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Chapitre 2 Un discours improvisé

2. La prise en compte du nouveau public

2.3. Convocation du discours du public

Lorsque le locuteur convoque le discours du public, il doit anticiper les contre arguments ou les objections dans son discours sans pour autant qu'ils soient manifestés par le public : c’est le dialogisme interlocutif. Les occurrences relevant de ce type de dialogisme sont beaucoup plus rares dans le corpus (seulement 6 occurrences) : le public est le plus souvent convoqué comme récepteur-témoin des discours cités (énonciataire de discours de tiers ou de son propre discours – voir plusieurs exemples précédemment)

Mais parfois Benoît Hamon leur prête un discours qu’ils tiennent sur le moment, qu’ils vont tenir suite au discours de Benoît Hamon, ou qu’ils tiendraient si… Cela permet à Benoît Hamon, en plein monologue, de faire participer le public en lui prêtant un discours. Celui-ci peut être adressé à Benoît Hamon – qui mime alors un dialogue – au public lui-même – il s’agit alors de lui prêter un discours intérieur – ou alors non adressé à quelqu’un en particulier.

Dans l’exemple suivant, Benoît Hamon parle ici du test que lui-ministre de l’éducation et son cabinet ont fait pour voir s’ils maîtrisaient le socle d’acquis à la fin de la scolarité obligatoire.

>bon j’suis au regret d’vous dire alors vous allez m’dire c’est p’t-être pour ça qu’vous vous êtes planté hein< (sourire) (rires du public) mais euh:: j’suis au regret d’vous dire que nous ne maîtrisions + ministre compris + pas le socle↑ (section 55-1 à 3)

Il anticipe ici la réponse du public par rapport au discours qu’il est en train de tenir. Il est en train de montrer un discours convoqué sur le moment (cas de monstration du dire, traités juste avant) : « je suis au regret d’vous dire que nous ne maîtrisions pas le socle », et comme tout à l’heure, il interrompt la convocation de son propre discours après la formule introductive « j’suis au regret d’vous dire » pour indiquer la réaction du public au discours qu’il n’a pas encore prononcé. Le discours direct prêté au public est ici une forme de blague (ce qu’indique le sourire qui clôture le discours rapporté) et la réaction du public (rires) et instaurent une forme de proximité entre les deux par la teneur familière du propos. Benoît Hamon fait ici preuve d’autodérision

Enfin, certains cas mêlent l’autodialogisme et le dialogisme interlocutif en convoquant des discours attribués au nous (je + vous). Benoît Hamon utilise le pronom « on » (section 8-3, section 38-12, section 57-1, section 58-1) qui peut être interprété comme un on inclusif. Dans la section 59, l’extrait se situe à la suite directe de l’exemple précédent (Trump et son bouton)

il a quand même fait un tweet ++ parc’qu’il fait des tweets >vous savez des messages sur les réseaux sociaux< + il a quand même dit ++ à kimjong-un + le type qu’à mon avis qu’il faut pas trop provoquer quand même mais bon + il dit dans un tweet ++ attention + authentique + mon bouton nucléaire + est plus GROS qu’le vôtre +++ (grimace)(rires du public) donc on s’demande s’il parle de son bouton nucléaire ou d’autre chose↑ + doit vraiment y’avoir un concours + de de + c’est donc le PRÉsident des états-unis qui parle hein ++ et il dit et alors en plus + parce qu’il euh + comme il a + il va au bout d- d’sa pensée ++ et il dit et EN plus le mien il fonctionne + genre (rires du public) ++ ça marche pas trop bien + bon bref↓ + mais + mais donc + on a envie d’lui dire le tente pas trop quand même kimjong un parce que s’il appuie et qu’ça marche + euh on va pas être bien↑ + mais c’est l’NIveau du président des états-unis (section 59-3 à 14)

Il s’agit ici d’une réponse que lui et le public (tout le monde ?) auraient envie de faire à Trump suite à son tweet à Kim Jong Un. Le discours est une forme de DD, avec une dislocation à droite de l’objet. Le discours ainsi convoqué est là encore plutôt familier, et à la modalité impérative (comme si on pouvait donner un ordre à Donald Trump…), immédiatement suivi d’une justification introduite par « parce que », comme Benoît Hamon le fait habituellement.

Il peut aussi interpeller directement le public, mais le public qu’il avait construit au départ, c’est-à-dire les jeunes auxquels il va donner des conseils :

donc j-j’vais terminer par un mot + euh ++ pour eux↓++ et vous m’en voudrez pas pour les autres↓++ la SEUle question + y’en a deux ++ que vous d’vez vous poser ++ c’est + jusqu’à QUAND ++ abuseront-ils ++ de votre patience↓++ jusqu’à QUAND (applaudissements du public) ignorerez-vous vos propres forces↓+++ (applaudissements du public) + jusqu’à quand +++ serez- vous vraiment + indifférents à la FORce qui est la vôtre↑+ (section 62-6 à 11)

C’est ici qu’il va reprendre la formulation de Cicéron. Il va y avoir un double auditoire. Tout d’abord le premier « vous » (section 52-6) « vous ne m’en voudrez pas » signifie une entente entre le locuteur et le public présent. Les autres « vous » section 62 -7 et 8) s’adressent aux jeunes qui sont très peu nombreux dans la salle comme le fait remarquer le locuteur (« y’en a quelques-uns » section 62-3). Ici il veut donner de la force à son discours et se positionner en véritable orateur. Il utilise alors le « vous » pour positionner les jeunes comme des acteurs d’une réflexion profonde sur leur avenir et sur leurs actions dans le futur, mais surtout il va considérer que ce qu’il propose est ce qu’il faut faire, que c’est comme cela que doivent penser les jeunes.

Le dialogisme dans cette conférence sert à construire son discours et son image d’acteur politique, qui va ici un peu à l’encontre des attendus politiques de sérieux et de hauteur du discours. Il va alors contrer les contre-arguments et anticiper les remarques du public dès lors qu’il sait qu’il peut être critiqué. C’est une manière argumentative d’être conscient des limites de ce que le locuteur avance ou des fautes qu’il a pu

commettre par le passé, qu’il était lucide. Cela renforce son côté humain. Mais nous voyons que le contexte entraine une dissociation du dialogisme interlocutif, puisqu’il va y avoir deux publics : les jeunes qui sont absents et les moins jeunes qui sont les présents