SÉANCE V
DIVISION DU PLAN
1. — On sait que le sommeil lucide existe et que ses accessoires étourdissent la raison humaine. Il ne s'agit que de déterminer la cause du premier et d'expliquer par elle le développement des seconds.
Il est vrai, ainsi qu'on ne cesse de le répéter dans les feuilles périodiques, que ce
phénomène n'est pas reconnu et reçu par tous les savants : mais il est vrai aussi qu'une vérité, pour être telle, n'a besoin du suffrage de personne. L'aveuglement de ceux qui se refusent à lui rendre hommage n'est pernicieux qu'à eux seuls : il ne déroge en rien à l'existence de ce phénomène, objet de leur ignorance ou de leur incurie. D'ailleurs,
pense-‐t-‐on sincèrement que ceux qui le cultivent ne forment qu'une classe de charlatans, comme des journalistes ont prétendu l'insinuer ?
L'existence du sommeil lucide et de ses merveilleux accessoires tient toujours aux causes naturelles, mais plus souvent intellectuelles que sensibles. On ne doit donc pas s'attendre qu'elles se rendent toutes accessibles aux sens, et conséquemment à la rigueur d'une démonstration même physique. Elles ne peuvent être réduites, qu'à cette évidence morale qui suffît pour calmer la raison, et qui fondée sur le témoignage interne de tout individu, a des droits à égaler toute certitude sensible.
Exiger qu'une vérité obscure soit condamnée à être rangée sur la ligne des problèmes, si elle n'est pas présentée sous une évidence mathématique, c'est vouloir que ce qui a une
existence réelle et physique ne soit qu'un objet de pure conception. L'exactitude des sciences mathématiques n'est sûrement pas dans la nature, mais dans l'hypothèse. Ce sont des vérités idéales et non réelles qu'elles démontrent. Un cercle, une ligne, un point, d'où partent les conséquences géométriques, n'existent que dans là supposition.
Désirer qu'une vérité obscure ait une évidence sensible est une prétention encore plus injuste : c'est confiner dans la catégorie des absurdités les vérités intellectuelles qui, chez les êtres pensants, doivent occuper le premier rang dans la conduite de la vie.
L'existence des corps, hors de nous, peut souvent nous tromper : l'existence des idées ne nous trompe jamais. Toutefois s'il est reçu que cette certitude, en raison des objets de la conception, soit classée parmi les certitudes morales, elle n'a pas moins dans sa nature de quoi égaler et peut-‐être même surpasser une certitude sensible.
La détermination précise de la cause du sommeil lucide et l'explication plausible des accessoires qui l'accompagnent gisent dans une certitude morale ; et les principes qui la révèlent résultent des observations qui sont communes à toute l'espèce humaine.
2. — Pour pouvoir la relever, nous marcherons graduellement en divisant notre sujet en séances et chaque séance en paragraphes. Les quatre premières séances sont déjà connues : elles embrassent la Préface et l'Introduction.
En englobant la première dans la masse des séances, je ne tends qu'à lier au développement de mon sujet les motifs qui le provoquent. Je n'y considère que les attaques qui concernent mon étude, et non celles qui regardent ma personne : ces dernières se trouvent pleinement réfutées par mon silence sur le compte de mes
agresseurs. Sans cet aiguillon qui pique vivement mon honneur, je me serais condamné à me taire sur la cause du sommeil lucide, persuadé que je n'ai rien à enseigner, dans une ville où j'ai tout à apprendre.
Dans l'Introduction, je me suis empressé de mettre le lecteur au courant de toutes mes idées sur le sujet que je traite. Elles ne sont que rapides et générales, mais néanmoins suffisantes pour faire présumer la cause que nous cherchons à développer. Notre plan nous force à la découvrir par la méthode synthétique, qui procède toujours du connu à l'inconnu, c'est-‐à-‐dire, au connu obscur ; et c'est pour cette raison que nous nous
sommes abstenus de l'indiquer clairement et avec précision. C'est un sujet qui, en raison de cette entrave, est incompatible avec la méthode analytique.
La présente séance va donner d'un seul coup d'œil toute la substance de l'ouvrage, séance par séance. On sera, par ce moyen, à même de juger le mérite du travail et d'en abandonner la lecture, s'il n'offre rien qui pique la curiosité. Le livre qui ennuie est un pavot qui endort.
Nous exposerons ensuite tous les procédés connus qui, dans différents temps, ont été employés avec un égal succès et pour procurer du bien-‐être aux personnes en bonne santé, et pour provoquer le sommeil lucide sur une certaine classe de personnes. Cette notice aura le mérite de fournir des notions naturelles sur la cause précise de ces effets surprenants, sans mettre à contribution des raisonnements tortueux.
Cette exposition nous amènera à examiner les deux principales sources d'où découlent tous les phénomènes qui étonnent dans le sommeil lucide, et qui paraissent à la
première vue mystérieuses et indéchiffrables. Nous ferons voir qu'il n'y a rien qui dépasse les bornes de la raison humaine, et que tout y est concevable, pour peu que l'homme veuille s'adonner de bonne foi à la recherche de la vérité. Des sources enfermées dans la nature ne peuvent pas étourdir la raison naturelle, à moins que, dépourvue de toute connaissance humaine, elle ait la prétention de se ranger dans la classe de la raison éclairée.
3. — Nous nous arrêterons plus particulièrement sur le sommeil lucide, qui est le plus remarquable de ces phénomènes, et à son tour la source d'autres aussi neufs
qu'incroyables. Ayant déjà fait une énumération succincte de ce qui en résulte, nous ferons des observations particulières sur quelques-‐uns de ces phénomènes les plus dignes d'attention. Nous nous attendons, dans cette exposition, à passer pour
visionnaire et enthousiaste, même dans l’opinion de ceux qui s'occupent du sommeil lucide ; mais sans inquiéter de ce qu'on pourra dire, nous remplirons toujours la tâche d'être véridique, en rapportant fidèlement ce que nous avons provoqué dans les époptes, et ce que toute personne qui les soigne peut en obtenir facilement.
Avant que d'aller plus, loin nous examinerons dans la séance suivante ce que c'est que la nature individuelle et le caractère des différents motifs qui déterminent l'âme humaine à agir. Cette connaissance nous mettra à même de former une juste idée de l'état des époptes, et des nuances qui distinguent un épopte d'un autre. On y verra que la nature individuelle est, dans sa modification, intuitive-‐mixte, cet esprit même qui nous anime, et qui agit sur le corps différemment, ou d'après la persuasion, ou d'après les convictions de plusieurs espèces qui ont leurs propriétés particulières. La raison humaine aussi qui est vulgairement crue être le seul flambeau qui doive éclairer l'homme dans la recherche de la vérité, y sera dûment approfondie, pour être évincée du rang que fastueusement elle s'arroge.
Nous nous occuperons immédiatement après d'expliquer ce que c'est que l'intuition qui a une manière toute particulière de présenter à l'esprit les objets internes. Les
mystiques en ont parlé souvent dans leurs ouvrages ascétiques, mais dans une acception bien différente de celle des écoles d'Allemagne. Les époptes, dûment étudiés,
démontrent par des preuves expérimentales que ni les uns ni les autres n'ont connu la véritable signification de cette vérité éminente. Nous en approfondirons la nature, et nous découvrirons dans cette recherche plusieurs idées neuves, étrangères à la philosophie, et peu familières à la théologie.
La lucidité, qui en fait une juste application, sera ensuite l'objet de notre étude et de nos réflexions. Nous en distinguerons de plusieurs espèces, qui, faute d'avoir été
remarquées, ont induit dans des erreurs graves beaucoup d'observateurs qui étudient le sommeil lucide. Comme la lucidité et l'intuition sortent tout à fait de la ligne des
opérations ordinaires de l'esprit sensitif, il est naturel qu'on les confonde avec les fonctions des sens, que l'ignorance regarde comme les seuls canaux aptes à transmettre à l'âme les idées des objets externes.
4. — Nous descendrons dans la séance suivante à examiner la nature de l'imagination avec laquelle des imprudents ont prétendu confondre la lucidité. Nous ferons voir que
l'objet de l'imagination est tout autre que celui qui convient à la lucidité, et que la
différence entre l'une et l'autre est plus grande que celle qui existe entre la conception et la raison. A cette occasion nous développerons ce que c'est que la chimère et l'illusion des sens, en démontrant que ce genre de conceptions et de sensations leur est aussi propre qu'il l'est à la glace de refléter les objets qui sont devant elle, et de représenter dans son sein ce qui n'existe pas. Ces observations nous désabuseront de plusieurs autres idées reçues comme des vérités démontrées, et qui ne sont que des erreurs grossières.
Nous passerons de l'examen de la nature de l'imagination à la connaissance de l'étendue de l'action d'une volonté externe ; c'est-‐à-‐dire, nous rechercherons si la volonté d'une autre personne peut agir sur nous à notre insu et malgré nous. Cette question, si c'en est une, n'aurait sûrement pas besoin d'être agitée, si ceux qui font des systèmes pour expliquer le sommeil lucide n'avaient pas cherché à obscurcir une vérité lumineuse. Les enfants mêmes n'ont pas douté jusqu'à présent que la volonté d'autrui pouvait les contraindre à agir malgré eux et à leur insu. Nous approfondirons ce que c'est que la modification de vouloir ; comment et pourquoi cette faculté a la vertu d'agir dans les bornes d'une juridiction déterminée ; et nous conclurons qu'elle n'a pas plus d'aptitude à être la cause efficiente du sommeil lucide, qu'elle n'en a à l'être de ces effets que nous obtenons du ministère et de la complaisance d'autrui dans le commerce social. Ceux qui ont avancé une pareille extravagance, seront forcés de convenir que si, dans ces derniers résultats, nous ne pouvons pas dire, sans choquer la raison et le bon sens, que nous en sommes la cause, c'est une aberration de la plus profonde démence, que d'assigner l'action de leur volonté comme cause du sommeil lucide.
La réfutation de ce pitoyable subterfuge nous forcera ensuite à examiner s'il existe un fluide magnétique ; car avant d'établir et de préciser ce que c'est que la cause du sommeil lucide, nous devons démontrer qu'elle n'a d'affinité avec rien de ce qui a, jusqu'à présent, été offert aux yeux du public. Quoique ses défenseurs, qui ont adopte la manie de raisonner des effets naturels comme de la variation des modes, n'en parlent plus beaucoup dans le compte qu'ils rendent périodiquement de leurs succès,
néanmoins nous nous ferons un devoir d'aplanir tous les écueils du chemin qui doit nous conduire à la recherche de la vérité, afin qu'elle puisse se présenter d'elle-‐même aux yeux de tout le monde sans fard et dans tout son éclat. Je suis étonné que ceux qui s'occupent du sommeil lucide n'aient pas même été heureux dans le choix d'une seule des chevilles qu'ils ont employées pour rendre raison du sujet de leur profession ; tandis qu'il est si rare de trouver chez les hommes une uniformité pareille d'opinions dans la solution des problèmes physiques.
5. — Nous considérerons ensuite la nature de l'âme humaine. Nous exposerons d'abord les opinions des anciens philosophes antérieurs au christianisme et des Pères de l'Église sur sa nature, et nous développerons ensuite la nôtre, fondée sur les observations. Nous sommes persuadés qu'elle ne sourira pas beaucoup aux lecteurs ; mais avec un peu de réflexion, on sentira qu'elle s'appuie sur des raisons beaucoup plus
plausibles, pour ne pas dire décisives, que opinion commune ; qu'elle ne répugne à aucune autorité respectable ; et qu'elle explique physiquement tous les phénomènes que la philosophie n'a jamais jusqu'à présent osé aborder. Parmi les philosophes modernes, je ne trouverai en opposition que Leibnitz et ses partisans. Mais tout en respectant le
poids de leur autorité, je ne me sens pas capable de leur faire le sacrifice de la force de mes motifs : ils sont étayés sur la considération même de la nature de l'esprit et sur ce que l'âme humaine développe sensiblement. Nous remarquerons ici que dans cet examen nous nous occuperons de l'âme, non telle qu'elle est dans son union avec le corps, mais telle qu'elle doit être après sa séparation, telle qu'elle est en elle-‐même.
La connaissance de la nature de cette substance spirituelle nous mènera naturellement à la recherche de l'état de ses idées, et nous démontrerons que non seulement elles lui sont innées, mais aussi qu'elles embrassent la science universelle de tout l'ordre physique ; et que cette science tient aussi bien au complément de son être que la simplicité, la spiritualité et l'immortalité. C'est déjà dire que nous réfuterons dans un sens l'opinion de Locke, et que nous l'admettrons dans un autre qui sympathise
seulement avec l'état naturel de l’homme. Nous rejetterons dans tout son ensemble celle de Descartes, en faisant voir que les idées infuses de l'âme ne peuvent jamais se
convertir naturellement en idées sensibles, et que conséquemment elles sont toujours étrangères à l'homme. Ce que nous avons dit dans l'introduction a déjà dû faire voir que ce que décèle le sommeil lucide est en grande partie en opposition diamétrale avec ce qu'ont pensé les philosophes à cet égard.
Nous considérerons ensuite le corps humain simplement comme une machine
matérielle, indépendante de toute action motrice d'une cause intelligente. Nous sommes persuadé que la description que nous en ferons ne sera pas aussi exacte que celle qui sortirait de la plume d'un anatomiste ou d'un physiologiste ; mais nous n'en parlerons que d'après les idées que nous ont fournies nos observations, notre expérience et nos réflexions. Nous serons forcé de reconnaître que si, dans son genre, cette enveloppe n'est pas la meilleure des choses possibles elle est du moins la plus parfaite de toutes celles qu'un génie des plus féconds a jamais pu concevoir ; et que ce qui quelquefois semble être défectueux dans son organisation, est tout à fait étranger au dessin primitif de sa construction.
6. — L'étude séparée de l'âme et du corps nous déterminera dans la séance suivante à considérer leur union mutuelle. Nous examinerons dans ce commerce les différents systèmes qui tendent à l'expliquer, et nous exposerons les idées que fournit le sommeil lucide pour le comprendre. Les réflexions que nous puiserons dans cette recherche auront l'avantage de nous découvrir la cause de toutes les modifications du corps, et conséquemment la cause de celles de l'âme qui les maîtrise toutes, ou directement et immédiatement, ou indirectement et médiatement ; et par là, nous nous consoliderons dans l'idée que nous avons déjà donnée de la nature individuelle. Nous la développerons d'une manière encore plus saillante, nous trouverons dans cette exposition la
confirmation de tout ce que nous aurons précédemment tâché de faire connaître sur son compte.
La considération de l'homme tel qu'il est, ou de l'homme actuel, suivra aussitôt ce que l'on aura vu dans le commerce mutuel de l'âme et du corps. Envisagé sous le double point de vue de ses opérations intellectuelles et de ses actions corporelles, l'homme ne se présentera plus comme un résultat digne des éléments qui le composent. Nous n'y trouverons plus que des défauts qui contrastent avec sa nature et que ne composent pas ses qualités. On sera forcé de penser que l'homme, tout en se regardant comme l'être le plus accompli de l'ordre physique, est encore bien loin de répondre à la dignité et à la
noblesse de son origine. Plusieurs autres réflexions qui naîtront de cette connaissance de la condition humaine nous feront un devoir de conclure que l'homme, tel qu'il est, n'est pas tel qu'il a dû être ; c'est-‐à-‐dire que l'homme actuel n'est qu'un être dégénéré de l'homme primitif qui fut la tige de l'espèce humaine ; et nous prouverons palpablement que la Genèse, qui nous trace la cause de cette dégradation, ne nous annonce qu'une cause réelle, sensible et proportionnée au malheur général.
Dans la séance suivante, nous aurons l'apparence de conjecturer un homme idéal et fantastique, tout en développant un homme réel et physique, et nous y verrons le modèle de ce que les époptes étaient très faiblement dans leur sommeil lucide. Nous serons forcés d'y reconnaître la nature du péché originel ; comment il a souillé et corrompu la masse totale de l'espèce humaine et comment il a anéanti l'exercice des facultés qui plaçaient l'homme dans une autre sphère que celle qu'il croît être son partage. Le tableau que nous ferons des perfections de cet homme avant sa rébellion et sa perfidie, donnera au lecteur l'échelle de proportion de la théorie du sommeil lucide et montrera en même temps combien les époptes sont éloignés d'esquisser même la copie de leur original, tout en ayant des droits à l'admiration de l'esprit humain. On sentira par là que ce qui dérive du sommeil lucide n'étonne que parce qu'il est extraordinaire, et non parce qu'il est étranger à la nature de l'homme.
7. — Le motif pour lequel le sommeil rapproche l'homme de son état primitif et originel sera le sujet de la séance suivante. Nous y approfondirons aussi la cause et la nature du sommeil et la différence qu'il y a entre le sommeil occasionnel et le sommeil naturel, et nous établirons que les espèces qui les distinguent, n'ont leur différence que dans leur profondeur et non dans la nature. Ceux, qui, sous la dénomination de sommeil
magnétique, croient voir dans les époptes endormis un sommeil de nouvelle fabrique, y trouveront des raisons solides de se désabuser de leurs frivoles préventions. Nous leur ferons voir que la différence qu'annoncent les époptes entre le sommeil occasionnel et le naturel, provient d'autres sources que de celle de leur indéfinissable magnétisme,
entouré de ses prestiges. Cette explication précédera de près l'examen de la différence entre les époptes et les énergumènes. Nous ne mettrons en question ces deux états, si différents l'un de l'autre, que parce que ceux qui s'occupent du sommeil lucide ont indécemment confondu avec cet état naturel de l'homme la révélation surnaturelle et les effets de la sorcellerie. Nous leur démontrerons que parce que ces différentes causes existent, il n'est pas conséquent qu'elles soient les mêmes et identiques. Nous en fixerons l'existence, devenue fabuleuse pour les philosophes, ainsi que les différences e les caractères.
De cette recherche nous viendrons à examiner la question que M. le marquis de
Puységur proposa, il y a quelques années, en rendant compte du traitement de son petit Hébert : savoir si les fous, les maniaques et autres de ce genre, ne seraient pas des somnambules dérangés ? Nous démontrerons à cet observateur zélé du sommeil lucide que les caractères de ces deux états sont si différents qu'il n'y a pas même à soupçonner
Puységur proposa, il y a quelques années, en rendant compte du traitement de son petit Hébert : savoir si les fous, les maniaques et autres de ce genre, ne seraient pas des somnambules dérangés ? Nous démontrerons à cet observateur zélé du sommeil lucide que les caractères de ces deux états sont si différents qu'il n'y a pas même à soupçonner