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Chapitre 1 -: Un discours politique travaillé

2. Un discours aux multiples facettes

2.3. Un discours pathétique : appel au pathos

« Le pathos est l’effet émotionnel produit sur l’allocutaire » (Amossy 2002 : 223), il ne faut cependant pas le confondre avec ce que ressent le sujet parlant, le pathos est le sentiment que le locuteur veut susciter chez son auditoire. Pour Chaim Perelman, il faut faire attention pour le locuteur de ne pas être trop passionné en effet il risque de perdre son but car pris dans l’ardeur de ses sentiments il négligera de s’adapter à son auditoire. Notons que « l’adhésion de l’auditoire aux prémisses détermine l’acceptabilité des raisons du sentiment. ». (Amossy, 2002 : 225) Dans notre corpus, l’auditoire adhère déjà au discours de Benoît Hamon il est donc prédisposé à ressentir des émotions que le locuteur veut lui faire passer.

Au niveau discursif l’émotion peut être alors mentionnée explicitement où être provoquée sans être désignée en tant que telle. Cependant « l’émotion s’inscrit dans un savoir de croyance (normes, valeurs…) qui déclenche un certain type de réaction face à une représentation sociale et moralement. » (Amossy,2002 : p 225)

Tout d’abord nous pouvons voir que le locuteur fait appel à ses expériences personnelles et il lui arrive même de faire appel à l’expérience de l’auditoire :

++ avec le travail euh qu’on:: a pu connaître↑ + que J’AI (met ses mains vers lui) pu connaître↑ + que VOUS (montre le public) avez pu connaître↑ souvent ++ euh: on se formait + on avait qu’un SEUl métier tout au long d’sa vie (mouvement de bras) + parfois plusieurs emplois↑ mais globalement un seul métier + certains d’entre vous ont peut être CHANgé de métier en cours de vie (mouvement de bras) mais >ils sont pas les plus nombreux↓ (section 3-2 à 7)

Puis, il oppose cette version du travail qu’il a pu connaître, comme le public, à celle que vivent les jeunes aujourd’hui et qui est synonyme de « précarité » avec des conditions totalement nouvelles « travail non salarié » (section 3-11) « contrat court » (section 3- 15). Benoît Hamon pointe alors du doigt les difficultés que les jeunes rencontrent pour trouver du travail, et les conditions difficiles lorsqu’ils en trouvent. Il fait appel aux souvenirs et émotions du public pour comprendre que ce que les jeunes pensent et vivent n’est pas la même chose. Le locuteur s’inclut alors aux côtés de l’auditoire. Il reproduit cela lorsqu’il fait référence à ses filles : « et vous allez dire quoi moi j’vais dire quoi à mes filles +3+ à mes p’tites-filles dans vingt ans↑ » (section 12- 12 à 13 et section 13-1).Il veut émouvoir son auditoire en parlant de sa famille, la question rhétorique permet de montrer que le locuteur cherche des réponses et qu’aucune réponse ne sera valable pour justifier le comportement et les choix du gouvernement. Cette question peut même être accusatrice. Il fait également référence à des personnes innocentes (ses filles, ses petites filles) qui n’ont rien demandé, ce qui peut pousser à l’indignation. Cela le rend humain et l’auditoire peut facilement se mettre à sa place (étant un public d’un certain âge, beaucoup ont des enfants ou des petits-enfants).

Il fait aussi référence à des expériences plus personnelles notamment lorsqu’il parle son passé de ministre de l’éducation :

+ j’ai fait↑ + que + quatre mois et d’mi à l’éducation nationale +3+ on s’est beaucoup moqué d’moi↑ (baisse la tête) en réalité j’p- ++ je peux vous faire la confidence↓ ++ j:: en fait j’aurai pas dû accepter↓ +++ j’aurai pas dû↓ ++ c’est ma fau- + mon ERreur politique + est d’avoir accepté↓ + mais je voulais p’t’être + mais j’me disais ++ (voix plus faible) “moi qui suis fils + de gens qui ont démarré euh: ++ MOdestement ++ se sont construits + que l’éducation nationale” + et et justement travailler à l’égalité + élus à trappes dans les yvelines en plus + ça m’tenais tellement à + j’avais tellement envie d’essayer mais j’aurais dû m’dire que:: ++ même avec toute l’énergie du monde + essayer avec >dans ce contexte-là je n’vais pas donner d’noms↓< + c’était + euh:::::: c’était vain↓+ et y’a des moments on fait pas les bons choix j’viens d’vous dire j’ai pas fait l’bon choix↓ (section 53-7 à 15 et section 54-1 à 4)

Il fait une longue allocution sur les raisons pour lesquelles il a accepté le poste de ministre, même si les conséquences qui ont suivi ont été désastreuses16. Il fait appel

aux émotions du public en évoquant son origine « modeste » (qui peut le rapprocher de l’auditoire et du peuple), et les moqueries qu’il a subies… comme pour se justifier des résultats obtenus lors de son passage au gouvernement et de son échec. Il essaie de mettre en avant la noblesse de ses intentions qui l’ont poussé à accepter ce poste : travailler à l’égalité. Il veut montrer aussi qu’il prend la responsabilité de « son erreur politique », qu’il n’a pas fait « le bon choix ». L’auditoire peut alors avoir de la peine pour le locuteur, et se dire que « ce n’était pas sa faute ». Des indices paraverbaux appuient cela : baisse la tête, prend une voix plus faible… comme pour apitoyer son auditoire.

Pour jouer sur le pathos il fait aussi appel à de grands thèmes qui vont toucher l’auditoire :

des entreprises ++ qui sont là + POUR + accompagner + le vieillissement et la fin d’vie↑> + de qui↑ +++ de nos parents↑ +++ de nos grands-parents↑ ++ ou de nous-même↓ +3+ ou de nous- même↓ +3+ (section 19-9 à 11)

Il dénonce dans ce passage les conditions de vie dans les maisons de retraite. Il pointe du doigt alors les personnes qui vivent dans ses maisons de retraite (via la question rhétorique « de qui ? ») en prenant à partie encore une fois l’auditoire avec l’utilisation du pronom personnel « nous » pour s’inclure aux côtés de l’auditoire : « de

nos parents↑ +++ de nos grands-parents↑ ++ ou de nous-même↓ » (section 19) après une pause

il répète d’ailleurs « ou de nous-même ». Il laisse alors le temps à l’auditoire de prendre conscience que lui aussi sera dans une maison de retraite et qu’il serait bon de se poser des questions quant aux conditions de vie dans ces dernières.

Il utilise le même type de procédé lorsqu’il parle d’un moment « difficile » le moment de la toilette dans les maisons de retraite :

dans ce moment qui est un moment PARticulièrement + euh un moment euh DIfficile + pour toute personne qui + euh + connaît euh + justement la PERte d’autonomie↓ + le moment d’la toilette↑ + qu’on + plusieurs d’entre vous ont sans doute fait des séjours à l’hôpital + quand c’est quelqu’un d’autre qui vous fait la toilette + ce moment où on est mis à nu (en mimant les guillemets) au sens euh + propre comme figuré c’est pas l’moment dans lequel + on sent on se sent le plus euh à l’aise est c’est sans doute le moment où JUStement + l’agent du service public ++ l’aide-soignant + la PERsonne qui est là↑ selon les GEStes qu’elle f’ra + selon les MOTS qu’elle aura↑ + euh ben Assurera qu’cette toilette est faite dignement ou pas↓ (section 22- 7 à 13 et section 23-1 à 3)

16À la suite de ses prises de positions avec Arnaud Montebourg, contraires à la ligne du gouvernement,

Il fait appel aux souvenirs de l’auditoire pour le pousser à se mettre en situation « plusieurs d’entre vous ont sans doute fait des séjours à l’hôpital », il parle de « dignité » de « mise à nu ». Il expose un moment de vulnérabilité, et la précision de cette mise en situation permet à l’auditoire de mieux comprendre le conflit que vivent les aides-soignantes. D’autant plus que par la suite il décrit la manière de faire la toilette : « V + M + C ++ plutôt qu’une toilette complète↓ + ventre + mains + cul ++ pas joli↓ ++ mais c’est comme ça qu’ça s’passe↓ » (section 23-12 à 13). Il parle assez directement justement pour provoque l’indignation dans l’auditoire, afin de choquer pour mieux dénoncer.

Il veut provoquer l’indignation lorsqu’il parle du chômage (section 29) il laisse alors transparaitre sa propre indignation « c’est incroyable » (section 29-11), et il recommence lorsqu’il parle du climat (section 12). Il souhaite aussi susciter un sentiment d’injustice lorsqu’il parle des décrocheurs et de l’école (section 45). Quand ilévoque certains sujets nous pouvons remarquer que ses propres sentiments transparaissent par des mots comme « incroyable » (sections 29, 31 et60)qui se définit dans le Larousse comme «Qui sort du commun, dont le côté insolite ou extrême amuse, surprend, irrite » car il est utilisé ici par Benoît Hamon comme un adjectif négatif. Il y aussi le mot « absurde » (sections 7, 12, 13 et 41) qui s’oppose à un comportement raisonnable (définit dans le Larousse par: Qui parle ou agit d’une manière déraisonnable). Il y a aussi cette phrase section 32 : « mais c’est TELlement énorme moi je je non >mais c’est c’est< juste que moi ça me donne + de de comment dire le HOquet presque » (section 32 1 à 2).

Nous voyons aussi que le locuteur se laisse emporter par ses sentiments lorsqu’il parle de Pierre Gattaz notamment (section 43) : il perd ses mots, sa voix change… Son indignation transparaît aussi au son de sa voix en (section 15) :

laSEUle mobilisation d’un état comme la france aujourd’hui + se limite pour l’essentiel à organiser des GRANDS sommets + avec des GRANdes multinationales du monde + pour leur donner la tribune comme vous m’la donnez aujourd’hui +

Ou encore lorsqu’il parle du président Emmanuel Macron en (section 16)

+ le président d’la + république actuel y CROIT + il parle que d’ça des start-up nation et nous inflige + le sourire béat euh de tous ces types qui sont tell’ment contents de faire du Pognon

Il lui reproche son « sourire béat », et dénonce ces personnes voulant à tout prix gagner toujours plus d’argent. Son niveau de langage familier nous renseigne sur sa

colère. Il montre aussi son indignation en (section 60) toujours contre Emmanuel Macron lorsqu’il oppose « lui » et le « nous » :

le + GÉnie d’un seul + serait supérieur au génie d’la nation↑ ++ que son intelligence à LUI euh + SUBmergerait NOTRE intelligence collective↑ (section 60- 10 à 12)

Il met en parallèle le président, « le roi »(section 61-1) avec la « nation », le peuple (dont fait partie évidemment le locuteur). Il cherche à provoquer de l’indignation chez l’auditoire en comparant le président à un roi, sachant l’histoire de France et le passé du peuple avec les rois (la révolution française et 1789) cela ne peut que fonctionner. Il veut alors pousser à une révolte, que le peuple agisse. Il fait cela aussi lorsqu’il s’adresse aux enseignants (section 56). Mais cela est encore plus clair à la fin du discours lorsqu’il s’adresse aux jeunes :

c’est + jusqu’à QUAND ++ abuseront-ils ++ de votre patience↓++ jusqu’à QUAND (applaudissements du public) ignorerez-vous vos propres forces↓+++ (applaudissements du

public) + jusqu’à quand +++ serez-vous vraiment + indifférents à la FORce qui est la vôtre↑ + par

++ la VIE qu’y est la vôtre d’ores et déjà + dans une période charnière↓ vous savez↑ + on est + fait l’cinquent’naire de mille-neuf-cent-soixante-huit ++ et on découvre que les avant-gardes d’hier sont d’venus + les Arrière-gardes d’aujourd’hui pour une partie d’entre elles↓++ que CEUX qui avaient imaginé euh + un monde libre finalement + ne ++ jurent que par + le libéralisme économique aujourd’hui + c’est triste mais + de l’odéon à macron + y’en a qui ont fait ce chemin- là et c’est assez désespérant↓ ++ mais on a pas TOUS + la chance d’être une génération charnière comme vous allez l’être↓ ++ et j’termine par ça j’ai parlé de l’usage plutôt qu’la propriété + votre expérience du travail + le le sentiment qu’il fallait ++ se préoccuper d’l’environnement d’l’écologie et cetera↓ ++ c’est la DÉcision d’votre génération d’faire + Éruption dans l’débat démocratique et politique + qui ENtraînera probablement toute la société derrière elle↓ ++ donc voilà↓ + jusqu’à quand abuseront-ils de votre patience↑ jusqu’à quand ignorerez-vous + votre propre force↓ + selon la réponse + que vous donn’rez à ces questions ++ vous contribuerez à ++ CHANger cette société + et je crois euh la société + européenne toute entière ++ OU PAS et celle de nos enfants + j’espère que ++ vous prendrez + TOTAlement euh euh::: + ben l’bon chemin dans les années à v’nir en tout cas moi j’veux vous dire que j’ai + totalement confiance en vous↓ je vous remercie↓ (section 62 à 64)

Il finit donc par un mot pour les « jeunes » ceux qui étaient à l’origine son auditoire. Il utilise alors une tournure de phrase qu’il reprend à Cicéron et qui donne du poids à ce passage. Il veut provoquer un éveil de conscience de son auditoire, des jeunes. Cette prise de conscience devrait pousser à l’action pour entreprendre un changement profond de la société. Si les jeunes agissent ils auront le pouvoir d’entrainer avec eux toute la société. Le locuteur donne de l’importance à cette génération en lui donnant du pouvoir, le pouvoir de changer les choses. Il appelle à la révolte contre le gouvernement et contre la société dans laquelle nous vivons. Il met en avant le « ils » totalement diabolisé et le « vous » qui représente les jeunes. Il fait alors appel au pathos et à l’instinct de révolte qui a été caractéristique des jeunes générations par le passé (par exemple mai 68). Il veut pousser à l’action en provoquant une remise en question.

Dans son discours, Benoît Hamon fait alors appel au pathos via des expériences personnelles qu’il partage avec son auditoire, des grands thèmes de société, ou encore en voulant faire agir et réagir son public. Il lui arrive aussi de faire parler des concitoyens (décrocheurs, aides-soignantes, enseignants…) pour émouvoir encore plus son public. Cependant il lui arrive de se laisser emporter par ses sentiments, mais étant dans un contexte d’auditoire conquis, ces moments-là ont tendance à le rendre plus humain. Il se construit alors un éthos d’homme politique proche du peuple car il ressent les mêmes émotions que lui, il est passé par le même type d’expériences.