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Chapitre VI : Discussion générale et perspectives

VI.1 Discussion générale

Nous avons tenté à travers ce travail de thèse de traiter des questions préoccupantes

concernant la prise en charge des nourrissons nés de mères séropositives pour le VIH, dans

le contexte d’un pays à ressources limitées caractérisé par une faible couverture de la

prévention de la transmission mère-enfant (PTME) et un accès limité des enfants infectés

aux multithérapies antirétrovirales (WHO et al, 2010).

Nous avons abordé trois aspects concernant la prise en charge précoce de ces nourrissons :

le diagnostic du VIH, l’initiation des antirétroviraux (ARV) et la réponse humorale aux vaccins

du Programme Elargi de Vaccination (PEV).

Les analyses sont issues de deux enquêtes originales financées par l’institut Pasteur de

Paris, l’ANRS, en partenariat avec le Centre Pasteur du Cameroun : une enquête

transversale portant sur des enfants infectés et non infectés par le VIH, inclus entre 18 et 36

mois dans cinq hôpitaux du Cameroun et de République Centrafricaine, mesurant la

persistance des anticorps contre les vaccins du PEV, menée en 2004-2005 (ACIP-EPIPEV) -

une cohorte initiée en 2007, d’enfants infectés et non infectés par le VIH, inclus à la

naissance ou au plus tard à 6 mois dans trois hôpitaux des deux villes principales du

Cameroun (ANRS-Pediacam).

Faisabilité du diagnostic précoce de l’infection VIH chez les nourrissons

exposés dans le contexte urbain du Cameroun

Nous avons évalué l’acceptabilité et le déroulement d’un processus de dépistage de

l’infection VIH, planifié dès la première semaine de vie des enfants nés de mères

séropositives, comportant dans l’idéal un premier test à 6 semaines, la communication des

résultats à la famille à 10 semaines avec un éventuel test de confirmation en cas de résultat

positif ou douteux. Nous avons néanmoins considéré que, compte tenu des difficultés

logistiques multiples, un processus permettant de communiquer un résultat de test à la

famille avant l’âge de 7 mois était une intervention correctement menée (Faye A et al, 2004;

Chiappini E et al, 2006), permettant d’offrir un accès précoce aux ARV, même si, dans

l’idéal, l’intervention prévoyait une initiation à 14 semaines. Au total, 83,9% (IC

95%

:

82,0-85,6) ont pu bénéficier de ce processus complet avec un âge médian de 2,5 mois (IQ :

2,4-3,0) au retrait du test. Ce résultat témoigne d’une excellente acceptabilité du dépistage

précoce proposé dans ce contexte. Ces résultats sont plus élevés que ce qui a été rapporté

dans d’autres études en Afrique sub-saharienne.

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beaucoup moins sélectionnée que dans un essai, et l’inclusion était proposée à toutes les

mères accouchant ou se présentant dans les 7 jours suivant l’accouchement dans l’un des

sites participant, sans critères d’exclusion en dehors du consentement a priori de

participation. L’intervention proposée était censée s’insérer dans les pratiques de routine,

selon les recommandations OMS. Mais la cohorte offrait un accompagnement du processus

expliquant sans doute en partie son succès, comportant des relances téléphoniques par

l’équipe médicale et la gratuité de la prise en charge clinique, biologique, thérapeutique et

nutritionnelles).

Trois facteurs ont été trouvés associés à un processus incomplet: une découverte tardive de

l’infection maternelle pendant la grossesse (dans les 3 derniers mois avant l’accouchement),

l’absence de prophylaxie antirétrovirale chez la mère pendant la grossesse, et un

accouchement par césarienne en urgence. En revanche, les facteurs reflétant le niveau

socio-économique, les conditions de vie et le partage du statut VIH entre mère et père

n’étaient pas liés au succès du processus.

Nos résultats soulignent ainsi l’importance du dépistage de l’infection VIH chez les femmes,

sans attendre la survenue d’une grossesse, afin de laisser le temps à l’équipe médicale

d’organiser la PTME et planifier le suivi des enfants, et aux femmes de s’y préparer.

L’accès à large échelle au dépistage reste un défi pour les pays les plus touchés par

l’épidémie, aussi bien sur le plan technique que programmatique. En 2010, les enquêtes

démographiques de santé (EDS) réalisées dans plusieurs pays à ressources limitées ont

montré que seuls 34% des femmes et 17% des hommes avaient réalisé et reçu les résultats

du test VIH. La plupart avait été testée une seule fois à un stade avancé de la maladie.

Chez les femmes, le test survient le plus souvent pendant la grossesse, après le 5

e

mois, au

moment de la première consultation prénatale (UNAIDS, 2010). Ce qui pourrait être

également un obstacle à l’application correcte des nouvelles recommandations de l’OMS sur

la PTME (WHO, 2010a). Près de la moitié des mères séropositives dont les enfants ont été

inclus dans Pediacam connaissaient leur statut avant la grossesse, avec une faible

proportion ayant opté pour l’allaitement maternel, facilitant ainsi l’acceptabilité du processus

de dépistage précoce.

Le dépistage de l’infection VIH pose des problèmes techniques aussi bien chez les

nourrissons que chez les femmes. Il faut développer et évaluer des algorithmes de

diagnostic, intégrant de nouveaux tests VIH et leur mise en œuvre sur le terrain. Au

Cameroun, une évaluation des performances de cinq tests rapides de diagnostic du VIH

recommandés en première ligne en 2009, a montré que seulement 2 d’entre eux avaient une

Chapitre VI : Discussion générale et perspectives

recommandés présentaient des sensibilités de 94,7% à 100% et des spécificités de 91,5% à

98,5%, conduisant à l’existence problématique de faux négatifs et faux positifs. Cette

situation se dégrade encore lorsqu’il y a des ruptures de stock et une réduction des tests

rapides disponibles (Aghokeng AF et al, 2009).

Les techniques moléculaires de diagnostic de l’infection VIH chez les nourrissons ne sont,

quant à elles, disponibles que dans quelques laboratoires de référence très souvent localisés

dans les villes principales. Dans la plupart des cas, les échantillons sont collectés sur papier

buvard pour être rapatriés vers le laboratoire de référence sans risque de dégradation

importante pendant le transport. Mais la formation d’un personnel à la gestion des

échantillons qui arrivent au niveau central et la réduction des délais entre prélèvement et

rendu des résultats reste un défi majeur.

Faisabilité de l’initiation précoce des multithérapies antirétrovirales chez les

nourrissons infectés par le VIH

L’intérêt des multithérapies antirétrovirales initiée dans les six premiers mois de vie sur la

réduction de la mortalité et de la morbidité a été largement montré dans des études

observationnelles menées en Europe de l’Ouest et confirmé par un essai thérapeutique en

Afrique du Sud (Faye A et al, 2004; Chiappini E et al, 2006; Violari A et al, 2008;

Goetghebuer T et al, 2009). Ces résultats ont justifié les directives de l’OMS qui

recommandent désormais le traitement systématique des enfants infectés par le VIH dès le

diagnostic, initialement avant l’âge de 1 an, et plus récemment 2 ans.

L’évaluation de la faisabilité de cette stratégie en routine dans les pays à ressources limitées

était l’un des objectifs de l’étude Pediacam. Dans cette thèse, nous avons étudié la phase

initiale, portant sur le temps écoulé entre un test du VIH effectué avant l’âge de 7 mois et la

mise sous ARV lorsque le résultat était positif. Nous avons montré que ce processus était

globalement satisfaisant puisque 90,9% (IC 95% : 85,7 – 94,7) des enfants infectés ont initié

un traitement ARV dont 83,5% avant l’âge de 7 mois, à 4 mois en médiane (90

e

percentile =

6,9 mois). Ce résultat est nettement meilleur que ce qui avait été rapporté jusqu’ici dans les

pays à ressources limitées.

Toutefois, 6,3% des enfants sont décédés trop tôt après le prélèvement diagnostic, sans

que l’on ait eu le temps d’initier un traitement. Ceci s’explique par la gravité de la maladie qui

a souvent constitué le motif de dépistage chez les nourrissons dont la mère avait échappé

au dépistage ou à la PTME. Il paraît difficile d’accélérer encore la mise sous traitement en

pratique de routine, alors qu’environ un tiers des enfants infectés initie le traitement au-delà

Chapitre VI : Discussion générale et perspectives

l’infection en catastrophe, à un stade trop avancé, reste d’améliorer l’accès au dépistage VIH

des femmes avant ou pendant la grossesse pour suivre leurs enfants dès leur naissance.

Les principaux facteurs liés à un processus non optimal relèvent de la présentation tardive

des enfants en consultation pour le diagnostic de l’infection VIH, de l’organisation

fonctionnelle des sites, et du décalage entre la communication du résultat aux familles et le

bilan pré-thérapeutique, peut-être en rapport avec la difficulté pour l’équipe médicale de

gérer l’annonce de ces résultats aux familles.

Une très faible proportion des familles de nourrissons (<3%) a refusé la mise sous

traitements antirétroviraux. Ceci est un excellent résultat à mettre à l’actif de l’expérience et

du niveau de formation de l’équipe médicale dans les sites de l’étude. Les motifs de refus

n’ont pas été recueillis mais il faut souligner que dans l’ensemble, ces nourrissons étaient

asymptomatiques. Certains de leurs parents ne voyaient sans doute pas l’utilité de traiter ces

enfants, d’autres n’avaient pas véritablement réglé leur propre situation en matière

d’infection par le VIH (déni, absence de bilan, dépistage tardif en fin de grossesse etc.).

Réponse humorale aux vaccins du PEV chez les enfants infectés par le VIH

Plusieurs travaux ont suggéré une réponse vaccinale moins bonne chez les enfants infectés

par le VIH. Dans le cadre de cette thèse, nous avons cherché à comparer entre enfants

infectés et non infectés, tous exposés au VIH de leur mère, la réponse en termes de

persistance des anticorps contre plusieurs antigènes vaccinaux du PEV appliqué en routine

dans des pays à ressources limitées où les difficultés logistiques et les co-morbidités y sont

plus importantes que dans les pays industrialisés.

Notre objectif était d’identifier, dans ce contexte, des sous-groupes d’enfants infectés mal

vaccinés, du fait d’un non respect des recommandations ou de réponses vaccinales

inadéquates. Ces enfants peuvent constituer un réservoir favorisant la résurgence de

maladie à prévention vaccinale dans la population générale, compte tenu de l’amélioration

prévisible de leur survie avec l’accès aux antirétroviraux.

L’étude EPIPEV a permis de confirmer que le niveau de persistance d’anticorps était plus

faible chez les enfants infectés par le VIH par rapport aux enfants non infectés nés de mères

séropositives pour le VIH pour l’ensemble des antigènes vaccinaux testés.

Mais nous avons également observé, surtout dans le cas du vaccin contre la rougeole, que

la proportion d’enfants ayant une réponse vaccinale adéquate était certes significativement

plus élevée chez les enfants non infectés par le VIH nés de mères séropositives pour le VIH,

Chapitre VI : Discussion générale et perspectives

mais restait inférieure au niveau attendu chez les enfants de la population générale,

c’est-à-dire nés de mères séronégatives.

Ce résultat original suggère que l’exposition au VIH pendant la grossesse pourrait entraîner

un dysfonctionnement du système immunitaire chez les enfants, même lorsqu’ils échappent

eux-mêmes à l’infection (Clerici M et al, 2000). Peu d’études ont exploré l’influence de

l’exposition au VIH sur la réponse aux vaccins pour pouvoir dégager le mécanisme

responsable de cette observation (Scott S et al, 2007; Madhi SA et al, 2010; Jones CE et al,

2011).

Mais il est important de souligner que certains auteurs pensent que la persistance

insuffisante des anticorps chez ces enfants exposés au VIH s’expliquerait beaucoup plus par

la perte progressive des anticorps au fil du temps que par un défaut de réponse primaire à la

vaccination. Jones et al ont rapporté récemment, une réponse vaccinale adéquate plus

élevée chez les nourrissons non infectés nés de mères séropositives que les nourrissons

nés de mères séronégatives pour les valences coqueluche et pneumocoques testées à la

suite de la primovaccination prévue par le PEV. L’explication proposée reposait sur la

capacité inhibitrice de la réponse vaccinale par les anticorps maternels transmis aux

nourrissons (Madhi SA et al, 2005; Scott S et al, 2007; Madhi SA et al, 2010; Jones CE et al,

2011). En effet, les enfants nés de mères séropositives ont un niveau faible d’anticorps

maternels corrélé à la faible quantité d’anticorps chez la mère elle-même (Jones CE et al,

2011).

Taux de transmission et mortalité à 1 an

Le taux de transmission mère-enfant chez les enfants inclus depuis la naissance est de 3,6%

(IC à 95% : 2,8-4,8) d’autant plus faible que la mère avait reçu un traitement antirétroviral

pendant la grossesse.

En intention de traiter, la mortalité infantile, même si elle reste évidemment plus élevée chez

les enfants infectés que non infectés par le VIH, était plus faible que ce qui est rapporté au

Cameroun et dans les pays du sud dans ces populations, probablement liée à

l’intensification du suivi et de l’ensemble de la prise en charge médicale. On ne peut exclure

que les perdus de vue à l’âge d’un an, qui représente 6,6% des enfants, pourraient être plus

souvent infectés et/ou décédés, mais la proportion de perdus de vue est sensiblement la

même chez les enfants nés de mères séropositives (7,3%) que séronégatives (8,9%) dont

on peut penser qu’elles sont moins concernées par le suivi de leurs enfants, même gratuit.

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Conditions de recrutement des enfants dans nos études

Nos prévisions initiales de recrutement étaient basées sur des données antérieures à l’étude

et des ajustements en cours d’étude ont été nécessaires, face aux réalités de terrain.

Au cours de la première année de recrutement dans Pediacam, nous avons observé un taux

de transmission du VIH de la mère à l’enfant (3,6%) plus faible que prévu (5 à 10%),

peut-être liée à la diffusion des recommandations de PTME dans les maternités participantes,

conduisant à un nombre d’enfants infectés suivis depuis la naissance plus faible qu’attendu.

A l’inverse, le recrutement des enfants infectés à l’occasion d’un diagnostic avant 7 mois a

été plus important que prévu, témoignant de l’insuffisance de dépistage du VIH des femmes

avant ou en cours de grossesse. Nous avons choisi de prolonger la durée d’inclusion de ces

enfants, pour obtenir un nombre total d’enfants infectés suffisamment large, notamment pour

répondre aux objectifs de la sous-étude ANRS-PRIVAR d’évaluation de la réponse cellulaire

des enfants au vaccin rougeole (voir annexe). Ce groupe est important aussi du point de vue

de santé publique, puisqu’il représente malheureusement, la fraction majoritaire des enfants

diagnostiqués pour le VIH avant 7 mois au Cameroun.

Nous avons également du augmenter le nombre d’enfants non infectés inclus dans les

groupes témoins, pour anticiper l’attrition au cours du temps plus importante que prévu. En

particulier un tiers de nourrissons nés de mères séronégatives pour le VIH ne revenaient pas

pour les visites de suivi planifiées en phase I (Figure II-4).

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