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1.3 Stratégie empirique

1.3.2 Les données

Estimer l’ampleur du pass-through amène souvent à faire un arbitrage entre des données désagrégées dont la couverture sectorielle et géographique est limitée, ce qui réduit la portée des résultats, et des données agrégées disponibles pour plus de pays avec une dimension temporelle riche mais qui ne permettent pas d’étudier la nature microéconomique du phénomène. La littérature empirique sur le pass-through se compose donc de deux types d’analyses empiriques :

– des estimations sectorielles limitées à quelques produits et pays32ou avec un degré d’agrégation qui reste élevé33,

– des estimations sur séries temporelles d’indices de prix, qui souffrent potentielle- ment d’un biais d’agrégation34.

Les estimations de la présente étude sont effectuées sur la base de données “BACI ” du CEPII35 qui combine une exhaustivité dans la dimension géographique et sectorielle

et un niveau de désagrégation satisfaisant. En effet, la base couvre plus de 5000 produits dans la nomenclature du système harmonisé à 6 chiffres (sh6). Estimer l’équation (1.4) sur chacun de ces secteurs permet donc de mettre en évidence l’hétérogénéité inter-

32Gagnon & Knetter (1995) sur 7 catégories de voitures pour les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne,

Gil-Pareja (2002) sur 26 industries d’une nomenclature à 8 chiffres pour 7 pays européens, Takagi & Yoshida (2001) sur une vingtaine de secteurs à 9 chiffres et pour quelques pays asiatiques, Knetter (1997) sur 37 catégories de produits d’une nomenclature à 7 chiffres, limité aux exportations allemandes.

33Campa & Minguez (2004) et Menon (1995) sur des nomenclatures à 2 chiffres, Otani et al. (2003)

sur 8 catégories de produits, etc.

34cf. Warmedinger (2004), Mihailov (2004) ou Campa & Goldberg (2005).

35 “Base Analytique du Commerce International”. Tous les détails sur la construction de cette base

sectorielle des comportements de PTM36. Dans la mesure où on ne fait aucune sélection ex ante sur les secteurs considérés, les résultats couvrent néanmoins le commerce mondial de biens ce qui autorise une généralisation des résultats à l’ensemble de l’économie.

BACI est construite à partir de la base “ComTrade” des Nations Unies, qui centralise les données douanières de plus de 130 pays, en bilatéral. Ces données sont harmonisées par le CEPII de façon à réconcilier les déclarations des importateurs (j) et des exporta- teurs (i). L’exhaustivité sectorielle et géographique a pour contrepartie une dimension temporelle restreinte : les données sont annuelles et couvrent la période 1989-2003, ce qui ne laisse que 14 points pour chaque série (i, j, k). Les estimations obtenues à par- tir de cette base permettent donc de mesurer le pass-through à un an ; on ne peut pas distinguer, comme dans les estimations sur données trimestrielles, le pass-through de court et de long terme37. Cependant, utiliser des données annuelles permet de se libérer

d’une grande partie des problèmes de rigidités des prix qui compliquent l’interpréta- tion des résultats obtenus à partir de données trimestrielles. En effet, si on admet que les exportateurs ont la possibilité d’ajuster leurs prix dans l’année suivant le choc, le pass-through incomplet observé dans les estimations peut être interprété comme le reflet d’une véritable stratégie de PTM des firmes38.

36L’analyse de la section 1.2 suggère que le PTM devrait idéalement être estimé au niveau de la

firme exportatrice. Dans la mesure où on ne dispose pas de données individuelles de commerce pour un nombre suffisant de pays, on est ici obligé de supposer qu’il existe un exportateur représentatif par secteur, qui fixe les prix Ptijk et exporte la quantité totale enregistrée dans les déclarations douanières.

Cette hypothèse peut être assez gênante quand on cherche à interpréter les résultats en termes de com- portements stratégiques puisqu’elle ne permet pas de tenir compte de la concurrence entre exportateurs du même pays.

37Sur données agrégées trimestrielles, Campa & Goldberg (2005) ajoutent à la liste des variables

explicatives de leurs estimations le taux de change retardé sur quatre trimestres. Le coefficient relatif à la variation du taux de change à la période courante est alors interprété comme le pass-through de court terme tandis que la somme des coefficients relatifs aux mouvements de change courant et passés correspond à ce qu’ils appellent le pass-through de long terme. Une méthode alternative consiste à ajouter le prix retardé dans la liste des variables explicatives (Anderton (2003)).

38Au niveau sectoriel fin, il n’est pas certain que l’utilisation de données annuelles permettent de

Pour chaque couple de partenaires d’un secteur donné, la base fournit la valeur (FAB) et la quantité de biens échangés au cours de l’année t. Cette information permet de reconstituer un indice de valeur unitaire par flux bilatéral qui sert dans ce qui suit de mesure des prix :

Ptijk ≡

Vtijk

Qijkt avec Vtijk la valeur du flux en dollars et Q

ijk

t la quantité échangée (en tonnes)39. L’uti-

lisation de données FAB signifie qu’on mesure le prix hors coûts de transport ce qui est cohérent avec le modèle théorique dans lequel la composante du prix relative aux coûts n’est en général pas spécifique au pays importateur j. L’existence de coûts à l’échange peut néanmoins affecter l’estimation du coefficient de PTM si ces derniers sont sensibles aux variations de change (cf. démonstration en Annexe A.1.1)40.

L’approximation des prix par les valeurs unitaires introduit une erreur de mesure qui peut être importante (Kravis & Lipsey (1974)). Pour autant, cette erreur ne devrait pas biaiser l’estimation, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les valeurs unitaires sont utilisées en tant que variable dépendante dans l’estimation. Or, les erreurs de mesure ne posent de problème sur le plan économétrique que quand elles concernent des variables explicatives, qui risquent alors d’être corrélées avec le résidu de l’estimation. De plus, les effets fixes permettent de capter une partie de l’erreur de mesure. Ainsi, les effets (i, t, k) servent de contrôle pour des erreurs spécifiques à un exportateur et une période donnée. Par exemple, un exportateur qui produit des biens dont la qualité s’améliore au cours du temps vend sa production à un prix de plus en plus élevé, ce qui se traduit par

Dossche (2006) réalisée sur des données individuelles de prix à la production montre que, si la durée de vie médiane des prix est de sept mois, les vitesses d’ajustement sont très hétérogènes d’un produit à l’autre et peuvent aller jusque 20 mois pour certains biens de consommation.

39Ces valeurs unitaires sont donc en dollars. Néanmoins, dans la mesure où des effets fixes (i, t) sont

introduits dans l’estimation, il est inutile de convertir ces séries de prix dans la monnaie de l’exportateur.

40L’impact des coûts à l’échange sur les stratégies de prix est discuté notamment par Atkeson &

une croissance des effets (i, t, k) estimés. Les effets fixes (j, k) captent quant à eux des erreurs de mesure spécifiques à l’importateur j, comme une augmentation tendancielle de la qualité des biens que le pays importe. Enfin, l’erreur de mesure spécifique à la paire de partenaires (i, j, k) est capturée par le terme εijkt . Néanmoins, pour éviter que cette erreur résiduelle ne soit trop importante et ne réduise le pouvoir explicatif de l’estimation, on ne conserve dans ce qui suit que les coefficients de PTM estimés sur plus de 500 observations. Cette sélection implique que chaque panel est composé d’au moins 20 relations bilatérales, ce qui limite les problèmes d’hétéroscédasticité liés à l’erreur de mesure des prix41.

Une des variantes des estimations présentées dans ce qui suit utilise comme variable expliquée non plus les prix sectoriels (Ptijk) mais les prix agrégés ( ¯P

ij

t ). Ces derniers sont

calculés comme la médiane des valeurs unitaires sectorielles, pondérées en utilisant la méthode de Tornqvist définie dans l’équation (1.5)42.

Le modèle précédent suggère d’utiliser le taux de change nominal comme variable explicative des prix à l’exportation. Cependant, la littérature empirique sur le pass- through (notamment Takagi & Yoshida (2001), Gil-Pareja (2003), Parsley (2004) ou Athukorala & Menon (1994)) utilise très souvent le taux de change réel de façon à capturer des variations de change “pures”, qui ne sont pas dues à des ajustements du taux de change nominal à l’inflation sur les marchés i et j. On utilise donc comme mesure de Stij le taux de change réel bilatéral, construit à partir de données d’indices de prix à la consommation de la Banque Mondiale (Source : World Bank, World Development

41Dans les estimations de Méjean (2004), la matrice de variance-covaraince de White est calculée pour

tenir compte de l’éventuelle hétéroscédasticité des erreurs. Ici, ce calcul n’a pas été fait car il n’est pas évident de trouver la forme de cette matrice dans le cas d’une estimation pondérée.

42cf. Diewert (1976) pour une application de la méthode de Tornqvist à la théorie des indices. La

médiane est préférée à la moyenne comme indicateur agrégé des prix car elle est moins sensible aux points aberrants qui peuvent caractériser les distribution des valeurs unitaires. cf. Smith (2004) pour une comparaison des indices de prix obtenus par des calculs de moyenne ou de médiane pondérées.

Indicators). Dans le cadre de notre estimation, l’avantage du taux de change réel sur le taux de change nominal est qu’il permet de tenir compte de l’impact du niveau général des prix dans le pays importateur, qui devrait théoriquement être pris en compte dans le vecteur Ztjk, sans pour autant réduire le nombre de degrés de liberté disponibles pour identifier le coefficient de PTM43. Pour s’assurer de la robustesse des résultats, les estimations sont également faites en utilisant le taux de change nominal, sans impact majeur sur les principaux résultats (cf. les statistiques descriptives du tableau 1.2). Conformément au modèle théorique de la section précédente, cette série est définie de telle sorte qu’une augmentation du taux de change réel correspond à une dépréciation de la monnaie de l’exportateur. Enfin, les épisodes de très forte volatilité du change - définis comme des années où la croissance du taux de change nominal dépasse les 50% en valeur absolue - ont été supprimés de l’échantillon. En effet, les comportements de pass-through sont susceptibles d’être assez différents des comportements usuels lors de tels chocs de change (Burstein, Eichenbaum & Rebelo (2005)).

Estimer les coefficients de PTM au niveau sectoriel permet d’étudier deux problé- matiques de la littérature empirique sur le pass-through. La première concerne le biais d’agrégation des estimations : si on admet, comme le suggère l’analyse de la section 1.2, que le pass-through incomplet résulte de comportements stratégiques de PTM de la part des firmes exportatrices, on peut s’interroger sur l’exactitude des estimations négligeant les écarts inter-sectoriels de PTM. Dans la section 1.4, différentes estimations du coefficient agrégé de PTM sont donc comparées pour mettre en évidence un éventuel biais d’agrégation. Le deuxième avantage de la méthode empirique de ce chapitre est qu’elle permet de mettre en évidence des écarts inter-sectoriels de PTM. Dans la section

43Il faut noter que, si on utilisait des effets fixes (j, t) comme le modèle le suggère, plutôt que de se

contenter d’effets fixes j, les résultats obtenus avec le taux de change réel ou le taux de change nominal seraient exactement les mêmes.

1.5, l’ampleur de cette hétérogénéité est étudiée au regard des intuitions théoriques du paragraphe 1.2 permettant de rationaliser de tels écarts.