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Distance et suppléance :

PARTIE II : Faire vivre l’espace sans son

2. Distance et suppléance :

2.1. La perception auditive de la distance :

La capacité à entendre les pas de l’adulte s’éloigner, un objet tomber au sol, est émergence du phénomène de distinction de la distance. Le son crée la profondeur et le lointain, tout comme il crée le proche. Jacques et Madeline Postel, définissent plusieurs critères pour percevoir la distance : La notion de complexité du son, mais aussi d’un fond sonore. La complexité du son se distingue par échos multiples, le son heurte les objets du milieu et se fractionne en des sons d’intensité différente. Ainsi, plus celui-ci est lointain, plus l’intensité en est atténuée (Postel et Postel, 1981).

Le fond sonore est également un facteur de distinction de la distance. C’est en comparant l’intensité d’un son par rapport à un autre, que l’on arrive à déterminer lequel est le plus proche. Par exemple, dans une rue bondée, vous arriverez plus facilement à distinguer la position de personnes discutant non loin de vous, plutôt que la nuit lorsque cette rue est vide . Le fond sonore serait l’équivalent auditif, de la discrimination figure/fond (Postel et Postel, 1981). Selon M.Cajal, psychomotricien, l’espace du bébé est tout d’abord tactile. Le visuel, comme le sonore, sont tout d’abord collés à la peau du bébé, il ne distingue pas les phénomènes se déroulant comme hors de lui. Ce n’est que lorsque la notion de distance est installée, qu’il peut projeter ses expériences dans l’espace (Cajal, 2013).

Si le nouveau-né entendant est dès sa naissance capable de reconnaître des sons qui se rapprochent de lui, l’enfant porteur de déficience auditive en éprouvera des difficultés.

Contrairement à l’entendant, la recherche d'information ne dépendra pas des mêmes canaux sensoriels. Le fond sonore, pouvant être absent, voire distordu selon le degré de sévérité, la vision pourra prendre son relais. Celle-ci n’étant fonctionnelle qu'à partir de 4 mois, on peut supposer l’existence d’une période de battement.

Donc, localiser l’objet par rapport à soi s’avère complexe. De plus, le lien auditivo-visuel à l’origine même de cette recherche est altéré : Si nous n’entendons pas d’objet tomber sur le sol, pourquoi regarder autour de soi ? Le son crée donc le regard qui se porte vers l’objet.

On peut alors se demander, de quelle manière l’enfant Sourd s’adapte à cela ?

37 2.2. Le corps comme moyen d’évaluation :

Jonas, 4 ans. Surdité bilatérale profonde, implanté de l’oreille droite.

Jonas, bien qu’il soit implanté de l’oreille droite, la plupart du temps, ne porte pas son implant.

Lors d’une séance, il se trouve assis sur une plateforme. Il essaye alors de descendre de dos.

Son pied, non loin du sol, préfère alors s’appuyer sur la psychomotricienne. Celle-ci le soutenant sous les épaules, derrière lui. Son corps, alors support de l’évaluation des distances, n’a pas traduit le sol comme étant proche, il préférera ensuite descendre la tête la première.

Si Jonas avait été entendant, les échos des bruits de la pièce, auraient résonnés sur le sol, lui donnant une idée de sa distance. Cependant, en l’absence d’audition, son seul moyen d’évaluation reste son propre corps. S’engager dans un espace, dont on ne connaît pas les distances, laisse d’accès, seulement, ce qui est à portée de bras ou de pied, ou de tout autre membre susceptible d’entrer en contact. Le tactile reste un moyen de suppléance très puissant chez les enfants sourds. Les données provenant de l’épiderme sont riches, elles s’associent aux données vestibulaires. Le vestibule donne à l’enfant une idée de sa position, comme référentiel égocentré dans l’espace, tandis que la peau alerte d’un contact ou d’une modification du milieu.

Dans une situation un peu périlleuse comme celle-ci, le regard n’est pas porteur d’une distanciation. Il ne se dirige pas vers le sol, car en l’absence de contact, il n’engage aucun retour vibratoire. Le seul appui reste alors, le milieu humain garant de sécurité. Le rôle du psychomotricien, dans cette situation, est de soutenir le mouvement de descente. Une éventuelle chute pourrait amener Jonas à traduire la hauteur, comme étant source de peur.

Le fait que Jonas préfère ensuite descendre de face plutôt que de dos est également indicateur. Dans la même optique de lien auditivo-visuel, chez l’enfant Sourd, pour qui l’environnement sera en partie visuel et vibratoire, l’espace arrière pourra être éludé (Herzog, 1995).

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En l’absence de ce lien, le corps ne se retourne pas, l’espace existant, pouvant alors se limiter à l’espace visuel. Tout se trouvant au dos de l’enfant, pourra être source d’insécurité.

L’espace ne se construit pas en trois dimensions, mais en deux dimensions. On pourra ainsi, voir des enfants Sourds ramper, sur le dos plutôt que d’utiliser le quatre pattes. Selon R.Vasseur et P.Delion, le déplacement à quatre pattes, « permet une représentation sensori-motrice unifiée de l’image corporelle » (Vasseur et Delion, 2010, p.133). On peut supposer, que pour un enfant Sourd devant combler le dos pour sécuriser l’espace arrière, l’unification corporelle peut être perturbée. Le schéma corporel, en somme, peut-être investi de manière différente.

La difficulté à se localiser vis-à-vis des objets du milieu, peut-être une résultante de la surdité, bien que non obligatoire. Cette difficulté pourra parfois, elle-même, entraîner des réactions en chaîne : C’est l’émergence des troubles de la perception spatiale, E.Lasserre note

« La difficulté pour un enfant sourd d’accéder à une représentation unifiée et continue de l’espace, l’audition rendant normalement présente la partie de l’espace qui n’est pas perçue visuellement » (Lasserre, 2009, p.404).

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