• Aucun résultat trouvé

Ce chapitre analyse la sensibilité des prix à l’exportation aux mouvements de change sous un angle microéconomique. L’objectif est de comprendre la rationalité des compor- tements de prix conduisant au phénomène de pass-through incomplet observé au niveau agrégé.

L’analyse théorique des choix de tarification des entreprises exportatrices dans un modèle d’équilibre partiel montre qu’on peut expliquer des stratégies de lissage de l’effet des mouvements de change sur les prix en monnaie locale (stratégie dite de pricing-to-

market ) sous certaines hypothèses relatives à la forme de la fonction de demande, à la structure concurrentielle et à la technologie de production. En particulier, on met en évidence un lien théorique entre l’intensité du PTM et l’élasticité-prix de la demande, la part de marché de la firme exportatrice et la part du marché importateur dans ses ventes à l’étranger. Ces résultats impliquent que les stratégies de pass-through sont susceptibles de différer d’une entreprise à l’autre et en fonction des marchés sur lesquels le bien est vendu.

Cette hétérogénéité des comportements microéconomiques de PTM est négligée par les estimations du pass-through sur données agrégées, ce qui peut conduire à un biais. Cette question est étudiée de manière théorique et empirique dans la section 1.3 du chapitre. Pour cela, les coefficients de PTM estimés au niveau sectoriel sont comparés au coefficient moyen correspondant à diverses estimations du PTM “agrégé”. Les résultats suggèrent que le biais d’agrégation est en général négatif ce qui signifie qu’on sous- estime les comportements de PTM lorsqu’on ne tient pas compte de l’hétérogénéité inter- sectorielle. Néanmoins, ce biais est relativement faible dans un cadre statique simple, tandis qu’il est plus prononcé dans un modèle dynamique.

Dans la section 1.4, on s’interroge ensuite sur l’origine des écarts inter-sectoriels obtenus lorsqu’on estime la sensibilité des prix aux variations de change à un niveau sectoriel fin. En effet, la comparaison des estimations montre que dans plus de 50% des secteurs, l’exportateur représentatif choisit de ne pas ajuster son prix à l’exportation aux variations de change et de laisser ces dernières se répercuter sur les prix en monnaie locale. Dans presqu’un secteur sur deux en revanche, les exportateurs ajustent leur taux de marge aux variations de change. En moyenne, ils absorbent ainsi 30% des chocs monétaires, ce qui permet d’amortir l’effet des mouvements de change sur les prix en monnaie locale. Cependant, même au sein du sous-échantillon de secteurs dans lesquels le pass-through estimé est incomplet, on observe une forte hétérogénéité des comportements

qu’on cherche alors à expliquer.

Sur la base des intuitions théoriques obtenues dans la première partie du chapitre, on montre que les comportements de pricing-to-market sont plus marqués sur des marchés de biens où les prix sont référencés que sur des marchés de biens différenciés. L’interpré- tation de ce résultats est que les comportements d’arbitrage des ménages sur les marchés les plus transparents forcent les exportateurs à maintenir leur prix au niveau de celui de leurs concurrents en adoptant des stratégies de pass-through incomplet. En revanche, on montre que le pass-through est significativement plus élevé lorsque l’exportation porte sur des biens d’investissement ou des pièces détachés. Ce dernier résultat pourrait être dû à l’intensité du commerce intra-firme sur ces segments, qui conduit à des stratégies de prix déconnectées des règles du marché.

Au-delà de ces déterminants liés à la nature du bien exporté, les estimations sug- gèrent également que les comportements de prix sont influencés par certaines spécificités caractérisant la relation bilatérale entre le pays exportateur et le marché acheteur. En effet, on montre que le coefficient de PTM est positivement corrélé à la taille relative du marché importateur dans les exportations du pays considéré, du fait probablement d’un risque de demande accru. Au contraire, les comportements de PTM sont moins marqués si le pays exportateur occupe une place dominante sur le marché importateur considéré puisque dans ce cas, l’impact d’un choc de change sur le prix relatif de chaque exportateur est plus limité.

L’approche sectorielle systématique adoptée dans cette étude permet donc de mettre en évidence des spécificités microéconomiques susceptibles d’influencer les stratégies de pass-through incomplet. Les résultats valident les intuitions théoriques de certains mo- dèles micro-fondés introduisant des comportements de pass-through incomplet dans un cadre de concurrence imparfaite, avec un risque de demande perçu élevé, conduisant les exportateurs à lisser l’effet du change sur les prix en monnaie locale. Néanmoins, l’uti-

lisation de données sectorielles constitue ici une limite importante puisqu’elle oblige à faire des hypothèses fortes sur la structure de la concurrence à l’intérieur de chaque pays exportateur. Pour aller plus loin dans l’explication microéconomique du pass-through in- complet, il faut donc estimer la sensibilité des prix aux variations de change au niveau de la firme individuelle, ce qui fournirait des résultats encore plus précis sur l’origine de ce phénomène. En particulier, une piste de recherche reste encore assez largement inexplo- rée, concernant les stratégies de PTM dans le cas spécifique du commerce entre filiales d’une même firme multinationale. En effet, on observe depuis une quinzaine d’années une forte croissance du commerce intra-firme qui n’est pas bien pris en compte dans les mo- dèles macroéconomiques. Les résultats sectoriels de ce chapitre suggèrent pourtant que les stratégies de pass-through à l’intérieur des firmes multinationales pourraient être as- sez différentes des stratégies des firmes engagées sur les marchés internationaux. Etudier les différences de comportements relatifs à des flux d’échange intra-firme et au commerce sur les marchés internationaux pourrait permettre de mieux comprendre certains faits stylisés relatifs à l’évolution temporelle et aux écarts internationaux de pass-through.

Influence de l’environnement

macroéconomique sur le pass-through

2.1

Introduction

1Les résultats du chapitre précédent ont mis en évidence la forte hétérogénéité inter-

sectorielle des comportements de pass-through. En revanche, ces estimations négligent complètement la dimension géographique du phénomène. Pourtant, la littérature empi- rique sur le pass-through incomplet met en évidence des écarts importants entre pays importateurs. Ainsi, Campa & Goldberg (2005) estiment l’ampleur du pass-through sur les prix à l’importation des principaux pays de l’OCDE et aboutissent à une forte hétéro- généité entre pays, les prix à l’importation étant en moyenne moins sensibles aux varia- tions de change dans les pays importateurs les plus riches, notamment les Etats-Unis2.

1Les éléments de ce chapitre sont publiés dans un document de travail du CEPII, Gaulier, Lahrèche

& Méjean (2006a).

2A long terme sur un échantillon de 24 pays de l’OCDE, Campa & Goldberg (2005) trouvent que le

pass-through est complet dans 16 pays et varie entre 0 et 69% dans les 8 autres. Si on exclut la Hongrie pour laquelle le pass-through estimé n’est pas significativement différent de zéro, le pass-through est

Dans la mesure où l’ampleur du pass-through influence les mécanismes d’ajustement des balances commerciales, comprendre l’origine de ces écarts est un enjeu important de cette littérature.

L’analyse du chapitre 1 relative aux écarts inter-sectoriels de PTM suggère une ex- plication possible des écarts internationaux de pass-through agrégés, liée à des effets de composition : les stratégies de pricing-to-market des exportateurs étant très diffé- rentes d’un secteur à l’autre, la composition du panier de biens importé par chaque pays devrait influencer le niveau du pass-through agrégé. Cependant, l’analyse théorique suggère également que les exportateurs peuvent avoir intérêt à différencier leurs stra- tégies de Pricing-to-Market en fonction de la forme de la demande sur chaque marché importateur. Théoriquement, une telle différenciation des marchés dans les stratégies de prix des exportateurs peut conduire à des écarts de pass-through au niveau agrégé. Pour séparer les effets de composition des écarts structurels attribuables au comportement stratégique des firmes, ce second chapitre estime donc des coefficients sectoriels de pass- through tenant compte de la différenciation des stratégies de prix des exportateurs en direction de leurs différents marchés. Cette stratégie empirique permet alors d’identifier des écarts de PTM entre pays importateurs d’un même secteur, qu’on cherchera ensuite à expliquer en terme de comportement optimal de la firme confrontée à un environnement macroéconomique spécifique sur chacun de ses marchés.

Plusieurs modèles macroéconomiques récents sur le pass-through incomplet ont cher- ché à expliquer les écarts entre pays importateurs concernant la sensibilité de leurs prix à l’importation aux variations de change. Ainsi, Bacchetta & van Wincoop (2005), Cor- setti & Dedola (2003) et Bergin & Feenstra (1998) mettent en évidence dans un cadre d’équilibre général le résultat démontré en équilibre partiel dans le chapitre 1 concernant la sensibilité des stratégies de pass-through à la forme de la fonction de demande adressée

à la firme exportatrice sur chacun de ses marchés. Dans un cadre d’équilibre général, cet argument permet notamment d’expliquer des écarts de pass-through entre pays de taille différente. En effet, la taille du marché influence les décisions d’entrée des firmes, qui elles-mêmes se répercutent sur l’intensité de la concurrence et sur la propension des firmes à adopter des stratégies de pass-through incomplet : plus le marché importateur est important, plus la concurrence entre exportateurs pour s’y positionner est intense, ce qui devrait accentuer les comportements de pricing-to-market. Plusieurs articles s’inté- ressent également à des déterminants du pass-through de type macroéconomique. C’est le cas par exemple de Taylor (2000), qui explique la baisse tendancielle du pass-through par la stabilisation des taux d’inflation. L’argument de Taylor est que la stabilité des prix rend les marchés plus transparents ce qui facilite les comportements d’arbitrage et ren- force l’incitation à adopter des stratégies de PTM. Devereux et al. (2004) et Corsetti & Pesenti (2005) étudient quant à eux l’effet de la volatilité du taux de change nominal sur les comportements de prix, les premiers dans un modèle avec chocs monétaires exogènes, les seconds dans un cadre avec politique monétaire optimale. Ces travaux montrent que la propension à adopter des comportements de pricing-to-market (PTM) est, en théo- rie, négativement corrélée à la volatilité du change. En effet, absorber les mouvements de change dans ses marges est d’autant plus coûteux pour la firme que l’incertitude de change est forte3.

Plusieurs travaux empiriques sur données agrégées s’interrogent sur la capacité de ces modèles à expliquer les écarts de pass-through entre pays importateurs. Campa & Goldberg (2005) montrent ainsi que les élasticités de pass-through à court terme sont positivement corrélées à la volatilité du taux de change nominal. Taylor (2000) fournit

3Il faut cependant noter que Froot & Klemperer (1989) obtiennent la prédiction inverse dans un

modèle d’équilibre partiel avec une fonction intertemporelle de profit, dans laquelle la valeur subjective des parts de marché acquises en première période est élevée.

quant à lui des éléments empiriques en faveur d’un lien entre la baisse de l’inflation et celle du pass-through. Comme l’a montré le chapitre précédent, ces estimations souffrent cependant d’un biais d’agrégation. Dans la mesure où les effets théoriques expliqués relèvent du comportement microéconomique de fixation des prix par les firmes exporta- trices, tester les prédictions des modèles sur données agrégées pose en outre un problème d’interprétation. A cela peut enfin s’ajouter un biais d’endogénéité, lorsqu’on explique la sensibilité des prix agrégées par des variables macroéconomiques telle que la volatilité des taux de change4. La littérature empirique sur données sectorielles dont s’inspirent

les estimations du chapitre 1 ne permet pas quant à elle de comprendre les écarts de pass-through entre importateurs. En effet, celle-ci étudie les stratégies de prix d’un ou plusieurs pays exportateurs sans prendre en compte l’hétérogénéité des comportements selon le marché où sont vendus les biens. Ces estimations ne permettent donc de mesu- rer que le comportement de pass-through moyen sur l’ensemble des marchés clients de l’exportateur considéré.

Afin de mieux comprendre l’origine des écarts internationaux de pass-through, ce chapitre s’intéresse donc à l’hétérogénéité des comportements de pricing-to-market des exportateurs en direction de leurs différents marchés. Pour cela, on estime comme dans le chapitre précédent des coefficients de PTM au niveau sectoriel. Cette fois-ci cepen- dant, un coefficient sectoriel spécifique à chaque pays importateur est estimé, i.e. on lève l’hypothèse d’homogénéité des comportements en direction des différents pays importa- teurs. On montre ainsi que des écarts de pass-through subsistent entre pays importateurs, même lorsqu’on tient compte des effets de composition sectorielle. La seconde partie du chapitre s’attache à expliquer ces écarts, en utilisant les arguments théoriques des mo-

4Betts & Devereux (1996) montrent ainsi que la faiblesse du pass-through peut théoriquement aug-

menter la volatilité des taux de change en équilibre général. Tester l’impact de la volatilité sur le pass-through pose alors un problème de causalité inverse.

dèles macroéconomiques. En particulier, on montre que le pass-through est en moyenne plus faible lorsque les fluctuations de la monnaie du pays importateur sont modérées. En outre, le niveau du PIB par tête influence négativement le pass-through. Enfin, les pays les plus intégrés au commerce international tendent à bénéficier d’un pass-through faible. Ces résultats sont concordants avec les intuitions des modèles théoriques. Néanmoins, l’importance relative de ces effets “macroéconomiques” semble faible par rapport aux déterminants spécifiques à chaque secteur.

Dans la suite de ce chapitre, la stratégie empirique est d’abord présentée dans la section 2.2, qui décrit également les principaux résultats des estimations. La section 2.3 étudie les écarts de pass-through entre importateurs d’un secteur donné et les explique par différentes variables macroéconomiques. Enfin, les résultats sont synthétisés dans la section 2.4.