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Cette recherche a fait la lumière sur un objet qui n’avait toujours pas été analysé depuis la suspension du projet Grande-Baleine en 1994, encore moins pour le Nunavik. Ces questions sont restées pratiquement anonymes à l’exception de quelques chercheurs (Rodon et Schott 2014; Serra 2011; Gibéryen, Palliser, Rodon 2012) et aucun projet d’énergie n’avait vraiment reçu l’attention de la communauté universitaire ou des médias à l’exception d’évasives nouvelles, après la signature de

Sanarrutik et tout récemment lors de l’installation de panneaux solaires à Quaqtaq (Rettino-Parazelli

2017). Autrement, le grand dossier de l’approvisionnement énergétique au Nunavik est très peu connu. Ce manque d’intérêt pour cette question est surprenant considérant l’intensité de l’activité minière qui est anticipée dans la vision du Plan Nord. Ce projet de développement ne pourrait se réaliser sans une augmentation de la charge électrique dans le Grand Nord québécois (les mines sont énergivores) faisant de la question de l’approvisionnement énergétique un incontournable dès aujourd’hui.

L’examen attentif des politiques et des discours du gouvernement du Québec et d’Hydro-Québec révèle que des engagements plus ou moins précis ont été pris depuis 1994. Dans cette période, des initiatives ont aussi été propulsées au Nunavik. Néanmoins, le portrait de l’approvisionnement énergétique d’hier à aujourd’hui est resté pratiquement le même. En contrepartie, des projets hydroélectriques, certains d’envergure (la Romaine, Eastmain) ont été planifiés et mis en service ainsi que des parcs éoliens ailleurs qu’au Nunavik. Pourquoi? La seule exception au statuquo est la mise en place d’une robuste éolienne de 3 MW, sur des terres publiques attribuées à des intérêts privés pour la mise en valeur des ressources minières, principalement le nickel. Non que ce prototype ne soit pas exemplaire, mais sa géographie et ses objectifs n’ont rien de comparable à la réalité des communautés du Nunavik (catégorie de terres, clientèle, propriété du projet, ambitions sociopolitiques inuites, conditions de vie, etc.), si ce n’est que les conditions climatiques.

Ainsi, comme réponse au premier questionnement de cette recherche, le gouvernement du Québec et Hydro-Québec ne privilégie pas des projets de plus petites envergures. Il apparaît plutôt que dans un contexte mondial incertain – pour le marché des minerais et de l’énergie en particulier – toutes les options sont envisageables. Au dire même d’Hydro-Québec (Informateur Hydro-Québec, mai 2016, Montréal), il y a des projets pour le Nord, en l’occurrence le jumelage éolien-diesel qui est au goût du jour – et des projets pour les besoins du Sud, sous-entendant de grands barrages. Ainsi, notre analyse révèle que, malgré qu’Hydro-Québec dise à qui veut bien l’entendre que l’ère des

mégabarrages est révolue, un nouvel élément des marchés pourrait justifier d’aller de l’avant avec un grand ouvrage. À cet égard, à l’heure qu’il est, le phénomène des bitcoins est en observation (Rémy 2018). Grande consommatrice d’énergie, cette industrie pourrait considérablement faire augmenter la demande en électricité. En contrepartie, de grands ouvrages hydroélectriques ne verraient pas le jour avant un horizon de 10 ans, mais cela n’écarte pas pour autant à perpétuité cette possibilité.

Le gouvernement du Québec, en soutenant financièrement l’éolienne sur le site de Raglan, a fait un choix stratégique, envoyant un signal indiquant qu’il est engagé dans une transition énergétique. Il a également montré qu’il appuie la venue du secteur minier sur le territoire du Plan

Nord, et que cette exploitation du territoire économique se fera « dans le respect des principes du

développement durable ». Bien que tout à fait louable, cet investissement n’apporte peu, ou rien, à la société inuite et s’inscrit dans une vision de l’aménagement spatial et économique d’abord au profit du développement minier90, avant le développement régional ou communautaire et loin de l’émancipation politique des Inuits. Bien que la situation doive être suivie de près pour confirmer cette prétention, pour l’instant le gouvernement laisse paraître qu’il privilégie plutôt l’industrie minière avant les intérêts et les ambitions des Inuits en matière d’énergie.

Pourtant, les gouvernements québécois successifs et Hydro-Québec, aussitôt qu’en 1996, ont manifesté leur volonté d’établir avec les groupes autochtones un « véritable partenariat » et de promouvoir les projets énergétiques comme moteur de développement pour les Autochtones, en plus de chercher des solutions à la dépendance aux énergies fossiles des 14 villages inuits du Nunavik. Le bilan des réalisations démontre que les instruments politiques élaborés, avec plus ou moins de succès ont servi d’autres groupes autochtones (Cris, Innus, Micmacs), mais dans aucun cas les Inuits. Les stratégies étaient simplement inapplicables au Nunavik. Cette absence de sensibilité à la réalité énergétique apparaît être due à une conception des réseaux autonomes nordiques comme un monde à part. La stratégie pour ces réseaux a constamment consisté en l’efficacité énergétique et la réduction des coûts. Par ailleurs, l’application de la LRÉ dans les réseaux autonomes était floue jusqu’à une très récente décision de la Régie de l’énergie qui est venue préciser les règles du jeu et du marché dans ces réseaux (Régie de l’énergie 2017). De plus, le gouvernement du Québec n’a pas fait preuve d’une approche intégrée ni personnalisée pour promouvoir les projets autochtones en tant que « levier économique » au profit du groupe autochtone promoteur. Mais aujourd’hui, à travers le Canada, les groupes autochtones sont fort déterminés à utiliser les projets énergétiques comme moteur de développement de leur communauté et de leur autonomie, et ce qu’on aperçoit ne semble être que la

90 Mon commentaire exclut l’impact marginal que l’éolienne représente pour les communautés signataires de l’entente Raglan, soit une diminution des coûts d’opérations de la mine se traduisant par de plus grands profits, donc une distribution

pointe de l’iceberg. Il serait avisé pour le gouvernement du Québec de se doter d’un politique énergétique autochtone, clarifiant ses objectifs en la matière, pour mieux s’orienter dans les différentes requêtes des groupes autochtones de la province qui viendront sans en douter.

Paradoxalement, c’est à cause d’une logique développementaliste dominante, le Plan Nord, que la voix des Inuits, en matière énergétique notamment, est venue qu’à être entendue par les autorités politiques. En effet, depuis que les élites inuites se sont exprimées dans le Plan Nunavik, leur programme politique s’est confronté à celui du gouvernement. Ensuite de quoi, plus d’agilité et de précision dans les orientations et les actions du gouvernement et de l’appareil administratif peuvent être observées. C’est la première fois qu’un plan d’approvisionnement d’Hydro-Québec présente un plan d’action pour convertir toutes les centrales thermiques au Nunavik. La Régie a également rendu une décision (Régie de l’énergie 2017) confirmant que le cadre légal (LRÉ) permet la conclusion d’une entente de gré à gré, évitant un lourd processus de mise aux enchères peu adapté au contexte du Nunavik. Néanmoins, en dépit de cette avancée, le cadre politico-juridique ne confère aucun avantage spécifique aux Autochtones, donc à l’avancement des représentations inuites.

À ce sujet, il est clair que les projets énergétiques actuellement ne sont pas faits en « véritablement partenariat » avec les groupes autochtones. C’est surtout l’acceptabilité sociale qui incite les promoteurs à impliquer les communautés concernées dans le design du projet afin qu’elles fassent connaître les préoccupations relatives au territoire, notamment. Cet exercice permet aux communautés de s’exprimer, mais ce n’est pas un partenariat au sens d’une répartition égalitaire des pouvoirs. Il est vrai qu’un processus établi par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (chapitre 23) donne un certain libre arbitre à la Commission sur la qualité de l’environnement de Kativik, laquelle garantit une la représentativité des droits et intérêts des Inuits. Cependant, cette procédure ne peut pas faire en sorte que les Inuits se sentent le plus chez eux (Blattberg 2004, 17). Pour cela, il leur faudrait plus de pouvoir, non seulement par la rénovation de certaines structures, mais aussi en acquérant de l’expertise au sein de leur société. En effet, l’expertise est apparue comme une évidente source de pouvoir et d’influence pour les acteurs. C’est d’ailleurs en possession d’un savoir-faire qu’il est possible d’avoir un ascendant plus en amont sur le projet, soit au moment de choisir le l’emplacement. L’évaluation de potentiel d’un site n’est pas le fait de tout un chacun, mais de connaissances spécifiques. Pour le moment, l’expertise est réservée aux promoteurs énergétiques, à plus forte raison à Hydro-Québec. À l’évidence, en dépit de la Régie de l’énergie qui joue un rôle de modérateur entre les ambitions de la société d’État et le bien commun de la société québécoise, les positions d’Hydro-Québec sont souvent adoptées bien qu’elles soient mises à l’épreuve par des contre-expertises. Face à ce client corporatif expérimenté, les acteurs inuits, particulièrement les corporations foncières, sont peu outillés pour s’imposer d’égal à égal. Mais également au sein de la

société inuite, des rivalités existent et la concurrence entre les enjeux propres à certains acteurs inuits peut aussi expliquer la lenteur de la transition énergétique au Nunavik. Car effectivement, certaines corporations foncières et la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec tirent leur épingle du jeu du maintien des produits pétroliers comme source d’approvisionnement. Ainsi, un dialogue entre les parties inuites contribuerait à la mise en oeuvre de la conversion des centrales thermiques pour des projets d’énergies renouvelables, au bénéfice du Nunavik.

La situation de Nunavik pourrait gagner en priorité chez les décideurs politiques, et Hydro- Québec pourrait poser un nouveau regard sur les réseaux autonomes. À certains égards, le contexte énergétique du Nunavik s'apparente encore au début du 20esiècle quand les entreprises d'électricité

privées hésitaient à construire des infrastructures de distribution d'électricité dans les régions rurales en raison principalement des risques financiers que cette réalisation représentait :

« L'aventure [l'électrification rurale] n'étant pas à première vue rentable, les compagnies privées ont toutes les raisons du monde de ne pas la tenter. Cette façon de poser le problème se traduit par un cercle vicieux : pas d'argent, pas de ligne ; pas de ligne, pas d'électricité, pas d'électricité pas d'argent. Il faudrait bien finir par briser le cercle ! Qui en prendrait alors la responsabilité ? » (Fleury 2004, 68)

En outre, le rôle de la Régie de l’énergie devrait être revu, sa création étant la conséquence d’un « consensus très clair qui a été confirmé lors du débat public sur l’énergie » (Gouvernement du Québec 1996, 20) auquel seulement deux représentants des Autochtones participèrent (ibid. 18). À la lumière de l’évolution de la jurisprudence (tout récemment Chippewas of the Thames First Nation c.

Pipelines Enbridge Inc. et Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc. 2017), la question

de l’importance accordée aux Autochtones dans les décisions de la Régie de l’énergie devrait être discutée pour moderniser la position du Québec sur la place des intérêts et des droits autochtones dans la conception du « bien commun », à une époque où il n’est plus question de renier la nécessité de la décolonisation et de la réconciliation avec les groupes autochtones.

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