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2. Cadre théorico-méthodologique

2.2. Proposition méthodologique pour déterminer l’organisation sociale en fonction du sexe des individus sociale en fonction du sexe des individus

2.2.1. Les questions à documenter

2.2.1.3. Une division sexuelle des activités ?

L’existence d’une division sexuelle des activités pourrait traduire des relations dissymétriques. Concernant le Néolithique au nord-est de la péninsule Ibérique, il faudra tout d’abord identifier si une telle division existait. Si c’est le cas, il faudra essayer de la caractériser.

S’organisait-elle en relations de réciprocité ou, au contraire, relevait-elle de l’exploitation d’un

collectif par un autre et donc de dissymétries, pas seulement concernant le travail réalisé par chacun des groupes, mais aussi concernant l’accès au produit de la production, c’est-à-dire à la consommation (Castro Martinez et al., 2005 : 118) ?

Les instruments accompagnant le défunt et les marqueurs d’activités sur le squelette de celui-ci sont les deux principales façons d’identifier l’existence d’une division des activités.

2.2.1.3.1. Les objets

Une des façons de documenter une éventuelle division sexuelle des activités à partir des vestiges funéraires est d’observer la répartition des objets ayant pu être utilisés par l’individu de son vivant (Gibaja, 2002, 2003 ; Gibaja et al., 2008). En effet, il est parfois possible de savoir quels instruments ont été employés et pour quoi, à partir des résultats de l’analyse fonctionnelle, pratique qui consiste à identifier la fonction des artefacts retrouvés en contexte archéologique, mais aussi comment ils ont été élaborés et utilisés (entre autres, Hayden, 1979 : 61 ; Plisson, 1985 ; Vila-Mitjà 1984 ; Clemente et al., 2002).

L’histoire de l’analyse fonctionnelle est directement liée à celle de l’industrie lithique.

L’intérêt pour la fonction de l’outillage lithique a toujours existé, mais cet intérêt se basait sur des comparaisons ethnographiques ou sur des déductions faites à partir de la morphologie d’un outil (Gonzalez Urquijo et Ibáñez, 1994 : 11). Cette focalisation sur la morphologie a donné lieu à la création de diverses typologies. C’est le travail effectué par S. Semenov dans les années 1930 qui révolutionnera le domaine de l’étude des instruments lithiques. Il mène alors une série de recherches sur la fonction des outils préhistoriques par le biais de l’analyse des altérations produites par l’usage sur les zones actives des objets. Son travail est d’abord publié en russe en 1957, puis en anglais en 1964. Il y argumente que tout comme le matériel métallique, les instruments lithiques portent des traces d’utilisation, qui peuvent être décrites et analysées afin de documenter le mode de fabrication, la fonction et le mode d’utilisation d’un outil (Odell, 2004 : 8 ; Gonzalez Urquijo et Ibáñez, 1994 : 12). La tracéologie11 comme discipline permettant de reconstruire d’anciennes techniques et technologies et de poser les bases d’une production économique et d’organisation sociale connaîtra un grand succès à une époque où la New Archaeology se développe en Europe occidentale et en Amérique du Nord (années 1960).

Aujourd’hui, les analyses tracéologiques de l’industrie lithique sont habituelles en archéologie12 et utilisées pour répondre principalement à deux types de questions :

- expliquer les activités pratiquées sur des sites ;

- découvrir quel rôle ces activités ont joué dans l’organisation économique et sociale d’un groupe (Gibaja, 2002 : 100).

La méthode analytique suivie actuellement par de nombreuses équipes de recherche se divise en trois grandes parties :

- analyse de la provenance des matières premières ;

- analyse des procédés de production lithique (analyse techno-morphologique) ; - analyse fonctionnelle.

      

11 La tracéologie peut se définir comme une méthode analytique pour l’identification et l’interprétation des traces d’usage et de manufacture sur les outils préhistoriques (Mazzucco, 2014 : 42).

12 Voir ouvrages comme Marreiros et al., 2014 ; Longo et al., 2008.

Dans cette recherche et dans le but de renseigner une éventuelle division sexuelle du travail seule la troisième partie sera considérée, mais les deux autres seront importantes pour la prise en compte de la valeur objective d’un objet.

Concernant les assemblages osseux préhistoriques, bien que les analyses fonctionnelles se soient multipliées ces dernières années, elles restent encore rares et les méthodes conservent un caractère exploratoire (Sidéra et Legrand, 2006). Dans ce contexte précis, peu d’études existent sur l’industrie osseuse, et l’état de conservation du mobilier n’a pas permis d’obtenir beaucoup d’informations. Au moment de la rédaction de cette thèse, l’unique publication abordant l’industrie osseuse issue des structures funéraires selon une approche morpho-technique et fonctionnelle est celle de M. Mozota et J. F. Gibaja (2015). Ils examinent les objets en os déposés dans certaines tombes, depuis le moment de l’acquisition des matières premières jusqu’à l’utilisation du mobilier et son dépôt dans la sépulture. Pour étudier l’acquisition, l’élaboration et l’utilisation de ces artefacts ils travaillent à partir d’une collection de référence créée lors d’un programme d’archéologie expérimentale, ainsi que de paramètres provenant de la recherche d’autres archéologues. Ils s’inspirent des procédés mis en place à partir de l’analyse des instruments lithiques. Ces analyses ont permis de conclure que certains objets avaient été utilisés avant d’être déposés dans la tombe, pour des activités variées. D’autres au contraire, n’étaient pas utilisables, et d’autres encore ont été retrouvés intacts (Mozota et Gibaja. 2015).

Les ornements ont aussi parfois fait l’objet d’analyses fonctionnelles, mais dans un but différent : celui de distinguer des traces technologiques à proprement parler (issues des différentes étapes de la fabrication de l’objet) et des traces liées à l’utilisation postérieure de la pièce (Oliva Poveda, 2015 : 35). Autrement dit, l’idée est de renseigner les procédés de fabrication de l’élément de parure, puis si celui-ci a été porté, et comment. Ces informations peuvent documenter une façon de pratiquer une activité, voir une spécialisation ou de l’artisanat, mais pas directement une division sexuelle du travail. Pour cela, l’analyse tracéologique des ornements ne sera pas prise en compte dans cette partie de l’étude.

Il est très important de procéder à partir d’objets étudiés tracéologiquement. En effet, pour l’instant, c’est la seule façon de savoir si un objet a été utilisé et pourquoi, et donc de pouvoir le qualifier d’instrument.

L’attribution fréquente de certains instruments utilisés pour certaines activités (par exemple, de lames de silex employées pour la moisson de céréales) à des individus de même sexe et l’absence de ces instruments chez les individus de l’autre sexe pourrait aller dans le sens d’une division sexuelle des activités. Là encore, comme pour toutes pratiques funéraires, c’est la récurrence qui permettra l’identification du comportement social des vivants.

Afin de documenter une éventuelle division du travail, les objets pour lesquels une analyse fonctionnelle a été menée ont été répertoriés. Les objets non utilisés, les objets impossibles à utiliser car leur dimension, leur taille ou leur fragilité ne le permettait pas, et les instruments effectivement utilisés seront traités différemment dans les analyses. Dans un deuxième temps, les instruments effectivement utilisés permettront l’identification d’activités en fonction du sexe des individus. Cependant, pour documenter la division du travail il est impossible de se fier uniquement au mobilier funéraire, pour des raisons déjà évoquées précédemment. L’individu en lui-même, les stigmates de toute une vie enregistrés sur son squelette peuvent venir compléter l’information obtenue à partir des artefacts.

2.2.1.3.2. L’individu

Un des grands thèmes de l’anthropologie biologique est la recherche de marqueurs d’activités.

Ces marqueurs peuvent documenter des inégalités dans la répartition des tâches. Ils résultent de la succession de microtraumatismes provoqués par une répétition des mêmes gestes (Bonnabel, 2012 : 123), et peuvent se manifester sous des formes variées :

- une usure dentaire (par exemple, comme conséquence de l’utilisaiton des dents comme instruments de travail) ;

- des modifications de régions articulaires (ex : arthrose, modifications articulaires non pathologiques dues à l’adoption habituelle et prolongée de certaines positions durant les activités quotidiennes, comme la modification de la région articulaire du tibia dans le cas de l’usage régulier de la position accroupie) ;

- des changements morphologiques de caractère fonctionnel ;

- des lésions pour surcharge (comme les nodules de Schmorl, hernies produites par une pression sur le disque intravertébral et qui se manifestent sur le corps vertébral, en général des vertèbres lombaires) ;

- des changements dans l’architecture de l’os (altérations dans l’architecture et la configuration interne des os, soumis à des forces bio-mécaniques) ;

- des ossifications et calcifications ;

- des changements au niveau des enthèses13 (comme une entesopathie, c’est-à-dire des changements hypertrophiques de caractère inflammatoire dans les insertions musculaires, provoqués par des contractions musculaires répétitives et violentes, comme dans le cas de l’usage de l’arc en ce qui concerne la région de l’avant-bras) (D’après Galtès et al., 2007 et Ortiz, 2010).

Ces marqueurs d’activités peuvent permettre d’identifier les activités pratiquées par un individu de son vivant, et ainsi informer sur une division sexuelle et/ou sociale des tâches (par exemple, Santana Cabrera et al., 2011-2012), ou sur l’évolution chronologique de celles-ci.

Cependant, observer et surtout interpréter ces marqueurs peut représenter un véritable défi (Molnar, 2008). Les restes osseux doivent être bien conservés pour y parvenir, ce qui n’est pas toujours le cas, surtout dans ce contexte. Il est également parfois difficile d’identifier la situation qui a entraîné un certain type de réponse sur le squelette, ou alors un lien indicateur osseux/comportement est parfois trop rapidement proposé. En effet, le corps humain est capable de réaliser seulement un certain nombre de mouvements, mais à partir de ces mouvements, de mener un nombre beaucoup plus important d’activités. Ainsi, les modifications osseuses qui peuvent être observées ne correspondent jamais de façon certaine à un travail spécifique. De la même façon, l’absence de marqueurs ne signifie pas inactivité, mais peut traduire la pratique d’une gamme très large d’activités, ou l’absence de spécialisation intensive dans un domaine spécifique (Balaguer et al., 2002 : 98). S. Villotte expose le cas des «faux positifs », qui correspondent à des manifestations osseuses qui peuvent être l’expression de nombreuses maladies, mais qui semblent être la conséquence d’un déséquilibre biomécanique (Villotte, 2008).

L’information obtenue à partir de ces marqueurs peut renseigner sur les activités pratiquées par les individus au cours de leur vie, et donc également permettre l’identification de traces liées à d’éventuelles inégalités14, ici dans la répartition des activités (Bonnabel, 2012 : 123). Mais cette

      

13 Enthesis : point d’insertion d’un muscle ou d’un ligament. 

14 Tout comme les indicateurs de stress, voir 2.2.1.2.

information devra être associée à celle provenant du mobilier funéraire afin de s’approcher le plus justement possible d’une éventuelle division des tâches.

Malheureusement dans ce contexte et comme pour les indicateurs de stress biologique, les études consacrées exclusivement à ce thème sont encore rares. Ce travail de recherche permettra d’effectuer un bilan des études disponibles et des lacunes dans ce domaine.