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1.2 – Diversité floristique du gisement d’Arc-en-Barrois (Bathonien supérieur)

CHAPITRE V : Discussion

V. 1.2 – Diversité floristique du gisement d’Arc-en-Barrois (Bathonien supérieur)

Composition et remarques sur la flore d'Arc-en-Barrois

La flore fossile d’Arc en Barrois est constituée principalement de rameaux feuillés de Brachyphyllum bruetii, auquel s’ajoutent de nombreux autres taxons, numériquement très minoritaires dans l’assemblage. Leur liste complète est disponible dans le tableau (V.1) suivant :

MONILOPHYTES Bruet (1932) Donnée inédites Liste retenue Polypodiophytes incertae sedis Sphenopteris sp. ● ● PLANTES À OVULES Corsystospermales [Lomatopteris moretiana] Cycadopteris moretiana ● ● Ginkgoales ?Baiera sp. ● ● ?Eretmophyllum sp. ● ● Pinales Araucariacées

CHAPITRE V : Discussion 159 [Brachyphyllum nepos] Brachyphyllum bruetii ● ● incertae sedis [Cedroxylon transiens] ● ? ?Pagiophyllum sp. ● ● [Piceoxylon antiquum] ● ? ?Yuccites sp. ● ● Bois sp(p). ● ● ● Bennettitales

[Zamites ovalifolia] (nomen nudum) *

Otozamites marginatus * ● ●

Otozamites obtusus var. oolithicus ● ?

Williamsonia (Ptilophyllum) pecten ● ?

Zamites feneonis ● ?

Zamites ?buchianus ● ?

incertae sedis sp(p). ● ●

Tableau V.1 – Listes de flore d’Arc-en-Barrois, comparaison entre celle de Bruet (1932) et la

mienne.

L’espèce indiquée dans la liste de Bruet (1932) sous le nom de Zamites ovalifolia est probablement Otozamites marginatus. Ce premier binône linnéen est cependant un nomen nudum, car ni E. Bruet, ni P. Bertrand (qui s’est occupé de la paléobotanique pour Bruet) n’ont décrit (ou figuré) cette espèce, pas même informellement : elle est uniquement indiquée sous la forme de « Zamites (ovalifolia PAUL BERTRAND) » dans la thèse de Bruet (1932). Cependant, le nom d’espèce choisi laisse penser que les folioles de ce taxon étaient ovoïdes. Les spécimens que j’ai collectés et identifiés comme étant Otozamites marginatus possèdent la double caractéristique d’avoir des folioles de forme ovoïde et une auricule très peu marquée, caractéristiques qu’aucune autre Bennettitale de ce gisement ne partage. De plus, la confusion entre les genres Zamites et Otozamites est fréquente lorsque les Otozamites présentent des auricules discrètes, mais, même dans ce cas, la base des folioles des Otozamites est asymétrique, contrairement à celle des Zamites. Les spécimens d’Otozamites marginatus dont je dispose sont bien dans ce cas.

Les Bennettitales citées par Bruet dans ce gisement n’ont pas été retrouvées à l’exception, probablement, de Zamites ovalifolia, comme indiqué ci-dessus. En revanche de nombreux restes de Bennettitales, avérées ou potentielles, ont été trouvés. Ils sont cependant trop fragmentaires pour pouvoir être attribués à une espèce donnée. Par ailleurs, les noms proposés par Bertrand ne sont pas à jour, et nécessiteraient une révision taxonomique dès lors que l’on disposerait de spécimens clairement identifiables.

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Les échantillons de bois de ce gisement présents dans les collections de l’université de Rennes 1 n’ont pas été étudiés en détails, je ne peux donc pas confirmer la présence de Piceoxylon antiquum, et de Cedroxylon transiens. Bien que les échantillons contenant du bois fossile soient assez nombreux, la plupart des spécimens sont des fragments de petite ou de très petite taille, ou des empreintes. Ainsi, seule une faible part de ces échantillons est apte à fournir aisément les caractères nécessaires pour une étude paléoxylologique.

Assemblage, structuration, et interprétation paléoenvironnementale de la flore d'Arc-en-Barrois

La flore d’Arc-en-Barrois, présentée dans le diagramme ci-dessous (fig. V.1), comporte une association de taxons très déséquilibrée dans leurs représentations respectives :

Figure V.1 – Diagramme de fréquence des différentes espèces (ou groupes) de végétaux

vasculaires présents dans les chailles d’Arc-en-Barrois. Échantillonnage composé de 217

nodules ou fragments de nodules comprenant au moins un débris de plante vasculaire, prélevés dans la carrière Bourreau ou dans les champs proches.

Afin de pouvoir construire le diagramme de fréquence ci-dessus (fig. V.1), il a été nécéssaire de s’adapter aux contraintes liées à la préservation des plantes dans des chailles. Ce diagramme présente donc les caractéristiques suivantes :

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161 - chaque nodule-échantillon, qu’il soit entier ou en plusieurs fragments, n’est compté qu’une seule fois ; un nodule entier ou fragmenté compte donc pour 1 unique échantillon;

- chaque taxon, qu’il soit présent une ou plusieurs fois par échantillon-nodule, n’est compté qu’une fois ; il s’agit donc de présence / abcence d’un taxon pour chaque échantillon, et non d’un dénombrement de chaque reste fossile ; en effet, il n’est que rarement possible de savoir si plusieurs restes d’un même taxon proviennent, ou non, d’une même plante ;

- un même échantillon-nodule peut être compté plusieurs fois, s’il contient plus d’un taxon ; ainsi, on a au total 271 « présences de taxons » pour seulement 217 échantillons ; - tous les taxons connus sur, ou dans, un échantillon sont comptés comme présents, sans

tenir compte de la méthode utilisée pour cela (observation directe ou tomographie) ; - les échantillons proviennent de plusieurs sites du gisement d’Arc-en-Barrois ; ils ne

représentent donc pas un évènement ponctuel, mais une tranche de temps, lors de laquelle la flore pourrait avoir eu le temps de changer et d’évoluer ; ainsi, les échantillons d’Otozamites marginatus proviennent tous d’un même champ tandis que ceux contenant Brachyphyllum bruetii ont été trouvés partout ; en effet, l’absence d’une stratigraphie très détaillée, impossible lorsque l’on collecte des échantillons dans les champs, interdit de faire une analyse quantitative de la flore fossile en fonction de son origine stratigraphique, on doit donc se limiter à des remarques qualitatives.

L’analyse de ce diagramme de fréquence (fig. V.1) permet de mettre plusieurs faits en relief. Premièrement, un grand nombre de nodules, plus de 20%, contiennent au moins un incertae sedis. Cette abondance de plantes non identifiées s’explique principalement par la forte fragmentation des restes végétaux qui masque souvent les caractères diagnostiques, même lorsque la préservation est de bonne qualité.

Deuxièmement, le bois fossile est lui aussi relativement abondant, mais comme expliqué plus haut, il n’est que rarement déterminable. De plus, le bois est ici compris au sens large, incluant de simples empreintes comme des fragments d’écorce.

Troisièmement, les restes fossiles de Brachyphyllum bruetii sont extrêmement fréquents ; ils sont présents dans plus de 70% des nodules. Au contraire, les autres taxons de plantes vaculaires ne sont connus que par un très faible nombre d’exemplaires, chacun d’eux étant présent dans moins de 3% des nodules. Il y a donc une très forte disproportion entre la fréquence du taxon le plus représenté, et celle de tous les autres. Comme nous le verrons ci-dessous, cette surabondance (ou

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surreprésentation) de Brachyphyllum bruetii est mon princpal argument pour en faire l’espèce forestière dominante des îles de la plate-forme bourguignonne au Bathonien supérieur.

Afin de comprendre la structuration de la flore d’Arc-en-Barrois, il est nécéssaire de replacer les fossiles de ce gisement dans la strate d’où ils proviennent, leur abondance relative nous indiquera alors quel type d’environement était dominant. Par ailleurs, l’analyse des adaptations des plantes à des conditions environnementales données, nous fournira des indications sur les conditions climatiques qui régnaient alors sur les îles de la plate-forme bourguignonne.

Comme on l’a noté un peu plus haut, la flore d’Arc-en-Barrois est marquée par la très forte représentation des rameaux feuillés de Brachyphyllum bruetii dans l’assemblage. Ce conifère, au port possiblement arborescent comme presque tous les membres actuels de la famille des Araucariacées, constituait probablement l’élément majoritaire d’une forêt côtière. Il devait cependant s’agir d’une forêt mixte, car d’autres rameaux de conifères (?Pagiophyllum sp., ?Yuccites sp.) sont également présents dans l’assemblage, même s’ils sont très peu représentés. Enfin, la strate arborescente était probablement complétée par des Ginkgoales, également très minoritaires, notamment Eretmophyllum sp. et ?Baiera sp.

Cependant, la répartition de ces différents taxons n’était pas forcément homogène à large échelle, la surabondance de restes de Brachyphyllum par rapport aux fragments foliaires d’autres espèces, probablement arborescentes, peut en effet s’expliquer de trois façons différentes :

- soit les Brachyphyllum étaient beaucoup plus nombreux que tous les autres arbres ;

- soit leur production de matière organique morte, sous forme de rameaux feuillés susceptibles d’être fossilisés, était plus importante que celle des autres taxons, que ce soit numériquement ou « qualitativement » à travers, par exemple, une moindre propension à la « putréfaction » ;

- soit la répartition des espèces arborescentes était hétérogène à l’échelle d’une île ; les Brachyphyllum occupant alors majoritairement la frange la plus côtière du littoral, les autres taxons étant surtout présents dans les milieux un peu plus internes, plus protégés, au cœur des îles ; dans ce cas, c’est la proximité du milieu de dépôt qui expliquerait la surabondance de leurs restes.

Ainsi, cette surabondance peut être expliquée par plusieurs facteurs, ou biais, qui peuvent tous avoir agi, ou non, et ce de manière additive et indépendante. Il n’est donc pas possible d’estimer l’impact de chacune d’entre eux de manière fiable. Cependant, les rameaux feuillés de cette espèce sont si abondants qu’il est très peu probable qu’il ne s’agisse pas de l’espèce forestière dominante

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163 de cet écosystème. On peut donc parler sans trop de risque de forêt côtière à Brachyphyllum, phytocénose que l’on retrouvera à la même époque sur la plupart des côtes européennes, y compris celles d’îles continentales de grande taille, comme la partie émergée du massif armoricain.

La strate arbustive devait être composée de plusieurs espèces de Bennettitales, bien que les restes fossiles dont je dispose soient trop fragmentaires pour permettre une détermination spécifique de la plupart d’entre elles, à l’exception d’Otozamites marginatus, espèce rare ailleurs en Europe. En revanche, en examinant les restes foliaires que j’ai classés comme incertae sedis, j’estime qu’il y a au moins deux autres espèces de Bennettitales dans ce gisement, dont probablement une forme proche d’Otozamites graphicus, mais je n’ai pas formellement les caractères nécessaires pour l’affirmer sur les spécimens dont je dispose. Par ailleurs, bien qu’aucun tronc ou autre partie ligneuse de Bennettitales n’ait été trouvé à Arc-en-Barrois, ce type de fossile est en revanche bien connu dans d’autres gisements du Mézozoïque européen. Ils permettent d’affirmer que la plupart d’entre elles étaient des plantes buissonnantes, de taille intermédiaire, ressemblant très superficiellement à de petits palmiers, bien que certaines d’entre elles aient eu une croissance sympodiale, formant ainsi de petits arbustes très ramifiés.

La Corystospermale du gisement, Cycadopteris moretiana, devait également faire partie de la strate arbustive. En effet, bien que le port de cette espèce soit inconnu, les reconstructions qui ont pu être effectuées sur d’autres Corystospermales aboutissent toujours à des formes ligneuses, généralement des arbres mais également des arbustes (Taylor et al. 2009). En prenant en compte ces reconstructions et n’ayant aucun élément ligneux que je puisse attribuer à cette espèce, je suppose qu’il devait s’agir d’une forme arbustive relativement basse. Cependant, cette opinion devra être révisée dès que les fossiles disponibles le permettront.

De même, si aucune Cycadale n’a pour l’instant été signalée dans ce gisement, il est probable que certaines espèces aient été présentes, et qu’elles aient occupé soit la strate arbustive, soit la strate herbacée.

La strate herbacée était marquée probablement par les présence de quelques fougères dont on ne retrouve que de très rares témoignages fossiles dans les nodules d’Arc-en-Barrois, par exemple ?Sphenopteris sp. à moins que cette espèce ne fut lianescente ou épiphyte. Cependant, les restes de plantes clairement issus de cette strate semblent excessivement rares. Cela peut indiquer, non que le sol fût dénué de végétation, mais probablement que celle-ci était clairsemée, et donc que la forêt couvrant ces îles devait être assez dense.

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Par ailleurs, toutes les plantes qui ont pu être étudiées en détail dans l’assemblage possèdent des mécanismes divers d’adaptation à un milieu xérophytique : Brachyphyllum bruetii possède par exemple des feuilles très courtes réduisant l’évapotranspiration, une succulence plus ou moins poussée, et des appareils stomatiques enfoncés sous le niveau de la surface de l’épiderme. De même, Cycadopteris moretiana possède des feuilles hypostomatiques à la zone stomatique particulièrement protégée grâce à la présence simultanée d’au moins quatre adaptations :

- 1, une cuticule épaissie sur la face supérieure (non-stomatique), mais réduite sur la face inférieure (stomatique) ;

- 2, un épaississement marginal côté abaxial qui protège la zone stomatique ;

- 3, la présence d’une forte pilosité (trichomes unicellulaires) au sein de la zone stomatique ; - et 4, un anneau protecteur formé par les cellules subsidiaires autour de chaque appareil

stomatique.

Enfin, Otozamites marginatus a des folioles présentant une marge révolute et un limbe épais, probablement associés à d’autres caractères xérophytiques (cuticule de la face adaxiale épaissie, trichome sur la face abaxiale, …) connus sur les deux spécimens anglais (Harris, 1969).

Ainsi, les îles de la plate-forme bourguignonne étaient probablement couvertes d’une forêt mixte à Brachyphyllum. Celle-ci était probablement assez dense puisque les plantes provenant des strates arbustives et herbacées sont rares. Elle devait être également assez sèche, puisqu’un grand nombre de plantes de ce gisement possèdent des adaptations, parfois très poussées, pour les milieux présentant un fort stress hydrique. En revanche, pour permettre l’établissement d’une forêt, le déficit hydrique du milieu devait être saisonnier, et non constant tout au long de l’année.

Pour conclure, l’étude de la flore d’Arc-en-Barrois permet d’améliorer considérablement la connaissance de plusieurs espèces de plantes fossiles, notamment au niveau histologique, grâce à des spécimens préservés à l’échelle cellulaire. De plus, certaines de ces plantes appartiennent à des lignées peu connues à ce niveau de détails, dont certaines sont éteintes de nos jours. Ce gisement représente donc une opportunité rare d’améliorer notre connaissance de ces lignées, et donc de potentiellement améliorer la connaissance des relations phylogéniques entre ces groupes strictement fossiles et les plantes actuelles, et donc de mieux comprendre l’évolution des plantes.

Ainsi, Brachyphyllum bruetii a été examiné en détail au cours de cette thèse, et les données tomographiques de grande qualité sur deux autres taxons (Cycadopteris moretiana et Otozamites marginatus) qui restent à traiter vont permettre de connaître en détail l’histologie de ces parties végétatives. Il est également important de noter que ces deux espèces appartiennent à deux groupes

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165 strictement fossiles, la première étant une Corystospermale probable et la seconde une Bennettitale, groupes probablement très proches des Angiospermes, dont l’origine fait toujours débat.

Enfin, l’étude de la flore fossile d’Arc-en-Barrois permet également de mieux comprendre les paléoenvironnements insulaires qui se sont développés sur la plate-forme bourguignonne lorsque celle-ci a commencé à émerger ponctuellement, a priori dès le Bajocien (Brigaud et al . 2009), et au moins jusqu’au Callovien moyen, pour former un archipel d’îles basses au sein d’un vaste lagon.