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4.3 Transfert d'électrons dans la cytochrome c oxydase mitochondriale

4.3.2 Spectroscopie résolue dans le temps

4.3.2.3 Discussion

Cette étude montre une phase rapide de transfert d'électron entre les hèmes a3 et a qui est

évaluée à 1,2 ns par spectroscopie d'absorption pompe sonde avec une résolution de 100 fs et sur une échelle de 4 ns. Cette valeur, obtenue lors d'expérience de type "backflow", est probablement le plus rapide établie pour un transfert d'électron physiologique dans un système non photoactivable naturellement. L'existence de cette phase rapide est une sujet de controverse dans la littérature tant au niveau expérimental (Verkhovsky et coll. 2001; Namslauer et coll. 2002) qu'à celui des calculs théoriques (Regan et coll. 1998; Zheng et coll. 2003; Tan et coll. 2004).

• Expériences "back-flow" antérieures.

En 2001, Verkhovsky et collaborateurs observent, dans la bande α, une différence entre les spectres de photodissociation de MV-CO et FR-CO mesurés à 100 ns. Comme cette différence semble caractéristique d'un transfert des électrons du Fea3 vers Fea, ces auteurs

prédisent l'existence d'une phase "ultra-rapide" de transfert d'électron (Verkhovsky et coll. 2001). Les études menées par Namslauer et coll., montrent également des différences spectrales dans la bande Soret. Cependant, les auteurs n'observent aucune évolution spectrale et indiquent que les

modifications spectrales observées sur une échelle inférieure à 600 ps, ne peuvent correspondre à un transfert d'électron (Namslauer et coll. 2002). Nos expériences, dans une échelle de temps non encore étudiée (40 ps-4 ns), ont permis d'établir une constante de temps de 1,2 ± 0,1 ns pour un transfert rapide d'électron. La faible amplitude des changements spectraux associés à cette phase comparée à celle de la photodissociation du CO, pourrait expliquer également la difficulté d'observer ce phénomène auparavant.

La différence a32+, a3+ moins a33+, a2+ a été calculée à partir de différentes

décompositions du spectre de la cytochrome c oxydase pour modéliser le spectre de la composante de 1,2 ns. La meilleur superposition a été obtenue avec la décomposition faite par Liao et Palmer (Liao & Palmer 1996) en estimant que la stoechiométrie de l'oxydation et de la réduction des hèmes était de 1:1. En revanche, la même procédure, testée par Namslauer et coll., ne leur a pas permis d'obtenir un spectre caractéristique d'un transfert d'électron décrivant leurs résultats. Cette non-superposition des spectres peut s'expliquer par des interactions entre les hèmes comme l'indiquent des études précédentes (Blair et coll. 1982; Einarsdottir 1995) qui s'ajoute aux changement spectraux du ET. Les spectres de photodissociation de MV-CO et FR- CO, obtenus à 40 ps corroborent cette conclusion.

• Calculs de kET.

De nombreux groupes cherchent à modéliser le transfert des électrons au sein des protéines. Les différents modèles développés utilisent l'équation de Marcus (Marcus & Sutin 1985). T G T V k B B ET πκ λ πλκ π 4 )² ( exp 4 1 ² 2 − +∆ ° = h

où λ est l'énergie de réorganisation, κB le facteur de Boltzmann, T la température et V le

couplage électronique. Ce dernier paramètre varie avec la distance entre les centres redox. Deux types de modèle sont développés. Dans l'un, les électrons "sautent" d'un cofacteur à l'autre et la protéine est traitée comme une barrière homogène (Page et coll. 2003). Alors, c'est uniquement la distance entre les cofacteurs qui détermine la vitesse de transfert des électrons. Par ailleurs, le facteur β qui rend compte de la densité électronique moyenne entre les centres, a été défini pour calculer V dans ce modèle. Dans les protéines ce facteur est estimé à 1,4 Å-1. Les distances sont ici mesurées bord à bord (Page et coll. 2003). Verkhovsky et collaborateurs ont utilisé cette approche pour estimer que la vitesse de ET se situe dans le domaine nanoseconde. L'autre modèle privilégie le transfert des électrons le long de quelques passages définis par la structure de la protéine, ce qui permet un contrôle structural du transfert d'électrons. Cette approche a été

Medvedev et coll. 2000; Tan et coll. 2004). En particulier, Tan et coll. ont combiné la recherche des meilleurs chemins et la dynamique moléculaire (Tan et coll. 2004). Ainsi, le chemin privilégié est le transfert direct d'un hème à l'autre. Le taux de transfert alors obtenu est 3. 108 s-1 (correspond à un temps de ~3 ns) ce qui est en bon accord avec nos résultats (1,2 ns).

• Origine de la phase de 3 µs.

Figure 4.30 : Haut : La ligne pleine correspond à l'inverse du spectre associé à la phase de 2 µs de l'oxydase FR-CO d'après (Georgiadis et coll. 1994), La ligne avec les cercles correspond à la phase de 1,2 ns présentée Figure 4.29.

Bas : La superposition de la phase de 3 µs observée par Namslauer (Namslauer et coll. 2002)) et la somme des deux spectres du haut en prenant pour rapport des amplitudes des deux phases : 100% pour la phase de 2 µs et 25% pour la phase de 1,2 ns.

Les expériences menées par Einarsdottir et collaborateurs indiquent que, pour l'oxydase FR-CO, le départ du CO du CuB, qui a lieu en 2 µs, est associé à une modification spectrale de

l'hème a3. Si l'on admet que le départ du CO peut également influer le potentiel redox de l'hème

a3, il paraît raisonnable de proposer que la phase de 3 µs associé au transfert d'électrons, dans

MV-CO, correspondrait au départ du CO du CuB, qui induirait une modification du potentiel

redox de l'hème a3 et donc une rééquilibration des électrons entre les hèmes. Ce modèle prédit

d'électrons de a3 vers a. Ceci expliquerait alors pourquoi l'allure du spectre associé à la phase de

3 µs, attribué à un transfert d'électrons interhème (Oliveberg & Malmstrom 1991; Verkhovsky et

coll. 1992; Einarsdottir et coll. 1995) est sensiblement différent de celui trouvé ici. Afin de tester

cette hypothèse, nous avons additionné le spectre du transfert d'électrons de 1,2 ns à celui de la phase de 2 µs associée au départ du CO du CuB. La figure 4.30 montre ce spectre et celui trouvé

par Namslauer et coll. en 2002. L'allure des deux spectres est proche et la différence observée peut être due au fait que le spectre associé au départ du CO du CuB ne peut être mesuré sur la

CcO dans l'état FR et non MV.

La figure 4.31 synthétise les résultats obtenus : à t=0, le CO est lié à l'hème a3, réduit

comme le CuB. Les autres cofacteurs (CuA, hème a) sont oxydés. L'impulsion lumineuse

provoque la rupture de la liaison Fe-CO. Le transfert du CO sur le CuB s'effectue en moins de

1ps (Dyer et coll. 1991). Le potentiel redox de l'hème a3 est alors fortement augmenté et les

électrons se répartissent alors entre l'hème a3 et l'hème a avec une constante de temps de 1,2ns.

Nos expériences ont montré que cette phase correspondait à ~13 % d'oxydation de l'hème a3. Si

l'on considère que cette phase de 1,2 ns atteint un équilibre, alors la constante d'équilibre K= [a3+,a32+,CuB+-CO]/[a2+,a33+,CuB+-CO]≈ 8 et donc la différence d'énergie libre ∆G vaut

environ 50 meV. La vitesse d'équilibration mesurée (1,2 ns)-1 correspond à la somme kaller+kretour

des constantes microscopiques du transfert aller aÆ a3 et retour a3Æ a. Or, K=kaller/ kretour, donc

kaller =(1,4 ns)-1 et kretour=(10 ns)-1. Donc, la constante de temps intrinsèque de la réduction de

l'hème a3 par l'hème a est de 1,4 ns.

La phase de 3 µs, décrite précédemment (Oliveberg & Malmstrom 1991; Verkhovsky et

coll. 1992; Einarsdottir et coll. 1995), peut être attribué au départ du CO du CuB,. Le potentiel

redox de l'hème a3 serait alors, à nouveau diminué, ce qui modifierait l'équilibre entre les deux

hèmes, et se traduirait par un transfert d'électron avec une constante de temps de 3µs aboutissant à 40 % des électrons sur l'hème a3 et 60 % sur l'hème a (Einarsdottir 1995; Verkhovsky et coll.

2001). Pour confirmer cette hypothèse, des expériences de photodissociation du CO de l'espèce MV-CO suivies dans l'infrarouge seraient nécessaires.