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L’industrie laitière québécoise fait partie intégrante du rayonnement social et économique de l’agriculture à l’échelle nationale en générant 6,15 milliards de dollars au produit intérieur brut canadien et en employant près de 50 000 personnes (Les producteurs de lait du Québec, 2019). Au Canada, le prix du lait versé aux producteurs est actuellement fixé en fonction de sa composition en gras, protéines, lactose et autres solides. Ainsi, dans le but de maintenir leurs revenus, les producteurs ont avantage à maximiser les composants du lait, et ce, tout au long de l’année. Toutefois, au Québec, les données de contrôles laitiers comptabilisées par le centre d’expertise en production laitière Valacta démontrent que les performances des troupeaux laitiers sont plus faibles pendant les mois les plus chauds de l’année. Le stress de chaleur, qui est une condition survenant lorsque les pressions environnementales exercées sur l’animal surpassent ses capacités de dissipation de chaleur, semble en partie responsable de ces chutes. Cette condition a fait l’objet de nombreuses études dans les dernières années, mais un nombre limité de celles-ci ont été mené en contexte climatique et de production comparables à ceux du Québec. De fait, les impacts actuels de cette problématique sont encore méconnus dans la province, ce qui représente un frein majeur au développement et à l’adoption de stratégies de mitigation. De plus, considérant les tendances découlant des projections issues de modèles climatiques, l’occurrence, la sévérité ainsi que la durée des épisodes de stress de chaleur pourraient augmenter dans le futur. Pour mieux s’outiller face aux présences actuelle et future du stress de chaleur dans les troupeaux, le secteur laitier québécois se doit d’approfondir ses connaissances concernant cette problématique. Par ailleurs, c’est dans cette optique que la programmation de recherche présentée dans cette thèse a été pensée.

Dans un premier temps, les travaux réalisés ont permis de caractériser les conditions environnementales de six étables représentatives des étables laitières québécoises moyennes et de les comparer à celles obtenues à des stations météorologiques locales. Les résultats présentés ont d’abord révélé que la température ambiante estivale mesurée à l’intérieur des étables était significativement plus élevée que celle mesurée à l’extérieur ou à des stations météorologiques locales. Le contraire a été observé en ce qui concerne l’humidité relative alors que celle-ci était plus faible à l’intérieur qu’à l’extérieur des étables. Ceci était attendu puisque l’air chaud peut contenir un plus grand volume d’eau que l’air à température inférieure (De Rensis et al., 2015). En somme, l’ITH calculé à partir des données captées à l’intérieur des étables était significativement plus élevé (P < 0,001) que celui calculé à partir des données obtenues de stations météorologiques locales. Ainsi, l’inclusion des données de stations météorologiques dans les calculs d’ITH peut mener à une sous-estimation du niveau de stress de chaleur réellement subi par les animaux. Ces premiers résultats confirment ceux rapportés précédemment dans deux études d’envergure qui visaient également à

investiguer la relation entre les conditions environnementales des étables à celles mesurées aux stations météorologiques (Schüller et al., 2013; Shock et al., 2016).

Ensuite, les résultats de la première étude ont révélé que les conditions environnementales mesurées pendant l’été, exprimées sous forme d’ITH, étaient susceptibles de provoquer un stress de chaleur chez la vache laitière. Ceci a été établi en comparant l’ITH moyen calculé pendant la période estivale aux valeurs minimales d’ITH pouvant provoquer un stress de chaleur rapportées dans la littérature (Brügemann et al., 2012; Hammami et al., 2013). Cependant, le protocole expérimental proposé ne permettait pas de vérifier si les vaches présentes dans les étables à l’étude souffraient ou non de stress de chaleur et dans le cas échéant d’en mesurer les impacts. Les résultats ont également démontré que les conditions environnementales varient dans les étables alors que l’ITH augmente en fonction de la distance par rapport à l’entrée d’air du système de ventilation principal. Ainsi, les producteurs laitiers québécois pourraient utiliser cette dernière information lorsque vient le temps d’attribuer les stalles aux animaux alors que certains groupes tels que les vaches hautes productrices sont plus vulnérables à la chaleur que d’autres (Zimbelman et al., 2009).

La substitution des données environnementales mesurées à la ferme par celles issues de stations météorologiques dans les calculs d’ITH suscite beaucoup d’intérêt. Ces dernières comportent de nombreux avantages techniques par rapport aux données mesurées dans les étables alors que celles-ci sont rapidement et gratuitement disponibles et qu’elles permettent d’intégrer un plus grand nombre d’animaux dans les études (Ravagnolo et al., 2000). Toutefois, tel que démontré dans la présente étude, l’utilisation des données de stations météorologiques dans les calculs d’ITH entraîne une sous-estimation du niveau de stress de chaleur réellement subi par les animaux. Ainsi, l’adaptation de la formule de calcul d’ITH proposée par le NRC (1971) en considérant la relation entre les conditions des étables et celles des stations météorologiques a été testée afin de vérifier si les données de stations météorologiques peuvent servir de substitut valable aux données mesurées à l’étable. Pour ce faire, la température maximale ainsi que l’humidité relative minimale dérivées de stations météorologiques locales ont été utilisées au lieu des données moyennes. Les résultats obtenus ont révélé que malgré l’adaptation effectuée, l’utilisation des données de stations météorologiques ne permettait pas de représenter adéquatement les conditions mesurées à l’intérieur des étables. Toutefois, comparativement à l’ITH calculé selon l’équation proposée par le NRC (1971) en utilisant la température et l’humidité moyennes, l’ITH modifié était plus fortement corrélé aux conditions mesurées à l’étable. Ainsi, l’utilisation de l’ITH modifié permet de prédire plus justement les conditions environnementales auxquelles les animaux sont exposés. Néanmoins, afin d’être en mesure de valoriser les données dérivées des stations météorologiques dans les calculs d’ITH, il est primordial d’ajuster le seuil d’ITH utilisé pour juger du niveau de stress de chaleur des

production, la température de l’eau d’abreuvement, le climat dans lequel l’animal est élevé, la vitesse de l’air et la présence de technologies de refroidissement peuvent influencer l’identification des seuils d’ITH auxquels il est possible d’observer les impacts associés au stress de chaleur (Wang et al., 2018).

Dans le cadre du deuxième projet de recherche présenté dans cette thèse, la relation entre la durée des épisodes de stress de chaleur et les performances de production de vaches laitières Holstein a été caractérisée grâce à un modèle multivarié. Il s’agissait ici du premier effort visant à chiffrer les pertes de production liées au stress de chaleur subi par les vaches laitières au Québec. Pour ce faire, une banque de données fournie par Valacta (2010‒2015) contenant plus de 600 000 contrôles laitiers de 34 360 vaches de différentes parités a été nettoyée selon divers critères. Parallèlement, les ITH quotidiens pour les années 2010 à 2015 ont été calculés à partir de données dérivées des stations météorologiques les plus près des troupeaux retrouvés dans la banque de données. Afin de mieux représenter les données des étables et considérant les résultats obtenus dans le cas du projet précédant, les ITH ont été calculés selon la version modifiée de la formule proposée par le NRC (1971), c’est-à-dire en utilisant la température ambiante maximale et l’humidité relative minimale. La banque de données a ensuite été bonifiée par l’ajout de l’ITH calculé à partir de données dérivées de stations météorologiques d’un à huit jours avant la journée du test. Cet intervalle de temps a été sélectionné à la lumière des résultats issus de régressions linéaires effectuées dans le cadre de cette étude qui ont déterminé une relation significative (P < 0,05) entre l’ITH calculé pendant ces jours et les performances de production des animaux de la banque de données. Ainsi, les résultats indiquent qu’il y a un délai de 24 heures entre un épisode de stress de chaleur et les conséquences au niveau des performances de production qui lui sont associées. Ce délai a été rapporté précédemment dans la littérature alors que Spiers et al. (2004), dans le cadre d’un essai avec des animaux, ont observé une augmentation du taux de respiration et de la température rectale chez des vaches laitières dans les 24 heures suivant une exposition au stress de chaleur. Il est ici intéressant de situer les résultats de la présente étude qui a été effectuée grâce à un modèle créé à partir d’une banque de données par rapport à ceux obtenus dans le cadre d’essais effectués avec des animaux. De plus, Bernabucci et al. (2014) qui, grâce à une méthodologie similaire à celle présentée dans cette thèse, ont aussi rapporté que la quantité de lait produite par des vaches Holstein italiennes était négativement affectée par l’ITH mesuré pendant les huit jours précédant la journée du test. Toutefois, les auteurs ont également rapporté une relation significative entre les douze jours précédant le test et la production de gras et de protéines. Ceci n’a pas été observé dans la présente étude. Cette dernière information appuie le concept que le seuil de tolérance à la chaleur des animaux est influencé par le climat dans lequel ils sont élevés.

Ensuite, la durée des épisodes de stress de chaleur a été ajoutée à la banque de données en calculant le nombre de jours consécutifs pouvant provoquer un stress de chaleur pendant l’intervalle d’un à huit jours

avant le test. Considérant les résultats obtenus dans le cadre de la première étude de cette thèse, le seuil d’ITH auquel il est possible d’observer les conséquences négatives du stress de chaleur a été fixé en considérant les données de production de la banque de données. Ultimement, le seuil d’ITH a été fixé à 65, seuil qui se rapproche à ceux déterminés dans deux études menées en climat tempéré (Brügemann et al., 2012; Hammami et al., 2013). Les résultats ont ensuite révélé une relation négative significative (P < 0,05) entre la durée des épisodes de stress de chaleur et la production de gras et de protéines des vaches de la banque de données. Des pertes de l’ordre de 20 g de gras par jour par vache à la suite d’une exposition d’un à deux jours ont été rapportées alors que des pertes de 20 à 30 g de protéines selon la parité de l’animal ont été rapportées suite à une exposition à un stress de chaleur d’une durée de trois à quatre jours.

La relation entre le stress de chaleur est les composants laitiers ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique. En effet, certains auteurs rapportent une absence de relation (Knapp et Grummer 1991; Wheelock et al., 2010) alors que d’autres rapportent une relation significative inverse telle qu’observée dans l’étude présentée (Hammami et al., 2013; Bernabucci et al., 2014; Cowley et al., 2015). De plus, l’ampleur des diminutions observées dans le cadre de l’étude présentée dans cette thèse est comparable à celles rapportées par les autres auteurs, et ce, malgré la diversité de méthodologies utilisées afin de caractériser la relation entre le stress de chaleur et la production de composants laitiers. De plus, les résultats de la présente étude indiquent aussi que le gras est le composant le plus vulnérable à la chaleur, ce qui avait été rapporté préalablement par Hammami et al. (2013). Considérant le système actuel de paiement du lait basé sur les composants laitiers, les résultats de la présente étude indiquent que les producteurs laitiers canadiens devraient viser à minimiser l’occurrence et la durée des épisodes de stress de chaleur afin d’optimiser leurs revenus pendant l’été. Des études supplémentaires sont nécessaires afin de bien comprendre les mécanismes derrières les effets du stress de chaleur sur les composants laitiers.

Finalement, aucune relation (P > 0,05) n’a été observée entre la durée des épisodes de stress de chaleur et la quantité de lait produite. Ceci était extrêmement surprenant puisque des diminutions de la production laitière à la suite d’une exposition au stress de chaleur de l’ordre de 25 à 40 % ne sont pas inhabituelles chez la vache laitière (Baumgard et Rhoads, 2013). L’absence de relation peut potentiellement être en lien avec la sélection génétique des animaux effectuée au Canada dans les dernières années qui a focalisé sur la production de composants laitiers aux détriments de la production de lait. De plus, le modèle utilisé dans cette étude pour caractériser la relation entre le stress de chaleur et la production laitière incluait la durée des épisodes de stress de chaleur sans considérer la sévérité des épisodes. L’inclusion de la sévérité était impossible dans le contexte de cette étude considérant le nombre limité de données de production

bâtir le modèle n’incluait pas assez de contrôles laitiers mesurées sous des ITH d’intensités sévères afin d’être en mesure de tirer des conclusions par rapport à la relation entre les performances et la sévérité du stress. Néanmoins, cela n’était pas suprenannt considérant le climat de l’Est et du Sud-Ouest du Québec. Ultimement, le fait que seule la durée du stress de chaleur ait été considérée dans cette étude a probablement menée à une sous-estimation des effets de la condition sur les performances de production des vaches laitières québécoises, ce qui renforce l’importance d’investiguer les effets de la mise en place de stratégies permettant de limiter l’occurrence des stress de chaleur dans les troupeaux laitiers québécois dans un contexte climatique actuel. Il serait d’ailleurs intéressant de valider ces résultats par l’entremise d’un essai animal.

Dans le cadre du dernier projet présenté dans cette thèse les performances de production de vaches laitières québécoises ont été projetées dans trois horizons temporels soient pendant une période de référence (1971‒2000) et deux périodes futures (2020‒2049 et 2050‒2070). Les projections ont été effectuées dans le but de caractériser les variations des composants laitiers associées à l’évolution projetée de la durée des épisodes de stress de chaleur dans un contexte de changement climatique au Québec. De plus, l’étude fournit de l’information concernant l’évolution des pertes économiques associées à ces variations.

Pour ce faire, un échantillon de 71 troupeaux laitiers dont 37 de la région de l’Est du Québec et 34 de la région du Sud-Ouest du Québec a d’abord été sélectionné dans la banque de données décrite plus haut selon des critères permettant la sélection de troupeaux représentatifs de la moyenne québécoise. Un sous-échantillon de troupeau était nécessaire afin de permettre la projection des performances de tous les animaux présents dans les troupeaux à la suite du nettoyage de la banque de données. De plus, les régions de l’Est et du Sud- Ouest du Québec ont été visées à cause de leur importance relative au secteur laitier québécois, et puisque leur climat contrasté représente bien la variabilité climatique observée sur le territoire agricole du Québec.

Ensuite les données climatiques des trois horizons temporels ont été dérivées de quatre modèles climatiques, qui sont des outils permettant de simuler la réponse du système climatique à divers forçages (GIEC, 2014) et de deux scénarios d’évolution des émissions de gaz à effet de serre, pour un total de six scénarios climatiques. Le nombre élevé de scénarios climatiques utilisés dans cette étude visait à considérer la variabilité associée à l’évolution et à l’ampleur des changements climatiques au Québec. Les projections climatiques issues de tous les scénarios climatiques ont d’abord indiqué une augmentation de la température ambiante dans les horizons futurs par rapport à la période de référence (1971‒2000). Des augmentations moyennes de l’ordre 1,5 °C ont été projetées pour les mois de juin, juillet et août dans le futur proche (2020‒2049) alors que des augmentations moyennes de 2,8 °C ont été projetées dans le futur lointain (2050‒2079). Ces projections

climatiques Ouranos, qui indiquent que les températures du sud du Québec, qui représente le territoire agricole de la province, pourraient augmenter de 1,6 à 4,5 °C vers 2050 selon le scénario climatique utilisé. L’évolution de l’humidité relative démontre plus de variabilité que celle de la température alors que les modèles climatiques projettent plus précisément la température que l’humidité (GIEC, 2014). Dans les deux régions, les modèles climatiques ont majoritairement projeté une diminution de l’humidité relative dans les horizons futurs par rapport à ce qui a été simulé pendant la période de référence. En considérant les données de température et d’humidité dérivées des scénarios climatiques, des augmentations de l’ITH pendant la période estivale dans les horizons futurs de l’ordre de 2,2 unités dans le futur proche et de 4,2 unités dans le futur lointain ont été calculées dans les deux régions.

De plus, les résultats de cette étude ont indiqué que l’occurrence des stress de chaleur pourrait augmenter dans le futur alors que le nombre de jours avec un ITH supérieur ou égale à 65 est plus élevé dans les horizons temporels 2020‒2049 et 2050‒2079 par rapport à ce qui a été simulé dans la période de référence. En outre, selon les résultats obtenus, la sévérité des épisodes de stress de chaleur devrait parallèlement s’élever dans le futur alors qu’un plus grand nombre de jours avec un ITH de 75 à 85 a été projeté dans les horizons futurs par rapport à la période de référence. Relativement à la période de référence, la durée des stress de chaleur pourrait également être exacerbée dans le futur alors que les résultats témoignent d’une augmentation de la fréquence de périodes avec 7 à 8 jours consécutifs pouvant provoquer un stress de chaleur. Ultimement, les projections climatiques effectuées dans le cadre de cette étude indiquent que l’occurrence, la sévérité ainsi que la durée des épisodes de stress de chaleur devrait augmenter dans le futur par rapport à la période de référence.

Les projections des performances de production des vaches Holstein présentes dans les troupeaux sélectionnés ont été effectuées en adaptant le modèle élaboré dans l’étude précédente. Le principal avantage de cette approche par rapport à l’utilisation d’équations retrouvées dans la littérature est qu’elle permet de prendre en considération les impacts du stress de chaleur propres au contexte de production québécois. En effet, les impacts du stress de chaleur varient en fonction de plusieurs facteurs physiologiques et climatiques (Kadzere et al., 2002). De plus, ils dépendent des pratiques de gestion préconisées sur la ferme, de la qualité et la quantité des aliments offerts et de la présence de technologies de refroidissement. Ainsi, puisque les effets du stress de chaleur dépendent d’un nombre important de facteurs, il est pertinent d’utiliser des données collectées au Québec afin d’en évaluer les conséquences. C’est d’ailleurs ce qu’a indiqué la deuxième étude présentée dans le cadre de cette thèse.

En somme, des diminutions moyenne par troupeau de la production de matières grasses de l’ordre de 2400 kg/an dans le futur proche et de 2500 kg/an dans le futur lointain ont été projetées dans les deux régions à l’étude par rapport à la préiode de référence. En ce qui concerne la production de protéines, des diminutions moyennes par troupeau de 1990 et de 2013 kg/an ont été projetées dans l’Est du Québec dans le futur proche et dans le futur lointain respectivement alors que des diminutions de 2057 et de 2092 kg/an ont été projetées dans le Sud-Ouest du Québec par rapport à la pérdiode de référence. Ces projections ont été effectuées en assumant que la génétique des vaches était constante dans les trois horizons temporels. L’attribution d’une valeur génétique actuelle (2010‒2015) à des animaux présents dans les troupeaux laitiers québécois pendant la période de référence climatique (1971‒2000) a probablement entraîné une surestimation des performances des animaux pendant cette période et ainsi une surestimation des diminutions projetées dans les horizons futurs. De plus, l’approche proposée ne permettait pas de prendre en considération la capacité d’adaptation au climat