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Interaction entre les produits de corrosion de l’acier et les espèces sulfures

V.1 Dissolution réductrice des oxyhydroxydes de Fe(III)



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Chapitre V

Interaction entre les produits de corrosion de l’acier et les espèces sulfures

Cette partie de l’étude vise à comprendre le comportement du système de corrosion constitué par l’acier des surconteneurs protégeant les déchets radioactifs, sa couche de produits de corrosion formée dans des conditions essentiellement anoxiques et des espèces sulfures pouvant être générées notamment par des bactéries sulfurogènes telles que les bactéries sulfato-réductrices (BSR). En tout état de cause, l’acier sera déjà recouvert d’une couche de produits de corrosion lorsque les conditions anoxiques permettant le développement des BSR seront établies autour du surconteneur. Dans ces conditions anoxiques, les produits de corrosion attendus sont des composés carbonatés du fer(II), à savoir la sidérite et la chukanovite. Comme discuté dans le chapitre précédent, l’importance du rôle de la chukanovite a crû au cours de la thèse et reste encore à évaluer clairement. Nous sommes donc partis de l’hypothèse selon laquelle la surface l’acier serait essentiellement recouverte de sidérite FeCO3.

Cependant, lors de la phase oxydante du stockage, où se produira la réduction de l’oxygène piégé dans le système, la lépidocrocite et la goethite sont les principaux produits à base de Fe(III) susceptibles de se former. Il était donc aussi intéressant d’étudier quelles transformations pourraient induire les sulfures S(-II) sur ces deux phases. Les ions sulfures S(-II) sont susceptibles d’être oxydés en soufre élémentaire α-S8 (voir chapitre III) par les composés de Fe(III). Cette partie, que nous avons peu développée au profit des interactions sidérite/sulfures, est présentée en premier lieu dans la section V.1 qui suit.

V.1 Dissolution réductrice des oxyhydroxydes de Fe(III)

V.1.1 Suspension de lépidocrocite avec excès de sulfure

Lors de ces essais, nous avons synthétisé de la lépidocrocite par la méthode consistant à oxyder à l’air un précipité d’hydroxyde ferreux en suspension aqueuse chlorurée [1]. Le précipité obtenu a été ensuite filtré et lavé plusieurs fois à l’eau ultra-pure jusqu’à ce que l’eau

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en équilibre avec le précipité soit de pH neutre. Ceci permet de s’affranchir des traces de différents sels ferreux et sels de sodium provenant des réactifs de départ dont la présence est inhérente au procédé. Ensuite la lépidocrocite, après séchage, a été réduite en poudre pour être pesée. Enfin 1,00 g de lépidocrocite (soit 11,3×10-3 moles) a été mis dans une bouteille de 250 millilitres avec 1,94 g de sulfure de sodium (soit 8,7×10-3 moles) complétée à ras bord avec de l’eau ultra-pure. Le rapport des concentrations en fer et soufre, Fe(III)/S(-II), était donc égal à 1,3.

La réaction entre la lépidocrocite et les sulfures a produit des effets immédiatement détectables. Les grains de lépidocrocite sont devenus verts instantanément (initialement la lépidocrocite est orange). Puis au bout de 24 heures, la solution dans la bouteille est devenue trouble et entièrement vert foncé. Aucune particule solide n’apparaît, la lépidocrocite semble totalement dissoute. L’étude en spectrométrie Raman de cette solution a donné le spectre présenté sur la figure V.1.

Figure V.1 : Spectre Raman de la solution verte obtenue 24 heures après le mélange d‘une suspension de lépidocrocite avec une solution de Na2S

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Ce spectre Raman n’est référencé nulle part et ne correspond à aucun des sulfures de fer que nous avons étudié au chapitre III. Il correspond probablement à un complexe à base de fer et de soufre. Le soufre pourrait être présent sous forme de polysulfures Sx2- susceptibles de se former lorsque les ions sulfures S2- sont en présence de soufre S0 :

S2- + xS0Æ Sx+12- (1)

La disparition de la phase solide indique une dissolution réductrice de la lépidocrocite par les sulfures selon la réaction suivante :

2FeIIIOOH(s) + HS- + H2O Æ 2FeIIOH+(aq) + 3HO- + S0 (2)

Au rapport Fe/S de 1,3 considéré pour cette expérience, il y avait suffisamment d’ions HS- pour réduire la totalité du Fe(III) selon la réaction (2). Cette réaction produit par ailleurs des ions OH-. Nous avons mesuré le pH en fin d’expérience pour constater qu’il avait effectivement augmenté et atteint la valeur de 11,9. Or le soufre est instable pour les pH supérieurs à 6 et tend à se dismuter en sulfate et sulfure. Mais cela n’explique pas la couleur que prend la solution, ni le spectre Raman obtenu avec la solution. D’autre part, nous n’avons pas détecté d’ions sulfate par spectroscopie Raman. Puisque la réaction (2), dans les conditions expérimentales considérées ici, laisse des espèces sulfures en excès, nous pouvons supposer que cet excès de sulfures a réagi avec le soufre élémentaire produit par la réaction (2) pour générer des ions polysulfures (réaction 1). La coloration verte de la solution pourrait alors être due à un complexe entre Fe(II), avec peut-être une certaine proportion de Fe(III), et les ions polysulfures.

V.1.2 Suspension de Goethite avec défaut de sulfures

L’expérience a été renouvelée avec un autre oxyhydroxyde de fer : la goethite, phase thermodynamiquement plus stable que la lépidocrocite. La goethite a également été préparée par oxydation de suspensions d’hydroxyde ferreux, selon une méthodologie développée au laboratoire [2]. Nous avons choisi cette fois de travailler avec un excès de fer par rapport à la réaction (2), et le rapport de concentration Fe(III)/S(-II), était égal à 3.

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De même que pour la lépidocrocite, les grains de goethite en présence de sulfure deviennent verts en surface. Néanmoins, après quatre semaines, les grains de matière persistent. Il n’y a donc pas de dissolution totale de la goethite, comme attendu, puisque la quantité de sulfures présente était insuffisante au vu de la réaction 2. Le pH, mesuré à l’issue de l’expérience, a atteint la valeur de 9,5, ce qui concorde avec le fait que la dissolution réductrice de l’oxyhydroxyde ferrique, (réaction 2) productrice d’ions OH-, n’a été que partielle.

Les analyses effectuées à l’issue de l’expérience sont présentées sur la figure V.2 (page suivante). Sur le spectre Raman, on retrouve la même signature que sur la figure V.1, superposée à un spectre caractéristique de goethite. On distingue sans mal les pics à 290 et 320 cm-1 en plus des pics à 120, 360 et autour de 650 cm-1. L’analyse par DRX montre seulement la présence de goethite, ce qui confirme qu’une seule phase solide est présente.

L’analyse Raman (non présentée) d’un prélèvement laissé à l’air libre montre que l’on retrouve de la goethite mélangée avec du soufre. L’oxydation du composé inconnu donne donc du soufre, ce qui permet de dire que le soufre du composé inconnu est de degré d’oxydation inférieur à 0. Ce résultat est compatible avec l’hypothèse de la formation d’un complexe à base de polysulfures.

En conclusion, il est clair qu’une source localisée d’ions sulfures peut conduire à une transformation locale des oxyhydroxydes ferriques et donc modifier la nature et les propriétés de la couche de rouille. Le scénario abordé ici, que nous n’avons pas développé par manque de temps, est celui susceptible de se dérouler dans la période de transition oxique/anoxique de l’environnement du surconteneur. A ce moment-là, un développement local de BSR en zone anoxique pourrait entraîner une dissolution réductrice locale de la partie externe de la couche de rouille, probablement constituée d’oxyhydroxydes ferriques. Comme nous le verrons plus loin dans la section V.3, cette réactivité des produits de corrosion vis-à-vis des sulfures est probablement bénéfique, puisque susceptible de consommer et transformer les espèces sulfures avant que celles-ci n’atteignent la surface du métal et modifient le processus de corrosion.

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Figure V. 2 : Spectres Raman de la goethite avant et après immersion 4 semaines dans une solution de Na2S (gauche) et diffractogramme obtenu à l’issue de l’expérience (droite)

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