• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 Un discours improvisé

1. Une oralité très présente

1.3. Commentaires et Auto-corrections du locuteur

Il existe aussi d'autres phénomènes spécifiques au discours qui est en train de se faire. En effet le locuteur peut exprimer certains éléments comme des commentaires comme s'il exprimait ce qu'il pensait, des excuses après des ratés d'élocution, des explications pour se justifier ou encore des critiques envers lui-même suite à certains ratés de paroles. Mais les variations ou les ratés ne sont pas forcément négatifs pour le locuteur ou son argumentation. En effet ils peuvent montrer une certaine liberté, et l'auto-correction montre une certaine flexibilité, une maîtrise de sa propre prise de parole (cf-I.1) tout comme un contrôle sur le langage qu'il est en train de produire. De même le fait de produire des ratés permet de donner un côté plus humain au locuteur surtout s'il s'auto-corrige (sinon il passerait pour ignorant ou incompétent). Le locuteur peut être conscient des ratés qu’il produit, mais il va faire le choix de les corriger ou non suivant ses objectifs. En effet, ces ratés peuvent donner une nouvelle dimension à sa prise de parole, une dimension plus naturelle car elle laisse entrevoir l''oralité contrairement à un discours écrit ou les phénomènes de variations peuvent être perçus différemment. Ce phénomène est surtout vrai s'il occupe une place assez haute dans la hiérarchie sociale ou dans son travail.

a) Commentaires

Le locuteur commente son propre discours comme « je ferme la parenthèse » (section 43-14 à 15) avec un commentaire pour exprimer son action (acte déclaratif avec un énoncé performatif). Ce commentaire lui permet de conclure une digression et de pourvoir revenir à son sujet de base ou au contraire pour passer à totalement autre chose. Cela montre aussi à l’auditoire qu’il est conscient qu’il s’est éloigné de son idée principale mais que cela a été fait consciemment notamment lorsqu’il parle de son histoire compliquée avec Pierre Gattaz car il est assez critique et virulent dans ce passage.

Il fait un autre commentaire « euh vot’ grand malheur c'est que j'ai aucun papier sous les yeux donc euh ++↑(rire) » (section 44-2)(notons l'élision de votre qui devient vot'), comme pour s’excuser d’être assez long dans sa prise de parole mais aussi pour bien signifier à son auditoire qu’il ne lit pas un papier, comme si tout était très naturel. Cela rajoute un aspect de sincérité : il ne lit pas donc il est plus naturel

Enfin « pardon d'parler comme ça » (section 48-7) où il s’excuse explicitement de la virulence, de la tournure de ses propos, ou de son comportement comme ici « voyez je m'excuse auprès d'eux » (section 53-5).Dans ce cas-là, métaphoriquement il présente des excuses à une certaine classe sociale via les papiers qui symbolisent la société de jeunes français. Il a jeté en l'air la partie des élites qu'il a vivement critiquées auparavant dans son discours mais il s'excuse auprès d'eux

b) Auto-correction

Le locuteur peut faire des erreurs au regard des règles grammaticales écrites, ces dernières sont alors susceptibles d’être corrigées, dans notre cas par le locuteur lui- même. « Les autocorrections témoignent du contrôle que nous exerçons sur notre langage tout en le produisant » (Blanche-Benveniste, 2003). Cependant, certains phénomènes sont plus propices à l’autocorrection que d’autres : on ne reprend pas ses élisions mais on peut reprendre ses variations lexicales ou ses ratés d’élocution.

Nous avons des erreurs qui sont alors corrigées directement par le locuteur.

«FORcément la même chose ++que CEUX+ les élites +qui aujourd'hui +dirigent la france>↓», (section 4-19 et section 5-1)

Il utilise un pronom démonstratif qui remplace un substantif masculin pluriel or on ne sait pas vraiment qui il désigne, c'est pourquoi le locuteur l'explicite par « les

élites » il s'auto-corrige quand il se rend compte que cela peut ne pas être clair pour l'auditoire : ici il y a reprise avec un enrichissement lexical ou chaque nouveau mot va préciser la pensée du locuteur.

Ceci est aussi visible dans «le troisième sujet qui (m’est?) la troisième réalité↑ ++ C’EST↑ en t’t cas l’affirmation FORte de la société française + c’est↑» (section 44- 5 à 6). Il va redéfinir près de trois fois avec des mots différents pour expliciter son idée : sujet – réalité – affirmation allant crescendo dans l’intensité du mot : énumération en gradation.

De même section 5, il définit son plan d'argumentation sur des questions mais il se rend compte que le premier point n'est pas une question, de ce fait il se corrige pour redéfinir son premier point comme étant une affirmation il essaie d'être plus clair, d'être plus précis dans ses propos. : « la premIÈre↑ + elle tient d’abord moins à une question (mouvement de bras) + en fait qu’à une affirmation↓ » (section 5-3 à 4)

Il s'auto-corrige aussi près une répétition « et c’est ça qu’il faut sur lequel il faut qu’on reprenne le contrôle↓» (section 41-10) en disant une première fois « et c'est ça qu'il faut » et se corrigeant en disant à la suite « sur lequel il faut » mais cette structure n’est pas juste non plus : on ne reprend pas le contrôle sur quelque mais sur quelque chose.

Nous voyons cela « ils viennent de voter un accord euh en tout cas d’dÉcider un accord » (section 41-14). Ici il parle de vote or le locuteur n'est pas sûr qu'il y ait un véritable vote, il temporise alors ses propos (notons l'élision de « de » à ce moment quand il cherche un mot qui convient plus à son idée).

Nous voyons aussi que l'auto-correction peut aussi être matérialisée par la pause qui lui permet de se rendre compte de son erreur ou de ce qu'il veut vraiment dire, et cela entraîne une auto-correction : « dans le rapport qu'ils ont à la propriété ↑++ (mouvement de bras) j’devrais dire à l'Usage + plutôt que la propriété » (section 2-1 à 2). Il revient alors sur ce qu'il vient de dire pour apporter des précisions à son raisonnement. Il y en a une aussi « vous remplaciez vous vous remplissez » (section 46- 2 à 3) ou le locuteur se trompe dans l'emploi du mot en utilisant un mot aux même sonorités (paronymes).

Nous voyons que le locuteur commence par utiliser un mot puis ne le finit pas pour en utiliser un autre avec une sonorité similaire : « est interess- les personnes intéressantes » (section 47- 1 à 2) (probablement le participe présent).

idée comme « le recrutement des lycées professionnels dans CERtains territoires++ et org- réserver le recrutement des +bAcheliers généraux dans d'autres territoires » (section 49-11à 13) ou : « les bacheliers pro sont faits↑+ destinés plutôt à poursuivre leurs études en bts » (section 51-1 à 2).Ici le verbe «faire » est corrigé pour employer le verbe transitif « destiner ». Nous voyons aussi cela : « désormais dIrect- remis directement remis en cause par >le fait que les universités vont décider des critères< +de sélection <dEs l'entrée à l'université↓> » (section 50-13 à 14), le locuteur veut parler trop vite, le mot risque alors d'être coupé, il se corrige pour dire le mot correctement.

Nous avons aussi une auto-correction avec le « de » qui doit subir une élision car le substantif qui suit commence par une voyelle il corrige ensuite l'article défini qui doit être au pluriel « de+ d'abandonner euh le les nouveaux rythmes » (section 48-11 à 12). Ici le locuteur qui construit son discours quand il le prononce ne prévoit pas forcément le mot qui vient après, il doit alors réajuster son propos.

Nous voyons donc qu'au début du discours il y a tout de même peu d'hésitations et de pauses silencieuses non voulues car le locuteur semble bien maîtriser son introduction. Les pauses sont alors plutôt utilisées pour organiser son discours ou pour appuyer son propos ou ses idées. Cela s'oppose au débit très rapide que peut avoir le locuteur durant son discours : il essaie d'en dire le maximum en peu de temps. Comme cela devait se passer dans une université, le timing devait être respecté. Les marques de l'oralité sont alors plus présentes quand le locuteur produit des digressions, quand il livre des anecdotes, des exemples ou quand il est plus dénonciateur. Quand les phénomènes de variations se produisent dans des parties que Benoît Hamon connaît bien et qui ont été travaillées, se sont plutôt des phénomènes phonétiques car le locuteur veut parler très vite. C'est lorsque le locuteur assume son rôle d'homme politique qu'il emploie un langage plus soutenu, et c'est dans les parties de digressions que l'on note son changement de registre vers un langage plus familier.

Les phénomènes d’élaboration du discours oral nous permettent donc d'en savoir plus sur le locuteur quand certains mots, événements lexicaux ou grammaticaux apparaissent et échappent à son contrôle. Ils peuvent aussi refléter la place du locuteur dans la hiérarchie sociale ainsi que la distance sociale et physique qui le séparent de l'auditeur (Duez,1999). Cela va donc aussi avoir un effet sur l'auditoire qui aura plus ou

moins confiance, jugera plus ou moins sévèrement le locuteur. Le débit de parole a le même type d'effet sur le public. Beaucoup de ses hésitations ou phénomènes de variation sont dus alors à cela et à un débit de parole très rapide qui sont directement liés à l'oralité et la spontanéité du discours. Nous voyons que Benoît Hamon se trouve dans une position complexe ce qui engendre des ratés de la parole, des répétitions…. Il produit tout de même des pauses (plus ou moins longues et plus ou moins volontaires). Ici le locuteur mêle alors position de pouvoir, car il est le chef de son propre parti et il parle à des personnes qui lui font plutôt confiance, mais il a la volonté de convaincre et de faire ses preuves car son parti est nouveau et il sort d'une période politique assez compliquée. Il est donc à la recherche d’une nouvelle crédibilité. Nous voyons que le locuteur produit alors des hésitations, des pauses, des phénomènes de variations ou des « ratés de la parole ». Ces procédés ne sont cependant pas systématiques, et ne remettent pas vraiment en cause sa compétence et sa connaissance de la langue. Ce sont des phénomènes attendus dans un tel contexte et qui sont synonymes d'une certaine liberté de parole. Le locuteur laisse entrevoir l'oralité de sa prise de parole en ne cachant pas le fait que son discours ne soit pas écrit sous ses yeux.