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CHAPITRE 6 DISCUSSION

6.2 DISCUSSION AUTOUR DES INTERRELATIONS EMOTION-COGNITION

La problématique générale dans laquelle s’inscrit cette étude est celle des interactions entre émotion et cognition. Il est établi que les processus cognitifs sont très sensibles aux états émotionnels (Izard, 1994 ; LeDoux, 1996) et que ces derniers peuvent être modifiés sous l’influence d’un traitement cognitif. Toutefois, la nature et les modalités de ces interactions restent mal connues, en raison, principalement, de l’absence d’un cadre de référence qui spécifie les processus qui y sont mis en oeuvre (LeDoux, 1996).

Dans notre étude, nous avons examiné les liens entre plusieurs traits émotionnels et capacités émotionnelles, d’une part, et la performance à diverses tâches cognitives, d’autre part, chez des sujets atteints de sclérose en plaques, affection neurologique à composante émotionnelle. Cette démarche, centrée sur les différences individuelles stables représente une approche nouvelle des liens entre cognition et émotion, dominée historiquement par l’étude de l’influence des états émotionnels transitoires.

Les résultats mettent en évidence que l’influence des émotions sur les performances cognitives n’est pas systématique. Elle se manifeste dans certaines tâches, mais pas dans d’autres et elle semble, probablement, dépendre d’une multitude de facteurs.

En accord avec la littérature existante (Luminet, 2004), nous émettons, précisément, l’hypothèse que les interrelations émotion-cognition sont dépendantes du type de tâche cognitive présentée, de la nature de la variable émotionnelle étudiée, mais aussi du type de contexte environnant.

En effet, les études sur les relations entre traits de personnalité et performances cognitives ont mis en évidence que les effets ne sont jamais directs. Certaines tâches cognitives sont facilitées par des scores élevés sur certains traits, d’autres - au contraire - sont associées à des performances moindres. En termes de sensibilité au contexte, un trait et une situation peuvent interagir pour

197 affecter l’état de l’individu et ensuite sa performance. Par exemple, des individus introvertis ou neurotiques réalisent des performances moindres uniquement dans des situations où le niveau de menace et d’activation émotionnelle est élevé (Eysenck et Eysenck, 1985).

Les recherches mentionnées ci-dessus portent, plus particulièrement, sur les liens entre les cinq grandes dimensions de la personnalité et les performances cognitives. Il n’existe pas vraiment de recherches examinant les liens entre traits émotionnels de la personnalité et traitement cognitif de l’information. Il nous paraît, toutefois, plausible, que dans ce dernier cas, également, les effets des émotions sur les cognitions soient médiatisés par la nature des tâches et des variables étudiées, ainsi que par le contexte d’évaluation.

En ce qui concerne les effets du contexte, par exemple, différentes théories nous renseignent sur les effets situationnels des états émotionnels sur les processus mnésiques. Les effets situationnels peuvent, en effet, soit améliorer la perception ou le rappel des items de nature affective, soit contribuer à leur dégradation (Humphreys et Revelle, 1984 ; Revelle et Loftus, 1990).

A la base de ces éléments, nous proposons une approche interactionniste selon laquelle les différences individuelles observées en termes de performance cognitive ne sont pas liées de manière mécanique aux compétences et aux traits émotionnels de la personnalité, mais dépendent d’une interaction plus complexe entre la personne et son environnement. Il ne nous semble pas, en effet, possible de comprendre les relations entre émotion et cognition qu’en interaction dynamique, sans considérer qu’une réponse précède l’autre, et toujours en prenant en compte l’influence de la personnalité. Il est démontré que les influences réciproques entre ces dimensions interviendraient déjà très tôt dans le traitement de l’information (Luminet, 2004).

Une autre raison qui nous oblige de considérer de manière simultanée les traits émotionnels et les caractéristiques de l’environnement, concerne la dimension adaptative des compétences et des traits émotionnels étudiés. En termes adaptatifs, en effet, il n’est pas toujours et, en toutes circonstances, souhaitable de posséder un score élevé sur une dimension émotionnelle donnée (Costa et Widiger, 1994). Avoir, par exemple, une réactivité très élevée aux émotions négatives n’est pas nécessairement bénéfique pour l’adaptation de l’individu et peut conduire à des performances moindres dans certaines tâches cognitives n’impliquant pas le traitement d’information émotionnelle.

En outre, il est possible qu’un score élevé sur une dimension émotionnelle ne prédétermine pas nécessairement des performances cognitives précises, mais plutôt une fourchette de réponses dans un spectre qui reste large. Il serait utile, ainsi, d’examiner en parallèle le score du sujet aux autres dimensions émotionnelles.

198 En ce qui concerne, plus particulièrement, les interactions émotion-cognition dans la sclérose en plaques, les résultats de la présente étude montrent que les tâches cognitives impliquant, plus particulièrement, les capacités mnésiques, la fluidité verbale et la vitesse de traitement de l’information sont les plus affectées par les états émotionnels.

Les interactions entre émotion et cognition dans cette maladie sont, toutefois, beaucoup plus complexes. A l’exception des traits émotionnels relativement stables, d’autres états émotionnels, comme l’anxiété ou la dépression, également étudiés dans ce travail, suggèrent des effets différentiels des émotions sur les performances cognitives et sous-tendent, même, que dans certaines circonstances le dysfonctionnement cognitif du patient SEP peut être occasionnel.

En effet, des conditions diverses, internes ou externes, peuvent provoquer une altération émotionnelle qui, à son tour, perturbe les capacités de traitement de l’information. La survenue, par exemple, d’un épisode dépressif majeur ou d’un stress important, risque de provoquer, au moins provisoirement, des changements cognitifs patents.

Un autre exemple de cette interaction est constaté pendant les poussées de la maladie où l’altération émotionnelle, exacerbée par la fatigue, débouche à un ralentissement de la pensée si dramatique, que le sujet se sent incapable de résoudre des problèmes cognitifs simples et d’accomplir ses activités quotidiennes élémentaires.

Dans tous les cas, notre travail ne fait que commencer et cette étude constitue notre première approche d’un domaine jusqu’à présent peu exploré. Cependant, nos conceptions théoriques se sont trouvées enrichies et de nouvelles perspectives sont apparues, qui pourraient fournir des éléments additionnels sur les débats entrepris. Les résultats suggèrent que les variables examinées doivent être prises en compte dans les recherches futures. Elles doivent aussi contribuer à l’amélioration des programmes de traitement de ces patients.

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