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DEFINITION

43. Le droit à l'intégrité de l'oeuvre (ou droit au respect!) est le droit de l'auteur de s'opposer à toute modification de son oeuvre2 Cette prérogative est souvent désignée comme la manifestation la plus éclatante du droit moral de l'auteur3, car elle vise à garantir le respect de l'individualité de l'oeuvre, miroir de la conception artistique de son

créateu~. Elle constitue ainsi un complément au droit de divulgation permettant à l'auteur de préserver l'intérêt idéal qui le lie à sa création, une fois l'oeuvre sortie de sa sphère privée~.

44. Le droit à l'intégrité de l'oeuvre offre à l'auteur un moyen de protection contre toute utilisation de l'oeuvre qui porte préjudice à ses intérêts idéaux, l'auteur décidant de manière exclusive des conditions dans lesquelles l'oeuvre apparaîtra au public6 Consacré comme titre de l'art. Il LDA, le droit à l'intégrité de l'oeuvre couvre plusieurs

! Selon la terminologie de la doctrine et de la législation françaises, COLOMBET.

p. 118; LUCASILUCAS, p. 332; art. L. 121·1 al. 1 CPJ.

2 Art. Il al. ILDA :

"L'auteur a le droit exclusif de décider:

a. si, quand, et de quelle manière l'oeuvre peut être modifiée."

3 GAVIN, p. 75; RECHT, p. 291; STROMHOLM, International and Compara/ive Scene, p. 28; STROWEL, p. 479.

4 Aussi a·t-on pu considérer que le respect de l'intégrité de l'oeuvre, "expression concrète et originale d'une certaine opinion ou d'une certaine idée" (VAN ISACKER, p. 257), visait indirectement à préserver la liberté d'expression de l'auteur.

5 LUCASILUCAS, p. 332 (se référant à DESBOlS, p. 533) soulignent le parallélisme entre le droit de divulgation et le droit à l'intégrité: "L'auteur est seul juge de l'opportunité de communiquer son oeuvre au public. Il est pareillement seul juge de l'opportunité de la modifier"; dans le même sens, COLOMBET, p. 118.

6 HUBMANNIREHBINDER, p. 159; PETER, p. 278; SAVATIER, p. 22;

TROLLER, J, p. 682.

hypothèses spécifiques. En effet, au delà du principe général de l'art. Il al. 1 litt. a LDA qui déclare que l'auteur décide exclusivement de toute modification de son oeuvre, l'art. Il al 1 litt. b LDA attribue expressément à l'auteur le droit de décider si son oeuvre sera utilisée pour la création d'une oeuvre dérivée 7 ou si elle peut être intégrée dans un recueilS.

45. En vertu de la théorie moniste qui imprègne l'ensemble de la loi9, le droit à l'intégrité vise également à préserver les intérêts patrimoniaux de l'auteurlO Ainsi, la reproduction d'extraits d'une oeuvre qui dégrade le caractère scientifique de celle-ci Il fera ombrage à la réputation d'expertise de son auteur12 De même, une reproduction de mauvaise qualité d'une oeuvre graphique est susceptible de porter

7 Sur l'étendue de la protection de l'intégrité de l'oeuvre lors de la création d'une oeuvre dérivée, voir infra n° 98 ss et 140 ss.

8 Sur la protection de l'intégrité en matière de constitution de recueils d'oeuvres, voir infra 53.

9 Voir supra nO 12 ss.

JO BARRELETIEGLOFF, n° 1 ad art. Il; CHRISTEN, p. 80; HIRSCH, p. 49 s.;

SCHRICKERfOIETZ, n° 12 vor § 12 et nO 2 ad § 14.

Il OLG Munich, NJW 1996, p. 135: reproduction d'extraits d'un ouvrage scientifique dans un magazine pour hommes lésant le droit à l'intégrité en raison de la dénamration de l'oeuvre par l'emploi d'un vocabulaire accrocheur faussant totalement la valeur scientifique de l'ouvrage; voir aussi Justizkommission Lucerne, RSPI 1994, p. 292: catalogue d'exposition reproduit dans une fomle incomplète et inexacte lésant la réputation d'expertise de son auteur.

12 Ainsi, dans l'arrêt de l'OLG Munich, NJW 19%, p. 135, le tribunal reco,malt qu'il est probable que la publication de l'article dans la revue pour hommes suscite des doutes quant à la réputation scientifique de l'auteur; ce dernier sera lésé dans ses intérêts patrimoniaux dans la mesure les tiers auront à l'avenir certaines réticences à le mandater pour des recherches ou à lui demander des entretiens, risquant ainsi de lui causer un préjudice matériel l'entravant dans sa carrière professionnelle; OG Zurich, RSJ 1944, p. 344 (p. 347): le tribunal reconnaît que les fresques peintes à l'intérieur d'un café exercent un effet de publicité ("Reklamewirkung") en faveur de l'auteur de celles-ci de sorte que l'altération ultérieure des fresques risque de porter préjudice à la carrière professionnelle de leur créatrice.

préjudice à la carrière professionnelle de son auteur, tout comme la publication sans flÙse à jour d'un ouvrage13

13 CA Paris, RIDA 1995 (164), p. 374; la loi (art. 385 al. 1 CO) réserve d'ailleurs spécifiquement le droit de l'auteur d'apporter des améliorations ct des corrections et met à la charge de l'éditeur l'obligation de permettre à l'auteur d'améliorer son oeuvre avant de faire une nouvelle édition ou un nouveau tirage (art. 385 al. 2 CO):

pour une analyse de cette disposition, voir HIL TY, Verlagsvertrag, p. 558 ss.

LES ATTEINTES A L'INTEGRITE DE L'OEUVRE

TITRE PREMIER INTRODUCTION

46. Selon la formulation catégorique de la loi (art. 11 al. 1 litt. a LDA), le droit à l'intégrité octroie à l'auteur la liberté de décider exclusivement de l'opportunité d'apporter des modifications à son oeuvrel4 . En effet, la loi ne soumet pas la protection de l'intégrité de l'oeuvre à la preuve d'un préjudice particulier[5

Une atteinte au droit à l'intégrité devra donc en principe être Iconstatée par le juge dès lors qu'une modification de l'oeuvre est

\!ffectuée sans le consentement de l'auteur[6 Par conséquent, pas plus l'effet recherché par les modifications que la faible importance de ces dernières ne peuvent exclure d'emblée la violation du droit à l'intégrité

[4 BARRELET/EGLOFF, n° 5 ad art. Il; DESSEMONTET, Droit d'auteur, p. 60;

HAFNER, p. 71; les dispositions des avant.-projets tempérant le caractère discrétionnaire du droit à l'intégrité ont ainsi été abandonnées; voir p. ex. l'art. 26 AP II qui disposait: "Celui auquel est conféré un droit d'utilisation peut apporter à l'oeuvre des modifications en tant qu'elles sont nécessaires à son exploitation, qu'elles peuvent être raisonnablement exigées de l'auteur et qu'elles ne portent pas atteinte à l'intégrité de l'oeuvre"; voir aussi les art. 41 et 46 AP 1 et les art. 44 et 53 AP II; ainsi, le système de la loi suisse est similaire à la protection catégorique reconnue par les lois française et belge; pour la France, voir POLLAUD-DULIAN, Droit moral, p. 147; LUCASfLUCAS, p. 332; pour la Belgique, voir GOTZEN, p. 141.

[5 Pour un aperçu de droit comparé, voir PUTTEMANS, p. 313 ss; une telle maîtrise exclusive sur la forme de l'oeuvre découle également de la théorie doctrinale qui considère le droit d'auteur comme un droit de propriété, voir RECHT, p. 298 et supra nO 23.

[6 BARRELET/EGLOFF, n° 4 ad art. Il.

de l'oeuvre. D'une part, l'appréciation du but poursuivi par la modification reviendrait en effet à juger de la valeur artistique de l'oeuvre modifiéel7 Or, un tel jugement de valeur est en principe proscrit en droit d'auteurl8 D'autre part, toute modification (quelle que soit son ampleur) semble être prohibée par la loil9

47. Quant à la terminologie, la loi suisse ne fait pas de distinction entre les divers types d'atteintes considérées par opposition à la loi allemande20 et à la Convention de Beme21. Elle exprime simplement que l'auteur décide exclusivement de toutes les modifications de son oeuvre22.

48. Une fois posé le principe de la protection du droit à l'intégrité, il convient d'en définir les applications en établissant quelles sont les modifications que la loi prohibe au titre d'atteinte au droit à l'intégrité.

17 BARRELETIEGLOFF, n° 5 ad art. Il: "Peu importe que la modification défonne ou mutile l'oeuvre, ou, au contraire, l'améliore ou la complète de manière heureuse"; GA VIN, p. 89, qui note également qu'il est indifférent "que ces atteintes soient inspirées par le souci du plus grand gain ou par l'intention louable de servir l'auteur"; CHRISTEN, p. 137 s.; FROMMINORDEMANN, nO 8 ad § 14:

SCHlLCHER, p. 60 s.; SCHRICKER/DIETZ, n° 21 ad § 14.

18 Sur l'influence de la nature de l'oeuvre sur la portée de la protection de l'intégrité, voir cependant infra n° 69 et nO 73.

19 BARRELETIEGLOFF, n° 5 ad art. Il; une pondération des intérêts en présence s'impose toutefois en vertu du principe de la bonne foi, voir infra n° 69.

20 § 14 DUrhG ("Enlslellung des Werkes"):

"Der Urheber hat das Rechl, eine Enlslellung oder eine andere Beeinlrochtigung seines Werkes zu verbieten, die geeignet ist, seine berechtigten geisfigen oder personlichen Inleressen am Werk zu geftJhrdenl' ; on notera toutefois que la doctrine allemande conclut à l'absence de portée pratique des différences terminologiques de la loi, SCHlLCHER, p. 60 ss, p. 65; SCHRICKER/DIETZ, nO 21 ad § 14.

21 Art. 6bis CB al. 1: "Indépendamment des droits patrimoniaux, l'auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l'oeuvre et de s'opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette oeuvre ou à toute autre atteinte à la mème oeuvre, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation".

22 BARRELETIEGLOFF, n° 4 ad art. 11.

49. En suivant la doctrine allemande23 , il convient de distinguer les atteintes directes des atteintes indirectes à l'intégrité de l'oeuvre24 Alors qu'une atteinte directe se produit lorsque la substance même de l'oeuvre est modifiée (Titre II), c'est le contexte dans lequel l'oeuvre est utilisée qui provoquera une atteinte indirecte à l'intégrité (Titre III)25.

On soulignera à cet égard qu'une telle distinction ne vise pas à classifier les atteintes selon leur gravité, mais uniquement à saisir la double portée du droit à l'intégrité. De même devra-t-on se garder d'y voir la concrétisation sur le plan du droit à l'intégrité de la distinction faite entre la protection de l'original de l'oeuvre et des copies de celle-ci26

TITRE II

LES ATTEINTES DIRECTES A L'INTEGRITE

50. La violation direçte du droit à l'intégrité se produit lorsqu'une modification tangible est apportée à la substance même de l'oeuvre27 A titre illustratif, une atteinte directe à l'intégrité doit être constatée lorsque des photographies sont coupées28 et retouchées29, lorsqu'un

23 SCHRICKER/DIETZ, na 23 ad § 14; voir aussi SCillLCHER p. 67 ss;

WALLNER p. 133.

24 En se fondant sur la terminologie de la loi allemande qui fait la distinction entre les mutilations ("Entslellungen") et les autres atteintes à l'intégrité ("sonslige Beeinlrtichtigungen") au § 14 DUrhG.

25 SCmLCHER, p. 67 ss; SCHRICKER/DIETZ, na 23 ad § 14.

26 SCmLCHER p. 68 s.; SCHRICKER/DIETZ, na 24 ad § 14; sur la portée de cette distinction en matière de droit à l'intégrité, voir infra na 76.

27 Certes, on ne saurait perdre de vue que l'oeuvre constitue par essence un bien immatériel qui ne peut proprement posséder de substance; cependant, le terme d'atteinte directe à l'intégrité de l'oeuvre exprime que la forme sous laquelle l'oeuvre apparaît est affectée.

28 CA Paris, RIDA 1993 (158), p. 242; BGH, GRUR 1971, p. 525.

29 Cour de Cass, RIDA 1992 (152), p. 190; OLG Cologne, SCHULZE OLGZ na 129; pour une analyse de la portée du droit à l'intégrité en matière de photographie en droit comparé, voir GENDREAU, p. 187 ss.

"logo" publicitaire est modifié3o, lorsqu'une oeuvre des beaux-arts est repeinte31, démantelée32, lorsqu'un catalogue d'exposition est publié dans une forme abrégée et incomplète33 ou encore lorsqu'une sculpture est partiellement reproduite sur une médaille34 Il y a également violation directe de l'intégrité lorsqu'une oeuvre musicale ou littéraire est modifiée par dès adjonctions ou des suppressions3l ou encore lorsqu'on procède à un échantillonnage numérique ("samplillg") de certains extraits d'une pièce musicale36

51. C'est probablement en matière d'oeuvres audiovisuelles que les menaces d'atteintes directes à l'intégrité sont les plus lourdes37 Ainsi,

30 CA Paris, RIDA 1990 (145), p. 333.

31 FROMMINORDEMANN, nO 2 ad § 14; RGZ 79, p. 119.

32 CA Paris, D. 1962 J., p. 570 confirmé par Cour de Cass., RIDA 1965 (47), p. 221.

33 Justizkommission Lucerne, RSPI 1994, p. 292.

34 A TF 114 II 368 = JdT 1989 1 330.

35 FROMMINORDEMANN, 2 ad § 14; SCHILCHER, p. 69; CA Paris, RIDA 1988 (138), p. 304.

36 Ce procédé, rendu possible par la technologie numérique, permet d'isoler de courts fragments sonores d'une oeuvre musicale pour les incorporer (éventuellement sous une forme modifiée) dans une oeuvre nouvelle, voir BECKER, p. 59;

DESSEMONTET, Droi/ d'auteur, p. 53; GYERTYÂNFY, p. 200; SCHULZE, Musik/echnologien, p. 19 ss; SPRUGEON, p. 15; pour un exemple jurisprudentiel d'échantillonnage, voir Grand Uprigh/ Music v. Warner Bros Rec .. Inc., 780 F.

Supp. 182 (S.D.N.Y. 1991); la protection contre l'échantillOimage posera de délicats problèmes dans la mesure où seuls de très courts extraits musicaux seront repris (se limitant parfois à un seul son), risquant ainsi d'exclure toute protection par le droit d'auteur en raison de l'absence d'individualité du son en lui-même, SCHULZE, Musik/echnologien, p. 19; la protection des droits voisins du droit d'auteur (art. 33 ss LDA) ou de la concurrence déloyale (en particulier l'art. 5 litt. c LCD) pourra parfois y suppléer; voir en général R. MÜNKER, Urheberrechtliche Zustimmungserfordernisse beim Digital Sampling, thèse Giessen, Francfort-sur-le-Main 1995; sur le respect de l'intégrité des oeuvres exploitées numériquement, voir infra n° 103 ss.

37 COLOMBET, p. 136 s.; LUCASfLUCAS, p. 337 ss; on se référera aux témoignages réunis dans un document préparé en vue de la ratification de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques par les Etats-Unis d'Amérique intitulé: Moral Righ/s and the Motion Pic/ure Industry, Hearing before the Subcommiltee on Cour/s, ln/ellee/ual Property, and the

mis à part le célèbre procédé du coloriage ("colorization") des films tournés en noir et blanc38, les interruptions publicitaires39 , l'insertion d'un logo d'une chaîne de télévision lors de la télédiffusion40, le remplacement de la bande sonore d'un film41 , ainsi que la diffusion sous une forme sensiblement abrégée42 doivent être considérés comme des

Administration of Justice of the Committee on the Judiciary of the Hou.>e of Representatives, IOlème Congrès, 2ème session, Washington D,c' 1990; voir aussi le document; Report of the Register of Copyrights of the United Slates Copyright Office, Technological Alterations ta Motion Pictures and Other AudiO\'isual Works,' Implications for Creators, Copyright Owners and Consumers, Washington D, C, 1989, reproduit in 10 Loyola Ent. L.I. (1990), p. 1 ss ainsi que l'ouvrage de S. HEIDMEIER, Das Urheberpersonlichkeitsrecht und der Film, thèse Münster, Francfort-sur-le-Main 1996. Spielfilmen: Eine vergleichende Untersuchung nach deutschem, italienischem und internationalem Urheberrecht unter Berücksichtigung des Rundfimksrechts, thèse Bielefeld, Baden-Baden 1994; M. F AB!ANI, L'introduction des spots publicitaires durant la projection télévisée d'oeuvres cinématographiques par rapport à la protection du droit moral de l'auteur, RlDA 1988 (137), p. 45 ss; REUPERT, p. 149 ss; SCHILCHER, p. 78 s.; WALLNER, p. 167 ss; CA Rome, RIDA 1990 (144), p. 184; en droit suisse, l'art. 18 al. 2 de la loi fédérale sur la radio et la télévision du 21 juin 1991 (LRTV, RS 784.40) permet de procéder à une seule interruption publicitaire lors de la diffusion d'émissions d'une durée supérieure à 90 minutes; la possibilité de procéder à cette interruption publicitaire en vertu de cette disposition ne donne pas pour autant l'autorisation d'opérer une interruption publicitaire sans en référer aux auteurs des oeuvres diffusées; dans cette mesure, il aurait été souhaitable que la loi mentionne expressément que la protection du droit d'auteur (et spécifiquement du droit à l'intégrité) sur les oeuvres diffusées est réservée.

40 TG! Paris, RIDA 1988 (138), p. 328; REUPERT, p. 158 s.; l'insertion d'un logo d'une chaîne de télévision lors de la télédiffusion du film associe en effet indûment l'oeuvre diffusée avec la chaîne de télévision qui l'utilise alors comme un support publicitaire.

41 ATF 96 II 409 = JdT 1971! 597; OLG Mnnich, ZUM 1992, p. 307.

42 TG! Paris, RIDA 1990 (146), p. 320; OLG Francfort-sur-le-Main, GRUR 1989, p.203.

atteintes directes à l'intégrité de l'oeuvre. Les différentes techniques"

de la suppression d'images ("culling"), de l'accélération ou du ralentissement du défilement d'un film lors de sa diffusion ("lime compression/expansion" ou "Iex/conning"), ou encore de l'adaptation de format des oeuvres cinématographiques en vue de leur diffusion à la télévision ("panning and scanning" ou "Ietterboxing") peuvent également constituer des atteintes directes à l'intégrité de l'oeuvre audiovisuelle si ces atteintes faussent sensiblement la perception du

film4" Plus sournoise, l'introduction dans le corps même de l'oeuvre

cinématographique de messages publicitaires visant à faire la promotion de certains biens de consommation ou de services par la technique du placement de produits (''product placemellt"45) violera également l'intégrité de l'oeuvre si cette "publicité clandestine"46 s'est faite sans l'accord des coauteurs de l'oeuvre47

43 Pour une description de ces procédés techniques, voir Report of the Register ol Copyrights of the United States Copyright Office, Technological Alterations /0

Motion Pic/ures and Other Audiovisual Works: Implications for Creators, Copyright Owners and Consumers, Washington D. C. 1989, p. 32 ss; HUBER., p. 51 ss; VON LEWlNSKlIDREIER., p. 635 S.; REUPERT, p. 15355.

44 VON LEWINSKlIDREIER., p. 645; sur les modifications qui sont liées au mode d'exploitation de l'oeuvre, voir infra nO 97.

45 Sur cette pratique parasitaire qui mine la substance des oeuvres, voir EDELMAN, p. 15.

46 Selon la terminologie de l'art. 14 al. 2 de l'ordonnance sur la radio et la télévision du 16 mars 1992 (ORTV, RS 784.401) qui interdit précisément "la publicité clandestine, en particulier l'utilisation contre rémunération de produits ou de services à des fins publicitaires lorsqu'elle a lieu hors de son cadre spécifique".

47 HENNING-BODEWIG, p. 400, prenant comme exemple le film objet du procès devant l'OLG Munich, WRP 1993, p. 420; W ALLNER., p. 162 ss; EDELMAN, p. 15, dénonce à raison l'effet pervers d'un tel système dans lequel la structure même de l'oeuvre est dictée par des impératifs commerciaux; sur l'évolution du contenu créatif de l'oeuvre en fonction des attentes du public, voir infi'a nO 72.

TITRE III

LES ATIEINTES INDIRECTES A L'INTEGRITE

52. Par contraste, une atteinte indirecte à l'intégrité sera constatée dès lors que la présentation ou le contexte entourant l'oeuvre "sont de nature à donner au public une idée inexacte de l'oeuvre"48 L'art. 6bis de la Convention de Berne permet d'ailleurs une telle extension de la portée de la protection de l'intégrité de l'oeuvre, dans la mesure où il prohibe non seulement toute "déformation, mutilation ou autre modification" de l'oeuvre (hypothèses couvertes par la notion d'atteinte directe à l'intégrité de l'oeuvre49), mais également "toute autre atteinte"

portée à l'oeuvre. Le texte conventionnel envisage donc explicitement la possibilité que l'intégrité de l'oeuvre soit lésée sans que la substance de celle-ci n'en soit proprement affectée.

Le législateur de 1992 n'est pas resté insensible à cette conception extensive de la portée du droit à l'intégrité50 En effet, par la reconnaissance de la maîtrise exclusive que l'auteur exerce sur son oeuvre, il a précisément posé le principe selon lequel l'auteur a "le droit exclusif de décider si, quand et de quelle manière son oeuvre sera utilisée"51. Ainsi, les conditions d'utilisation de l'oeuvre sont soumises à la libre décision de l'auteur.

53. En plus de cette disposition générale, le législateur a pris en considération cette nouvelle dimension du droit à l'intégrité au-delà des limites formelles de l'oeuvre en reconnaissant à l'auteur un droit spécifique de décider si, quand et de quelle manière son oeuvre peut

48 PUITEMANS, p. 308; SCHILCHER, p. 71; SCHRICKERmIETZ, n° 23 s. ad

§ 14; contra: WAGNER, p. 118: "n'altérant point le corps de l'oeuvre, ces atteintes ne sauraient motiver à elles seules, le déploiement des sanctions du droit d'auteur1';

DEL BIANCO, p. 219; HUNZIKER, p. 99; SCHWEIZER, p. 163 s.

49 VOiT supra 50 s.

50 La doctrine suisse avait également reconnu l'importance d'une telle protection, CHRIST, p. 45 et l'exemple donné en note 104; CHRISTEN, p. 64 et p. 107 ss;

VON BÜREN, Urheberrecht, p. 208.

51 Art. 10 al. 1 LDA.

être incorporée dans un recuei]52 Ainsi reconnaissait-il que "le voisinage forcé avec les textes d'autres auteurs"53 peut exercer une influence décisive sur la perception de l'oeuvre par le public. La constitution de recueils est loin de se limiter au seul domaine de la littérature, car l'avènement des oeuvres multimédia généralisera la production de recueils d'oeuvres, quel que soit le genre auxquelles ces dernières appartiennent (oeuvres littéraires, musicales, visuelles et audiovisuelles), multipliant ainsi les risques d'atteintes à l'intégrité de l'oeuvre54 Ainsi, l'intégration d'une chanson d'un groupe de rock sur un disque constituant une compilation dans laquelle leur oeuvre côtoie des titres de groupes néofascistes portera préjudice à l'intégrité du message que les auteurs de l'oeuvre cherchaient à faire passer au public en les associant indûment à un mouvement politique qui leur est étranger55 Dans cette mesure, l'auteur dont l'oeuvre a été intégrée dans un recueil pourra s'opposer à une utilisation dénaturante de son oeuvre en invoquant l'art. 11 al. 2 LDA'6 De même, la réunion des écrits d'un

52 Art. 11 al. 1 LDA :

"L'auteur a le droit exclusif de décider:

a. [ ... ]

b. si, quand et de quelle manière l'oeuvre peut être utilisée pour la création d'une oeuvre dérivée ou être incorporée dans un recueil ".

53 BARRELET/EGLOFF, n° 11 ad art. Il.

54 AUF DER MAUR, p. 438; EGLOFF, p. 41; sur la protection de l'intégrité des oeuvres intégrées dans un produit multimédia, voir infra nO 103 ss.

55 OLG Francfort-sur-le-Main, GRUR 1995, p. 215; à cet égard, il est indifférent de savoir si la compilation d'exécutions musicales sur un Compact Dise ne constitne pas un recueil protégé par le droit d'auteur (art. 4 LDA) comme l'exprime le considérant 18 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données (lOCE du 27.3.1996, nO L 77, p. 20) qui exclut spécifiquement de telles compilations du

55 OLG Francfort-sur-le-Main, GRUR 1995, p. 215; à cet égard, il est indifférent de savoir si la compilation d'exécutions musicales sur un Compact Dise ne constitne pas un recueil protégé par le droit d'auteur (art. 4 LDA) comme l'exprime le considérant 18 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données (lOCE du 27.3.1996, nO L 77, p. 20) qui exclut spécifiquement de telles compilations du

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