A. Discussion des résultats
L’hypothèse de travail est que des niveaux élevés d’IgA2 anti-venin d’abeille auraient un rôle
protecteur dans l’allergie. Les IgA2 étant impliquées dans l’immunité muqueuse, nous avons
opté pour un allergène à porte d’entrée transcutanée, le venin d’abeille. Le premier objectif de
ce travail était donc de mettre au point une méthode de dosage des IgA2 spécifiques. En effet,
seule la commutation vers le locus Cα2 impose l’excision du Cε, et comme stipulé par un article
publié récemment, il est probable que les réponses IgE pathogènes pour l’homme aux allergènes
soient en grandes partie générées à partir d’un LB à IgG spécifiques d’allergènes (Saunders et
al., 2019). Ceci implique donc que les LB à IgG4 peuvent commuter vers IgE.
Nous avons utilisé le système Phadia® pour réaliser les dosages des IgA2 spécifiques car cet
automate réalisait déjà en routine celui des IgE spécifiques. Cela permettait de conserver la
même technique de mesure, d’utiliser le système des ImmunoCap® et de rendre le dosage
automatisable dans notre laboratoire. Cependant, la première différence avec le dosage des IgE
spécifiques par cette méthode, est qu’il n’existait pas dans le commerce d’anticorps anti-IgA2
couplé à l’enzyme de révélation utilisée par l’UniCAP 100 de Phadia®. Pour pallier ce
problème, nous avons eu recours à une étape supplémentaire. En effet, l’Ac anti-IgA2 étant une
IgG1 de souris, nous avons ajouté un anticorps polyclonal anti-IgG de souris qui était couplé à
la β-galactosidase. Le système Phadia®, qui est un système automatisé, ne permettait ni l’ajout
de cette étape supplémentaire par l’automate, ni l’arrêt de celui-ci afin de réaliser manuellement
cette étape. Nous avons donc choisi d’ajouter directement l’Ac anti-IgA2 dans le tube contenant
l’IgA2 anti-TNF-α ou dans le sérum du patient contenant les éventuels IgA2 anti-venin
d’abeille. L’automate déposait ainsi le complexe IgA2-anti-IgA2 sur la phase solide de
l’ImmunoCAP®, il s’en suivait une étape de lavage, et enfin l’ajout de l’anticorps de révélation.
Plusieurs problèmes ont découlé de l’ajout de l’Ac anti-IgA2 directement dans le sérum du
patient. En effet, il fallait que l’Ac anti-IgA2 soit ajouté à une concentration largement
supérieure à l’IgA2 pour pouvoir être saturant et se complexer avec tous les IgA2 présents dans
l’échantillon. Ces complexes étaient alors déposés par l’automate sur la phase solide du cap. Le
volume mort de l’automate étant de 100µL et le volume analytique de 50µL, il était
nécessaire de disposer d’un volume supérieur à 150µL par tube. Les concentrations
physiologiques des IgA2 dans le sérum (0,5mg/mL) étant très importantes et l’Ac anti-IgA2
étant onéreux et difficile à obtenir, nous avons opté pour une dilution au préalable du sérum
des patients. La dilution permettait de réduire considérablement la quantité d’Ac anti-IgA2 à
ajouter dans chaque tube patient afin d’être saturant. Cette dilution a été choisie dans le but
d’obtenir des concentrations proches de celles des IgE afin de rendre cette méthode
automatisable en utilisant le programme des IgE spécifiques disponible sur l’automate.
Le deuxième problème identifié avec l’ajout de l’Ac anti-IgA2 directement dans le tube patient
est qu’il n’existe pas d’étape de lavage entre l’ajout de l’IgA2 anti-allergène sur la phase solide
et l’ajout de l’Ac anti-IgA2. Cette étape de lavage est pourtant nécessaire pour limiter le
phénomène de « zone » se créant quand l’Ac est en large excès par rapport à l’antigène ou
inversement. Ce problème aurait pu être évité si une étape de lavage supplémentaire avait pu
être ajouté à la méthode, comme nous l’avait présenté le fournisseur, ce qui n’était en réalité
pas possible. Les autres solutions pour pallier ce problème auraient été de faire synthétiser sur
la base de l’anticorps primaire un Ac conjugué à la β-galactosidase ou de changer la technique
pour un ELISA (Enzyme-Linked Immunosorbent Assay) au vu des concentrations
physiologiques en IgA2 sériques bien supérieures à celles des IgE.
La mise en place du modèle IgA2 anti-TNF-α avait deux objectifs : tester la spécificité de l’Ac
anti-IgA2 et réaliser une courbe de calibration propre aux IgA2. Grâce aux deux témoins
négatifs, IgA1 anti-TNF-α et IgA2 anti-CD20, nous nous sommes assurés de la spécificité de
l’Ac anti-IgA2. Cela nous a permis par la suite de comparer les niveaux d’IgA2 spécifiques
chez des patients. En revanche, nous n’avons pas réussi à mettre en place une courbe de
calibration spécifique aux IgA2, pourtant nécessaire pour réaliser une titration des sérums en
nous affranchissant de la variabilité du bruit de fond. Différentes causes peuvent avoir entravées
cette réalisation Tout d’abord, lors de la mise en place de ce modèle IgA2 anti-TNF-α, nous
avons été contraints de changer brutalement de lot de TNF-α ce qui a modifié le niveau du bruit
de fond. Ensuite, nous avons testé la sensibilisation du TNF-α sur les caps streptavidine en
utilisant une concentration fixe en IgA2 de 0,1μg/mL. Cette concentration avait été choisie pour
être équivalente aux concentrations de la borne supérieure de la gamme de mesure des IgE
spécifiques. Mais, les dilutions de l’IgA2 anti-TNF-α réalisées par la suite pour obtenir une
gamme de calibration proche de celle des IgE spécifiques n’ont pas été concluantes. Cet aspect
pourrait révéler un manque de sensibilité de notre dosage. Il pourrait s’expliquer par le manque
de l’étape de lavage entre l’ajout de l’IgA2 anti-allergène sur la phase solide et l’ajout de l’Ac
anti-IgA2. En effet, si l’allergène est présent à une faible concentration par rapport à l’Ac anti-
IgA2, le manque de cette étape de lavage peut entrainer le phénomène de prozone conduisant à
un dosage négatif. Il se peut également que les concentrations en IgA2 anti-TNF-α utilisées
pour la gamme soient trop faibles pour être détectées. Il serait judicieux d’effectuer une
gamme resserrée autour de la concentration de 0,1µg/mL d’IgA2 afin de vérifier si la
concentration permettant d’avoir le signal fluorescent maximal est proche de cette valeur.
Dans notre cas, il n’a pas été possible de réaliser une augmentation de concentration de l’IgA2
car il fallait alors augmenter celle de l’Ac anti-IgA qui n’était disponible qu’en quantité
limitée.
Après avoir validé la spécificité de l’Ac anti-IgA2, vis-à-vis d’une IgA1 de même spécificité et
d’une IgA2 de spécificité différente, et validé le choix du diluant (PBS-albumine) grâce au
précédent modèle, nous avons réalisé les dosages chez des patients. Comme nous n’avons pas
pu mettre au point une gamme de calibration, la lecture de ce dosage a été analysée à partir du
signal de fluorescence corrigé rendu par l’automate. Plus ce signal était important, plus il
reflétait une concentration élevée en IgA2 anti-venin d’abeille. Les dilutions des sérums
patients ont été réalisées au 1000ème et au 10 000ème. La concentration sérique en IgA2 étant
de 0,5mg/mL, la dilution au 1000ème permettait, d’effectuer le dosage dans les conditions
proches de celle mises au point dans le modèle TNF-α. La dilution au 10 000ème permettait de
s’affranchir d’un effet « post zone » si l’IgA2 était présente en quantité importante. Les
dosages des IgA2 spécifiques ont été réalisés chez des patients avant désensibilisation et des
patients après désensibilisation. L’analyse des résultats révèle une différence de signal du
bruit de fond entre le modèle IgA2 anti-TNF-α et le dosage des IgA2 anti-venin chez les
patients. En effet le signal du bruit de fond était faible (environ 300 UA) lorsqu’il s’agissait
des caps anti-venin d’abeille et au contraire fort avec les caps streptavidine (environ 3000
UA). Cette différence peut être liée à la sensibilisation différente des caps qui est une
sensibilisation directe pour l’allergène et indirecte pour TNF-α. En effet, le TNF-α était ajouté
manuellement sur le cap streptavidine dans des concentrations connues, alors que dans le cas du
cap anti-venin d’abeille, la sensibilisation est réalisée par le fournisseur avec une concentration
non divulguée. Cette observation pose la question de la pertinence de la réalisation d’une
courbe de calibration avec le modèle IgA2 anti-TNF-α.
Concernant les résultats du dosage des IgA2 anti-venin d’abeille chez les patients avant et après
ITS, aucune différence significative n’a pu être mise en évidence entre les deux groupes.
Aucune corrélation n’a été retrouvée entre le signal de réponse des IgA2 spécifiques et la
concentration en IgE spécifiques, ni avec la concentration en IgG4 spécifique.
En revanche, pour l’unique patient pour lequel nous disposions d’un dosage longitudinal, nous
observons une augmentation du signal IgA2 spécifiques au décours de l’ITS. De plus, chez ce
même patient, lorsqu’on compare les dosages des IgE spécifiques anti-venin d’abeille aux
résultats obtenus avec les dosages des IgA2 spécifiques, on remarque une tendance inverse. En
effet, la concentration en IgE spécifiques était plus importante avant qu’après la
désensibilisation. Ce qui parait logique quand on sait que la désensibilisation vise à diminuer la
synthèse d’IgE spécifiques. Alors que dans le cas des IgA2 spécifiques, le signal de réponse
aux IgA2 spécifiques augmente après l’ITS, ce qui est en faveur de notre hypothèse qui défend
le fait que les IgA2 spécifiques seraient un marqueur de protection contre l’allergie et de bonne
réponse à l’ITS. Nous n’avons par ailleurs pas retrouvé de lien entre l’histoire clinique du
patient et un signal faible ou fort de réponse en IgA2 anti-abeille. Notre période de recueil de
deux ans et demi nous a permis de récolter 57 sérums dont 21 ont pu être dosés en première
intention pour cette étude pilote (Annexe 4 et 5). Il est cependant, difficile à ce stade de tirer
des conclusions sans une étude de plus grande taille. En effet, du fait d’une rupture de stock
depuis mars 2018 des extraits standardisés de venin d’abeille utilisés pour la désensibilisation,
nous n’avons pas pu recueillir une grande cohorte de patient. Cette étude pilote devra être
confirmée par des études prospectives sur plusieurs années pour comparer les niveaux d’IgA2
spécifiques chez des patients ayant eu une désensibilisation efficace vs. échec de
désensibilisation.
Afin de valider la méthode de dosage et notre hypothèse, nous avons fait réaliser les mêmes
analyses par une autre technologie validée pour le diagnostic clinique. En effet, nous avons mis
en place une collaboration avec la société HYCOR Biomédical basée en Californie compétente
dans le dosage des IgE spécifiques. Cette société, intéressée par notre étude, développera le
dosage des IgA2 anti-allergènes par une technique de chimiluminescence. Elle nous permettra
ainsi, de valider notre hypothèse à plus grande échelle et de manière plus sensible. Les
démarches administratives ont été effectuées pour que les sérums anonymisés des patients
puissent être exportés.
A ce jour l’autorisation d’envoi a été validée par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et
de la Recherche et les sérums envoyés en carboglace.
Dans le document
Anne GATIGNOL DOCTORAT EN MEDECINE Thèse
(Page 47-51)