• Aucun résultat trouvé

Coordination temporelle et spatiale multi-échelle

Propriétés du modèle et coordination généralisée

3.3 Rythmes et hiérarchie .1 Différenciation de sous-espaces

3.3.3 Coordination temporelle et spatiale multi-échelle

D’après ce qui précède, l’activité des couches supérieures est plus stable, la transition d’une anticipation à une autre étant plus lente. Alors que les couches inférieures sont en contact di-rect avec l’environnement et sous l’influence de sa forte variabilité, les couches supérieures font abstraction des détails et sont moins sujettes à des changements de phase brusques. Les actions prises au sommet de la hiérarchie émergente constituent donc des décisions stables et para-métrisent les couches inférieures via la modulation. Le comportement de l’agent émerge à la confluence des dynamiques internes et externes, intégrant réactivité (signaux sensoriels bottom-up) et anticipation (rétro-propagation et modulation top-down). En plus de régulations dans l’assimilation et la coordination des anticipations, le modèle apporte également une régulation multi-résolution, résultant des interactions entre couches opérant à différentes échelles tempo-relles et spatiales.

Même si les chapitres applicatifs concernant la navigation et l’avalement/respiration reposent sur ces propriétés, on peut conclure ici en reprenant la coordination du mouvement déjà survolée dans le chapitre Principes retenus, combinée à la perception visuelle et la satisfaction d’un besoin. Bien que le comportement décrit ici soit abstrait, il est maintenant facile de l’interpréter comme le résultat de la coordination implicite décrite dans ce chapitre. Supposons qu’un homme assoiffé se tienne debout dans une pièce et que son regard se fixe sur une bouteille d’eau posée devant lui :

1. Les neurohormones associées à la soif activent toutes les anticipations permettant de la satisfaire, c’est-à-dire celles ayant pour conséquence la passage de liquide dans l’œsophage. 2. Cette activité est alors propagée à toutes les anticipations permettant au liquide d’entrer dans la bouche afin d’être avaler. On passe ainsi du niveau physiologique au niveau des interactions physiques contrôlables sur l’environnement.

3. Toutes les interactions apprises permettant à l’eau d’entrer dans la bouche sont à leur tour activées, dont le placement de la tête sous un robinet, la manipulation d’un récipient

contenant de l’eau ou même l’ouverture de la bouche vers le ciel un jour d’averse... 4. L’activité continue sa propagation à travers l’espace d’interaction, touchant des couches

abstraites et quantité d’interactions liées à des situations imaginaires, mêmes incompatibles avec l’environnement actuel ou peu probables. Toute l’activité de l’être s’oriente vers la satisfaction de la soif, ne pouvant plus penser à rien d’autre. A l’intérieur d’un bâtiment, seule une inondation massive à un étage supérieur ou le déclenchement de dispositifs de lutte contre les incendies peut permettre à de l’eau de tomber du plafond. Les interactions concernant l’avalement d’eau tombant du ciel ne seront donc que très faiblement activées, n’étant confirmées par aucun élément contextuel.

5. Les chemins d’activité formés entre la bouteille d’eau visible et l’étanchement de la soif seront en revanche renforcés par l’environnement réel, intégrant sa préhension, son ou-verture ou encore sa manipulation jusqu’à la bouche. La perception d’une bouteille d’eau est relativement abstraite et résulte d’un ensemble de processus complexes de moins bas niveau. Elle nécessite par exemple l’intégration de sa forme pour savoir s’il s’agit bien d’un objet préhensible ou des déformations qu’induit l’eau qu’elle contient sur la propagation de la lumière.

6. Les interactions les plus actives de l’espace sont alors celles conduisant à l’avalement de l’eau et compatibles avec la situation actuelle. Bien qu’il soit à ce moment possible de faire demi-tour, de chercher une autre bouteille des yeux ou même de chanter, seul les mouvements du corps permettant d’attraper la bouteille rapprocheront l’individu de son but temporaire. Il n’y a en effet pas encore de bouteille dans la main ou d’eau dans la bouche.

7. L’action est ainsi engagée simultanément à tous les niveaux d’abstraction, requérant par exemple le recrutement de fibres musculaires pour accomplir le mouvement, ou la coordi-nation de nombreux segments corporels pour déplacer le bras et conserver l’équilibre. 8. A chaque instant, des mouvements (même imperceptibles) de la tête ou des variations dans

la trajectoire du bras modifient les sensations et donc l’activité dans l’ensemble de l’espace d’interaction. Les attracteurs locaux peuvent alors changer, mais le but final qu’est la satisfaction de la soif subsiste, toujours stimulé par la présence des neurohormones. 9. Dans un mouvement continu et constamment régulé à tous niveaux, la bouteille est saisie,

ouverte puis amenée à la bouche. Pour cela, la bouteille est certainement maintenue dans le champ visuel pendant un moment et les deux bras coordonnés tout au long du mouvement. L’eau coule ensuite dans la bouche et les réflexes de déglutition prennent finalement le relai avant que le métabolisme inhibe la production de neurohormone. Même s’ils ne sont pas contrôlables, le passage de l’eau dans la gorge est anticipé et l’apaisement de la soif également.

10. L’attracteur qui structura tout le champ d’activité disparaît enfin et l’homme peut re-prendre ses autres activités les plus prioritaires (attractives je devrais dire). Elles n’avaient en aucun cas disparu durant tout ce temps, mais constituaient des attracteurs secondaires momentanément occultés.

Finalement, cette coordination permet non seulement de lier des processus de natures appa-remment très différentes, mais les régulations émergentes permettent également de s’abstraire des imperfections dans l’environnement et dans les anticipations de l’agent. Pour un robot, le calibrage peut ainsi être réduit à sa plus simple expression et un échantillonnage parfaitement

régulier n’est plus nécessaire46. Une petite erreur commise à n’importe quel moment sera inté-grée à la situation et la dynamique à l’instant suivant, autorisant une convergence globale vers les situations cibles. Ces aspects pratiques nous conduisent au chapitre suivant, qui détaille les implémentations réalisées du modèle.

46. La communication entre les programmes informatiques et les circuits électroniques d’un robot (commandes motrices et retour sensoriel) sont souvent effectuées au cœur d’un processus temps-réel, afin d’éviter les moindres variations dans la durée d’un cycle sensori-moteur.