes être décomposés en sous-systèmes en interaction tels les cerveaux reptilien, limbique et cortical.

4.6 Anticipation

Il y a une raison profonde à l’accélération des communications entre les systèmes via l’ap-parition de systèmes sanguin, lymphatique ou nerveux pour certains animaux ou les canaux de sève chez certaines plantes. En effet si un stimulus nécessite une réaction rapide mais que