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IV.1 Validation de l’appareil d’automesure en dialyse

En premier point, l’analyse de Bland et Altman a montré que la méthode étudiée (Coaguchek) offrait une bonne comparabilité, au moins jusqu’à des valeurs d’INR de 3,5. Ceci est essentiel, car bien que l’objectif de l’utilisation de cet appareil soit notamment de dépister d’éventuels surdosages, le patient sous AVK demeure en général dans des fourchettes d’INR inférieures à 3 (17,5% des INR relevés dans notre étude en surdosage cf. supra).

Toutefois, en prenant en considération l’intégralité des mesures effectuées, la comparabilité n’était pas parfaite. En effet, il existait un biais positif de 0,2 avec la méthode de mesure étudiée lorsque l’on prenait en considération l’intégralité des mesures. Ce biais était assurément non nul car la valeur 0 n’était pas incluse dans son intervalle de confiance. Cependant, son existence demande à être relativisée. En effet, le biais « statistique » doit être nuancé par rapport à l’impact clinique qu’il engendrerait. En réalité, une discordance de 0,2 d’INR semble relativement acceptable en pratique clinique. De plus, ce biais moyen sur l’ensemble des mesures provient en fait de la différence des deux méthodes pour les valeurs élevées d’INR. Ainsi, en s’inscrivant uniquement dans les valeurs usuelles d’INR (inférieures à 3), le biais devenait nettement plus négligeable (+0,07) et les méthodes demeuraient tout à fait comparables dans cette fourchette de valeurs. La mise en évidence de ce biais positif aux hautes valeurs d’INR est concordante avec l’ensemble des données de la littérature (59,60,65,71). Dans l’étude réalisée par l’équipe d’Hoel (65) portant sur la comparaison des deux méthodes avec la warfarin chez les patients hémodialysés, un biais positif était également retrouvé, quoique moindre (+0,1) et non significatif. Ce biais pourrait provenir du type de thromboplastine utilisé (71).

Malgré tout, l’existence de ce biais qui augmente à mesure que les valeurs d’INR vont crescendo n’est pas négligeable. Ainsi, lorsque la valeur fournie par le Coaguchek semble excessive, c’est-à-dire supérieure à 3,5 d’après notre analyse, un contrôle standard au laboratoire doit être discuté.

En second point, la mesure de fidélité intermédiaire a montré que notre appareil obtenait un coefficient de variabilité inférieur à celui du fournisseur (1,7% contre 2,8%). Cette notion intéressante implique qu’une répétition de mesures pour un même prélèvement donnerait un

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résultat sensiblement identique. Cet élément constitue un argument de plus en faveur de la fiabilité du Coaguchek.

L’originalité de notre analyse provient de l’étude de la performance de l’appareil concernant un AVK qui n’est commercialisé qu’en France, la fluindione (Previscan®). En outre, il est également l’AVK le plus utilisé dans notre pays (81.4% des bénéficiaires d’AVK) (72). Nous n’avons pas mis en évidence de différence de fiabilité des mesures selon le type d’AVK. En ce sens, il ne semble pas déterminant de choisir la molécule d’AVK en fonction d’un souhait éventuel du suivi des INR par le Coaguchek.

Ainsi, dans la majorité des situations, la réalisation d’une mesure par le Coaguchek permettrait de surseoir à la réalisation d’une mesure standard au laboratoire.

IV.2 Evaluation du risque thrombotique fonction des INR et

de l’héparinothérapie chez les patients sous AVK

Notre étude met avant tout en évidence qu’une héparinisation du circuit de dialyse demeure encore une attitude systématique et complètement empirique malgré l’anticoagulation orale. Ainsi, dans notre centre, alors que 69% des séances d’hémodialyse chronique sous AVK s’accompagnaient d’une administration d’héparine, celle-ci était également effectuée lors d’un surdosage dans près de deux cas sur trois.

L’enquête exécutée auprès d’autres centres a confirmé l’absence de protocole clairement établi quant à l’attitude à adopter chez ces patients. De façon intéressante, nombreux sont les centres qui effectuaient des demi-doses d’héparine compte tenu de l’anticoagulation orale. Toutefois, en raison d’une héparinisation des circuits en aveugle de la valeur d’INR, cette attitude devrait être reconsidérée. Afin d’expliquer les difficultés pour interrompre toute héparinisation, l’une des hypothèses consisterait à penser que la labilité des INR rend difficile le sevrage complet de l’héparine. En effet, à l’occasion d’un sous-dosage en AVK (éventuellement non diagnostiqué) chez un patient ne disposant pas d’héparine, un accident thrombotique engendre une reprise de l’héparinisation lors des séances suivantes. Cette reconduite de la prescription d’héparine s’effectue bien souvent de séance en séance sans durée définie. Ceci est souvent justifié par le néphrologue en signalant que chez ce patient, il semble difficile de se passer d’héparine. Pourtant, le sous-dosage présenté par le patient peut très bien être un évènement isolé qui ne doit pas faire reconduire systématiquement l’héparinisation par la suite.

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De plus, rappelons que la mise en évidence de l’administration d’héparine en cas de surdosage en AVK n’a pu être portée que sur les seules séances où un INR était disponible. Ainsi, dans la plupart des cas, en l’absence d’INR disponible, l’héparinothérapie s’effectue en aveugle. Il est donc impossible de savoir dans quelle proportion les patients bénéficient effectivement d’une administration d’héparine en cas de surdosage, bien que notre étude apporte des éléments de réponses (63% des surdosages). Dès lors, il semble légitime de se demander si les complications hémorragiques chez les patients hémodialysés sous AVK sont exclusivement attribuables aux AVK eux-mêmes.

De ce fait, la mesure rapide de l’INR par le Coaguchek en début de séance permettrait d’éviter l’administration excessive de toute héparine.

Un autre aspect intéressant de notre analyse a été de montrer l’impact des AVK sur le risque de coagulation de circuit. Tout d’abord, nous avons établi une différence importante concernant les moyennes d’INR entre séances sans coagulation par rapport à celles avec évènement thrombotique. Ensuite, grâce à l’ACP, une forte corrélation (inverse) entre la valeur de l’INR et la coagulation de circuit a confirmé cette notion. Cette association entre INR et coagulation de circuit, bien que logique, n’a pourtant jamais été décrite dans la littérature. De façon surprenante, l’héparine semblait jouer un rôle nettement plus modeste dans la prévention du risque embolique au cours des séances par rapport aux AVK. Une première des hypothèses pourrait provenir de l’impact des membranes sur lesquelles de l’héparine a été greffée (dialyseur en polyacrylonitrile avec membrane à héparine greffée de type Evodial®). En effet, la très grande majorité des séances réalisées dans notre centre chez les patients sous AVK s’effectue avec de telles membranes. Ceci pourrait expliquer pourquoi l’effet de l’héparine retrouvé sur le risque thrombotique semblait faible. Toutefois, cette notion n’est pas univoque. En effet, l’équipe de Krummel (42,45) avait montré que les membranes héparinées n’apportaient aucun bénéfice supplémentaire sur le risque thrombotique parmi les patients sous AVK. Une seconde hypothèse pourrait être qu’un patient sous AVK, même sous dosé, demeurerait a minima anticoagulé, ce qui minimiserait le rôle de l’héparine.

Cette influence plus faible de l’héparine par rapport aux AVK était également distinguée lorsqu’étaient comparées les fréquences d’évènements thrombotiques au sein des différents groupes. En effet, si une différence significative était décelée quant aux séances sous AVK seul (3,3%) par rapport à l’héparine seule (4,5%), aucun écart significatif n’était retrouvé

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lorsqu’étaient comparées les séances sous AVK seul (3,3%) au regard de celles sous héparine et AVK (2,6%).

Le modèle réalisé à partir de l’AFD a également rapporté des résultats pertinents. D’une part, l’analyse corroborait les résultats précédents en retrouvant un impact mineur de l’héparine sur le risque thrombotique par rapport aux AVK. D’autre part, elle propose une fonction de classement avec un résultat de prédiction satisfaisant. Ainsi, en s’affranchissant de l’effet de l’héparine, et tout en ayant la meilleure spécificité (AUC maximale), le modèle précise qu’un patient qui présentera effectivement une thrombose aura dans 80% des cas un INR à 2,2. En outre, le modèle anticipe que dans 95% des cas de thrombose, un INR inférieur à 2,7 est constaté. Dans ce dernier cas cependant, la prédiction de l’absence de thrombose est nettement moins bonne (plus de faux positifs).

Bien que l’ACP et l’AFD aient été réalisées à partir d’INR non obtenues par le Coaguchek, mais par la méthode standard, le concept général serait d’utiliser les mesures obtenues par l’appareil d’automesure pour anticiper les évènements thrombotiques. De façon intéressante, la corrélation des méthodes étant bonne pour des INR inférieurs à 3.5, il serait donc possible d’extrapoler les modélisations obtenues par méthode standard à une utilisation par l’appareil. De plus, l’ensemble des valeurs d’INR obtenues par le Coaguchek et supérieures à 3,5 (donc avec la présence d’un biais) correspondait en réalité à des valeurs d’INR au laboratoire tout de même supérieures à 2,7. Ainsi, même dans les zones d’INR où l’appareil demeure le moins fiable (surdosage en AVK), on peut, d’après notre modèle, s’affranchir d’héparinothérapie tout en dépistant à 95% un éventuel évènement thrombotique.

Toutefois, la fonction de classement de l’issue présentée par le patient n’est pas parfaite. En effet, ceci s’explique par l’existence d’autres éléments entrant en ligne de compte dans la survenue d’un évènement thrombotique de circuit. Ainsi, le débit de sang, la qualité de la voie d’abord, les arrêts de pompe, l’hématocrite, l’ultrafiltration réalisée, sont autant de facteurs de risque de survenue d’un tel évènement. Par ailleurs, notre étude a retrouvé un impact du type du générateur, confortant l’impression donnée par l’équipe soignante. En conséquence, notre travail ne doit pas faire oublier qu’un accident thrombotique de dialyse demeure un évènement multifactoriel. La prise en compte de l’ensemble des facteurs à son origine reste indispensable afin de ne pas réduire l’évènement thrombotique au seul niveau d’anticoagulation du patient.

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Par le fait de son caractère rétrospectif, notre étude souffre de plusieurs limites. En premier lieu, nous n’avons pas pu contrôler l’intégralité des facteurs de risque thrombotiques dans notre analyse. Il n’est donc pas exclu que certaines coagulations soient dues en réalité à des facteurs confondants (biais de confusion) tels arrêts de pompes, faibles débits sanguins, etc. Cependant, le caractère rétrospectif s’est justifié par la faible prévalence de l’évènement thrombotique en dialyse (3 à 4,5%), rendant plus difficile un recueil prospectif. Cela nous a permis d’obtenir un nombre conséquent de séances comportant à la fois un évènement thrombotique et un INR, ce qui a rendu possible la modélisation.

En second lieu, nous n’avons pas étudié certains paramètres biologiques intéressants dans l’appréciation du risque de coagulation de circuit. En particulier, la mesure de marqueur inflammatoire telle que la protéine C réactive n’était pas présente. Le nombre de dosages n’était pas suffisant pour obtenir la puissance nécessaire à une analyse statistique fiable. De plus, faute de dosage, l’évaluation des produits de dégradation de la fibrine, les d-dimères, n’a pas pu être accomplie. Il s’agit pourtant d’un élément classiquement examiné dans les études portant sur le thème de la coagulation de circuit en dialyse (41,45).

En troisième lieu, il est possible que le nombre d’évènements thrombotiques ait été sous- estimé. En effet, pour que le recueil informatique fonctionne, il est indispensable que l’évènement thrombotique ait été rentré dans le logiciel par l’infirmière le jour de l’incident en question. Un certain nombre d’évènements n’a donc pas dû être renseigné, conduisant à une perte de puissance dans notre modélisation. En revanche, notre recueil a pu s’affranchir des biais de classement puisque les doses d’héparines étaient réellement administrées aux patients (validées par les infirmières) et non simplement des doses prescrites. Par ailleurs, nous n’avons pas pu séparer notre échantillon afin d’en conserver une partie pour tester le modèle. Compte tenu du faible nombre d’évènements thrombotiques présentant le même jour un INR, il nous a semblé plus judicieux de conserver l’intégralité des évènements pour créer la modélisation. Enfin, le modèle de notre analyse a été créé avec le type d’héparine administré dans notre centre, à savoir les héparines non fractionnées. Il n’est donc pas extrapolable aux centres privilégiant l’usage d’héparine de bas poids moléculaire comme méthode d’anticoagulation de circuit.

Ce modèle appelle donc une validation prospective afin de voir s’il permet à la fois de réaliser une épargne d’héparine, d’anticiper la survenue d’évènements thrombotiques, et

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éventuellement de diminuer la survenue de complications ischémiques ou hémorragiques, ces dernières n’ayant pas fait l’objet d’analyse dans la présente étude.

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