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Dans l’arrêt Von Roll, le Tribunal fédéral a introduit la faute personnelle du chef d’entreprise pour défaut d’organisation177. Comme le souligne Cassani, à juste titre, ce critère a constitué une première brèche en faveur de l’introduction d’une responsabilité pénale de l’entreprise178.

170 Donatsch/Tag (n. 30), 355 s.

171 ATF 118 IV 280; ATF 120 IV 310 = JdT 1996 IV 96; ATF 125 IV 87 = JdT 1999 I 854.

172 Arrêt du Tribunal fédéral 6B_675/2007 du 20 juin 2008, consid. 2.2.2.1; arrêt du Tribunal fé-déral 6B_200/2007 du 8 mai 2008, consid. 4.1.1.

173 Donatsch/Blocher (n. 27), 66.

174 Cassani (n. 19), 67.

175 Donatsch/Blocher (n. 27), 66.

176 Cassani (n. 19), 67.

177 ATF 122 IV 128.

178 Cassani (n. 18), 74.

La question de l’articulation entre la responsabilité de l’entreprise et celle du chef d’entreprise n’a pas été discutée par le Parlement lors de la révision de la par-tie générale du Code pénal179. Toutefois, depuis l’introduction de l’art. 102 CP (au-paravant aux art. 100quater et 100quinquies aCP), la question se pose de savoir s’il existe encore une certaine place pour la responsabilité pénale du chef d’entreprise.

1. Responsabilité subsidiaire de l’entreprise (art. 102 al. 1 CP)

La responsabilité de l’entreprise prévue à l’art. 102 al. 1 CP est subsidiaire à la responsabilité des personnes physiques au sein de l’entreprise. L’entreprise n’est punie que dans les cas où il est impossible d’imputer l’infraction à une personne physique déterminée. Lorsque la responsabilité pénale du chef d’entreprise est en-gagée, elle est imputée à une personne physique déterminée. Par conséquent, cette responsabilité prime sur celle de l’entreprise180.

Le critère du défaut d’organisation ne se recoupe pas entre les deux types de responsabilité. La responsabilité pénale du chef d’entreprise est engagée lorsque le défaut d’organisation permet à un employé de commettre une infraction pénale au sein de l’entreprise, alors que la responsabilité de l’entreprise est engagée lorsque le défaut d’organisation empêche l’identification de l’auteur ayant commis l’infrac-tion181.

La responsabilité subsidiaire de l’entreprise ne constitue ainsi en aucun cas une entrave à la responsabilité pénale du chef d’entreprise. Au contraire, cette der-nière peut limiter le champ d’application de la responsabilité de l’entreprise dans les cas où la responsabilité d’un chef d’entreprise pourra être identifiée.

2. Responsabilité directe et parallèle de l’entreprise (art. 102 al. 2 CP) L’art. 102 al. 2 CP prévoit une responsabilité directe de l’entreprise parallèle à celle des personnes physiques. La responsabilité de l’entreprise peut être invoquée indépendamment de l’identification de la personne physique qui a commis l’in-fraction au sein de l’entreprise.

La responsabilité directe de l’entreprise et la responsabilité pénale du chef d’entreprise partagent la source commune de l’absence de mesures d’organisation

179 FF 1999 II 1943 ss.

180 Donatsch/Tag (n. 30), 391 s; Garbarski (n. 49), 428; Lobsinger (n. 24), 195; Gerhard (n. 93), 144.

181 CR CP I-Macaluso (n. 23), art. 102 N 47; Forster (n. 19), 203; Niggli/Gfeller, in: BSK StGB I (n. 55), art. 102 N 52.

raisonnables et nécessaires permettant d’empêcher que des infractions soient com-mises par les subordonnés au sein de l’entreprise182.

La responsabilité pénale du chef d’entreprise en raison d’un défaut d’orga-nisation est toutefois fortement limitée sous l’angle des éléments subjectifs, étant donné que ce raisonnement se limite, en principe, aux infractions réprimant la né-gligence183. A l’inverse, la responsabilité directe de l’entreprise se limite aux quelques infractions citées exhaustivement dans la base légale et qui répriment toutes uni-quement l’intention. Le champ d’application commun des deux formes de respon-sabilité se voit ainsi être considérablement diminué par les éléments subjectifs.

De plus, il faut distinguer les attentes à l’égard d’un seul individu, le chef d’entreprise, de celles qui s’adressent à l’entreprise dans son ensemble184. Le défaut d’organisation imputé à l’entreprise ne correspond pas à l’addition de fautes indi-viduelles commises par les dirigeants, mais à un manquement collectif dans l’or-ganisation185. A l’inverse, la responsabilité pénale du chef d’entreprise est fortement dépendante des circonstances individuelles propres à l’auteur déterminé186.

V. Conclusion

Les règles de gouvernance d’entreprise concernant l’organisation de cette dernière influencent positivement l’application du droit pénal, notamment de la responsabilité pénale du chef d’entreprise. Elles favorisent, tout d’abord, l’applica-tion du droit pénal individuel, dans le sens où une entreprise organisée selon un organigramme hiérarchique clair permet une délimitation des compétences des différents acteurs au sein de l’entreprise. De plus, elles peuvent servir d’outil d’in-terprétation, afin de concrétiser les mesures adéquates d’organisation qui peuvent être attendues de l’entreprise187 et de ses dirigeants188, afin de réduire les risques in-hérents à l’activité de l’entreprise.

En outre, une organisation adéquate mise en place par les dirigeants selon les principes de gouvernance d’entreprise, notamment la gestion de la conformité dans l’intérêt des actionnaires, profitera également à la collectivité dans son

182 CR CP I-Macaluso (n. 23), art. 102 N 53 s; Donatsch/Tag (n. 30), 392; Forster (n. 19), 229 s; Nig-gli/ Gfeller, in: BSK StGB I (n. 55), art. 102 N 244.

183 Cf. section II.3.c.aa. (supra) sur le devoir d’organisation du chef d’entreprise.

184 CR CP I-Macaluso (n. 23), art. 102 N 55; Donatsch/Tag (n. 30), 392.

185 Forster (n. 19), 244; Plüss (n. 22), 214; Cassani (n. 18), 45 s; G. Heine, Das kommende Un-ternehmensstrafrecht (Art. 100quater f.) Entwicklung und Grundproblematik, RPS 2003, 24, 40 s; Garbarski (n. 49), 429.

186 Cassani (n. 18), 46; Garbarski (n. 49), 429; Heine (n. 42), 96, 110.

187 Fischer (n. 2), 90 ss.

188 Fischer (n. 2), 83 s.

semble, dans le sens où elle diminue le risque que des biens juridiques soient lésés par l’activité déployée au sein de l’entreprise189.

Réciproquement, la responsabilité pénale du chef d’entreprise peut favori-ser l’application des recommandations de bonne gouvernance d’entreprise. En ef-fet, pour que les engagements pris volontairement en matière de responsabilité so-ciale des entreprises soient adéquatement appliqués à tous les niveaux de l’organisation, il est indispensable que la stratégie qui les met en œuvre soit initiée, soutenue et contrôlée par le conseil d’administration et par la direction190. La res-ponsabilité pénale du chef d’entreprise, par la sanction qui menace ce dernier et in-directement la réputation de l’entreprise, constitue une incitation à développer des mesures internes de gestion efficace de la conformité et plus généralement des risques afin d’éviter que des infractions pénales soient commises au sein de l’en-treprise.

Le droit pénal suisse permet, sur la base de l’art. 11 CP ou de l’art. 6 al. 1 DPA, de punir les chefs d’entreprise pour leur manquement individuel concernant la surveillance de leurs subordonnés. Bien qu’une partie de la doctrine considère que la construction de cette responsabilité semble être destinée à remédier à l’inexis-tence de preuves d’un comportement actif191, l’accusation, à la place de devoir prou-ver une contribution matérielle ou intellectuelle à la conception ou à l’exécution de l’infraction, devra établir l’ensemble des éléments objectifs et subjectifs de la res-ponsabilité pénale du chef d’entreprise192.

Tout comme pour un comportement actif, la preuve de la réalisation de l’en-semble de ces éléments risque d’être difficile à apporter dans de nombreux cas en raison de l’inadéquation entre la structure des entreprises modernes et l’approche individuelle du droit pénal suisse. Concernant les éléments objectifs, le fondement de l’obligation juridique d’agir du chef d’entreprise et la possibilité d’agir en lien avec la question sous-jacente de la délégation risquent de poser problème dans la pratique. Quant aux éléments subjectifs, la difficulté résidera pour les infractions intentionnelles dans l’établissement de la conscience et la volonté englobant tous les éléments objectifs, notamment les devoirs qui découlent de la position de ga-rant et la réalisation du risque. La tâche sera moins ardue concernant les infrac-tions par négligence, pour lesquelles l’accusation pourra se contenter de prouver que l’auteur aurait dû s’apercevoir de la réalisation de l’ensemble des éléments ob-jectifs.

189 Fischer (n. 2), 57 et 76.

190 Peter/Jacquemet (n. 3), 1028; TFGC, p. 16.

191 Graven (n. 22), 503; Vest (n. 22), 296; Schubarth (n. 35), 373; Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 66. Voir aussi Seelmann, in: BSK StGB I (n. 55), art. 11 N 6, lequel fait cette consta-tation pour l’ensemble des infractions par omission.

192 Cassani (n. 18), 67; Ackermann, in: Ackermann/Heine (n. 14), § 4 N 68.

Par conséquent, la responsabilité pénale du chef d’entreprise fondée sur une omission contraire au devoir d’organisation n’aura qu’une portée réduite en raison du fait que de nombreuses infractions pouvant être commises au sein d’une entre-prise ne répriment pas la négligence193. Elle aura toutefois une portée plus impor-tante dans le domaine des atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle, ainsi qu’en matière bancaire et financière194.

Lorsqu’il est possible d’identifier l’un des individus responsables d’une in-fraction, notamment le chef d’entreprise, tous les problèmes ne sont pas encore ré-solus195. Cette personne physique qui agit au sein d’une entreprise répondra le plus souvent d’une peine pécuniaire calculée sur la base de ses propres ressources et non des bénéfices obtenus par l’entreprise. Dans les cas où l’entreprise n’est pas la vic-time, mais plutôt la bénéficiaire de l’infraction, il est imaginable que celle-ci, à l’en-contre des principes prônés en matière de bonne gouvernance, paie indirectement la peine pécuniaire de son employé196.

A l’inverse, une peine privative de liberté ne pourra qu’être purgée par l’in-dividu lui-même, ce qui lui confère un effet dissuasif plus important concernant les délits économiques197. Les recherches en criminologie démontrent que l’effet de prévention générale d’une sanction dépend d’un bon compromis entre la sévérité et la certitude de cette dernière198. Pour que la sanction soit certaine, ce qui n’est pas le cas en droit pénal économique suisse actuellement, il est nécessaire que les juges aient la volonté de punir les infractions commises au sein des entreprises et que les outils pour atteindre ce but leur soient conférés par le législateur.

193 C’est notamment le cas de l’escroquerie (art. 146 CP), la gestion déloyale (art. 158 CP), le faux dans les titres (art. 251 CP), les infractions boursières (art. 40 et 40a de la loi fédérale du 24 mars 1995 sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (LBVM; RS 954.1)), la corruption d’agents publics (art. 322ter CP) ou privés (art. 4a de la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD; RS 241)) et du blanchiment d’argent (art. 305 CP).

194 P. ex. art. 46 al. 2 et 47 al. 2 de la loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d’épargne (LB; RS 952.0); art. 42 al. 2, 42a al. 2 et 43 al. 2 LBVM; art. 44 al. 2, 45 al. 2, 46 al. 2 et 47 al. 2 de la loi fédérale du 22 juin 2007 sur l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (LFINMA; RS 956.1); art. 37 al. 2 de la loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur finan-cier (LBA; RS 955.0); art. 86 al. 2 et 87 al. 2 de la loi fédérale du 17 décembre 2004 sur la sur-veillance des entreprises d’assurance (LSA; RS 961.01); art. 24 al. 2 de la loi fédérale du 3 oc-tobre 2003 sur la Banque nationale suisse (LBN; RS 951.11).

195 Wohlers (n. 17), 85.

196 Heine (n. 53), 26; Wohlers (n. 17), 85; Cassani (n. 18), 46.

197 G. Kaiser, Kriminologie, ein Lehrbuch, 3e éd., Heidelberg 1996, § 93 N 18. Voir aussi M. Kil-lias/M. Aebi/A. Kuhn, Précis de criminologie, 3e éd., Berne 2012. N 1001 ss sur la prévention générale comme fonction de la peine.

198 Killias/Aebi/Kuhn (n. 197), N 1019 s.

Afin de mener une politique criminelle efficace en droit pénal économique, notamment en garantissant l’effet de prévention générale, il est nécessaire que le législateur et les tribunaux mettent en place un système permettant de punir les in-fractions commises au sein des entreprises en instaurant une responsabilité concur-rente des personnes physiques agissant par un comportement actif, des chefs d’en-treprise en raison de leur omission dans la surveillance de leurs employés, ainsi que de l’entreprise elle-même en raison d’un défaut d’organisation due à une faute dite collective199.

199 Voir notamment Plüss (n. 22), 222 ss, qui discute les mécanismes de décision au sein des en-treprises qui peuvent aboutir sur une faute collective.

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