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Distinction des glissements pelliculaires par rapport à d’autres mouvements

Chapitre 4 Discussion

4.1. Caractéristiques physiques

4.1.2. Distinction des glissements pelliculaires par rapport à d’autres mouvements

La description des caractéristiques physiques des glissements pelliculaires amène à les différentier d’autres processus actifs dans la Réserve faunique de Port-Cartier-Sept-Îles. En effet, les versants de la région d’étude sont soumis à divers mouvements gravitaires qui ne sont pas toujours des glissements pelliculaires. Les travaux de terrain ont aussi permis d’observer du lessivage torrentiel et des glissements rocheux. Le lessivage torrentiel, qui ressemble beaucoup aux cicatrices de glissements pelliculaires, se produit où un torrent, repérable sur les cartes topographiques, met progressivement à nu le socle rocheux. Des traces de lessivage torrentiel ont été observées au site A, au site D, sur la rive nord-ouest du Lac Walker et sur les photographies aériennes au site E2. Les cicatrices de lessivage se distinguent de celles des glissements pelliculaires par une couleur plus foncée, causée par le développement d’algues au contact de l’eau de ruissellement, et par des îlots de conifères matures au sein des cicatrices (figure 54). De plus, le lessivage des surfaces rocheuses par les torrents est beaucoup plus ancien que les glissements pelliculaires (site A, D et E2) selon la couverture multi-dates des photographies aériennes. Les glissements rocheux, quant à eux, se produisent dans les escarpements très abrupts. Ce type de décrochement a été observé sur la rive ouest du lac Walker. Ce sont des glissements rocheux translationnels qui se produisent le long de surfaces de rupture dans le substrat rocheux, tel qu’expliqué par Hutchinson (1988) et Cruden et Varnes (1996). Ce type de mouvement gravitaire prend

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son origine dans une masse de roche intacte qui se désagrège au cours de la descente (Hungr et al., 2001). Une ligne de fracture est très nette à la couronne, à la manière des avalanches de plaque de neige. La surface rocheuse fraîchement mise à jour expose une couleur plus pâle que la roche qui l’entoure et le dépôt au bas de la pente est très grossier, composé de blocs hétérométriques (figure 55). À l’image des glissements pelliculaires, le lessivage torrentiel et les glissements rocheux sont assez communs dans la Réserve faunique de Port-Cartier-Sept-Îles. Par contre, ce qui distingue très clairement les cicatrices de glissements pelliculaires des autres types de cicatrices sur les versants, c’est l’importante accumulation de matériel organique dans la zone basse des cicatrices de glissements pelliculaires (figure 5). En effet, la pellicule minérale affectée par les glissements pelliculaires est généralement mince, ce qui fait en sorte que les zones d’accumulation de matériel dans les parties basse des cicatrices de glissements sont composées à majorité de matière ligneuse provenant du couvert forestier arraché lors du mouvement. Ce type d’accumulation n’est pas présent dans les cicatrices de lessivage torrentiel et de glissements rocheux.

Figure 54 En A) cicatrice de lessivage torrentiel au site D, avec la couleur plus foncée et les îlots de conifères matures au sein de la cicatrice, en B) ruisseau érodé jusqu’au substrat rocheux qui arrive au sommet de la cicatrice

de lessivage torrentiel à environ 375 mètres au sud du glissement A (la casquette donne l’échelle) et en C) des algues verdâtres se développent sur le roc au contact de l’eau du ruisseau.

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Figure 55 Glissement rocheux sur la rive ouest du lac Walker, en A) ligne de fracture au sommet et couleur plus pâle de la surface rocheuse affectée et en B) dépôt grossier composé de blocs au pied du versant (Etienne Dagenais

Du Fort donne l’échelle).

Comme les glissements pelliculaires demeurent un processus gravitaire méconnu, ils sont souvent confondus avec les coulées de débris (debris flows). Par exemple, Wieczorek et al. (2004) décrivent des debris flows où l’interface entre le sol mince et la roche-mère a servi de plan de glissement, à la manière des glissements pelliculaires. De plus, la définition des coulées de débris de Demers et al. (1999) est essentiellement la même que celle de Dionne et Filion (1984) pour les glissements pelliculaires. Les travaux de Demers et al. (1999), qui concernent l’impact du Déluge du Saguenay sur les talus et les versants de la région affectée par ces précipitations, ne mentionnent jamais le terme «glissements pelliculaires», décrivant plutôt des coulées de boue ou des coulées de débris. Pourtant, certaines photos présentées par ces auteurs comme étant des coulées de débris sont, à première vue, des glissements pelliculaires (figure 56). Ainsi, à la lumière des travaux de Baillargeon (2013), il est maintenant reconnu que les cicatrices sur les versants de cette région ne sont pas toujours le résultat de coulées de débris puisque le Déluge du Saguenay de 1996 a aussi

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causé plusieurs glissements pelliculaires, comme dans les régions adjacentes de Charlevoix et de Québec.

Figure 56 La figure 28 de Demers et al. (1999) présentée comme suit : «Vue d’ensemble d’une coulée de débris où la paroi rocheuse a été complètement dénudée», mais qui ressemble étrangement à une cicatrice de glissement

pelliculaire.

Les coulées de débris et les glissements pelliculaires sont des mouvements gravitaires très semblables. Les coulées de débris sont très souvent initiées par des glissements peu profonds de type glissement pelliculaire et les glissements pelliculaires peuvent parfois évoluer en des coulées de débris (Kull et Magiligan, 1994; Corominas, 1996; Wieczorek, 1996; Hungr et al., 2001; Guadano et al, 2005; Gabet et Mudd, 2006; Godt et Coe, 2007). Aussi, dans plusieurs régions, des coulées de débris et des glissements pelliculaires peuvent se déclencher simultanément lors d’événements de pluies intenses (Corominas, 1996). Par contre, les caractéristiques morphologiques des coulées de débris sont bien décrites dans la littérature scientifique ce qui permet de les différencier des glissements pelliculaires. La caractéristique principale de ce type de coulée est la présence d’un chenal dans lequel est confiné l’écoulement de la masse de débris (Coussot et Meunier, 1996; Decaulne, 2001; Hungr et al., 2001). La partie centrale est caractérisée par une dynamique d’érosion et d’accumulation où le chenal est bordé de deux levées de débris parallèles, qui sont un critère majeur de reconnaissance des coulées de débris (Decaulne, 2001). De plus, le chenal

57 est souvent occupé par un cours d’eau de premier ordre dans lequel les coulées de débris sont récurrentes (Hungr et al., 2001). Selon Decaulne (2001), les coulées de débris se produisent en s’incisant dans le matériel meuble des talus mis en place par la gélifraction des parois rocheuses. La période de retour des coulées de débris dépend donc du temps nécessaire à la reconstruction du stock de débris dans le chenal. En revanche, les glissements pelliculaires affectent le till et la couverture végétale qui le recouvre. Comme le till s’est déposé lors de la dernière déglaciation, il est très peu probable d’avoir une recharge de matériel mobilisable et qu’un glissement pelliculaire ne se produise deux fois au même endroit. De plus, les cicatrices de glissements pelliculaires ne sont pas bordées de levées de débris parallèles et ne sont pas occupées par un cours d’eau. Elles exposent plutôt le substrat rocheux lisse sous le dépôt meuble qui est une des caractéristiques principales de ce type de glissement. Les glissements pelliculaires diffèrent donc des coulées de débris à la fois au niveau géomorphologique, par la forme des cicatrices laissées dans la paysage, et au niveau du type de matériel mobilisé puisque les glissements pelliculaires affectent la pellicule de till recouvrant le roc lisse où l’interface entre le dépôt meuble et la roche-mère agit comme plan de glissement.