• Aucun résultat trouvé

Discussion des résultats

III. Interprétation et discussion

III. 1. Discussion des résultats

Dans la partie pratique, l’analyse des résultats de notre expérimentation et celle des corrélations nous ont permis d’interroger nos hypothèses de départ. La partie discussion permettra pour chaque hypothèse de mettre en relation nos conclusions et les données actuelles de la littérature. Une dernière partie fera l’objet d’une réflexion sur les limites et les critiques éventuelles de notre travail.

L’objectif de cette étude était de mieux comprendre la nature des détériorations phonologiques engendrées par la surdité. Mais les corrélations trouvées étant moyennes, il est difficile de les interpréter avec certitude, nous parlerons plutôt de tendances. De plus les corrélations n’ont été recherchées qu’entre deux variables à la fois, or il y a peut-être des

51

interactions entre variables qui restent à explorer (par une analyse multivariée), et qui expliqueraient les variations observées lors des exercices de phonologie.

Hypothèse 1a : Les performances des adultes présentant une surdité post-linguale aux quatre tâches phonologiques sont plus faibles que celles des contrôles, à la fois en précision et en temps de réponse. Les effets de la position et du type de traitement à effectuer dans les mots seront également discutés ici.

En comparaison avec des adultes normo-entendants, les adultes candidats à l’implant cochléaire réussissent moins bien les exercices phonologiques quant aux scores mais pas en matière de temps de réaction. L’hypothèse 1a est partiellement validée.

Les exercices phonologiques sont pour la plupart moins bien réussis quant aux scores par les adultes sourds post-linguaux : ils présentent un score significativement moins bon que les contrôles aux tâches d’élision phonémique, d’élision syllabique et d’intrus phonémiques. En revanche, aucune significativité n’est relevée concernant les scores des intrus syllabiques.

Les tâches d’élision et d’intrus permettent d’évaluer la métaphonologie, qui met en oeuvre la mémoire tampon phonologique. Elles évaluent la capacité des sujets à percevoir les sons et les comparer entre eux, et demandent au sujet d’accéder à la structure phonologique du mot. L’hypothèse d’une dégradation des représentations phonologiques chez des adultes devenus sourds, soutenue par des études antérieures (Lazard 2010 : rimes sur mots écrits, au niveau syllabique ; Lyxell 1998, 2003 : jugement de rimes, décision lexicale phonologique, et tâches de manipulation) est une nouvelle fois étayée ici.

Lyxell (1998, 2003) précise que les patients réussissent significativement moins bien que les contrôles les exercices demandant une utilisation explicite des capacités de traitement phonologique que ceux pour lesquels le traitement phonologique est certes nécessaire, mais moins central pour réaliser la tâche. Moberly et Nittrouer (2015) observent que les tâches impliquant un accès à la structure phonologique (jugement de rimes sur sons consonnes en début de mot et en fin de mot) sont significativement moins bien réussies par des adultes sourds post-linguaux implantés que celles impliquant la manipulation phonémique (répétition d’un mot à l’envers, en partant du dernier phonème). Nous nous attendions donc à ce que, de la manière, en comparaison avec les sujets contrôles, la tâche la plus significativement chutée par les patients soit la recherche

52

d’intrus. Or les exercices d’élisions sont aussi significativement moins bons chez les patients que chez les contrôles.

Nous supposions également que les temps de réponse des patients seraient plus longs que ceux des contrôles aux tâches phonologiques, mais aucune significativité n’est relevée ici au niveau du temps ni pour les deux exercices d’élision, ni pour les intrus syllabiques. Les patients présentent d’ailleurs même un temps de réponse significativement meilleur que les contrôles à l’exercice d’intrus phonémiques. Nous supposons, au vu de nos observations cliniques, et de leur score significativement moins bon à cet exercice, que les patients ont produit certaines réponses au hasard, car leurs capacités phonologiques ne leur permettaient pas de traiter un tel niveau de difficulté.

Selon Andersson (2002), l’atteinte des représentations phonologiques peut affecter la capacité à faire rapidement des manipulations phonologiques. Nos résultats ne nous permettent pas de valider cette hypothèse, les différences des temps de réaction des patients et des contrôles aux exercices phonologiques ne sont pas significatives dans notre étude.

1. Étude de l’effet du type de traitement (syllabique ou phonémique)

Les tests de Wilcoxon montrent d’une part que les scores des contrôles aux tâches d’élisions et d’intrus ne sont pas significativement meilleurs quand le traitement est réalisé au niveau syllabique qu’au niveau phonémique. D’autre part, ils indiquent que les scores obtenus par les sujets sourds sont meilleurs quand la manipulation se fait au niveau de la syllabe qu’au niveau du phonème, seulement pour l’exercice d’intrus. C’est en lien avec l’étude de Lazard et al. (2010) qui conclut que les performances phonologiques par des jugements de rimes syllabiques n’est pas un exercice assez discriminant.

Chez les sujets normo-entendants et chez les patients, les temps de réaction sont significativement plus grands pour l’élision syllabique que pour l’élision phonémique. Nous nous attendions à un temps de traitement plus long pour les phonèmes, qui demandent une recherche phonologique plus fine. Néanmoins, cette différence peut être due au fait que l’exercice d’élision syllabique a été proposé en premier lors des passations, et que face à des consignes aussi inhabituelles, donc non automatisées, les sujets ont tous eu besoin de temps pour se familiariser avec les manipulations demandées.

53

Chez les sujets normo-entendants et chez les patients, les temps de réaction sont significativement plus grands pour les intrus phonémiques que pour les intrus syllabiques. Le traitement au niveau de la syllabe s’apparente à un traitement des rimes, que les sujets ont l’habitude de repérer de façon inconsciente (poésie, chansons), et qui s’apparenterait plus à un traitement épiphonologique dans certains cas : la rime serait perçue inconsciemment, et l’intrus débusqué sans même faire appel à la métaphonologie. En revanche le traitement au niveau des phonèmes demandant des manipulations à la fois plus précises et plus inhabituelles, il était bel et bien attendu que le temps alloué au traitement soit plus long pour les intrus phonémiques.

2. Étude de l’effet de la position du traitement à effectuer

Les analyses ont été effectuées sur tous les items proposés dans les quatre exercices de phonologie. Seuls les exercices d’élisions présentent des différences significatives quant à la position dans le mot de l’élément à manipuler.

Les analyses au niveau de l’exercice d’élision phonémique, via le test de student, montrent pour les patients comme pour les contrôles des résultats significativement meilleurs pour les items traités en position finale. Comme cela concerne toute la population testée, il est possible que cette différence soit due au facteur test et non au facteur patient : la position finale au test d’élision phonémique est certainement un peu plus facile, ou bien l’élision phonémique finale est une tâche plus facile.

On observe au niveau de l’exercice d’élision syllabique, grâce à l’analyse ANOVA, un effet significatif de la position chez les patients et chez les témoins :

Au niveau des scores : les contrôles comme les patients réussissent significativement mieux les élisions syllabiques en position finale qu’en position intermédiaire. Seuls les patients, réussissent significativement mieux l’élision syllabique en position finale qu’en initiale.

Au niveau des temps de réponse : une forte significativité est trouvée pour les contrôles et les patients, qui font plus rapidement les élisions syllabiques en position finale qu’en initiale et qu’en intermédiaire. Seuls les patients sont plus rapides pour faire ces élisions en position initiale qu’en intermédiaire.

54

La position intermédiaire étant la plus difficile, et la finale la plus facile, pour les patients comme pour les contrôles, il est difficile de dire ici aussi si c’est le facteur test ou le facteur patient qui a causé cette différence.

En conclusion, les exercices d’intrus phonémiques, trop liés à la mémoire de travail, s'avéreraient moins intéressants pour évaluer les capacités phonologiques des candidats à l’implant. En revanche, les exercices d’élisions, s’ils restent intéressants au niveau du score, devront être interprétés plus prudemment au niveau du temps de réaction, qui n’est peut-être pas rallongé seulement par le déficit phonologique, mais aussi, chez certains patients, par l’effet d’une mémoire de travail moins solide. Ainsi, les exercices de phonologie les plus discriminants semblent être les exercices d’élision.

Hypothèse 1b : Les performances en fluence phonémique des adultes présentant une surdité post-linguale sont en dessous de la norme.

En moyenne aucun écart à la norme n’est constaté pour la population testée ici. L’hypothèse 1b est rejetée.

La moyenne des résultats des patients est dans la norme et un seul patient sur 19 présente un score pathologique. La littérature s’est peu penchée sur les corrélations entre perte auditive et tests de fluence verbale, phonologique et sémantique. La fluence phonémique évaluant principalement la flexibilité mentale spontanée, pour la récupération d’informations stockées en MLT a d’autant moins été explorée. Pourtant, quelques études s’y sont intéressées, considérant que la recherche en fluence phonémique requiert des manipulations phonologiques. Si ces recherches montrent généralement que les fluences verbales sont mieux réussies par les contrôles que les patients, les populations étudiées ne sont pas toujours comparables d’une étude à l’autre. C’est le cas chez Derieux et Guenser (2010) qui trouvent ces résultats, mais chez des adultes déjà implantés, alors que les patients testés dans la présente étude sont candidats à l’implant. Dans le mémoire de Lallau et Selem (2014), la population étudiée a un degré de surdité plus élevé que l’échantillon évalué ici. Classon (2014) a trouvé une différence significative sur la fluence phonémique (pas sur la fluence catégorielle), mais dans un échantillon d’adultes sourds post-linguaux, atteints de surdité moyenne à sévère, porteurs d’aides auditives bilatérales depuis 5ans au minimum.

55

Pour finir, l’étude de Santos et al. (2014), qui a recruté à la fois des patients implantés et des patients porteurs de prothèses auditives, ne trouve de différence significative que chez les sujets ayant moins de 10 ans d’études. Or les adultes ayant participé à la présente étude ont presque tous un niveau d’études supérieur ou égal au brevet, ce qui pourrait expliquer en partie que nous ne retrouvions pas ici de résultats significatifs.

Toutefois, l’étude des corrélations indiquerait que chez les candidats à l’implant testés ici, moins grand est le score au test de Lafon, moins les patients donnent de mots en fluence phonémique (score brut). Le score Lafon évoquant le degré de surdité, il existerait malgré tout une tendance à une corrélation légère entre le degré de surdité et les résultats de la fluence phonémique.

Hypothèse 2 : Il n’y a pas de différence significative entre les sujets sourds et les sujets normo-entendants sur la tâche contrôle d’empans de chiffres envers, mais les normo- entendants réussissent significativement mieux la tâche d’empans endroits. L’hypothèse 2 est validée.

L’empan endroit nous renseignant sur l’intégrité de la boucle phonologique (sous- système esclave de la mémoire de travail), il est attendu que les personnes privées d’audition aient des résultats significativement moins bons que leurs contrôles. Les scores d’empan endroit des contrôles étant en effet significativement meilleurs que ceux des patients, nous concluons que la population de sourds post-linguaux recrutée ne semble pas pouvoir s’appuyer sur une boucle phonologique aussi efficace que celle de la population contrôle. Il n’y a pas de différence entre patients et contrôles sur la tâche d’empans envers proposée.

L’empan envers a été choisi comme tâche contrôle car il indique la capacité de mémoire de travail, c’est-à-dire le nombre d’éléments que le patient peut garder en mémoire le temps d'effectuer une manipulation dessus. Ce score est donc intéressant pour éclairer l’interprétation des résultats aux exercices de phonologie, ces derniers demandant de maintenir en mémoire tampon un certain nombre d’informations phonologiques le temps d’effectuer la manipulation requise. Aucune différence significative n’est apparue entre patients et contrôles sur la tâche d’empans envers, ce qui est en accord avec les résultats les plus observés dans la littérature : l’étude des performances de sujets sourds sur des tâches réalisées avec suppression articulatoire (diminution de l’aide apportée par la

56

boucle phonologiques) et de manipulation de mots longs a permis de prouver que la mémoire de travail reste intacte malgré la surdité (Lyxell et al., 2003, Ronnberg et al., 2011). De plus, Classon (2014) avance que les sourds post-linguaux entraînent leur mémoire de travail car ils s’appuient dessus pour pallier leur déficit auditif, et compenser la détérioration de leurs représentations phonologiques. Ceci explique que, en dépit de la surdité des patients, leur mémoire de travail reste quasi équivalente à celle des contrôles. Ainsi, la réalisation des exercices de phonologie, au niveau des scores, n’a pas été plus influencée par la capacité de mémoire de travail pour les patients que pour les contrôles : les exercices proposés testent bien leurs capacités phonologiques.

Hypothèse 3 : Chez les patients, il y a un effet de la durée de surdité sévère à profonde et du degré de surdité sur les tâches phonologiques, mais pas sur les tâches d’empan. L’hypothèse 3 est partiellement rejetée.

Effet sur les tâches phonologiques :

Les résultats des corrélations indiquent que plus la perte auditive moyenne est conséquente, plus les scores et les temps de réaction à l’exercice d’élision syllabique se dégradent. De plus, moins grand est le score au test de Lafon, plus les résultats à l'exercice de fluence phonémique sont chutés. La perte auditive moyenne et le score Lafon évoquant le degré de surdité, il existe une tendance à une corrélation entre le degré de surdité et les résultats à l’exercice phonologique d’élision syllabique d’une part, et aux résultats de la fluence phonémique d’autre part. Cependant, aucune corrélation significative n’est trouvée entre la durée de surdité sévère à profonde et les autres tâches phonologiques. Plusieurs études s’interrogent sur les facteurs impliquant une détérioration des représentations phonologiques chez les adultes devenus sourds. Lazard et al. (2010) et Lyxell et al. (2003) tendent à mettre en évidence une corrélation entre la durée de surdité sévère à profonde et les dégradations au niveau phonologique, qui n’est pas complètement étayée par nos résultats.

En conclusion, les résultats aux tâches phonologiques ne sont pas corrélés avec la durée de surdité sévère à profonde, et ne le sont que partiellement avec le degré de surdité. L’absence de forte corrélation entre la durée de surdité et les performances phonologiques n’est pas en accord avec la littérature. On constate cependant que l’importance de la durée de surdité a beaucoup diminué car les patients portent des prothèses auditives qui leur permettent de garder une stimulation auditive.

57

Effet sur l’empan envers :

Dans notre étude, un effet du degré et de la durée de surdité sévère à profonde est observé sur l’empan envers. Encore une fois, il faut préciser que les corrélations trouvées ne sont que moyennes, il est difficile de les interpréter avec certitude. Ainsi, plus la perte auditive est grande et plus la surdité est ancienne, plus l’empan envers est faible dans notre groupe de patients. Il faut de plus garder à l’esprit, en accord avec Akeroyd (2008), que ceux de nos patients qui ont gardé les meilleures capacités de mémoire de travail augmenteront sans doute leurs chances de réussite à l’IC.

Les corrélations observées tendraient à montrer que plus l’empan envers est faible, plus les temps de réaction sont longs pour l’élision phonémique et pour l’élision syllabique (qui restent malgré tout moins réussies que par les contrôles).

Nous supposons que le fait que leurs représentations phonologiques sont moins stables, exige des sujets sourds un recrutement attentionnel très coûteux pour garder en mémoire les éléments à manipuler, ce qui demande un temps de traitement d’autant plus grand que leur empan mnésique envers est faible.

Une corrélation est aussi observée entre empan envers et score à l’exercice d’intrus phonémiques. Dans les exercices de recherche d’intrus, pour chaque item, le sujet doit effectuer des allers-retours entre les 4 mots à comparer, à la recherche de points communs et différences phonologiques, tout en gardant en mémoire les résultats de ses premières comparaisons pour éviter de perdre du temps à explorer plusieurs fois les mêmes hypothèses. Il semble que c’est surtout pour la recherche d’intrus phonémiques, qu’un tel niveau d’exigence pourrait avoir mis en situation d’échec les patients, qui auraient abandonné l’effort de traitement phonologique, et fini par ne pas répondre ou répondre au hasard. Rappelons que leurs scores aux intrus phonémiques sont significativement moins bons que ceux des contrôles appariés, alors que leurs temps de réaction sont significativement meilleurs. Nous supposons donc, qu’en état de surcharge cognitive, ils ont privilégié la rapidité de réaction à la précision des réponses, ce que corroborent nos observations cliniques lors des passations. Nous supposons que si ce phénomène n’a pas été observé pour la recherche d’intrus syllabiques, c’est que le traitement au niveau de la syllabe, plus écologique (cf. hypothèse 1) n’a pas occasionné un tel surcoût attentionnel.

58

Hypothèse 4 a : Les performances à la tâche de lecture de pseudomots en termes d’écarts- types (normes Phonolec, temps et score) sont moindres chez certains adultes sourds post- linguaux. L’hypothèse 4a est rejetée.

Les scores des sujets sourds en lecture de pseudomots ne sont dans l’ensemble pas moins bons que la norme. Leurs écarts-types sont légèrement inférieurs à la norme en temps de lecture, sans que cela ne soit pathologique. La lecture de pseudomots teste la voie dorsale phonologique. L’étude de Lazard et al. (2012) conclut que lors d’une tâche de rimes sur mots écrits, les adultes sourds post-linguaux délaissent la voie dorsale au profit de l’utilisation de leur voie lexicale ventrale, ceci pour pallier une insuffisance de décomposition phonologique. Leur voie sublexicale n’est donc pas nécessairement détériorée, l’étude de Lazard et al. ne concernant pas les voies de lecture elles-mêmes mais leur activation pendant une tâche phonologique. Nous n’observons pas de détérioration de la voie sublexicale.

Hypothèse 4 b : Les résultats aux tâches mettant en jeu la voie lexicale, décision lexicale et lecture de mots réguliers et irréguliers, ne sont pas chutés en termes d’écarts-types (normes Phonolec, temps et score). L’hypothèse 4b est validée.

La lecture de mots réguliers et irréguliers connus teste la voie lexicale. La décision lexicale visuelle évalue le lexique orthographique d'entrée et la voie lexicale. Aucune dégradation de la voie lexicale n’est établie par les résultats aux épreuves de lecture passées avec le logiciel Phonolec. Lyxell et al. (2003) observent néanmoins chez les candidats à l’IC une décision lexicale chutée quant à la précision surtout pour les homophones, c’est-à-dire quand un traitement phonologique plus fin est requis.

Documents relatifs