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VII.1 Un effet synergique entre la légumineuse et les

vers de terre sur les performances des plantes

VII.1.1 Des effets de complémentarité entre traits d’espèces

plus forts qu’entre traits variétaux

Nous avions émis l’hypothèse que l’association de plusieurs espèces et/ou de variétés de plantes aux traits fonctionnels différents associées à différents groupes fonctionnels de vers de terre pouvait maximiser les performances du couvert (teneur en azote et production de biomasse). Nos résultats ont permis de vérifier cette hypothèse en partie et plus particulièrement sur l’association d’espèces aux traits fonctionnels différents liés à la présence d’une légumineuse. En effet, la compétition entre plants de blés a été diminuée grâce à l’insertion du trèfle, entraînant une augmentation de la production de biomasse et de l’accumulation d’azote dans le blé. De même, en association avec la féverole, le blé et le colza ont montré des gains de performances par rapport aux cultures pures. Cependant, nos résultats ont montré que l’augmentation du nombre de variétés de blé en mésocosmes comme en micro-parcelles a eu un effet négligeable sur une réduction de la compétition entre plantes et les performances du blé d’une part et sur les composantes du rendement d’autre part.

Les mécanismes de complémentarité interspécifique pour l’utilisation de l’azote sont désormais bien connus. Ils contribuent à expliquer la diminution de la compétition et les gains de productivité de l’association d’une céréale avec une légumineuse et sont fondamentaux pour l’amélioration de la productivité des plantes en conditions limitantes (Jensen, 1996a; Corre-Hellou et al., 2006; Hauggaard-Nielsen et al., 2009; Bedoussac et al., 2015). Les résultats des associations avec le trèfle ou la féverole en l’absence de vers de terre, confirment que les mécanismes de complémentarité entre espèce fixatrice et non-fixatrice ont bénéficié aux performances du blé et du colza. Ces résultats ont également montré que le mésocosme est un bon dispositif pour appréhender ces mécanismes de complémentarité entre espèces tels que des différences de profondeur d’enracinement augmentant ainsi des séparations de niches au niveau racinaire (Corre-Hellou et al., 2007). De plus, l’utilisation

184 d’un sol non fertilisé dans les expérimentations a permis d’accentuer ces mécanismes car l’implantation d’une légumineuse dans un sol pauvre en azote minéral a pour effet d’augmenter son activité de fixation (Salon et al., 2009) favorisant ainsi une séparation de niche pour une utilisation plus large des sources et des formes d’azote.

A la différence des associations incluant une légumineuse, l’effet de complémentarité souhaité entre variétés de blé n’a pas pu être démontré dans notre travail. Un tel effet a été montré dans une étude récente menée par Lazzaro et al. (2017). Cette étude visait à observer la provision de différents services écosystémiques (suppression des adventices, amélioration du rendement, qualité des grains) en lien avec l’augmentation de la diversité intraspécifique. Les résultats n’ont pas permis de conclure à des effets de diversité selon lesquels l’augmentation de la diversité dans la culture permettrait une meilleure utilisation des ressources et augmenterait la productivité des plantes au travers d’effets de différenciation de niche. Cependant, cette étude met en évidence une relation entre la diversité intraspécifique et la fourniture de services écosystémiques ciblés lorsque les performances globales de la culture sont prises en compte et elle souligne l’importance du choix des composantes du mélange basé sur des traits clés permettant une amélioration des performances des plantes (Barot et al., 2017). Dans notre étude, alors que les précocités des blés, à montaison et à épiaison, étaient différentes, la diversité fonctionnelle pour ces traits donnés n’a peut-être pas été suffisamment importante pour permettre une complémentarité spatiale ou temporelle. Des études plus approfondies sur la caractérisation fonctionnelle des variations intraspécifiques devront être menées pour identifier des traits susceptibles d’être favorables à la culture en association (Costanzo and Bàrberi, 2014). Par exemple, la méta-analyse de Borg et al. (2018) suggère qu’en combinant au sein d’un mélange de variétés de blé une forte diversité de précocité et de hauteur, des gains de rendements pourraient être observables.

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VII.1.2 La facilitation apportée par les vers de terre sur les

performances du blé

Notre hypothèse selon laquelle l’association de plusieurs groupes fonctionnels de vers de terre maximise les performances du couvert a pu être en partie vérifiée. En effet, l’introduction de deux groupes écologiques de vers de terre a permis de diminuer la compétition entre les variétés de blé notamment par l’amélioration des conditions du milieu. Cette diminution de la compétition entre blés grâce à l’activité des vers de terre a été plus importante au sein de l’association blés-trèfle mais sans bénéfices apportés par la présence de deux groupes écologiques de vers de terre, par rapport à la présence du groupe des endogés seuls.

Dans une expérimentation de Keith et al. (2018), des résidus marqués au 13C et 15N ont été posés à la surface d’une parcelle dont des individus anéciques L. terrestris ont été retirés du sol. Les auteurs ont mis en évidence une diminution de l’enrichissement en isotopes stables des tissus des vers de terre endogés A. caliginosa après 18 mois. Ce résultat suggère une diminution de l’activité des endogés lorsque la densité des anéciques est réduite. En Outre, des interactions interspécifiques et plus largement des interactions entre groupes écologiques de vers de terre bénéfiques sur les processus du sol ont déjà été mises en évidence (Uvarov, 2009). Dans nos mésocosmes, l’ajout de vers de terre anéciques a pu provoquer une augmentation de l’activité des endogés favorisant les processus de facilitation. Ces bénéfices liés à l’augmentation du nombre de traits comportementaux chez les deux groupes écologiques de vers de terre ont pu être observés au sein de la diversité des traits fonctionnels des plantes liée aux variétés de blé.

La diminution de la compétition grâce à l’activité des vers de terre a été la plus importante au sein de l’association céréale-légumineuse, cependant nous n’avons pas observé de bénéfices des deux groupes écologiques. Plusieurs études ont montré qu’il existait des interactions privilégiées entre les vers de terre endogés et les plantes, notamment, les légumineuses (Milcu et al., 2008; Eisenhauer, 2012; Eck et al., 2015). Les bénéfices apportés par ces interactions privilégiées ont pu gommer ceux apportés par les interactions entre les catégories écologiques de vers de terre. De plus, dans

186 l’expérimentation en mésocosmes d’Andriuzzi et al. (2016), les résultats ont montré que la composition fonctionnelle des vers de terre peut affecter l’acquisition d’azote et la production de biomasse du ray-grass mais que de tels effets sont largement contrôlés par le type d’apport en nutriments. Aussi, dans un sol pauvre, les vers de terre dépendent en majorité de la qualité de la litière, pour leur croissance et leur activité (Cesarz et al., 2016). Dans notre dispositif et notamment dans le traitement blés-trèfle, l’activité des deux catégories écologiques de vers de terre a pu se trouver altérée à cause de la limitation des ressources, provoquant ainsi une absence de bénéfices supplémentaires sur les performances du blé. Ces observations peuvent donc suggérer qu’il existe un seuil trophique au-delà duquel la diversité fonctionnelle dans un milieu confiné, tant au niveau des plantes que des organismes du sol, n’apporte plus de bénéfices à cause d’une limitation des ressources.

Finalement, au-delà des groupes fonctionnels en présence, l’activité des vers de terre en soi va permettre une meilleure disponibilité en nutriments et réduire la compétition entre plantes pour l’acquisition de ces éléments minéraux. En effet, nous avons pu observer une meilleure acquisition d’azote par le blé en présence de vers de terre, traduit par une diminution de la compétition pour l’azote au niveau des racines, et d’autant plus marquée dans l’association avec le trèfle. L’activité des vers de terre, connue pour avoir un effet positif sur la minéralisation de l’azote du sol (Whalen et al., 2000; Postma-Blaauw et al., 2006; Kharin and Kurakov, 2009), a déjà été décrite comme modulant la compétition entre graminées et légumineuses (Eisenhauer and Scheu, 2008). Un priming effect apparent sur la matière organique du sol grâce au mucus qui constitue un apport de matière organique fraîche, fourni par les vers de terre peut contribuer à augmenter la minéralisation de l’azote (Eck et al., 2015). En effet l’accélération de la dégradation de la matière organique du sol déclenchée par l’apport de sources énergétiques facilement décomposables par les microorganismes améliore la disponibilité des ressources assimilables par les plantes (Kuzyakov and Domanski, 2000; Blagodatskaya and Kuzyakov, 2008). Les vers de terre libèrent également de l’urée (Whalen et al., 1999) qui constitue une source de fertilisant pour les plantes (Witte, 2011). De plus, les vers de terre peuvent stimuler l’activité uréase (Syers and Springett, 1984) augmentant ainsi la conversion de l’urée en ammonium, forme d’azote inorganique très mobile mais dont son acquisition peut être favorisée par le système

187 racinaire long et dense du blé (Garnett et al., 2009). L’augmentation de la disponibilité de l’azote par les plantes améliore ainsi la force de compétition des graminées (Kreuzer et al., 2004; Wurst et al., 2005; Eisenhauer and Scheu, 2008; Coulis et al., 2014). Aussi, il a été montré que les vers de terre consomment davantage de matières organiques (expérimentation avec un marquage d’une litière au 15

N) sous un couvert composés de plusieurs groupes fonctionnels de plantes, notamment des légumineuses (Milcu et al., 2006; Milcu et al., 2008). De plus, les rhizodépôts azotés exsudés par les légumineuses sont connus pour avoir une grande palatabilité pour les vers de terre (Eck et al., 2015). Eisenhauer et al. (2009) identifient d’ailleurs les interactions entre légumineuses et vers de terre comme mutualiste. Les vers de terre bénéficient de la rhizodéposition azotée des légumineuses et les légumineuses bénéficient de la disponibilité des nutriments causée par l’activité des vers de terre, au moins dans les premiers stades de développement de la légumineuse c’est-à-dire avant la mise en place de la fixation symbiotique. Dans nos mésocosmes, la présence du trèfle a pu être favorable à l’activité des vers de terre, facilitant la mobilisation de nutriments, notamment l’azote, bénéficiant ainsi à la productivité du blé. C’est pour ces raisons que nous faisons l’hypothèse d’un effet synergique entre les vers de terre et la légumineuse sur les performances du blé.

VII.1.3 Les effets couplés des plantes et des vers de terre

sur les microorganismes du sol

Nos résultats n’ont pas permis de vérifier l’hypothèse selon laquelle les bénéfices des effets de complémentarité entre la diversité de nos deux drivers conditionnent la diversité des communautés microbiennes au sein de la rhizosphère. Cependant, bien que la biomasse et l’activité microbienne par microrespiration aient été stimulées par les effets couplés de la diversité des plantes et des vers de terre, aucun lien n’a pu être établi entre ces bénéfices sur les processus du sol et les performances des plantes. Les communautés microbiennes de la rhizosphère sont largement contrôlées par l’espèce (Kowalchuk et al., 2002) ou le génotype (Aira et al., 2010) de la plante notamment grâce à la quantité et la composition des rhizodépôts (Bais et al., 2006; Dennis et al., 2010; Haichar et al., 2014). Par conséquent, la diversité, la biomasse et l’activité microbienne peuvent augmenter avec le nombre

188 d’espèces et notamment avec l’insertion d’une légumineuse (Spehn et al., 2000; Milcu et al., 2006) ou encore avec le nombre de variétés (Mwafulirwa et al., 2016; Brolsma et al., 2017). Dans le cadre d’une expérimentation à long terme, Eisenhauer et al. (2010) ont mis en évidence l’importance de la richesse fonctionnelle des plantes sur les communautés de microorganismes d’une carotte de sol seulement deux à quatre ans après l’implantation des plantes. Cela soutient l’idée d’un retard dans les changements de diversité des communautés de microorganismes du sol et que le temps joue un rôle crucial dans l’établissement des effets de la diversité spécifique et fonctionnelle des plantes sur les propriétés microbiennes (Thakur et al., 2015; Steinauer et al., 2017). De plus, la méta-analyse de Venter et al. (2016) a montré une augmentation de la diversité et de la richesse des communautés microbiennes du sol avec les rotations de culture. Les essais de rotations longues produisent les effets positifs les plus importants sur la richesse microbienne. Dans notre première expérimentation en mésocosmes ainsi qu’en micro-parcelles, les modifications sur les communautés microbiennes du sol induites par la présence d’une légumineuse et/ou de plusieurs variétés anciennes ou modernes n’ont peut-être pas été observables en raison de la durée de l’expérimentation. Ce manque d’effets observables peut relever de la pertinence de l’échelle d’influence de l’activité racinaire à prendre en compte. En effet dans les cultures annuelles, les bénéfices apportés par la diversité des plantes sur le compartiment microbien se produisent davantage dans le sol adhérent tel que nous avons pu l’observer grâce à la microrespiration.

Les vers de terre ont stimulé la biomasse des microorganismes du sol adhérent aux racines et ces bénéfices ont été plus importants dans le couvert végétal incluant une légumineuse. Cependant, ni la diversité des UTOs (Unités Taxonomiques Opérationnelles), ni la diversité métabolique des communautés microbiennes de la rhizosphère n’ont été influencées par la présence de vers de terre ou l’effet couplé des deux drivers. Huang and Xia (2018) ont montrés que des modifications dans la structure et la diversité des communautés microbiennes dues à une stimulation des protéobactéries aux dépens des firmicutes peuvent être induites par l’activité des vers de terre et le mucus qu’ils produisent. Des études plus approfondies sur la composition taxonomique et la structure des

189 communautés de microorganismes dans nos échantillons de sol pourraient donner des résultats complémentaires aux analyses que nous avons effectuées.

Nos résultats confortent l’idée que des traits fonctionnels contrastés au sein d’une communauté végétale joue un rôle important sur l’efficience des processus réalisés au sein de la rhizosphère. Des espèces ayant des attributs trop similaires avec des effets redondants minimisent ou suppriment les réponses attendues de l’un et/ou de l’autre des compartiments driver sur les caractéristiques physico-chimiques et biologiques de la rhizosphère. En effet, les meilleures performances du blé ou du colza ont été réalisées grâce à l’insertion d’une légumineuse (trèfle ou féverole) et aux modifications physico-chimiques et biologiques apportées par les vers de terre endogés.

En confrontant les hypothèses de notre première question de recherche, nos résultats ont montré qu’il existe des complémentarités entre le compartiment aérien et souterrain et qu’elles ont permis une augmentation des performances des plantes. Cette augmentation est due à un effet synergique entre l’association céréale-légumineuse et les vers de terre. Au-delà de la diversité des plantes, c’est le contraste des attributs des traits fonctionnels qui semble prévaloir sur l’amélioration des performances des plantes et l’efficience des processus réalisés au sein de la rhizosphère.

VII.2 Les plantes et leurs traits racinaires pilotent

l’activité des microorganismes quand les vers de terre

l’amplifient

Nous avions émis l’hypothèse que l’importance de l’empreinte racinaire, issue de l’activité des racines des plantes et l’importance des modifications positives entraînées par l’activité des vers de terre sont équivalentes sur la réponse des communautés de microorganismes au sein de la rhizosphère. Nos résultats ont montré que les effets de l’empreinte racinaire des plantes sont prépondérants sur les modifications positives apportées par les vers de terre. En effet, la composition spécifique du couvert s’est avérée discriminante concernant son effet (stimulation ou inhibition) sur la biomasse et l’activité