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Les résultats de cette étude confirment qu’il existe des convergences entre les enjeux d’aménagement des forêts ciblés par les Innus de Pessamit et les enjeux écologiques ciblés par l’AÉF du nouveau régime forestier du Québec. Plusieurs éléments valorisés par les deux groupes sont homologues ou similaires, et ce malgré l’existence de distinctions quant aux valeurs sous-jacentes à ces enjeux. Dans la perspective où tant les autorités gouvernementales que les communautés autochtones doivent faire des efforts et discuter de bonne foi dans le but d’en arriver à des ententes, comme le rappelle la Cour Suprême du Canada (C.Hurley, 1998; Hurley, 2002), la mise en œuvre de l’aménagement écosystémique pourrait présenter une base de dialogue intéressante entre la communauté de Pessamit et le MFFP pour mener à des ententes et à des visions convergentes de l’aménagement durable des forêts. D’un point de vue pratique, il existe une opportunité pour les Innus d’utiliser l’aménagement écosystémique pour faire avancer certaines de leurs préoccupations et d’utiliser les synergies potentielles avec l’aménagement écosystémique pour faire des gains en matière de bonnes pratiques forestières. Comme il existe des valorisations communes, il y a là aussi une opportunité de dialogue permettant de travailler en amont relativement à la gestion du territoire, comme suggéré par l’APNQL (2007). Ainsi cela permettrait d’ajouter au système actuel qui mise sur la négociation de mesures d’harmonisation, des discussions sur une vision commune basée sur des éléments à valoriser.

5.1 Un premier problème de légitimité : l’absence de cogestion

Cependant, dans les faits, cette opportunité ne sera pas facile à saisir. En effet, bien que l’aménagement écosystémique puisse être vu par certaines communautés autochtones comme un moyen pour faire valoir leurs intérêts et leurs valeurs dans la gestion des ressources forestières (Germain, 2012; Wyatt et al. 2011; Price et al. 2009; Hutton 2004), il faut se rappeler, qu’au Québec, il a été adopté par le MFFP sans le consentement explicite des Innus de Pessamit, ni des autres Premières nations du Québec. Le fait que la mise en œuvre de l’aménagement écosystémique pose problème dans l’Eeyou Istchee et n’est toujours pas intégrée dans le régime forestier particulier convenu avec les communautés cries du Québec est un bon indicateur de la difficulté. Cela se traduit par un manque de légitimité du MFFP, du nouveau régime forestier et donc du concept de

l’AÉF auprès de Pessamit. Dans ce contexte, on se rend bien compte de l’importance que peut avoir le messager dans la légitimité d’un concept, quel qu’il soit, et de la nécessité d’impliquer les Premières Nations dès les premières étapes de réflexions d’un nouveau concept (Picard, 2010). Ceci contraste avec le cas des Innus du Labrador où l’AÉF a été adopté dans un cadre de cogestion avec le gouvernement de cette province (Wyatt et al., 2011). Ce concept a été défini dans un plan stratégique représentant les paysages écologique, culturel et économique en plus de définir les modalités de la recherche et du suivi (Forsyth et al. 2003).

5.2 Un second problème de légitimité : écologie vs socio-écologie

Actuellement, la vision du MFFP de la forêt naturelle de référence est strictement écologique. Peu d’efforts ont été faits au Québec pour comprendre l’influence socio- écologique des cultures autochtones sur la dynamique des écosystèmes forestiers boréaux. C’est une conception scientifique réductrice de la forêt puisqu’il a été démontré à de multiples reprises que la nation innue fréquente et utilise son Nitassinan depuis des milliers d’années (Capone, 2014; Desbiens et Hirt, 2012; Frenette et Picard, 2002; Gouvernement du Québec, 2011; Lacasse, 2004; Lepage, 2009; Picard, 2010). Les Innus ont donc toujours fait partie de la forêt en y exerçant une présence et une influence à travers l’Innu Aitun (Desbiens et Hirt, 2012; Gouvernement du Québec, 2011). La prise en compte des processus écologiques pour seule forme, dans l’étude de la dynamique de l’écosystème forestier, peut donc être perçue comme une analyse scientifique incomplète, par rapport à une vision plus socio-écologique de la forêt.

La divergence majeure de paradigme, entre les Innus et les scientifiques du MFFP, quant à leur conception de l’écosystème forestier, trouve son origine dans des repères culturels différents. Comme indiqué par (Doran, 2008, p.120) : « Pour les Innus, le groupe humain

constitue un tout en lien avec les différentes entités qui l’environnent et l’espace qui le soutient. » La perception purement écologique de la forêt utilisée par l’aménagement

écosystémique du Québec, qui exclut implicitement les autochtones comme élément à part entière de l’écosystème forestier naturel, ne peut être acceptable pour ces communautés.

L’acceptabilité de l’aménagement écosystémique serait grandement améliorée par une transition de l’aménagement écosystémique vers une approche socio-écologique à la forêt, ce qui a été fait ailleurs dans une certaine mesure (Price et al., 2009; Wyatt et al.,

2011). La prise en compte des composantes culturelles innues de la forêt a permis la création d’un plan stratégique d’aménagement cosigné par la nation innue du Labrador et le gouvernement de la province. Il faut pour cela que les responsables de l’AÉF fassent preuve d’ouverture pour accepter « une unité de référence autre que les sciences

naturelles et la reconnaissance et pratique d'une [gestion] interculturelle de la nature »

(Noury, 2010, p.95). Selon Halliday & Glaser (2011), un système basé sur la socio- écologie « indique un engagement d’adopter une perspective systémique et holistique des

composantes humaines et non humaines pour une situation problématique qui est d’intérêt. (traduction libre) ». Au Québec, Germain (2012, p.150) a d’ailleurs fait la

démonstration que l’AÉF peut être intéressant pour les Anisnabee de Pikogan, mais « ne

serait pas suffisamment adaptée aux conditions locales et n'intègrerait pas adéquatement les valeurs essentielles au maintien de l'identité culturelle de la communauté. ».

5.3 Distinctions culturelles

Les différences culturelles entre les deux groupes expliquent une part des défis pour créer des conditions favorables au dialogue. À travers la reconnaissance des convergences et distinctions, un mode de dialogue interculturel s’impose.

« L’échange équitable ainsi que le dialogue entre les civilisations, les

cultures et les peuples, basés sur la compréhension et le respect mutuel et l’égale dignité des cultures, sont la condition sine qua non de la construction de la cohésion sociale, de la réconciliation entre les peuples et de la paix ente les nations.» UNESCO (2016).

Cette citation du dialogue interculturel caractérise les résultats et les conclusions de notre étude. L’échange se doit de plus d’être collaboratif afin de réaliser une approche interculturelle (Capone, 2014).

5.4 Des pistes à explorer

Les responsables de la mise en œuvre de l’aménagement écosystémique au MFFP auraient tout avantage à gagner l’appui des communautés autochtones vis-à-vis l’aménagement écosystémique. Ces communautés pourraient devenir des alliés politiques dans la promotion de cette approche. Bien qu’institutionnalisé dans la Loi sur

tant en raison de la résistance au changement de certaines parties du monde forestier québécois, que de ses impacts sur la possibilité forestière et sur les niveaux d’approvisionnement en bois pour l’industrie (Moreau et Guénette 2016). Ainsi, l’aménagement écosystémique se trouve dans une phase de transition caractérisée par de multiples compromis. Les difficultés politiques associées à la mise en œuvre du plan de rétablissement du caribou forestier illustrent bien la situation (MFFP, 2015, 2016).

Dans une perspective d’amélioration du concept d’aménagement écosystémique, nous recommandons aux autorités compétentes du MFFP, d’inclure une perspective socio- écologique à leur perception de l’écosystème forestier. Sans cela, la légitimité du concept d’aménagement écosystémique ne sera jamais réelle (Wyatt, 2008). Cette reconnaissance s’inscrit d’ailleurs dans un renouvellement nécessaire de la relation avec les Premières Nations (Commission Royale sur les peuples autochtones 1996; McGregor 2011). En formalisant, par exemple, les liens entre des concepts comme la forêt naturelle et l’Innu Aitun, on faciliterait le dialogue avec la communauté innue de Pessamit.

À Pessamit, les experts en foresterie gagneraient, de leur côté, à développer une méthode stratégique lors de la définition des éléments à promouvoir auprès du MFFP. En effet, comme les concepts culturels sont souvent sous la forme d’un tout, un défi interculturel existe lors de la subdivision des concepts qui permettaient de cibler les composantes des enjeux à surmonter. Cela a été le cas lorsque la question des enjeux liés l’ambiance forestière a été abordée. Ce que nous confirme Doran (2008, p.120) en affirmant que; « pour les Innus, le groupe humain constitue un tout en lien avec les différentes entités qui

l’environnent et l’espace qui le soutient. » Ainsi, les discussions se rapportent souvent au

caractère holistique des concepts innus. Cela se reflète dans l’idée où toutes les espèces et tous les éléments naturels sont tout aussi prioritaires. Nous sommes parfaitement conscients qu’il faut faire attention lorsque l’on tente de subdiviser un concept comme l’Innu Aitun (Gentelet, 2009). Cependant, nous croyons que l’exercice est un passage nécessaire à réaliser par les acteurs de Pessamit, afin de parvenir à un dialogue interculturel fructueux.

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