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PARTIE I LA PROBLÉMATIQUE

2.3. Sa dynamique sociale

2.3.3. Dynamique de changement

La socialisation, dans ses différentes étapes de même que dans son dispositif de transmission de la culture, vise donc « à produire une conformité suffisante des "manières de faire, de penser et de sentir" chez chacun des membres [de la communauté] pour que, d'une part, chaque personne s'adapte et s'intègre à cette collectivité et que, d'autre part, celle-ci puisse se maintenir et durer » (Rocher, 1969, 1 : 109). Tout en structurant la personnalité religieuse et communautaire, la socialisation joue un rôle important dans le développement, le maintien et la durée de la communauté religieuse. Pour correspondre à l'évolution nécessaire du groupe social dans un monde en continuel changement, la socialisation doit composer avec d'autres mécanismes sociaux qui interagissent dans le fonctionnement de cette dernière. Nous distinguons alors quatre processus interreliés et opérant conjointement avec la socialisation dans le fonctionnement du groupe et de sa structure. Il s'agit des processus de contrôle social, d'innovation sociale, d'acculturation et d'intégration sociale.

2.3.3.1. Le contrôle social

Le contrôle social se définit à partir des « mécanismes utilisés par la société [ou un groupe social] pour standardiser l'ensemble des façons de penser, d'agir et de ressentir des individus » (Denis et al., 1995 : 182). Le contrôle social tente de régulariser les gestes et les comportements des individus en regard du groupe auquel ils appartiennent. Dans la formation du système culturel, les processus interactionnels du contrôle social « sont à la base de l'assimilation par les individus de tous les composants normatifs du système culturel » (Mucchielli, 1986 : 20). Le contrôle social se présente alors comme le résultat d'un jeu de pressions sociales originant tant de l'intérieur que de l'extérieur de l'institut en vue de stimuler l'adaptation à l'environnement et la structuration interne de la personnalité. En ce sens, le contrôle institutionnel exercé par les agents de socialisation tend à limiter l'autodétermination des individus et à restreindre leurs possibilités de choix, en vertu des règles de conduite et des valeurs adoptées.

Cependant, il faut dire aussi que les modalités d'action du contrôle social à l'intérieur de la communauté se voient influencées par les changements qui affectent la société et l'Église. Par exemple, pensons au passage d'une société rurale et traditionnelle à une société technique et pluraliste, de même qu'au cheminement d'une Église « cléricale » avec son imaginaire de subordination vers une Église « ecclésiale » avec son imaginaire de communion. Le mécanisme de contrôle social, envisagé en ce sens, est en fait un modèle de régulation, de stabilité et de conformité à la normativité du système.

Les modalités de contrôle social varient d'un groupe à l'autre et s'exercent à différents niveaux. Aussi, peut-on observer le contrôle sous deux aspects : informel (ou diffus) et formel. Sous l'angle informel, nous parlons alors de « [m]oyens indirects, presque inconscients, de faire pression sur un individu pour obtenir de lui la conformité » (Denis et al., 1995 : 185). Le regard, le sourire, la moquerie et les paroles culpabilisantes font partie de ces moyens. Ces façons de faire, apprises tout au long du processus de socialisation et bien qu'apparemment inoffensives, revêtent des formes parfois subtiles et jouent un rôle important dans le contrôle des sujets d'une communauté religieuse. Le contrôle social formel, quant à lui, repose sur les lois et les règles qu'un groupe utilise « pour contraindre un individu à agir selon les normes de la société [ou du groupe] » (Denis et al., 1995 : 185).

2.3.3.2. L'innovation sociale

Par rapport aux autres mécanismes sociaux de changement, l'innovation sociale porte davantage sur « le modèle culturel, c'est-à-dire sur ce qu'une société ou un groupe social se définit comme objectifs » (Houtart, 1972 : 6). Cette dimension se situe dans l'ordre des fins et non dans l'ordre des moyens bien que les moyens demeurent indispensables pour que l'innovation devienne réalité. L'innovation touche en fait ce qui dans le système social est « le plus chargé d'affectivité, ce à quoi le groupe ou une partie du groupe s'identifie » (Houtart, 1972 : 7).

Aussi, pour bien comprendre le sens de cette notion d'innovation, nous dirons en premier lieu ce qu'elle n'est pas. L'innovation n'est pas « ce qu'il faut [implanter] pour réaliser un objectif, pour traduire des valeurs dans la réalité sociale, [ni] l'introduction d'un élément

supplémentaire à l'intérieur d'une structure, mais qui ne vient en rien modifier cette dernière » (Houtart, 1972 : 7). Il ne s'agit pas non plus d'ajouter un élément à une structure ou de réaliser une mise à jour.

L'innovation se situe au niveau des valeurs et du système culturel et elle suppose une action, une mise en œuvre, sinon elle reste un pur projet, une idée. Ce processus peut prendre l'allure d'un mouvement de groupe en vue de transformer et de redéfinir une situation. Dépendamment du besoin ressenti par la majorité ou par une minorité, plus consciente socialement que le reste du groupe, ou par les autorités, l'innovation ne se réalisera pas de la même façon ni avec la même facilité. Si le changement peut s'effectuer sans trop de problèmes dans le premier cas, il est de nature à causer des crises de types divers dans la seconde situation et le rôle du leadership devient alors déterminant. Dans le cas où l'autorité refuse l'innovation, le rôle des leaders s'avère difficile et entraîne souvent une crise de participation qui peut déboucher sur un éclatement de l'organisation et de la hiérarchie des fonctions.

Le processus d'innovation sociale est provoqué par des situations de changement venant de l'intérieur et de l'extérieur de la communauté. Il se développe et se transforme en s'accordant aux conditions dans lesquelles est placée l'institution. Le mécanisme d'innovation peut être dominé par divers intérêts tant culturels, structurels, financiers que personnels et il peut produire une évolution ou même une révolution du système. Ce processus se déclenche quand une personne ou un groupe est mis en face d'une situation nouvelle au sein de laquelle elle ou il est amené à faire une expérience nouvelle, et cela en tenant compte du contrôle social inhérent à la dynamique de socialisation du groupe et des pressions exercées par les milieux ecclésiaux et sociaux.

Ce processus est toutefois susceptible de rencontrer des mécanismes de blocages qui peuvent être, dans une communauté religieuse, de l'ordre doctrinal – par exemple, la résistance à investir théologiquement dans l'approfondissement de la spiritualité des fondateurs, du charisme et de la mission de l'institut – , ou de l'ordre disciplinaire. Du point de vue disciplinaire, les mécanismes sont nombreux : on peut retrouver, la peur de risquer une parole, un agir qui occasionnerait le jugement de la part des autres et la marginalisation

du groupe, la bureaucratie et le renforcement du contrôle dans les nominations, le refus d'ouvrir à des projets innovateurs et la mise à l'écart de personnes novatrices.

Suivant la capacité d'une collectivité à assumer ou non la présence de prophètes et de leaders visionnaires, les individus novateurs pourront par leur action réussir à mobiliser les forces pour amorcer un processus de resocialisation ou ils seront arrêtés dans leur action par un contrôle strict pour maintenir le conformisme existant. Selon le système de valeurs plus progressiste et démocratique ou plus conservateur, le processus d'innovation pourra jouer un rôle déterminant dans la socialisation du groupe et dans son adaptation à une situation nouvelle ou il pourra être bloqué et, de là, entraîner progressivement le groupe dans une situation de chaos insoluble.

Dans ce processus social, création et contrôle se conjuguent selon les temps de mise en œuvre de ce travail d'innovation et impliquent des conditions de participation favorisée par une grande circulation d'information. Au cours de ce cheminement, qui peut être vécu à l'intérieur d'un réseau matriciel30, la conscience collective se transforme dans une expérience et une praxis où les sujets prennent entièrement part à l'action et sont maîtres d'un mouvement créateur de renouvellement. L'innovation s'inscrit au cœur du processus de recomposition, à l'intérieur d'une rationalité visionnaire et demande donc des leaders capables de faire partager leur vision innovatrice par l'ensemble du groupe, d'élaborer « un système de légitimation adéquat [et de] prendre les décisions nécessaires pour les changements de l'organisation » (Houtart, 1972 : 9).

2.3.3.3. L'acculturation

Lors d'événements ou de crises, il se crée des conditions favorables à la mise en mouvement d'un processus de changement et d'acculturation. La perte des champs apostoliques traditionnels, le non-recrutement, l'apparition de nouveaux besoins se présentent alors comme des lieux et des temps où les processus de contrôle et d'innovation

30 Nous référons ici à l'implantation de réseaux matriciels dont nous avons parlé dans le chapitre un, p.36, à

entrent en action, d'une manière particulière, et doivent s'affronter en vue soit de préserver le statu quo, soit de favoriser l'acculturation du système.

Dans un processus de changement, de nouveaux traits sociaux, culturels et structurels viennent se juxtaposer à ceux déjà existant de la communauté ou du groupe social ; certains s'intègrent progressivement dans la dynamique de socialisation et remplacent un certain nombre de comportements nouveaux et traditionnels. D'autres sont modifiés ou encore rejetés. De la juxtaposition, de l'abandon ou du mélange de comportements nouveaux et traditionnels vont dépendre la rapidité et la profondeur de l'acculturation.

L'adaptation peut s'opérer de façon superficielle. D'une part, elle peut emprunter un langage et des modèles culturels nouveaux sans pour autant opérer un changement de mentalité. D'autre part, elle risque d'éliminer des valeurs traditionnelles essentielles et de les voir supplanter par des traits nouveaux qui manquent de racines culturelles. La transformation peut aussi s'accomplir de façon syncrétique et ensuite être soumise à toutes les fluctuations conjoncturelles lorsque la communauté ou le groupe social mélange les éléments traditionnels et nouveaux sans faire reposer cette adaptation « sur une synthèse culturelle cohérente et harmonisée » (Laloux, 1967 : 96). En somme, l'acculturation, pour être vraiment novatrice, doit réussir à intérioriser les éléments culturels importés et à créer de nouvelles formes morphologiques, structurelles et culturelles en réinterprétant ces nouveautés à partir du fond culturel de base.

Un tel changement sur le plan de l'agir social et des valeurs nécessite une conversion de l'être social. Il implique, pour la congrégation, un retour à son idéologie fondatrice et une recomposition de ses valeurs premières en vue d'une nouvelle synchronisation de ses rapports avec les autres ensembles sociaux. Bien que, dans cette démarche, puisse survenir des positions de défense ou de juxtaposition des groupes, l'établissement de nouveaux rapports tend par ailleurs à évoluer sur une base d'interrelations plus ouvertes et progressivement acceptées. Dans cette convergence, le groupe pourra ressentir l'instabilité jusqu'à ce que les statuts collectifs des uns et des autres parviennent à se synchroniser et à s'établir sur une base d'égalité.

Le processus d'acculturation en cours demande alors de savoir discerner les éléments culturels importés indispensables et de se doter d'une action éducative capable de réinterpréter ces nouveaux éléments à la lumière des traits culturels fondamentaux de la communauté religieuse. Il nécessite une compensation, par d'autres formes, des éléments délaissés et il requiert la connaissance de ses retards culturels. Il suppose qu'on fasse « passer les changements indispensables par l'influence et l'action de leaders naturels, admis dans le milieu et éduqués au leadership de changement » (Laloux, 1967 : 99), et il engage à mener le combat contre les jugements stéréotypés, les attitudes méfiantes et marginalisantes et à développer une critique saine et éclairée.

2.3.3.4. L'intégration sociale

La compréhension du processus d'intégration sociale implique en premier de nous arrêter sur ce terme. La notion d'intégration sociale « peut désigner un état de forte interdépendance ou cohérence entre des éléments ou bien le processus qui conduit à cet état. De plus, on l'applique soit à un système social, soit au rapport entre individu-système social »(Boudon et al.,1993 : 124). Toutefois, il convient mieux de « réserver l'usage du mot intégration à une propriété du système social » (Boudon et al.,1993 : 124). C'est en ce sens que Durkheim signifie qu'un groupe social « est intégré dans la mesure où ses membres : 1. possèdent une conscience commune, partageant les même croyances et pratiques ; 2. sont en interaction les uns avec les autres ; 3. se sentent voués à des buts communs » (Boudon et al.,1993 : 125). Laloux abonde dans le même sens en disant : « qu'un groupe est intégré quand il existe entre ses membres une unanimité de vues et une participation active de chacun [et de chacune] selon le rôle qui leur est imparti, en vue de l'obtention des objectifs du groupe » (Laloux, 1967 : 100).

Du point de vue de l'action sociale, l'intégration est envisagée comme une fonction du système social31 assurant « la coordination nécessaire entre les unités ou parties du système,

31 Guy Rocher (1968, 2 : 297-298) situe la fonction d'intégration parmi les quatre fonctions du système

particulièrement en ce qui a trait à leur contribution à l'organisation et au fonctionnement de l'ensemble » (Rocher, 1968, 2 : 298). Selon Laloux (1967 : 100), la « notion d'intégration indique une idée de situation dans une structure et de participation à une fonction ». En tant que fonction dynamique, l'intégration correspond à la composante structurale des normes ; elle sert à contrôler l'action et à équilibrer le système. Cependant, « l'intégration n'est jamais absolue » (Chazel, 1989 : 1144) et on ne peut l'apprécier qu'en terme de plus ou de moins.

Dans son étude de l'intégration, Chazel s'inspire de la distinction des quatre types d'intégration de Landecker32. Il reprend l'idée de Parsons en considérant que « l'intégration est essentiellement normative dans la mesure où la compatibilité entre motivations des acteurs et modèles de valeurs s'établit précisément à travers l'institutionnalisation de ces modèles sous formes de normes » (Chazel, 1989 : 1144). C'est d'ailleurs à ce type d'intégration qu'il rattache l'analyse de la déviance.

Chazel réfère à l'ouvrage de Durkheim De la division du travail social, dans lequel ce dernier perçoit une des caractéristiques essentielles de l'intégration comme étant celle d'être un foyer de solidarité. Il mentionne « la profonde transformation qui s'opère dans la nature de la solidarité – et du même coup de l'intégration – en fonction du développement de la division du travail » (Chazel, 1989 : 1145). À partir de là, il va distinguer deux modes divergents d'intégration, soit la solidarité dite mécanique et la solidarité dite organique33 dont nous avons parlé au sujet de la socialisation.

Le processus d'intégration sociale réside dans l'utilisation, par la communauté, de procédés qui favorisent la participation des sujets dans une structure et dans des fonctions pouvant davantage s'adapter à la civilisation technique et postmoderne. En conséquence, une bonne structure et un bon fonctionnement sont indispensables pour parvenir à la réalisation de cette étape. Au cours de l'évolution de ce processus, lorsque s'élargit le décalage entre

32 Après avoir fait une distinction « entre les valeurs, c'est-à-dire des critères culturels au sens strict

définissant les fins générales de l'action, et les normes, qui constituent, à partir de ce foyer de principes, des règles sociales de conduites » (Chazel, 1989 : 1144), Landecker propose de différencier quatre types d'intégration soit l'intégration culturelle, l'intégration normative, l'intégration communicative et l'intégration fonctionnelle.

l'immobilisme des structures du groupe et l'évolution des structures de la société globale, il peut convenir d'introduire « des éléments de désintégration pour retrouver un nouveau type d'intégration qui soit "fonctionnel" par rapport aux fins visées par l'institution » (Laloux, 1967 : 101-102).

Un processus d'intégration sociale en bonne voie de réalisation s'exprime par un vouloir ensemble dans un consensus sur des valeurs communes et des modèles de conduite partagés par la communauté et en lien avec la société. Il se concrétise dans un faire ensemble découlant de la distribution des fonctions et il s'actualise par l'acceptation des différences et la contribution de multiples personnes dans différents groupes, ayant des modèles culturels différents. Subsidiairement, l'intégration comporte aussi des facteurs négatifs tels que les moyens de pression, la crainte de disparaître et la conscience de la solidarité en temps de crise. Ces mécanismes institutionnels influent sur la dynamique de socialisation et sur l'ensemble de la réalité sociale de la communauté. Ils conditionnent le cheminement et l'évolution des membres de même que le fonctionnement des dimensions sociales de l'institution. Ils contribuent à façonner l'existence et l'avenir de la congrégation.

Conclusion

Ces propos sur les aspects canonique et sociologique de la communauté religieuse nous ont permis de mieux comprendre comment s'organisent et se structurent les cadres de l'institution religieuse, et comment une congrégation se forme et se maintient à partir d'une dynamique d'intégration particulière reposant sur un processus de socialisation. La description des dimensions – morphologique, structurelle et culturelle – et celle de la dynamique sociale qui anime ce groupe ouvrent sur l'aspect du changement qui s'opère dans tout groupe social, à l'intérieur de sa structure et en interrelation avec les autres ensembles sociaux dans un monde en transformation. Ainsi, on peut dire qu'un institut religieux naît, se développe et arrive à maturité dans la mesure du maintien de l'équilibre de ses diverses composantes.

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