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Enjeux innus et enjeux écosystémiques face à l'exploitation des forêts du Nitassinan de Pessamit : une convergence des préoccupations et des valeurs

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Academic year: 2021

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Enjeux innus et enjeux écosystémiques face à

l'exploitation des forêts du Nitassinan de

Pessamit :

Une convergence des préoccupations et des valeurs

Mémoire

Jonathan Lasnier

Maîtrise en sciences forestières

Maître ès sciences (M. Sc.)

Québec, Canada

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Enjeux innus et enjeux écosystémiques face à

l'exploitation des forêts du Nitassinan de

Pessamit:

Une convergence des préoccupations et des valeurs

Mémoire

Jonathan Lasnier

Sous la direction de :

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Résumé

Chez les Innus, le Nitassinan (territoire ancestral) représente encore aujourd’hui le lieu de transmission de l’Innu Aitun (mode de vie innu). Cette interrelation entre le territoire et la culture explique leur intérêt à participer à la gestion territoriale, notamment en foresterie. Comme mentionné par la Cour Suprême, l’établissement d’ententes entre les gouvernements et les communautés autochtones sera nécessaire pour la foresterie canadienne. L’expérience démontre, toutefois, que l’établissement d’ententes sur la gestion territoriale pose des défis. Dans cet esprit, la communauté des Innus de Pessamit a mis en place un processus dans le but de se préparer à faire valoir, auprès du gouvernement du Québec, leur vision d’une gestion intégrée des ressources et du territoire. Notre projet visait, plus spécifiquement, à explorer, avec certains acteurs clefs de la communauté, les convergences et les distinctions pouvant exister entre la vision innue de l’aménagement intégré et la vision de l’aménagement écosystémique du régime forestier du Québec. L’idée sous-jacente est d’explorer les avenues d’arrimages possibles entre ces deux visions. Le développement d’une vision régionale commune au territoire du Nitassinan concernant les enjeux socio-écologiques sensibles serait une étape utile pour l’établissement de futures ententes sur la gestion intégrée. Dans cette lignée, et en adoptant une démarche de cadrage des enjeux, un groupe de travail a été créé. Les discussions ont permis d’établir que plusieurs enjeux et valeurs s’arriment entre la vision innue de la gestion intégrée et les fondements de l’aménagement écosystémique. En effet, selon ces résultats, la notion de la protection du «tout» qui est exprimé par le discours innu trouve son équivalent dans la conservation de la biodiversité et la préservation des services écologiques du côté de l’aménagement écosystémique. De plus, les enjeux du changement de la composition végétale et de la destruction des habitats fauniques sont similaires.

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Table des matières

Résumé ... iii 

Table des matières ... iv 

Liste des tableaux ... vi 

Liste des figures ... vii 

Remerciements ... ix 

1.  Introduction ... 1 

1.1 Les ententes entre les gouvernements et les Premières Nations ... 2 

1.2 Défis du dialogue interculturel ... 4 

1.3 Une opportunité de dialogue en foresterie au Québec ... 5 

1.4 Opportunité de dialogue en foresterie avec Pessamit ... 7 

2. Mise en contexte ... 9 

2.1 Les pessamiulnuats, Pessamit et le Nitassinan ... 9 

2.2 Innu Aitun ... 9 

2.3 Bouleversements à l’Innu Aitun sur le Nitassinan ... 10 

2.4 L’évolution du contexte politique de Pessamit ... 11 

2.5 L’initiation d’un processus de réflexion et de dialogue ... 12 

2.6 L’initiation du projet ... 12 

3. Méthodologie ... 14 

3.1 La définition du projet ... 14 

3.2 L’approche méthodologique ... 15 

3.2 Enjeux et valeurs ... 16 

3.3 Identification préliminaire des enjeux ... 17 

3.4 Groupe de discussion : un processus de validation et de compréhension mutuelle . 18  3.5 Identification des convergences ... 20 

3.6 Limites méthodologiques de l’étude ... 21 

3.6.2 Ajustement ... 21 

4. Résultats ... 23 

4.1 Présentation des enjeux innus ... 23 

4.2 Présentation des groupes d’enjeux écosystémiques du MFFP ... 26 

4.3 Analyse des convergences d’enjeux ... 28 

4.3.1 Enjeux de l’ambiance de l’Innu Aitun ... 28 

4.3.2 Enjeux de destruction des lieux et paysages culturels ... 31 

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4.3.4 La protection de l’intégrité de secteurs intacts du nutshimit ... 35 

4.4 Analyse des convergences des valeurs ... 37 

5. Discussion ... 39 

5.1 Un premier problème de légitimité : l’absence de cogestion ... 39 

5.2 Un second problème de légitimité : écologie vs socio-écologie ... 40 

5.3 Distinctions culturelles ... 41 

5.4 Des pistes à explorer ... 41 

6. Bibliographie ... 43 

Annexe 1 : Principaux enjeux écologiques identifiés à l’échelle régionale ... 50 

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Analyse des convergences entre le groupe d’enjeux innus «Menaces aux composantes fauniques, floristiques, écologiques, riveraines et aquatiques de l’innu aitun» et les enjeux de l’aménagement écosystémique du Québec ... 30  Tableau 2: Analyse des convergences entre le groupe d’enjeux innus «Destruction des lieux et paysages» et les enjeux de l’aménagement écosystémique du Québec. ... 32  Tableau 3 : Analyse des convergences entre le groupe d’enjeux innus abordant « Les impacts du réseau routier sur l’accès et l’occupation du territoire» et les enjeux de l’aménagement écosystémique du Québec ... 34  Tableau 4 : Analyse des convergences entre le groupe d’enjeux innus «Protection de l’intégrité de secteurs intacts du Nutshimit» et les enjeux de l’aménagement écosystémique du Québec ... 36  Tableau 5: Analyse des convergences entre les des valeurs innues et les valeurs de l’aménagement écosystémique du Québec ... 38 

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Liste des figures

Figure 1: Schéma illustrant les acteurs impliqués dans le projet de mentorat ... 19  Figure 2 : Enjeux innus ... 25  Figure 3: Le développement durable; 1 concept, 2 visions ... 38 

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Tout est lié

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Remerciements

La réalisation de ce mémoire a été rendue possible grâce à la participation de plusieurs intervenants du secteur territoire et ressources de Pessamit, du secteur développement du territoire et consultations d’Essipit, du CERFO, du Cégep de Baie-Comeau et de l’Université Laval. Un remerciement au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport pour son financement dans le cadre du Programme de collaboration universités-collèges Je tiens à remercier plus particulièrement Marie-Hélène Rousseau et Éric Canapé pour leur orientation et leur appui. Un remerciement tout spécial à Marie-Ève Deshaies pour ta participation dans la synthèse.

Merci à mon collègue de bureau à Pessamit, Pascal, ainsi que mes collègues de bureau à l’Université, Patrice, Maude, Papy, Michel, Victor et Gabrielle. Un remerciement spécial pour ces longues heures de rédaction dans des cafés et des bibliothèques Anne et Vincent.

Un énorme merci à ma famille, je suis chanceux d’avoir été soutenu par vous durant ce projet; Maman, Papa, Valérie et Marie-Élaine.

Finalement, je tiens à remercier mon directeur, Louis Bélanger pour son appui indéniable et ses conseils plus que pertinents durant ces dernières années. Merci!

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1. Introduction 

Les Premières Nations au Canada ont un grand attachement au territoire (Lacasse, 2004; McGregor, 2011; Picard, 2010), leurs cultures millénaires lui étant intimement liées (Desbiens et Hirt, 2012). La profondeur de ces liens culturels explique, en partie, la tournure émotive de la plupart des enjeux territoriaux avec les gouvernements (Lacasse, 2004). Ce lien culturel est important à connaître pour comprendre leur forte volonté de prendre leur destinée en main en s’impliquant dans les processus de gestion des ressources sur les territoires où ils revendiquent des droits (Girard et Brisson, 2014). Leurs droits ancestraux sur leur territoire sont d’ailleurs reconnus par la constitution canadienne. Plusieurs décisions de la Cour suprême ont reconnu et réaffirmé l’existence de ces droits : l’arrêt Haïda et le jugement Taku River ont ainsi réaffirmé l’obligation de consulter et accommoder les communautés autochtones tout en prenant en compte leurs intérêts et valeurs lors de la mise en place de projets de développement (APNQL, 2007; Picard, 2010) afin d’ultimement en venir à des ententes. Ces processus doivent d’ailleurs être de bonne foi, tel que mentionné par la Cour suprême (APNQL, 2007).

Le cas de la gestion des ressources forestières du Canada ne fait pas exception à la nécessité d’arriver à des ententes. Dans un récent jugement de la Cour suprême concernant les activités forestières, la décision Tsilhqot’in a confirmé l’obligation du gouvernement de consulter et d’accommoder de manière plus efficace, les Premières Nations lorsqu’une occupation ou une activité territoriale vient à l’encontre des droits reconnus (Opalka, 2014; Parent, 2014, Beaudoin et al. 2015). Ce positionnement de la Cour confirme le besoin, mais surtout l’obligation d’impliquer les Premières Nations dans les processus de décision liés à la gestion des ressources qui est actuellement sous l’autorité des provinces (Wyatt et al., 2011). De plus, cette même institution judiciaire confirme que, si nécessaire, elle est disponible pour faire respecter les ententes, mais qu’elle ne peut pas servir d’autorité pour définir les droits.

Le monde forestier canadien commence à s’ajuster à cette situation. La prise en compte des besoins et aspirations des communautés autochtones dans l’aménagement forestier est ainsi en train de prendre une place spéciale dans la foresterie canadienne (Parsons et Prest, 2003; Wyatt, 2008). Il est dans l’intérêt des gouvernements d’accentuer l’implication des Premières Nations en foresterie afin de mieux intégrer leurs valeurs et intérêts

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(Parsons et Prest, 2003) et d’améliorer l’acceptabilité sociale des pratiques forestières en plus de les rendre plus durables.

Afin de parvenir à cette intégration, un renouvellement de la relation entre autochtones et non-autochtones est nécessaire afin d’inclure les Premières Nations dans la prise des décisions concernant la gestion des ressources forestières (Commission Royale sur le Peuples autochtones, 1996; McGregor, 2011; Picard, 2010). Un tel processus permettrait, en particulier, de favoriser la reconnaissance des Premières Nations comme un groupe d’intérêt distinct des autres utilisateurs du territoire (Stevenson et Webb, 2003). Cette évolution de la foresterie canadienne s’inscrit dans une structuration de la foresterie par les Premières Nations au Canada (Wyatt, 2008), une démonstration claire que la foresterie autochtone est en évolution depuis quelques décennies au Canada (McGregor, 2003).

1.1 Les ententes entre les gouvernements et les Premières

Nations

Le besoin d’entente est donc bien réel, afin que les relations et les litiges de gestion entre les gouvernements et les Premières Nations sortent de l’impasse. Le contexte de la foresterie n’y fait pas exception. À travers le pays, plusieurs types d’ententes ont été utilisés et ont permis aux communautés autochtones d’obtenir un contrôle et des responsabilités qui varient en termes d’importance. Dans une étude faisant le point sur les différentes formes de collaboration entre les peuples autochtones et le monde forestier canadien, Wyatt et al. (2010) ont identifiés quatre formes d’ententes permettant de formaliser les liens entre les communautés autochtones et les gouvernements. Par ordre décroissant de délégation de contrôle et de responsabilités aux communautés autochtones, il y a les traités, les ententes de gestion des ressources et du territoire, les accords sectoriels spécifiques au secteur forestier et, en dernier lieu, les protocoles d’ententes établis pour des questions particulières.

Les traités, qui incluent les règlements globaux, permettent aux nations autochtones d’obtenir une autonomie gouvernementale, notamment en ce qui a trait à la gestion des ressources et du territoire (Affaires autochtones et du Nord Canada, 2015; Wyatt et al., 2010). La signature de la Paix des Braves chez les Cris du Québec est un exemple d’entente à l’intérieur d’un traité. Il est le résultat d’une négociation hors cour, suite à un long processus judiciaire opposant les Cris au Gouvernement du Québec, concernant la divergence d’interprétation de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois

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(CBJNQ) (Waswanipi cree model forest, 2007). Cette signature a, entre autres, permis de formaliser la gestion territoriale et ses ressources forestières par une entente sur des adaptations particulières au régime forestier en vigueur, dont le suivi de la mise en œuvre est assuré par le Conseil Cri-Québec sur la foresterie. Cette entité a été créée avec le but de « favoriser une consultation étroite des Cris lors des différentes étapes de planification

et de gestion des activités forestières, afin de mettre en œuvre le régime forestier adapté.»

(CCQF, 2015). La Paix des Braves, l’entente entre les Cris et le Québec, a permis d’établir formellement la relation de nation à nation dans une optique de cogestion des ressources et du territoire (Lathoud, 2005). De leur côté, les ententes de gestion du territoire et des ressources permettent d’encadrer et structurer un processus de décisions communes associées à l’aménagement d’un territoire (Wyatt et al., 2010). La cogestion est le mode de gouvernance autochtone qui représente ce genre d’entente et plusieurs communautés y aspirent (Landry et al., 2010; Notzke, 1995; Picard, 2010). Finalement, les accords sectoriels en foresterie ainsi que les protocoles d’entente spécifiques, permettent la mise en commun des enjeux et aide à définir les modalités de la collaboration (Wyatt et al. 2010). Cela permet alors de structurer la prise décision entre les partenaires.

Toutefois, les expériences de la foresterie canadienne démontrent que les processus de dialogue enclenchés pour en venir à ces types d’ententes entre les gouvernements et les communautés autochtones peuvent être mis en place, mais qu’elles mènent difficilement à des ententes fonctionnelles.

Il en est de même au Québec, où plusieurs processus de dialogue sur la question forestière ont été amorcés entre les différentes nations et les gouvernements, mais s’avèrent être au ralenti. Les négociations avec les communautés innues d’Essipit, de Mashteuiatsh et de Nutashkuan, sur une entente de principe d’ordre général qui vise à ratifier un traité, sont en cours depuis plus de 10 ans. Les négociations avec certaines communautés innues se poursuivent depuis plus de 30 ans (Girard et Brisson, 2014). Ces difficultés de dialogue mènent parfois jusqu’à l’abandon des initiatives. Le cas de l’entente trilatérale entre les gouvernements du Canada et du Québec avec les Algonquins de Lac-Barrière est un exemple de processus qui n’a pas été concluant, et dont le financement a finalement été abandonné suite à 10 ans de travail qui visait à mettre en place un Plan d'aménagement intégré des ressources renouvelables (AADNC, 2015).

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1.2 Défis du dialogue interculturel

Le processus de constitution d’ententes n’est donc pas simple et se bute à d’énormes défis. Par exemple, le simple fait d’avoir des intérêts différents sur le même sujet rend le processus de collaboration laborieux (Wyatt et al., 2010). Le changement des intérêts et des préoccupations des partis prenantes dans le temps s’avère aussi être un défi important, spécialement dans un contexte où les processus de dialogue se déroulent sur de nombreuses années (Wyatt et al., 2010). De plus, la nature de la structure actuelle du système de gestion forestière ne facilite pas le dialogue. En effet, le système de gestion des ressources naturelles n’est pas neutre puisqu’il a été créé pour répondre aux visions et à la culture du groupe qui l’a mise en place obligeant les communautés autochtones à s’y adapter (McGregor, 2011). Dans ces circonstances, les parties prenantes du dossier forestier canadien ont tout avantage de porter une attention particulière aux stratégies qui favorisent un dialogue interculturel fructueux entre les communautés autochtones et les gestionnaires de la forêt publique.

Dans un contexte où les différentes parties prenantes qui participent au dialogue ont défini leurs propres enjeux, la compréhension mutuelle des enjeux est une stratégie favorable au développement d’une collaboration efficace (Conklin, 2006). La définition et l’importance d’un enjeu dépendent cependant du point de vue de celui qui l’a défini et des repères culturels qui peuvent être significativement différents d’un parti à l’autre (Crépin et Pernin, 2001). En effet, le schéma de pensée, ou cadre de référence, que possèdent les différents groupes, fait intervenir des repères sociopolitiques, économiques et culturels différents (De Carlo, 2004, Shumueli, 2008). Une meilleure compréhension du cadre de référence de chacun des groupes permet de mettre en évidence les terrains d’entente potentiels ainsi que les sujets potentiels de divergences (Biggs et al., 2011). Le terrain d’entente peut être représenté par des convergences sur des enjeux et valeurs partagées par les différents partis impliqués dans le dialogue (Sébastien et Brodhag, 2004).

L’étape qui permet une compréhension du cadre de référence de chaque groupe s’insère dans un processus de dialogue interculturel, puisqu’elle permet d’initier la connaissance du cadre culturel de l’autre groupe (Biggs et al., 2011). C’est une étape importante de la reconnaissance des enjeux (Adamowicz et al., 1998). Un cadre structurant les discussions doit aussi être en place afin de garantir la considération des droits existants (Wyatt et al., 2010). Ce cadre permet aussi d’assurer la reconnaissance des différences entre les partis

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quant à leur vision du monde ainsi que sur leurs connaissances de la thématique abordée (Wyatt et al., 2010). Afin de favoriser un bon dialogue, « les participants doivent définir

clairement les buts, comprendre comment les atteindre et fixer des indicateurs de réussite (ou d’échec) pour le suivi et l’évaluation » (Wyatt et al., 2010). La recherche d’une

direction commune à emprunter est ainsi une avenue qui s’avère être profitable dans le cadre d’un contexte de dialogue interculturel. Jacqmain et al. (2012) affirment que la préexistence d’une thématique commune aux différents partis, ainsi qu’une compréhension mutuelle de celle-ci permet de favoriser ce dialogue.

1.3 Une opportunité de dialogue en foresterie au Québec

Dans le cas de la foresterie québécoise, nous pensons que les récents changements au régime forestier du Québec, (Gouvernement du Québec, 2016) notamment l’adoption de l’aménagement écosystémique des forêts (AÉF), ont créé de nouvelles opportunités pour trouver des lieux de convergences entre les visions de la foresterie des Premières Nations et celle maintenant préconisée par le Québec. En effet, suite à un long débat social, le Québec modifiait en profondeur sa vision de la foresterie (Gouvernement du Québec, 2009, 2015). Au-delà du fait que le Québec et les Premières Nations adhèrent au concept d’aménagement durable des forêts (ADF) (Gouvernement du Québec, 2016; IDDPNQL, 2015), l’adoption d’une approche de gestion plus écologique et plus participative par la Loi

sur l’aménagement durable du territoire forestier pourrait faciliter le dialogue interculturel

sur l’aménagement des forêts. Tant le Québec que les Premières nations reconnaissent la nécessité de se doter d’une foresterie qui permettra de répondre aux enjeux écologiques, économiques et culturels de l’ensemble de la population, tant autochtone que non-autochtone (Gouvernement du Québec 2015, IDDPNQL, 2015). L’implication des Premières Nations est d’ailleurs nécessaire afin de parvenir à un aménagement durable des forêts (Beaudoin et al., 2015).

Les approches actuellement préconisées dans les communautés autochtones sont multiples. Plusieurs qui s’inscrivent dans la thématique de l’aménagement durable des forêts et d’une gestion plus écologique de la forêt. Chez les Cris, par exemple, la forêt modèle de Waswanipi a permis de structurer une vision d’une foresterie qui répondait mieux aux intérêts de la communauté et à son contexte socio-écologique (Jacqmain et al., 2012; Waswanipi cree model forest, 2007). Chez les Anichinabés de Pikogan, un cadre permettant d’évaluer l’atteinte d’une foresterie durable, selon la perception de la

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communauté, s’est structuré autour d’une série de critères et indicateurs (Germain, 2012). Au Labrador, les communautés innues ont été impliquées dans le processus de rédaction des plans d’aménagement qui concernait leur territoire ancestral, en vue d’en arriver à un aménagement durable des forêts. Il en a résulté « une structure s’articulant autour des

paysages écologique, culturel et économique, un réseau d’aires protégées servant des fins culturelles et écologiques, une attention accrue aux valeurs sociales et culturelles et une plus grande emphase accordée à la recherche et au monitoring » (Wyatt et al., 2011).

Il est intéressant de noter que le cas des Innus du Labrador et des Anichinabés de Pikogan, l’aménagement écosystémique a été vu comme le meilleur moyen de parvenir à un aménagement durable des forêts (Germain, 2012; Wyatt et al., 2011). Dernièrement, au Québec, c’est la communauté innue de Pessamit qui a développé sa propre vision d’une gestion intégrée des ressources et du territoire, un processus qui s’insère aussi dans une optique de développement durable du territoire (Rousseau et al., 2016).

Du côté du Gouvernent du Québec, la Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier a institué un régime forestier visant à implanter un aménagement durable des forêts, notamment par un aménagement écosystémique, afin d’assurer la pérennité du patrimoine forestier (Gouvernement du Québec, 2015). L'aménagement écosystémique des forêts propose une vision écologique de l’aménagement qui prend la forêt naturelle comme référence afin de maintenir la diversité biologique et la viabilité des écosystèmes, ce qui assure de soutenir la production à long terme des biens et services que nous procure la forêt (Grenon et al. 2010, MRNF, 2010). L’aménagement écosystémique, tel que défini par le Québec, a pour but de réduire les écarts entre la forêt aménagée et la forêt naturelle pour maintenir à long terme des écosystèmes forestiers fonctionnels et productifs pour fournir les avantages écologiques, sociaux et économiques qu’ils procurent (Grenon et al. 2010). Le Québec s’est ainsi lancé dans un processus pour cibler les enjeux écologiques afin de mieux aligner les interventions forestières et ainsi créer des paysages où l’on trouverait une large part des attributs et des fonctions des forêts naturelles (Jetté et al., 2013).

Fondamentalement, l’aménagement écosystémique est un nouveau paradigme d’aménagement forestier développé aux États-Unis et au Canada en réponse aux lacunes de la foresterie classique « à rendement soutenu », notamment en matière de conservation de la biodiversité (Booth et al., 1993; Franklin, 1989; Kohm et Franklin, 1997; Perera et al., 2004). Au Québec, les bases scientifiques et éthiques de l’aménagement

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écosystémique ont été développées par le monde de la recherche universitaire et gouvernementale (Bélanger, 2001; Bergeron et al., 2007; Bergeron et Harvey, 1997; Gauthier, 2008; Gauthier et al., 2008; Jetté et al., 2013; Messier et al., 2009; Vaillancourt et al., 2009). Au plan politique, c’est avec le rapport Coulombe (Coulombe et al., 2004) que l’aménagement écosystémique prenait une visibilité publique, l’une des recommandations clés étant que l’aménagement écosystémique soit au cœur de la gestion des forêts publiques du Québec.

En somme, les visions d’aménagement qui se développent en parallèle, tant du côté des différentes Premières nations que du Gouvernement du Québec, démontrent que la recherche d’un modèle d’ADF permettant de répondre aux valeurs et aux aspirations de l’ensemble de la population, tant autochtone que non-autochtone, fait consensus. En effet, des enjeux et valeurs sont partagés par les différents partis. Une étape nous sépare cependant d’un consensus et sur la manière d’y arriver, celui d’un un dialogue permettant de créer un concept commun.

1.4 Opportunité de dialogue en foresterie avec Pessamit

Notre projet se veut une contribution à la recherche de pistes pouvant favoriser le dialogue entre les Premières Nations et le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec (MFFP), en analysant, notamment, les convergences possibles entre les deux groupes, via une vision autochtone de l’aménagement durable des forêts et la vision de l’aménagement écosystémique du nouveau régime forestier du Québec. Il s’inscrit plus particulièrement dans une démarche de la communauté innue de Pessamit, pour faire valoir auprès du gouvernement du Québec leur vision d’une « gestion intégrée des

ressources et du territoire »(Rousseau et al., 2016).

La communauté des Innus de Pessamit, dont les membres se nomment pessamiulnuats, est liée depuis des millénaires à son territoire ancestral, situé sur la Côte-Nord (Charest, 2006; Frenette et Picard, 2002). Ce territoire est le lieu de pratique du mode de vie innu qu’on appelle l’Innu Aitun. Le Conseil des Innus de Pessamit a ainsi amorcé, depuis quelque temps, un processus pour établir sa propre vision d’un aménagement durable des forêts sur son Nitassinan et déterminer les moyens nécessaires pour la mettre en œuvre. Pour les acteurs forestiers de Pessamit, une foresterie acceptable doit assurer la perpétuation et la revalorisation de l’Innu Aitun sur le territoire et adopter des pratiques forestières qui répondent aux enjeux et valeurs de la communauté (Rousseau et al. 2016).

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Dans cette optique, la communauté de Pessamit établissait une collaboration avec l’Université Laval et le Cégep de Baie-Comeau afin de l’accompagner dans son processus.

En vue de se préparer à des discussions avec le ministère sur la mise en œuvre de l’aménagement écosystémique dans le domaine écologique de la sapinière boréale, qui constitue la forêt dans le sud du Nitassinan , il a été décidé par les acteurs du milieu forestier à Pessamit, d’amorcer une réflexion à l’interne sur les enjeux et les valeurs innues associés à ce territoire puis de cibler les convergences entre ces enjeux et valeurs des pessamiulnuats et ceux de l’aménagement écosystémique du Québec. En un sens, cette démarche faisait sienne la proposition de Conklin (2006) selon quoi une compréhension mutuelle des enjeux spécifiques à chacun des groupes interpellés par un dialogue pouvait constituer une stratégie favorable au développement d’une collaboration efficace. Ainsi, le développement d’une vision régionale commune concernant les enjeux socio-écologiques sensibles serait une étape utile pour l’établissement de futures ententes sur la gestion intégrée.

Notre projet visait, plus particulièrement, à cerner, avec certains acteurs clefs de la communauté de Pessamit, les convergences et les distinctions pouvant exister entre les enjeux et valeurs que les pessamiulnuats associent à leur vision d’une gestion intégrée des ressources et du territoire et ceux que l’on peut associer à la mise en œuvre par le Québec du concept d’aménagement écosystémique.

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2. Mise en contexte

2.1 Les pessamiulnuats, Pessamit et le Nitassinan

Située sur la Haute-Côte-Nord, la communauté des Innus de Pessamit est située entre Forestville et Baie-Comeau. Le Nitassinan (qui signifie « Notre terre » en langue innue), de Pessamit est d’une superficie de 137 800 km². Ce territoire était fréquenté traditionnellement par les membres de la communauté autrefois semi-nomade, qui y trouvaient les composantes naturelles et les services écologiques nécessaires à leur subsistance (Lacasse, 2004). Les déplacements sur ce vaste territoire étaient faits en empruntant le réseau hydrographique composé de grandes rivières comme la Betsiamites, la Manicouagan et la rivière aux Outardes.

Encore aujourd’hui, l’identité culturelle associée au Nitassinan est vitale pour la transmission de la culture aux nouvelles générations. Ce territoire représente en effet le lieu de transmission de l’Innu Aitun. C’est donc la perpétuation de la culture innue, qui inclue entre autres l’innu aimun (langue innue), qui en dépend. Les droits ancestraux, que la communauté n’a jamais cédés, y sont d’ailleurs toujours sous revendication (Lacasse, 2004; Picard, 2010). Au-delà d’être un territoire défini par des frontières géographiques, le Nitassinan répond aux besoins du mode de vie innu par l’entremise de ses services écologiques naturels qui sont nécessaires pour la pratique de l’Innu Aitun. La qualité écologique du Nitassinan est donc dépendante de composantes telles que la bonne qualité de l’eau et de l’abondance et la diversité naturelle de la faune et de la flore (Forsyth et al., 2003).

2.2 Innu Aitun

L’entente de principe d’ordre générale qui a été ratifié en 2004 entre les gouvernements du Canada et du Québec avec les Nations innus de Mashteuiatsh, Essipit, Pessamit et Nutashkuan devaient « servir de base à la rédaction d’un Traité qui sera un accord sur des

revendications territoriales et un traité au sens des articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. » (Conseil tribal mamuitun, 2004, p.1). Pessamit s’est retirée

des négociations en 2005, pour des raisons sur lesquels nous reviendrons plus tard (Regroupement Petapan, 2014).

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Les négociations ayant menées à l’entente de principe ont cependant mené au besoin de définir certains termes afin que les bases communes de connaissances sur les concepts abordées soient partagées par tous les partis. Les partis ont ainsi vu l’importance de définir des termes ayant une sensibilité culturelle. « Innu Aitun » en fait partie. Puisqu’il occupe une place importante dans le projet discuté ici, et qu’ils sont toujours reconnus, nous en donnerons la définition officielle. L’Innu Aitun a été formellement défini dans l’entente de principe d’ordre général, comme étant;

Innu Aitun

1.2 Innu Aitun désigne toutes les activités, dans leur manifestation traditionnelle ou contemporaine, rattachée à la culture nationale, aux valeurs fondamentales et au mode de vie traditionnel des Innus associée à l’occupation et l’utilisation de Nitassinan et au lien spécial qu’ils possèdent avec la Terre. Sont incluses notamment toutes les pratiques, coutumes et traditions dont les activités de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette à des fins de subsistance, rituelles ou sociales.

Tous les aspects spirituels, culturels, sociaux et communautaires en font partie intégrante. Les aspects commerciaux en sont toutefois régis par les lois canadiennes et québécoises prépondérantes.

1.3 Innu Aitun implique l’utilisation d’espèces animales, de plantes, de roches, de l’eau et d’autres ressources naturelles à des fins alimentaires, rituelles ou sociales, et à des fins de subsistance conformément à l’article 5.2.4.(Conseil tribal mamuitun, 2004, p.4)

Par son importance capitale dans la culture des pessamiulnuats, le concept d’Innu Aitun représente l’un des fondements sur lequel se base ce travail.

2.3 Bouleversements à l’Innu Aitun sur le Nitassinan

De grands bouleversements à l’Innu Aitun ont principalement eu lieu lors de la construction des grands barrages hydroélectriques et l’arrivée des coupes forestières industrielles dans la région. Soumis à la pression de grands projets dans les années 1950 et 60, le Nitassinan aura vu son réseau hydrographique modifié de façon importante sur les grandes rivières (Frenette et Picard, 2002). Les complexes hydroélectriques Bersimis (1956-1959) (Landry, 2009) et Manic-Outardes (1959-1978) (Gouvernement du Québec, 2013) viendront bloquer les routes de navigation et de portage qu’empruntaient depuis des millénaires les Innus pour accéder au Nitassinan et pratiquer l’Innu Aitun. Un patrimoine culturel important a alors disparu en moins de 20 ans chez les Pessamiulnuats. À cette

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époque peu d’égard a été donné aux familles qui fréquentaient ces territoires. « La

situation [était] d’autant plus critique que les autorités d’Hydro-Québec ne [tenait] pas compte des impacts de leurs différents chantiers sur les populations tant autochtones que non-autochtones » (Frenette et Picard, 2002, p.109). De grandes superficies de territoires

familiaux autochtones situés aux abords de ces cours d’eau seront inondées sans qu’il y ait quelconque avertissement ou consultation (Frenette et Picard, 2002). Certains estiment que près de 2000 km² de territoire familiaux ont été noyés pour créer les réservoirs des centrales hydroélectriques (Frenette et Picard, 2002).

2.4 L’évolution du contexte politique de Pessamit

L’orientation politique du conseil de 2002 à 2012 (Conseil des Innus de Pessamit, 2016) , jumelé à un contexte de négociation difficile sur différents dossiers avec Hydro-Québec et les gouvernements, ont mené Pessamit à se retirer des négociations dans le cadre de l’Entente de principe d’ordre général en 2005 et à prendre le chemin des tribunaux (Fortier, 2008). Ce conflit avec le gouvernement provincial, qui est devenu juridique, a considérablement écorché la communauté en plus de refroidir les liens entre le gouvernement et Pessamit. L’une des situations conflictuelles les plus médiatisées fut le cas de l’octroi d’un contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF) à la compagnie Kruger sur l’île René-Levasseur sans consultation préalable avec la communauté de Pessamit ainsi que l’échec dans le processus d’entente concernant l’utilisation des ressources forestière (Fortier 2008; Grammond 2009; Capone 2014). Ce conflit ne représente que la pointe de l’iceberg illustrant les défis existant sur la gestion des ressources naturelles entre la communauté de Pessamit et les gouvernements du Québec et du Canada (Fortier, 2008).

L’approche politique adoptée par Pessamit changeait toutefois en 2012, suite à l’élection d’un nouveau chef et l’abandon du processus judiciaire (Société Radio-Canada, 2012). Fort de l’évolution de la reconnaissance du droit autochtone, d’un climat politique favorable et d’un fort désir de réappropriation du Nitassinan par la communauté, Pessamit s’est lancé dans un processus de revalorisation de l’Innu Aitun sur le Nitassinan. Dans ces circonstances, le rétablissement d’un dialogue avec les intervenants du milieu forestier est vu comme une nécessité. Un réinvestissement dans les structures administratives du secteur territoire et ressources a été l’une des premières actions mises en place afin de coordonner le processus.

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2.5 L’initiation d’un processus de réflexion et de dialogue

 

Mis en place en 2011 et s’inscrivant dans ce contexte de partenariat, le projet « Mentorat

qui contribue au développement des compétences et d’une expertise en gestion intégrée des ressources forestières en milieu autochtone » s’est échelonné jusqu’à l’hiver 2015. Ce

projet de collaboration tripartite entre le Conseil des Innus de Pessamit, l’Université Laval et le Cégep de Baie-Comeau, avait Éric Canapé du Conseil des Innus de Pessamit et Marie-Hélène Rousseau de l’Université Laval comme les principaux maîtres d’œuvre (Rousseau et al., 2016). Le projet était financé dans le cadre du Programme de collaboration universités-collèges du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.

Le premier objectif du projet étant de permettre aux acteurs forestiers de Pessamit d’être accompagnés dans le processus de redéploiement de l’expertise en foresterie dans la communauté notamment avec les deux agents de liaison qui ont été employés dans le projet (Rousseau et al., 2016). Le redéploiement d’un suivi des activités de la communauté sur le Nitassinan en a résulté (Rousseau et al., 2016). Ce processus s’inscrit dans un désir d’affirmer l’autodétermination de la communauté sur son territoire. En effet, comme les gouvernements ont l’obligation de consulter et d’accommoder Pessamit, le développement de l’expertise dans la communauté permet d’être plus efficace dans la gestion des dossiers forestiers.

Un des autres objectifs de ce projet de mentorat a mené à une enquête afin de détailler les valeurs et intérêts, sur le Nitassinan, de différents groupes d’intérêts de la communauté, afin de documenter leur vision face à la gestion intégrée des ressources et du territoire (Rousseau et al., 2016). Dans le cadre de cette enquête, des groupes et des membres ayant des intérêts variés par rapport au territoire ont été rencontrés (Rousseau et al., 2016). Une première liste d’enjeux en a été le résultat. Les enjeux mis de l’avant dans le cadre de l’enquête du projet mentorat ont servi de première liste au processus de recherche qui sera présenté dans ce document (Rousseau et al., 2016).

2.6 L’initiation du projet

C’est dans ce contexte qu’il a été décidé, par des acteurs forestiers de Pessamit, en collaboration avec le projet de mentorat, d’effectuer une analyse des convergences entre la vision de Pessamit de la gestion intégrée des ressources et du territoire et la vision de l’aménagement écosystémique du nouveau régime forestier du Québec. Ces acteurs

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comprenaient certains élus responsables du dossier territorial, un membre du conseil tribal Mamuitum, les participants autochtones et allochtones du projet de mentorat ainsi que des agents territoriaux. Ce projet a été confié à l’auteur de ce document qui l’a réalisé dans la cadre de son mémoire de maîtrise. La mise en route du projet s’est amorcée avec une intégration de l’étudiant dans la communauté.

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3. Méthodologie

3.1 La définition du projet

La participation de l’étudiant dans le projet de mentorat a été approuvée par le conseil des innus de Pessamit et confirmée par l’envoi d’une lettre de la part du Chef du conseil. Il a été convenu à ce moment qu’un séjour d’immersion serait prévu dans la communauté. L’objectif de cette intégration était de lui permettre d’apprendre et mieux comprendre le contexte culturel, territorial et forestier de la communauté.

Ce séjour d’immersion de plusieurs mois de l’étudiant-chercheur dans le quotidien de la communauté de Pessamit s’est notamment réalisé par une participation aux activités quotidiennes de l’équipe du secteur territorial. Le projet de recherche, qui se déroulait dans un contexte interculturel, a été facilité par cette opportunité d’apprentissage et d’intégration pour l’étudiant chercheur. Cela lui a permis d’améliorer sa compréhension du contexte et les limites de l’étude.

Suite à ce séjour, le projet a été formulé dans une première version. Des commentaires ont alors été émis par des collaborateurs de la communauté. Le projet e été reformulé, dans la forme présentée dans ce document.

Le projet de l’étudiant était alors considéré comme une composante du projet de mentorat. Visant à élaborer un cadre de référence des enjeux innus sur le territoire forestier du Nitassinan, le projet s’est bâti sur la base d’une analyse secondaire des résultats de l’étude du projet de mentorat (Rousseau et al. 2016). Le CERFO a réalisé le cadre de référence des enjeux écologique pour le même territoire.

Les gens de la communauté impliqués dans le projet étaient des membres du projet de mentorat et des acteurs du service territorial. Il faut noter que le bureau du secteur territorial était en voie de formation au début de notre processus. Cette entité administrative a été mise sur pied pour faire la gestion des questions territoriales de la communauté. Le projet, dans sa forme approuvée par les membres, a obtenu l’aval éthique par le Comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l'Université Laval (CÉRUL). De plus, une attention particulière a été portée aux principes du Protocole de recherche des Premières Nations au Québec et au Labrador (APNQL, 2014), principalement concernant la méthodologie, la validation et la traduction.

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L’immersion a donné l’occasion à l’étudiant d’être impliqué directement dans le projet d’étude à plusieurs occasions. Il a, entre autres, été à l’origine d’un document de travail qui a servi à l’amorce des discussions par le groupe. Il a aussi participé à la préparation d’une synthèse de travail basé sur les résultats de Rousseau et al. (2016) afin que le groupe puisse travailler de manière fonctionnelle durant la série de réunion qui a suivi.

De plus, il a été à l’origine d’une présentation documentant ce qui se faisait en foresterie dans un contexte autochtone tant au Québec qu’ailleurs au Canada. Cela a permis à tous les membres de se faire une idée de ce qui se faisait ailleurs dans le domaine. Sa place dans l’équipe de coordination l’a aussi amené à être au cœur de la logistique des rencontres et du travail de préparation.

La rédaction des synthèses de travail issue des discussions a été l’une de ses contributions au processus méthodologique du projet. L’analyse des convergences, qui a été réalisée par la suite dans le projet, lui a aussi été confiée. Cette dernière étape est devenue l’un des principaux groupes de résultats de l’étude et s’avère aussi être sa contribution personnelle au processus.

3.2 L’approche méthodologique

L’approche adoptée vise à cerner les convergences et les distinctions entre les enjeux et valeurs que les experts pessamiulnuats en foresterie associent à leur vision d’une gestion intégrée des ressources et du territoire et ceux que l’on peut associer à la mise en œuvre par le Québec du concept d’aménagement écosystémique. Cette démarche en est donc une de cadrage des enjeux (problem-framing au sens de Bardwell (1991)) (Stankey et al., 2005). Un cadre cognitif (frame) est un modèle mental qu’une personne utilise pour interpréter le monde et qui est influencé par leurs convictions, leurs savoirs et leurs intérêts (de Carlo 2004, Shumueli 2008, Vincent et Shriver 2009). Pour qu’un enjeu soit retenu encore faut-Il qu’il soit compris, crédible et jugé suffisamment pertinent pour gagner l’adhésion des parties prenantes (Dennison, 2007). Le cadrage d’un enjeu comprend la recherche des savoirs (scientifiques et autochtones), la synthèse fonctionnelle de l’information pertinente, l’analyse des causes du problème, la modélisation conceptuelle de l’enjeu et sa communication. Le but est de dégager une description suffisamment claire

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d’un problème pour aboutir à une compréhension de la nature même du problème et à sa définition formelle (Feurt, 2008).

L’approche méthodologique d’identification des convergences et des distinctions entre la vision de Pessamit et la vision de l’aménagement écosystémique du Québec met aussi en application les principes de base d’une communication interculturelle efficace, dont la reconnaissance des différences culturelles (Auger, 2005), la reconnaissance mutuelle des enjeux importants par chacun des partis (Jacqmain et al., 2012) ainsi que l’identification des bases communes que possèdent les deux partis impliqués dans le dialogue. La compréhension et la mise en application de ces principes sont fondamentales dans un projet interculturel comme le nôtre. Ils ont d’ailleurs été utilisés lors d’un forum paritaire québécois-autochtone, et ont mené aux constats de l’existence de divergences, mais aussi de plusieurs intérêts convergents (Lepage, 2009).

La démarche a été menée dans un contexte où le dialogue menant à des ententes sur la gestion du territoire forestier est recherché entre Pessamit et le gouvernement du Québec. Elle s’est structurée autour de cinq étapes : i) l’identification préliminaire des enjeux a été réalisée grâce à l’enquête sur les enjeux innus de Rousseau et al. (2016), d’une part, et par la synthèse des enjeux écosystémiques de la Haute-Côte-Nord par le CERFO (Boulfroy et al., 2015) ; ii) la formation d’un groupe de discussion composé d’acteurs du milieu autochtone et de spécialistes en foresterie provenant du milieu non gouvernemental a permis la réalisation d’un travail de synthèse d‘enjeux; iii) le travail de synthèse s’est accompagné d’un effort de compréhension mutuelle entre les membres du groupe de discussion et une appropriation des enjeux par les acteurs autochtones de Pessamit; iv) Il en a résulté une synthèse des enjeux ainsi qu’une traduction de cette synthèse en innu aimun; v) finalement, l’analyse des convergences entre les deux visions s’est effectuée à partir de la synthèse fonctionnelle des deux listes d’enjeux et des valeurs qui leur sont sous-entendues. Les valeurs étaient pour leur part mentionnées sans être détaillées.

3.2 Enjeux et valeurs

Les concepts d’enjeu et de valeur étaient au cœur de notre processus. Un enjeu est, selon la définition la plus simple; « Ce que l’on peut gagner ou perdre » (Office québécois de la langue française, 2002). Les enjeux sont donc le reflet des problématiques et des craintes énoncées par des utilisateurs du territoire, mais aussi de ce qu’ils jugent essentiel à maintenir. Ils sont donc source potentielle de conflits. Les enjeux trouvent leurs origines

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dans un système de valeur. Ce dernier a d’ailleurs été pris en considération dans cette étude et lors des discussions.

Par définition, les valeurs sont « …des croyances persistantes selon lesquelles un objectif

de vie ou un mode de comportement est personnellement ou socialement préférable à l’objectif de vie ou au mode de comportement qui lui est opposé; elles définissent ce qui est désirable et indésirable.» (Auger, 2005, p.129). Les valeurs représentent la base

fondamentale de l’expression d’une culture et sont donc importantes à cerner puisqu’elles expliquent souvent l’origine profonde d’un enjeu. Dans le cadre du groupe de discussion, les valeurs n’ont cependant pas fait directement l’objet d’une analyse. Elles étaient plutôt sous-entendues et mentionnées.

3.3 Identification préliminaire des enjeux

Avant d’être en mesure de procéder à la recherche des convergences, il était nécessaire que les enjeux et les valeurs, d’un bord comme de l’autre, soient validés. Au début du projet, nous avions en notre possession des listes d’enjeux préliminaires innues et écosystémiques. L’identification des enjeux innus préliminaire a été rendue possible grâce au travail de Rousseau et al. (2016), dans le cadre de l’étude menée auprès de différents membres de la communauté qui fréquente le Nitassinan.

Cette liste d’enjeux a été détaillée et réunie sous forme d’un tableau synthèse. C’était le point de départ d’un processus d’itération. Cette première liste d’enjeux innus décrite de façon détaillée représentait le corpus de base du travail. Cette liste et son évolution étaient à la source du processus de cadrage (De Carlo 2004, Shumueli 2008, Vincent et Shriver 2009). Cette première étape a permis d’obtenir une liste initiale de 40 enjeux innus.

Pour l’identification des enjeux écosystémiques critiques pour une région, le MFFP a mis en place un processus structuré d’identification et de caractérisation des enjeux (Jetté et al., 2013). Les analyses d’écarts entre l’état actuel et préindustriel de chacun des enjeux ont été réalisées par les autorités de chacune des régions. Ces rapports de constats ont alors obtenu l’aval de la province. Le CERFO, partenaire dans le projet, a été mandaté pour analyser ces enjeux régionaux afin de les valider pour notre territoire d’intérêt, soit le domaine de la sapinière à bouleau blanc situé dans le Nitassinan de Pessamit (Boulfroy et al., 2015). Le travail a été fait avec l’expertise présente au sein de ce centre de recherche. L’analyse a été faite sur le territoire du Nitassinan de Pessamit. Un document synthèse en

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a résulté. Étant située dans le même sous-domaine bioclimatique que le territoire d’intérêt, la forêt Montmorency a aussi servi de référence comparative pour les discussions du groupe (Bouliane et al., 2014).

3.4 Groupe de discussion : un processus de validation et de

compréhension mutuelle

Les listes des enjeux innus et des enjeux écosystémiques ont été présentées à un groupe de discussion. Un mode de travail itératif a été adopté pour améliorer la compréhension, obtenir des commentaires, effectuer des fusions ainsi que des modifications sur le premier corpus innu. Les commentaires émis permettaient de regrouper et moduler les enjeux. Les données représentaient le cadre de départ.

Ce groupe multi partis agissait sous la direction du projet de collaboration formé de Pessamit, l’Université Laval et le Cégep de Baie-Comeau. Pessamit s’est adjoint des représentants de la communauté innue d’Essipit œuvrant en gestion territoriale et forestière, afin qu’ils puissent partager leur expertise. À ce groupe se sont ajoutés des membres du CERFO, pour leur expertise en foresterie, ainsi que Louis Bélanger, professeur en aménagement intégré à l’Université Laval pour son expertise en foresterie en contexte autochtone. Finalement, le Cégep de Baie-Comeau avait la responsabilité de coordonner et d’effectuer un travail de synthèse de l’information. Ce groupe de discussion s’inscrivait dans la réflexion à l’interne pour Pessamit, sur les enjeux et les valeurs associés à son territoire.

La figure 1 illustre les acteurs impliqués et la place de ce projet de recherche dans la structure du projet à Pessamit.

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Figure 1: Schéma illustrant les acteurs impliqués dans le projet de mentorat (tiré et adapté de Rousseau et al. (2016))

Au départ, les 40 enjeux innus du premier corpus avaient été présentés et validés par itération en groupe. Cette étape s’inscrivait dans une logique menant à la synthèse d’enjeux. Afin de synthétiser ces enjeux, une analyse inductive nous a permis de les condenser dans un format résumé, comme proposé par Blais et Martineau (2006). L’analyse inductive permet de « donner un sens à un corpus de données brutes mais

complexes, dans le but de faire émerger des catégories » (Blais et Martineau 2006, p.2).

Cette démarche de synthèse fonctionnelle s’inspire de celle utilisée dans le projet pilote d’aménagement écosystémique dans la réserve faunique des Laurentides (Table des partenaires, 2009).

La deuxième validation par itération a permis d’obtenir des commentaires de la part du groupe de discussion. Cela a permis la réalisation d’une version améliorée et plus juste des enjeux de la synthèse fonctionnelle. Cette nouvelle synthèse d’enjeux a été, par la suite, soumise pour validation. Il en a résulté une synthèse d’enjeux traduite en innu aimun. La synthèse finale représente donc un cadre de références des enjeux innus de Pessamit.

Ce cadre de référence synthèse découle donc d’un processus de deux itérations. Ce cadre a été validé par un responsable innu du groupe de discussion. Cette synthèse fonctionnelle a permis de structurer la liste d’enjeux en 3 grands groupes thématiques. Le travail de synthèse fonctionnelle qui était soumis au groupe de discussion permettait d’assurer la validité et l’entérinement des enjeux innus retenus dans la synthèse. Ceci a permis de peaufiner l’exactitude de l’interprétation des enjeux de réunion en réunion. Ce

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mode itératif a permis d’apporter les ajustements nécessaires en cours de processus. Durant les rencontres, les enjeux de la synthèse étaient discutés. Les composantes, étaient modifiées, changées et approuvées. Par ailleurs, durant tout ce processus, le travail du groupe de discussion aura permis des échanges et des apprentissages entre les différents membres. Ces apprentissages se sont notamment matérialisés dans la compréhension mutuelle des enjeux par chacun des acteurs du groupe (Daniels et Walker, 1996).

La traduction de la liste d’enjeux innus du français vers l’innu aimun a aussi été abordée en groupe. Ceci était jugé important afin de rendre accessible le travail dans la langue de la communauté, mais aussi comme moyen d’appropriation des enjeux par les membres innus du groupe de discussion. Il en a résulté une synthèse d’enjeux traduite en innu aimun. Ultimement, l’appropriation des listes d’enjeux aura été facilitée par ce processus méthodologique. La synthèse finale représente un cadre de références des enjeux innus de Pessamit. La liste traduite est disponible dans l’annexe 2. Nous tenons à mentionner que l’annexe 2 illustre une liste dont certaines composantes dépassaient le cadre de l’étude des convergences. Ces composantes n’ont donc pas été étudiées dans l’analyse des convergences

3.5 Identification des convergences

Les convergences sont définies comme étant le « fait de présenter des analogies, des

points communs » (Larousse, 2016). Dans le cadre de notre étude, elles ont été

représentées par des enjeux et des valeurs que semblait partager Pessamit avec l’approche écosystémique du MFFP.

À partir des convergences entre les valeurs et enjeux, il devient possible d’évaluer l’arrimage potentiel entre les visions des deux groupes. En partant d’un enjeu innu, l’analyste tentait de repérer un ou des enjeux écosystémiques qui ciblaient une thématique semblable. Ainsi plusieurs enjeux innus ont trouvé un homologue dans la liste des enjeux de l’AÉF identifiés par le CERFO. Ce travail a aussi permis de déterminer les enjeux innus qui ne possédaient pas d’homologue avec les composantes de l’AÉF; il s’agissait alors pour nous d’une distinction. Ces distinctions cernaient des valeurs ou des enjeux innus liés au territoire forestier, mais qui n’avaient pas de liens avec les objectifs de l’aménagement écosystémique adopté par le Québec. La prise en compte des distinctions

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est aussi intéressante que l’identification des convergences, puisqu’elle permet de cerner les éléments sensibles dans le processus de dialogue (Jacobson et al., 2009).

3.6 Limites méthodologiques de l’étude

La recherche par un non-autochtone sur un sujet impliquant une communauté autochtone est une limite en soi, tant au niveau méthodologique qu’éthique (Giabiconi, 2012). N’étant pas d’origine innue, une limite existe donc à sa compréhension de la culture profonde. Gentelet (2009) confirme cependant que le processus méthodologique impliquant un dialogue comme le nôtre permet de surmonter les défis associés à la collaboration entre membres autochtones et non-autochtone d’un processus de recherche. « L’enjeu du

dialogue est d’instaurer une communication entre des perspectives pas d’en éliminer une au profit d’une autre » (Gentelet, 2009). Dans ce contexte de dialogue, agissant à titre de

trait d’union entre la vision innue et la vision du Québec, le chercheur s’est efforcé d’assurer un rôle d’entremetteur entre les deux visions. Il ne pouvait cependant pas nier ses origines non-autochtones.

3.6.2 Ajustement

De prime abord, l’analyse proposée s’effectuait en prenant le concept d’aménagement écosystémique du Québec comme étant la référence sur laquelle nous allions fonder l’analyse. Cela avait pour objectif de démontrer comment l’aménagement écosystémique permettait de répondre aux préoccupations des Innus de Pessamit. Une approche similaire avait été testée dans le cadre d’un projet avec la communauté algonquine de Kitcisakik (Germain, 2012). Cependant, cette façon de faire s’est révélée être mal adaptée au contexte social de Pessamit puisqu’elle reproduisait une approche mainte fois reprise dans le passé par les gouvernements afin d’assimiler le système traditionnel autochtone. En effet, cette direction méthodologique reproduisait un modèle où le système majoritaire était le modèle à atteindre. Notre approche itérative nous a permis d’ajuster l’approche afin d’inverser le sens de la méthodologie (Anadón et Guillemette, 2007). Le sens de la méthodologie d’analyse a été inversé afin que la vision innue soit le concept de référence. Ainsi, il devient possible de vérifier quels enjeux et valeurs innues sont communs avec les préoccupations de l’aménagement écosystémique québécois. Cette proposition permet de donner la pleine légitimité à la vision innue, puisqu’elle prend la position de système de

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référence. La réflexion entourant cet ajustement s’inscrit plus largement dans un contexte de relations de nations à nations.

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4. Résultats

Le processus nous a permis de définir un cadre de références pour les enjeux innus. L’altération de l’ambiance forestière de l’Innu Aitun, du côté innu, et l’altération sévère de la forêt naturelle, pour le MFFP, sont des préoccupations fortes. À Pessamit, le processus d’analyse, de synthèse et de validation avec le groupe d’experts a permis de cibler la dégradation de l’ambiance forestière comme étant au cœur même des préoccupations face aux impacts de la foresterie. Le processus d’analyse de convergences entre la vision de Pessamit et l’aménagement écosystémique du Québec a permis de mettre aussi en évidence plusieurs convergences d’enjeux homologues ou similaires qui touchent particulièrement le lien entre l’ambiance forestière et les composantes naturelles. Toutefois, souvent les enjeux de l’un et de l’autre sont fondés sur des valeurs distinctes qui se reflètent à travers une perception différente de la forêt. Cette distinction s’articule principalement autour du fait que le concept d’aménagement écosystémique adopté par le Québec n’a aucun volet culturel, contrairement à la perspective innue.

4.1 Présentation des enjeux innus

Avec le groupe d’expert, le travail portant sur les enjeux forestiers innus aura permis de cerner une liste qui se détaille sous une thématique distincte soit la dégradation de « l’ambiance de l’Innu Aitun »

L’enjeu de la dégradation de l’ambiance forestière est en enjeu intégrateur qui englobe plusieurs composantes (figure 1). L’« ambiance forestière », qui a été subséquemment traduite comme le « e nutshimiu itenitakuet », est un concept qui a été avancé par les membres innus du groupe de travail pour caractériser de façon holistique l’impact de la foresterie sur l’Innu Aitun. Ce concept (groupe d’enjeux) est majeur pour les Innus, puisqu’il met en évidence les différents aspects de l’expérience vécue lors des séjours au nutshimit qui peuvent être détériorés par l’exploitation forestière. L’impact de la foresterie sur l’ambiance forestière comporte, notamment, quatre menaces; i) les menaces aux composantes fauniques, floristiques, écologiques, riveraines et aquatiques de l’Innu Aitun; ii) les impacts du réseau routier sur l’accès et de l’occupation du territoire; iii) la destruction des lieux et paysages culturels; iv) la protection de l’intégrité de secteurs intacts.

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i) les menaces aux composantes fauniques, floristiques, écologiques, riveraines et aquatiques de l’Innu Aitun :

Les composantes naturelles sont essentielles à la pratique de l’Innu Aitun. Leurs modifications qui sont observées, par rapport à l’état non perturbé industriellement, s’expriment sous différents aspects sur le Nitassinan. On note ainsi la destruction de l’habitat des espèces ainsi que leur déplacement. À cela s’ajoute un changement de la composition en essences par les coupes et les plantations ainsi que la perte de l’intégrité des milieux humides qui affecte les habitats riverains et aquatiques. L’altération des milieux aquatiques et riverains est particulièrement préoccupante pour les Innus. Une préoccupation existe aussi à l’égard des espèces végétales nécessaires pour le bois de chauffage et la cueillette de petits fruits et de plantes médicinales.

ii) les impacts du réseau routier sur l’accès et de l’occupation du territoire : L’accès au territoire est une composante critique, mais ambiguë de l’ambiance forestière. Les chemins forestiers sont au cœur de cette thématique. Ils sont à la fois importants pour assurer le déplacement et l’utilisation du territoire par les membres de la communauté, mais ils sont aussi associés à l’occupation et l’implantation de toute sorte de projets non-autochtones. Cette situation entraîne parfois des conflits en forêt. Le réseau a aussi un impact associé à la perturbation des habitats des espèces menacées ou vulnérables, comme le caribou forestier.

iii) la destruction des lieux et paysages culturels :

La présence de lieux culturels est au cœur de la pratique de l’Innu Aitun. En raison de leur irremplaçabilité, les impacts de l’exploitation forestière sur les lieux d’occupation actuelle et ancestrale du territoire sont critiques pour les Innus. Le maintien de la qualité de l’ambiance forestière des zones de campements (le site du camp et la forêt environnante) est, ainsi, une préoccupation majeure. La protection et conservation des sites culturels inclut, par ailleurs, les lekuashkan (sites de sépultures) et les mishue ka

ishi nametat innu (là où l’innu a laissé des traces; les sites archéologiques et

patrimoniaux) (Services territoriaux, 2003). À cela s’ajoute un désir de protection particulière pour les milieux riverains qui constituent des endroits culturels et

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patrimoniaux privilégiés. Les paysages patrimoniaux, associés à des complexes de lieux patrimoniaux, sont aussi au cœur de cet enjeu.

iv) La protection de l’intégrité de secteurs intacts :

Cet enjeu se reflète par un désir de créer une ou des aires protégées représentatives du Nutshimit (arrière-pays). Il met en évidence l’intérêt d’avoir des secteurs du Nitassinan sans activités pouvant perturber l’équilibre naturel, ce qui assure le maintien de la qualité de l’ambiance forestière du Nutshimit nécessaire pour la pratique de l’Innu Aitun et sa transmission aux futures générations.

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4.2 Présentation des groupes d’enjeux écosystémiques du MFFP

Pour mettre en œuvre l’aménagement écosystémique, le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs a adopté une approche « enjeu/solution » basée sur l’analyse locale des enjeux écologiques et le choix de solutions adéquates au moment de l’élaboration des plans d’aménagement forestier intégré (Jetté et al. 2013, MFFP 2016). Les enjeux ont été établis en évaluant les niveaux d’altération des attributs écologiques clés des forêts actuelles par rapport à la forêt naturelle de référence avant son exploitation industrielle. La définition des enjeux écosystémiques a débuté il y a déjà quelques années tant à l’échelle du Québec que de ses régions, les connaissances scientifiques commençant à donner un portrait assez détaillé des écarts entre la forêt actuelle et la forêt naturelle de référence. Le MFFP les a structurées autour de 6 grands groupes d’enjeux : i) les enjeux liés à la structure d’âge des forêts; ii) les enjeux liés à l’organisation spatiale des forêts; iii) les enjeux liés à la composition végétale; iv) les enjeux liés aux attributs de structure interne des peuplements et au bois mort; v) les enjeux liés aux milieux humides et riverains; vi) les enjeux liés aux espèces nécessitant une attention particulière pour assurer leur maintien (Jetté et al., 2013).

Selon des analyses réalisées (voir annexe 1), ces six grands enjeux sont aussi d’actualité dans la sapinière boréale située sur le Nitassinan de Pessamit (Boulfroy et al., 2015)

i) Enjeux liés à la structure d’âge des forêts;

Les enjeux liés à la structure d’âge sont liés à l’altération de la proportion des différents stades de développement des peuplements dans la forêt naturelle (Jetté et al., 2013). La raréfaction des vieilles forêts en est un exemple. Sur le territoire qui nous intéresse, il existe actuellement un écart négatif de 30% de la proportion de forêts mûres et surannées par rapport à l’état naturel, et ce spécialement pour les peuplements résineux : « l’enjeu

de maintien de la proportion des différents stades de développement des peuplements forestiers (particulièrement le stade vieux) [est] très problématique dans le territoire d’étude » (Boulfroy et al., 2015, p.34).

Actuellement, la proportion de territoire ayant un niveau d’altération sévère du territoire représente 70% de la sapinière sur le Nitassinan de Pessamit. Ceci est loin de la cible gouvernementale qui vise de maintenir ou restaurer un niveau d’altération faible ou modérée sur plus de 80% des unités territoriales (Jetté et al. 2013).

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ii) Enjeux liés à l’organisation spatiale des peuplements et des aires de coupes forestières;

Ce groupe d’enjeux concerne l’impact sur la biodiversité et les services écologiques de la répartition dans le territoire des différents types peuplements ainsi que des aires de coupes forestières (Jetté et al., 2013). Cette composante concerne, entre autres, la fragmentation et la connectivité des massifs de forêts

iii) Enjeux liés à la composition végétale;

L’exploitation forestière peut altérer la composition végétale à l’échelle d’un secteur (Jetté et al., 2013). Dans le territoire d’étude, on observe une diminution du couvert résineux qui s’accompagne d’une augmentation importante, suite aux coupes et aux feux, des peuplements feuillus dominés par le bouleau blanc (Betula payrifera), une essence pionnière (Boulfroy et al., 2015)

iv) Enjeux liés aux attributs de structure interne des peuplements et au bois mort;

Cette catégorie d’enjeux se réfère à « l’agencement spatial et temporel des composantes

végétales vivantes et mortes d’un peuplement » (Jetté et al., 2013). On y prend en

considération la distribution verticale du feuillage, la distribution horizontale de la canopée ainsi que le bois mort (Jetté et al., 2013). L’évaluation régionale a permis de déterminer une diminution considérable de peuplements susceptibles de contenir du bois mort (entre -12,5% et -19%). De plus, on y a constaté une diminution importante (entre 24% et 32%) des peuplements résineux ayant une structure complexe. Ces informations permettent d’affirmer que ce groupe d’enjeux est problématique sur le territoire (Boulfroy et al., 2015).

v) Enjeux liés aux milieux humides et riverains;

La riche biodiversité ainsi que l’importance des services écologiques propres aux milieux humides et riverains expliquent l’importance accordée à ce groupe d’enjeux (Jetté et al., 2013). Une analyse et un suivi sont en cours dans la région concernant les milieux humides d’intérêts et le potentiel d’élargissement à 60 mètres de la bande riveraine dans les secteurs nécessitant une protection des éléments sensibles de l’écosystème (Boulfroy et al., 2015).

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vi) Enjeux liés aux espèces nécessitant une attention particulière pour assurer leur maintien.

Sur le territoire à l’étude, des espèces floristiques menacées, vulnérables ou susceptibles d’être désignées sont présentes soit l’Hudsonie totemteuse (Hudsonia tomentosa) et l’Utriculaire à scapes géminés (Utricularia geminiscapa). De plus, 11 espèces animales menacées, vulnérables ou susceptibles d’être désignées ont été répertoriées en date d’octobre 2014. Il faut ajouter à ce nombre la situation particulière du caribou forestier qui se trouve un peu plus au nord et qui représente un enjeu important dans la région, mais qui est absent de l’essentiel de la sapinière à l’étude. En effet, cette zone ne fait pas partie du territoire d’application du plan de rétablissement de l’espèce puisque sa présence n’est plus qu’épisodique aujourd’hui dans le secteur sud (Équipe de rétablissement du caribou forestier, 2013). On explique cela en partie par le changement de couvert végétal et l’augmentation importante des réseaux d’infrastructure sur ce territoire (Équipe de rétablissement du caribou forestier, 2013).

4.3 Analyse des convergences d’enjeux

L’analyse des convergences aura permis d'en établir plusieurs, mais qui varient suivant un gradient variable de convergences. Certaines convergences correspondent à des enjeux que nous avons qualifiés de similaires. Elles ont un fondement comparable qui converge à partir d’une préoccupation très semblable. D’autres enjeux sont plutôt homologues, c’est-à-dire que la raison sous-jacente de la préoccupation est différente, mais l’enjeu de chaque parti tend l’un vers l’autre. Finalement, certains enjeux de l’un ou de l’autre groupe ne convergent pas.

4.3.1 Enjeux de l’ambiance de l’Innu Aitun

Suivant les résultats de l’analyse de convergence, le premier sous-groupe d’enjeux innus associés à l’ambiance de l’Innu Aitun (« Menaces aux composantes fauniques, floristiques, écologiques, riveraines et aquatiques de l’Innu Aitun ») est similaire avec l’ensemble des enjeux écosystémiques (tableau 1). Cela s’explique entre autres par le fait que les enjeux innus de ce sous-groupe sont axés sur le maintien du caractère naturel du territoire, de ses composantes forestières naturelles, de ses habitats fauniques et de la qualité de ses milieux humides et aquatiques. Ces préoccupations innues sont similaires aux enjeux détaillés dans le concept d’aménagement écosystémique du Québec. La

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convergence s’explique entre autres par le fait que l’ensemble des enjeux écosystémiques « couvre la plupart des préoccupations liées à la modification de la forêt naturelle » (Jetté et al., 2013, p.2), une préoccupation partagée par les experts en foresterie de Pessamit. Cependant, des systèmes de valeurs différents sont sous-jacents à ces enjeux similaires. D’un côté, les pessamiulnuats soulèvent ces enjeux afin de maintenir et retrouver la qualité du territoire nécessaire à la pratique de l’Innu Aitun, alors que le MFFP soulève ces enjeux afin d’assurer le maintien de la biodiversité et des services écologiques (Tableau 5). Ainsi, même si les valeurs culturelles de Pessamit et de Québec sont fondamentalement différentes, les deux groupes sont unis par un constat commun; l’écart existant entre l’état actuel de la forêt et l’état pré-industriel ou naturel est préoccupant.

Figure

Figure 1: Schéma illustrant les acteurs impliqués dans le projet de mentorat (tiré et  adapté de Rousseau et al
Figure 2 : Enjeux innus
Tableau 1 : Analyse des convergences entre le groupe d’enjeux innus « Menaces aux composantes fauniques, floristiques,  écologiques, riveraines et aquatiques de l’Innu Aitun » et les enjeux de l’aménagement écosystémique du Québec
Tableau 2: Analyse des convergences entre le groupe d’enjeux innus « Destruction des lieux et paysages » et les enjeux de  l’aménagement écosystémique du Québec
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