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3.3 Déterminants du taux de change réel

3.3.1 Analyse en équilibre partiel

Dans ce modèle, le taux de change réel de long terme défini comme le prix relatif de la consommation de biens domestiques s’écrit15 :

RER ≡ PH PF = P T H PT F !µ PN H PN F !1−µ Si on note HBS = ATH/A N H AT F/ANF

le double ratio des productivités, et en utilisant les prix optimaux (3.5), (3.6) et (3.7), on trouve qu’à l’équilibre partiel :

RER = λρ 1−σ + (1 − λ)φ λφρ1−σ+ (1 − λ) ! µ 1−σ (ρ HBS)1−µ (3.17)

Cette relation met en évidence les déterminants du taux de change réel discutés en introduction. L’effet HBS implique que le taux de change réel augmente avec la productivité relative de H dans le secteur des biens échangés (∂RER/∂HBS > 0). En outre, l’endogénéité des choix de localisation introduit deux sources supplémentaires d’écarts à la PPA, un effet de type extensif lié à la répartition spatiale des firmes et un

effet intensif par le biais du coût relatif de production. La concentration des firmes dans un pays induit d’abord un gain de pouvoir d’achat pour le ménage représentatif local. En effet, l’arrivée de nouvelles firmes lui permet de consommer plus de biens produits domestiquement au détriment des biens importés et donc d’économiser sur les coûts de transport. Cet effet, appelé “Offre de Variétés” dans ce qui suit, implique une corrélation négative entre le taux de change réel et la part λ des firmes localisées dans le pays domestique (i.e. son taux de change se déprécie, toutes choses égales par ailleurs, si de nouvelles firmes s’installent sur son marché). Enfin, le taux de change réel est également une fonction croissante du coût relatif de production du secteur T (∂RER/∂ρ > 0), à travers le prix relatif des biens échangés et des biens non-échangés16.

En équilibre général, ces déterminants du taux de change réel vont interagir puisque λ et ρ sont sensibles aux chocs sectoriels de productivité (équations (3.12) et (3.16)). Avant d’aborder l’analyse en équilibre général, on peut avoir une idée du sens de cette interaction en confrontant la relation d’équilibre partielle à des données historiques. Pour cela, on simule l’équation (3.17) en utilisant des séries mesurées des variables HBS, λ et ρ qui influencent le taux de change réel de long terme en équilibre partiel. Cet exercice permet de connaître la réponse théorique (i.e. prédite par le modèle) des taux de change réel aux variations observées des variables de productivité relative et de coût relatif de production ainsi qu’aux évolutions de la répartition spatiale de la production17.

Pour cela, on utilise des données de l’OCDE sur la période 1988-2002. Dans la mesure où le modèle suppose une économie à deux pays et puisque l’effet “Home Market” n’est pas facilement généralisable à un cadre à N pays (cf. Behrens, Lamorgese, Ottaviano &

16L’impact du coût relatif de production (i.e. du salaire relatif et de la productivité relative) sur le prix

relatif des biens échangés est observé par Zachariadis (2004). Celui-ci utilise des données désagrégées pour mettre en évidence un lien entre la productivité et la taille des déviations à la Loi du Prix Unique sur des marchés ouverts au commerce international.

17La simulation se fait sur une équation de croissance du taux de change réel, conformément à

Tabuchi (2004)), on choisit dans cet exercice de simulation de considérer chaque pays vis-à-vis de son “partenaire représentatif”, décrit par les caractéristiques moyennes de l’ensemble des pays de la base18. Cette approche permet d’avoir une interprétation des simulations en terme de taux de change effectif réel. Une solution alternative, plus exacte, consisterait à simuler le taux de croissance du taux de change réel bilatéral prédit par le modèle pour chaque couple de pays de la base et de reconstituer ensuite le taux de change effectif. Cependant, cette stratégie risquerait de compliquer l’interprétation des résultats, puisque des effets de composition se mêleraient aux effets structurels étudiés, alors même que cette simulation vise à mettre en évidence les propriétés analytiques du modèle et pas à reproduire la réalité.

Tous les détails concernant les sources de données, la construction des variables uti- lisées dans la simulation ou la méthode adoptée sont détaillées en Annexe B.2. Pour résumer, la première étape consiste, pour chacun des pays considérés, à mesurer la crois- sance de sa productivité relative (HBS) et de ses coûts relatifs de production (ρ) dans le secteur des biens échangés ainsi que l’évolution de la part λ des producteurs de biens échangés localisés sur son territoire19. Pour cela, on distingue les secteurs de biens échan-

gés des secteurs de biens non-échangés sur la base d’un critère utilisant l’information sur le taux de pénétration des importations et sur la part de la production exportée dans chaque secteur. A partir des évolutions “observées” de HBS, ρ et λ, on utilise ensuite les prédictions du modèle pour simuler l’impact théorique de ces variables sur le taux de

18Plus précisément, le pays F est ici un “partenaire représentatif moyen”. Les variables décrivant ce

“pays” sont calculées en faisant une moyenne pondérée des variables relatives aux (N-1) autres pays de la base de données, le schéma de pondérations étant basé sur le commerce bilatéral du pays considéré. Si on admet que les flux d’échanges reflètent la répartition spatiale de la production, ce schéma de pon- dérations permet de tenir compte de la multiplicité des relations bilatérales agrégées dans ce “partenaire représentatif”.

19Comme on le montre en Annexe B.2, le paramètre λ est en réalité mesuré par la part du pays H

dans la production en valeur de biens échangés, en l’absence de données sectorielles sur le nombre de firmes actives dans chaque pays.

change réel effectif des pays considérés. Cet exercice de simulation utilise une transfor- mation de l’équation (3.17) en termes de taux de croissance et autorise le paramètre µ à varier d’un pays à l’autre20. Grâce à cette relation, on peut avoir une idée de la réponse attendue du taux de change effectif réel, attribuable aux variations observées de HBS, λ and ρ. Conformément à l’approche en équilibre partiel de cette section, cette analyse est faite en fixant (à leur niveau de début de période) tous les déterminants du taux de change réel autre que celui étudié, et pour des valeurs choisies des paramètres entrant dans la définition du taux de change réel21.

Cet exercice de simulation permet de mettre en évidence les mécanismes du mo- dèle conduisant à une interaction entre les mécanismes d’ajustement des salaires et les choix de localisation des firmes. En revanche, cet exercice ne peut pas être assimilé à un exercice de calibration ou d’estimation. En particulier, il n’est pas surprenant d’obtenir des effets théoriques assez éloignés des évolutions observées du taux de change réel. Les écarts peuvent provenir de plusieurs éléments. D’abord, les taux de change réels “obser- vés” dans les données sont calculés à partir d’indices de prix qui ne tiennent pas compte des effets extensifs du commerce, i.e. des décisions d’entrée des firmes sur les marchés nationaux (cf. Ghironi & Melitz (2005) et Corsetti et al. (2005)). Par conséquent, ces mesures ne permettent pas de mettre en évidence un des principaux mécanismes du modèle que les simulations mettent en évidence. Ensuite, ces séries captent à la fois les évolutions du taux de change réel d’équilibre et des évolutions conjoncturelles, dont le modèle et les simulations ne tiennent pas compte. Enfin, plusieurs déterminants théo-

20On utilise une équation de croissance plutôt que l’équation (3.17) en niveaux car les données sur la

productivité du travail sont des indices et ne sont donc pas interprétables en niveaux. De plus, on lève l’hypothèse d’homogénéité des préférences (µH = µF), qui n’est pas très réaliste, comme le montre le

graphique B.1 en Annexe. L’équation finale calibrée est donnée en Annexe B.2.5.

21L’élasticité de substitution entre les biens (σ) est fixée à cinq et le coût de transport “iceberg”

choisi est 1.25, ces valeurs étant les mêmes que celles de Venables (1996). Comme on le montre lors de l’analyse en équilibre général, les résultats sont cependant sensibles à la valeur de ces paramètres. Cette sensibilité ne concerne pas la direction des effets prédits.

riques du taux de change réel de long terme ne sont pas pris en compte par le modèle, notamment les politiques fiscales (Ganelli (2004)), l’épargne nette du secteur privé ou les services de distribution (MacDonald & Ricci (2004)). Par exemple, le modèle sous-estime l’appréciation réelle qui a eu lieu dans les pays d’Europe Centrale et Orientale (Répu- blique tchèque, Hongrie et Pologne), qui est en partie attribuable à des flux de capitaux résultants de facteurs que le modèle ignore : l’optimisme des investisseurs concernant l’intégration de ces pays dans l’économie mondiale, le financement des privatisations par des fonds privés, la sous-évaluation de leur monnaie au début de la période, etc.

Les résultats de ces simulations sont résumés dans le tableau 3.1. Pour chaque pays de l’échantillon, le chiffre de la colonne “Effet HBS” donne le taux de croissance annuel (en %) de son taux de change effectif réel attribué par le modèle aux variations observées de sa productivité relative dans le secteur des biens échangés, par rapport au secteur des biens non échangés (HBS)22. De même, la colonne “Effet OV”(pour “Offre de Varié- tés”) donne le taux de change annuel moyen des prix relatifs attribuable aux variations observées de la répartition spatiale des firmes du secteur des biens échangés (λ). Enfin, la colonne “Effet CRP” (“Coût Relatif de Production”) est la croissance prédite du taux de change réel due à la croissance des écarts de coût unitaire du travail dans les secteurs de biens échangés (ρ). La quatrième colonne, qui est simplement la somme des trois précédentes, est la réaction théorique globale du taux de change réel attribuée par le modèle à la combinaison de ces trois effets.

Comme on pouvait s’y attendre, le modèle met en évidence un effet Harrod-Balassa- Samuelson positif important dans des pays émergents tels que la Pologne, la Corée ou la Hongrie qui ont connu des gains de productivité importants dans le secteur des biens échangés pendant la période considérée. L’effet HBS est également fortement positif aux

22Avec la définition utilisée du taux de change réel, une valeur positive correspond à une appréciation

Tab. 3.1 – Taux de croissance annuel (en %) du taux de change effectif réel, prédit par le modèle en réaction aux variations observées de HBS, λ et ρ

Période Effet Effet Effet Effet Variation HBSa OVb CRPc totald observéee Australie 88-01 -1.92 0.02 1.32 -0.58 0.68 Autriche 88-02 0.23 -0.16 -2.65 -2.58 -0.87 Belgique 88-02 0.04 -0.28 -0.58 -0.82 -0.54 Canada 88-00 -0.96 0.00 0.75 -0.21 -0.80 Rép. tchèque 95-00 0.81 -0.06 0.64 1.39 4.37 Danemark 88-02 0.51 -0.31 -2.03 -1.83 -4.00 Finlande 88-02 0.02 -0.12 -2.05 -2.15 -0.47 France 88-01 0.62 0.01 -1.64 -1.01 -1.24 Allemagne 88-01 0.35 0.02 1.61 1.98 -0.83 Grèce 95-02 -0.75 -0.10 1.39 0.54 2.30 Hongrie 92-02 1.11 -0.58 3.12 3.65 12.98 Italie 88-02 -0.66 -0.20 0.68 -0.18 0.95 Japon 88-01 -0.83 0.02 -1.55 -2.36 -2.28 Corée 89-99 1.69 -0.09 -0.26 1.34 2.97 Mexique 88-01 -0.86 -0.27 14.53 13.40 14.94 Pays Bas 88-02 -0.13 -0.20 -0.35 -0.68 -0.30 Nvle Zélande 89-98 -0.65 0.00 0.24 -0.41 -0.52 Norvège 88-02 -1.30 -0.11 -0.33 -1.74 -0.35 Pologne 92-01 4.01 -0.13 6.95 10.83 15.58 Portugal 88-99 0.04 -0.10 1.87 1.81 3.20 Espagne 88-01 -0.61 -0.02 2.76 2.13 1.07 Suède 88-01 0.81 0.01 -1.28 -0.46 0.56 Royaume-Uni 88-02 -0.70 -0.31 0.27 -0.74 0.83 Etats-Unis 88-01 1.22 0.02 -3.09 -1.85 -1.04

a,b,cRéaction théorique des prix relatifs à des variations de HBS (a), λ (b) et ρ (c). dEffet total (somme des trois colonnes précédentes).

Etats-Unis, du fait de l’importance du secteur des biens non-échangés dans la consom- mation américaine qui tend à amplifier l’effet de gains de productivité modérés. L’effet le plus fort est obtenu pour la Pologne et implique une appréciation théorique réelle de plus de 4% par an. En ce qui concerne l’effet “Offre de Variétés”, l’ampleur des simulations est en moyenne plus faible que celui de l’effet HBS. L’effet le plus fort est obtenu pour la Hongrie. La capacité productive en biens échangés a fortement augmenté dans ce pays au cours de la période considérée ce qui conduit théoriquement à une dépréciation réelle d’environ 0.6% par an. Enfin, l’effet “Coût Relatif de Production” est fortement positif dans les pays dont les salaires sur-réagissent aux gains de productivité dans le secteur des biens échangés (comme l’Espagne, la Hongrie, la Pologne et, surtout, le Mexique). En équilibre partiel, cette hausse des coûts de production conduit à une appréciation réelle. En revanche, quand les salaires croissent moins que la productivité (comme en Autriche, au Danemark, en Finlande et aux Etats-Unis), les gains de compétitivité conduisent à une dépréciation réelle.

Dans huit pays23, l’effet “Offre de Variétés” et l’effet “Coût Relatif de Production” tendent à contrebalancer l’effet HBS. Ce résultat est obtenu pour des pays dont la pro- ductivité relative dans les secteurs exposés à la concurrence internationale se dégrade tandis que les salaires ne s’ajustent que partiellement ce qui réduit l’attractivité du pays comme lieu d’implantation des firmes (c’est le cas en Australie par exemple). A l’inverse, la productivité relative de certains pays (comme l’Autriche) augmente et son coût relatif de production diminue, ce qui incite plus de firmes à s’implanter. Le modèle prédit alors une dépréciation qui contrebalance en partie l’effet Harrod-Balassa-Samuelson. Pour ces huit pays, ignorer les déviations à la PPA dans les secteurs de biens échangés conduit à sous-estimer l’effet HBS puisque ces trois effets sont corrélés. A l’inverse dans trois pays de l’échantillon, les effets HBS, OV, et CRP se renforcent les uns les autres : pour l’Al-

lemagne, le modèle prédit une appréciation réelle tandis que l’effet théorique est négatif pour la Nouvelle Zélande et la Norvège. Dans ces pays, les gains de productivité sont plus que compensés par des ajustements de salaires, ce qui réduit l’incitation des firmes à entrer sur le marché, malgré les gains de productivité. Dans ce cas, une estimation de l’effet HBS ne tenant pas compte des déviations à la PPA dans les secteurs de biens échangés conduirait à sur-estimer l’effet réel des chocs sectoriels de productivité. Dans les autres pays de l’échantillon, le sens du biais de variables omises d’un test du modèle Harrod-Balassa-Samuelson standard n’est pas clair car les effets “Offre de Variétés” et “Coût Relatif de Production” jouent en sens opposés24.

Cette analyse en équilibre partiel permet de comparer les déterminants du taux de change réel introduits dans ce modèle. Elle montre que l’interaction entre les effets “Harrod-Balassa-Samuelson”, “Offre de Variétés” et “Coût Relatif de Production” est susceptible d’affecter le taux de change réel de diverses façons. Cependant, cette analyse reste insuffisante dans la mesure où les choix de localisation qui déterminent λ et ρ ne sont pas pris en compte. Dans la suite de ce chapitre, on utilise donc des simulations numériques pour étudier les déterminants structurels du taux de change réel en équilibre général. En particulier, on s’intéresse à l’impact sur les prix relatifs de la productivité relative du secteur exposé et de la taille relative des pays.