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Chapitre 2. La dimérisation des nitrosoarènes

2.7 Dinitroso et polynitrosoarènes

Étant donné la chimie complexe des nitrosoarènes simples et de leurs dimères, il est clair que les études des composés incluant plusieurs groupes nitrosoaryles dans leur structure comportent de nombreux défis. De tels composés peuvent être catégorisés en trois groupes distincts :

a. Les composés dont les groupes nitroso n’interagissent pas entre eux

b. Les composés dont les groupes nitroso interagissent entre eux de façon intramoléculaire pour former des azodioxydes cycliques ou des benzofuroxanes

c. Les composés dont les groupes nitroso interagissent entre eux de façon intermoléculaire pour former des azodioxydes oligomériques ou polymériques

Dans le cadre de cette thèse, seuls les composés du troisième groupe revêtent un intérêt particulier. Par souci d’exhaustivité, les composés appartenant aux deux premiers groupes seront néanmoins très brièvement présentés.

2.7.1 Composés dont les groupes nitroso n’interagissent pas entre eux

Très peu d’exemples du premier groupe ont été rapportés dans la littérature et, à une exception près sur laquelle nous reviendrons, ceux-ci sont exclusivement des dérivés de la 4- nitrosoaniline.170 La forme monomérique de ces composés étant stabilisée par un effet mésomère important, en comparaison des formes dimériques, ces composés existent préférentiellement sous la forme monomériques et arborent ainsi une couleur bleu-vert tant à l’état solide qu’en solution. La 4,4’-dinitroso-N,N-diphénylpipérazine (2.10) en est un exemple représentatif. Cette dernière, dont la structure cristalline a été résolue par diffraction des rayons X, partage des caractéristiques structurales similaires à celles de la 4-nitroso-N,N- diméthylaniline.171

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Mis à part les dérivés de la 4-nitrosoaniline, seul le 2,5-di-tert-butyl-1,4-dinitrosobenzène (2.11) comprend deux groupements nitroso n’interagissant pas entre eux.172 Ce comportement n’est pas surprenant considérant l’encombrement stérique imposé par les groupements tert- butyles dans ce composé.

2.7.2 Composés dont les groupes nitroso interagissent de façon

intramoléculaire

Le mode d’interaction intramoléculaire le plus commun des dinitrosoarènes est la formation d’azodioxydes cycliques de configuration cis. Notons que, jusqu’à présent, aucun exemple d’azodioxyde cyclique de configuration trans n’a encore été rapporté.169 Les azodioxydes cycliques résultant de l'association intramoléculaire de groupes nitroso adjacents, tels le bis(o- nitrosobenzyl) et ses dérivés (présentés précédemment au Tableau 2.8), sont représentatifs de cette catégorie.

Les propriétés de ces composés cycliques diffèrent de celles des azodioxydes intermoléculaires dérivés de mononitrosoarènes simples. En particulier, les structures cycliques se dissocient beaucoup moins facilement, en partie parce que l'entropie associée à la dissociation est fortement réduite et que la trajectoire orthogonale optimale n’est pas facilement accessible. De plus, dans certains cas l’unité azodioxy est incorporée dans un noyau aromatique, par exemple dans le benzo[c]cinnoline-5,6-dioxyde et ses dérivés. Bien que de nombreuses études aient rapporté la synthèse d’azodioxydes cycliques, peu ont sondé la nature particulière de l'unité cis-azodioxy dans ces composés.173 Nous mentionnerons toutefois

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une étude cristallographique de la 1,10-diméthylbenzo[c]cinnoline-N,N′-dioxyde (2.12) par Whittleton et Dunitz qui illustre la résilience du groupement cis-azodioxyde (Figure 2.6).174 En effet, dans cette structure, ce sont surtout les groupes phényles qui sont incurvés afin de minimiser les répulsions stériques entre les groupes méthyles. Malgré cette déformation, la molécule préfère exister – au moins à l’état cristallin – dans la forme résultant de la réaction intramoléculaire des deux groupes nitroso.

Figure 2.6. Structure de la 1,10-diméthylbenzo[c]cinnoline-N,N′-dioxyde (2.12) et

représentation de sa structure cristalline.174

Enfin, un mode d’interaction intramoléculaire moins commun est la formation de benzofuroxanes. Ce mode est uniquement observé avec les dérivés du 1,2-dinitrosobenzène (2.13) et ces composés sont eux aussi en équilibre entre les formes cycliques et ouvertes lorsque chauffés (Figure 2.7).175 Des composés ayant de multiples telles interactions ont été préparés, notamment le dibenzofuroxane (2.15)176 à partir du 1,2,3,4-tétranitrosobenzène et le tribenzofuroxane (2.16)177 à partir de l’hexanitrosobenzène.

Figure 2.7. Équilibre entre le 1,2-dinitrosobenzène (2.13) et le benzofuroxane (2.14) et

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2.7.3 Composés interagissant de façon intermoléculaire

Le 1,4-dinitrosobenzène (2.17) est l’archétype des dinitrosoarènes ayant la capacité de polymériser par la formation d’azodioxydes. Préparé dès 1887 par Rudolf Nietzki et Friedrich Kehrman,178 ce composé polymérise spontanément à température ambiante pour former un solide jaune constitué de liens trans-azodioxyde : c’est le poly(trans-1,4-phénylèneazo-N,N’- dioxyde) (2.18), soit le premier polymère dérivé d’un dinitrosobenzène (Schéma 2.9).179

Schéma 2.9. Polymérisation du 1,4-dinitrosobenzène.

La thermolyse de ce polymère à 50-80 °C régénère le 1,4-dinitrosobenzène dont les vapeurs peuvent être condensées à basse température (32-200 K) sous la forme d’un solide vert. Ceci permet notamment d’étudier le processus de polymérisation par des méthodes spectroscopiques.179,180 Les études spectroscopiques concluent d’ailleurs que le poly(trans-1,4- phénylèneazo-N,N’-dioxyde) est un polymère de haute masse moléculaire puisque la signature caractéristique des groupes nitroso terminaux n’est pas observable par spectroscopie infrarouge, Raman, UV-visible ou RMN.

L’aisance avec laquelle le poly(trans-1,4-phénylèneazo-N,N’-dioxyde) peut être dépolymérisé et reformé lui confère quelques applications intéressantes. Il a entre autres été employé comme résine photosensible181 mais son usage le plus courant est de loin celui d’agent de vulcanisation dans la réticulation du caoutchouc.182 Il est généralement accepté que le mécanisme de la réticulation par le 1,4-dinitrosobenzène a lieu par une réaction de nitroso- ène183 suivie de la déshydratation de l’hydroxylamine intermédiaire (Schéma 2.10).184

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Schéma 2.10. Mécanisme postulé pour la réticulation du caoutchouc butyle (polyisobutylène)

par le 1,4-dinitrosobenzène.

Plusieurs dérivés du 1,4-dinitrosobenzène ont été synthétisés et ils partagent le comportement de leur parent, c’est-à-dire qu’ils forment des polymères insolubles composés de groupements

trans-azodioxy et sont aisément thermolysés pour régénérer les monomères.172,185 Comme nous l’avons vu précédemment, le 2,5-di-tert-butyl-1,4-dinitrosobenzène est une exception à cette règle, en raison de l’encombrement stérique trop grand pour favoriser sa dimérisation.

Le 1,3-dinitrosobenzène (2.19) polymérise aussi pour former, dans ce cas, le poly(trans-1,3- phénylèneazo-N,N’-dioxyde) (2.20, Schéma 2.11). Préparé pour la première fois en 1905 par Friedrich J. Alway et Ross A. Gortner,186 sa purification est toutefois difficile et doit se faire par sublimation.180 Compte tenu de cette difficulté, il n’existe encore aucune évidence concluante de dérivés du 1,3-dinitrosobenzène,169 à l’exception du 1,3,5-trinitrosobenzène.187 Ce dernier forme un polymère amorphe qui présente une activité accrue dans la vulcanisation du caoutchouc.188

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