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Répartition

Les drogues simples de l'inventaire Quinson-Merme sont de trois sortes:

• 219 d'entre elles sont d'origine végétale, soit en nature, soit transformées (sirops, extraits, conserves, teintures, etc...). Elles représentent 54 % de l'ensemble soit une large majorité. Si l'on tient compte d'autre part que la plus part des drogues composées utilisent des matières premières botaniques, on voit que le règne végétal est à l'origine de près de 75% des médicaments en usage chez nos apothicaires moûtiérains.

S'il n'est pas nouveau de constater que les drogues végétales constituaient la base de la pharmacologie du XVIIIe

siècle [GIRARD (13)], il est intéressant d'en constater la variété; nombre d'entre elles sont aujourd'hui complètement oubliées (peut-être à tort), en particulier parmi celles d'origine orientale, issues de la matière médicale gréco-arabe: amome en grappe, baume de Judée, bois d'aspalathe, cardamome, costus, etc ...

Les familles botaniques représentées sont au nombre d'une soixantaine (cf. Index), parmi les plus fréquentes (plus de cinq représentants), on peut citer, par ordre décroissant, les Asteraceae, Apiaceae, Fabaceae, Rosaceae, Lamiaceae, Liliaceae, Lauraceae, Burseraceae et Zingiberaceae.

• 29 d'entre elles sont d'origine animale. Le Moyen-Age avait connu une grande vogue pour ce type de médicament; cet engouement s'atténue après le XVIIe siècle

[GIRARD (13)]. Graisse humaine, poudre de crâne humain, de vipère, de crapaud et

autres résidus n'ont en effet pas le même succès puisqu'ils ne représentent plus que 7% de notre inventaire, soit la plus faible part44. Quelque grands classiques persistent cependant, certains étant toujours utilisés comme la cire, le miel, le saindoux ou le blanc de baleine.

• 69 d'entre elles sont d'origine minérale ou chimique. Parmi les premières, il faut noter la présence de pierres précieuses (4 drachmes pour l'émeraude et seulement en poudre ! Quelques onces pour les autres): hématite, émeraude, hyacinthe, lapis lazuli, saphir et topaze représentent un poids global de 12 onces et 5,5 drachmes, soit environ une livre ou trois cent soixante grammes. On pourrait s'étonner de la valeur que

42 Panacée, du grec παν, tout, et ακειν, guérir, était aussi le nom donné à une des filles d'Esculape dans

la mythologie grecque.

43 Une récente modification de formule (suppression de l'éther !) a définitivement rompu le lien de la

tradition ...

44 Dans l'inventaire de 1660 étudié par Edmond Gur (16), les drogues animales étaient plus nombreuses

d'Edmond Gur (16):

"... les pierres fines ne sont que de vulgaires cailloux, des fragments de roches volcaniques qu'on rencontre si fréquemment dans les hautes montagnes, sorte de quartz impur, terne, semi-transparent, parcouru de veines verdâtres et bleuâtres sans aucun éclat ..."

Par contre l'émergence d'une pharmacologie basée sur la chimie se fait sentir. Ce ne sont encore que des balbutiements, surtout quand on voit la dangerosité de certains médicaments proposés: antimoine, arsenic, acide nitrique ou mercure. Cependant ces 17% de drogues d'origine chimique annoncent les travaux d'un Baumé ou d'un Lavoisier de la fin du XVIIIe siècle.

Origine géographique et circuits commerciaux

Dans la mesure du possible, nous avons indiqué, dans l'étude détaillée des drogues (codex medicamentarius darantasiae), l'origine géographique des plantes.

Certaines ont des origines multiples, tel l'aloès, exporté aussi bien d'Asie que d'Afrique ou d'Amérique.

D'autres, d'origine orientale, ont été acclimatées en Europe ou dans le pourtour du bassin méditerranéen depuis fort longtemps, comme le jujubier.

Il est donc parfois difficile de raisonner de manière précise sur les origines des drogues de l'inventaire, la même plante pouvant être une production européenne ou un import, d'autant plus que les origines commerciales ne sont pas indiquées dans l'inventaire. Cependant on peut donner un essai de répartition qui ne doit pas être très éloigné de la vérité:

Parmi les 219 drogues simples botaniques, plus de la moitié sont européennes, voire locales, un gros tiers est d'origine orientale et une dizaine purement africaines. Elles sont issues des pharmacopées gréco-latines et arabes, vulgarisées par les grandes écoles médiévales comme Salerne ou Montpellier.

Elles sont complétées par une douzaine de drogues, conséquence de la découverte du Nouveau Monde, apparues dans les pharmacopées au cours du XVIe

siècle:

Baume de copahu, baume du Pérou, bois de sassafras, bois néphrétique, contrayerve, gayac, salsepareille, gomme tacamaque, ipecacuanha, jalap, méchoacan et quinquina. Certaines sont toujours d'un grand intérêt.

La présence de toutes ces drogues "étrangères" dans notre inventaire est donc le reflet de circuits commerciaux bien organisés; la difficulté à se procurer certaines plantes augmentait d'autant leur valeur intrinsèque et par conséquence celle de l'inventaire. Il reste cependant un doute sur la qualité réelle de certaines drogues, de nombreuses falsifications devant être courantes.

L'approvisionnement se faisait probablement par les circuits commerciaux des épices, aux mains des grands groupes maritimes, Vénitiens, Génois, Portugais, Anglais, et surtout Hollandais qui dominent les échanges économiques avec l'Orient au début du XVIIIe

siècle45. La V.O.C., compagnie Hollandaise des Indes (Vereenigde neederlandtsche geoctroyeer Oost indische Compagny), prospérait ainsi grâce à l'importation de produits phares comme le poivre (représentant souvent la moitié de la cargaison), clou de girofle, noix de muscade, cannelle, sucre, résine, salpêtre, opium ou camphre, tous produits faisant partie de notre inventaire.

C. MERMET. Une boutique d'apothicaire à Moûtiers au XVIIIe siècle: l'inventaire Quinson-Merme de 1735. 194

Localement ils étaient relayés par des grossistes, apothicaires-droguistes, tels les associés Calvet et Dedieu, installés à Chambéry et cités dans l'inventaire, qui devaient entretenir des relations commerciales avec de nombreux pays.

Quantités stockées et valeur

Certains inventaires ont l'avantage d'indiquer une valorisation des drogues inventoriées46. Ce n'est pas le cas de celui-ci. Seules les indications de poids sont mentionnées. On pourrait évidemment comparer avec les tarifs connus pour l'époque, tel celui publié le 10 avril 1710 par le gouvernement sarde47 et en déduire une valeur estimée. Ce serait un très gros travail pour un résultat aléatoire (le système de pesée a en effet changé au cours de l'inventaire, comme on le verra plus loin).

D'autres sources nous permettent d'évaluer la valeur des fonds, comme les actes de vente: les valeurs globales de 900 à 1000 livres semblaient courantes avec des montants pour la seule part des drogues à partir de 300 livres. Par comparaison, certains gros négociants chambériens (droguistes, épiciers, drapiers ou merciers) avaient un stock de marchandise de 10 000 à 20 000 livres48.

Les lignes de notre inventaire indiquent principalement des mesures en onces. Quand ce sont des livres, c'est en général une ou deux unités. Il semble donc que les quantités stockées soient peu importantes. Seuls quelques produits tranchent parmi les autres, comme le sucre (58,5 livres soit environ 28 kg), matière première importante pour toutes préparations, ou l'antimoine (16 livres soit environ 7,5 kg) reflet d'une production minière locale abondante.

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