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CHAPITRE 2 : LA LITTÉRATURE AUTOUR DU RENOUVEAU SYNDICAL

2.1. RENOUVEAU SYNDICAL

2.1.1. Dimensions du renouveau syndical : indicateurs et ressources de pouvoir

La littérature sur le renouveau syndical (Dufour et Hege, 2010 ; Haiven, Lévesque et Roby, 2006) traite des transformations du marché de l‟emploi et de leurs impacts sur le mouvement syndical comme étant une « crise du syndicalisme ». La diminution du pouvoir syndical dans toutes ses formes (densité syndicale, pouvoir politique et pouvoir économique) représente une crise qui encourage la mise en place de stratégies pour renouveler les dimensions fondamentales du syndicalisme et régénérer le pouvoir syndical (Behrens et al., 2004). Le renouveau syndical se

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veut une réponse à la « crise du syndicalisme » (Dufour et Hege, 2010) et propose des solutions sur plusieurs fronts (Bronfenbrenner et Hickey, 2004 ; Pocock, 2011 ; Yu, 2014). À cet effet, les travaux de Behrens et al. (2004) considèrent les problématiques de renouvellement de l‟action syndicale sur quatre dimensions5 spécifiques : 1) la vitalité institutionnelle, 2) la densité du

membership, 3) le pouvoir politique et 4) le pouvoir économique. En proposant de s‟intéresser à

la représentation collective des travailleuses et des travailleurs précaires, nous développons une vision selon laquelle la transformation de la composition du membership dépend fortement d‟un renouvellement de la vitalité institutionnelle. Ainsi, en adaptant les structures organisationnelles, il serait possible défendre les travailleuses et les travailleurs précaires.

1) La vitalité institutionnelle renvoie au renouvellement des structures, de la gouvernance et de la dynamique interne des organisations syndicales. Le renouvellement institutionnel représente la capacité des organisations syndicales à s‟adapter aux nouveaux contextes et à favoriser la mise en place de nouvelles stratégies pour combler les lacunes dans les autres dimensions (Dufour et Hege, 2005). Pour Behrens et al. (2004), le rôle des leaders syndicaux est un des aspects essentiels du renouvellement institutionnel. Pour ce faire, il faut toutefois que les leaders permettent la promotion de nouvelles idées et soient ouverts au changement au sein de l‟organisation syndicale.

Par ailleurs, l‟identité de l‟organisation syndicale (c‟est-à-dire les intérêts et les enjeux qui sont transmis aux membres) serait un élément central de la vitalité institutionnelle. Cette identité syndicale que transmet l‟organisation s‟adapterait alors au contact de nouvelles identités sociales. Puisque les identités qui composent le membership ne sont pas nécessairement homogènes, les intérêts des salariés peuvent varier, voire être contradictoires. Ainsi c‟est le travail de construction de l‟identité syndicale qui permet d‟assurer la légitimité de l‟acteur collectif. « La mise en avant de tel intérêt ne rencontre pas le consensus du groupe parce qu‟il est légitime, mais il devient légitime parce que le groupe se reconnaît en lui » (Dufour et Hege, 2010, p.74).

Alors, les institutions syndicales transmettent un projet identitaire qui tient sa légitimité de l‟acceptation du groupe. En réaction aux transformations du marché de l‟emploi et à la crise du

5 Si Behrens et al. (2004) utilisent le terme « dimensions », ce qui est entendu renvoie, d‟une part, à des indicateurs

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syndicalisme, l‟acteur collectif peut remettre en cause la légitimité du projet syndical. Ce faisant, Dufour et Hege (2010) présentent deux réponses syndicales possibles à la crise. La première stratégie consiste à ce que les institutions syndicales continuent de défendre les groupes noyaux et relayent « l‟enjeu de la reconstruction de la légitimité interne » (p. 80) à une problématique périphérique. La deuxième stratégie consiste à ce que les institutions syndicales s‟adaptent afin de favoriser une représentativité des groupes périphériques. Le second scénario représenterait un signe de vitalité institutionnelle.

Dans cette recherche, l‟accent sera porté sur les mesures qui favorisent la seconde réponse. En effet, puisque les travailleuses et les travailleurs précaires composent la périphérie du marché de l‟emploi, s‟attarder à leur capacité de représentation collective implique de se questionner sur les mécanismes de changement des institutions syndicales. Ayant fait la démonstration des limites qu‟imposent les institutions syndicales aux travailleuses et aux travailleurs précaires, il semble approprié d‟observer par quels moyens les travailleuses et les travailleurs précaires peuvent les modifier.

2) La densité du membership est mesurable par l‟observation du nombre de membres, de la densité syndicale et de la composition du membership.

L‟augmentation du nombre de membres permettrait de faciliter l‟accès à des ressources humaines et financières de mobilisation puisque les nouveaux membres pourront être mobilisés dans les actions syndicales, ainsi que des ressources financières par les cotisations syndicales. La densité syndicale, qui représente le pourcentage de la main-d‟œuvre membre d‟une organisation syndicale dans un secteur, une entreprise ou un État (Behrens et al., 2004), a des implications sur la légitimité et la représentativité des organisations syndicales. S‟il est possible de considérer un renouvellement du nombre et de la densité syndicale au sein des frontières traditionnelles de la syndicalisation, par exemple auprès des travailleurs mâles blancs dans un emploi typique, cette forme de représentation présente des limites. En effet, pour les organisations syndicales, l‟homogénéité du membership diminue la représentativité de l‟acteur collectif dans une société hétérogène. Dans une pareille situation, l‟acteur collectif peut ne pas être en mesure de représenter les intérêts de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs.

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Face à une multiplication des identités sur le marché de l‟emploi, afin de représenter adéquatement les intérêts des travailleuses et des travailleurs, les organisations syndicales peuvent étendre les frontières de la composition du membership (Dufour et Hege, 2010 ; Hyman, 2002).

En encourageant les initiatives syndicales auprès de travailleuses et de travailleurs généralement peu syndiqués, par exemple auprès des travailleuses et des travailleurs précaires, les organisations syndicales pourraient bénéficier d‟une modification de la composition du

membership. « [L]’épuisement du modèle syndical survenu suite à l’éclatement du modèle

industriel provient aussi du fait que les organisations syndicales n‟ont pas su rejoindre la nouvelle main d’œuvre, notamment à cause du carcan législatif » (Gagné, 2006, p.2). En effet, nous l‟avons vu, les travailleuses et les travailleurs précaires possèdent des identités sociales distinctes du cœur du marché de l‟emploi; il s‟agirait principalement – mais pas exclusivement – des jeunes, des femmes et des personnes immigrantes qui présentent des intérêts et des enjeux spécifiques à leur statut social et à la précarité en emploi. En s‟attardant aux questions identitaires, les organisations syndicales seraient donc en mesure de renouveler leur action. 3) Le pouvoir politique représente la capacité des organisations syndicales à influencer les politiques publiques. C‟est par l‟utilisation de leviers politiques que les organisations syndicales peuvent influencer les conditions législatives entourant la syndicalisation, un pouvoir de négociation ainsi que les droits des travailleuses et des travailleurs (Behrens et al., 2004). Les leviers politiques se manifestent de trois façons : par un appui aux candidats ou aux partis politiques lors des élections, par la capacité d‟influencer les acteurs responsables de la législation et par l‟implémentation de programmes permettant de défendre les droits des travailleuses et des travailleurs. Pour renouveler leur pouvoir politique, les organisations syndicales auraient intérêt à établir des interactions avec les acteurs gouvernementaux. De cette façon, les lois du travail qui limitent la capacité des travailleuses et des travailleurs précaires de bénéficier d‟une représentation collective efficace pourraient se voir réduites ou éliminées. Nous notons encore une fois l‟effort des organisations syndicales pour faire juger inconstitutionnel l‟alinéa 5 de l‟article 21 du Code du travail. Les décisions des tribunaux et la capacité des organisations

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syndicales à influencer les lois du travail en faveur de la protection des conditions de travail illustrent un pouvoir politique.

4) Le pouvoir économique renvoie au pouvoir de négociation collective, à la capacité des organisations syndicales à offrir des améliorations au niveau des salaires et des avantages et à encourager une redistribution des richesses dans l‟optique de réduire les inégalités économiques entre les travailleuses et les travailleurs (Behrens et al., 2004). Cette dimension du renouvellement de l‟action syndicale s‟effectue par la mise en place de nouvelles stratégies qui permettent d‟étendre le levier économique (economic leverage) de l‟organisation syndicale, parfois en dehors du pouvoir direct des membres. En effet, cette forme de pouvoir repose en majeure partie sur le pouvoir des opposants aux organisations syndicales. Les institutions qui régulent la négociation collective, comme les lois du travail ou les stratégies des employeurs, modèrent la puissance économique des organisations syndicales à obtenir des gains significatifs en matière d‟amélioration des conditions de travail.

Pour renouveler efficacement le syndicalisme, les dimensions du renouveau syndical proposent des avenues théoriques qui peuvent augmenter les pouvoirs syndicaux. Pour les travailleuses et les travailleurs précaires, la représentation collective, si elle se veut syndicale, pourrait bénéficier d‟un renouvellement de la vitalité institutionnelle. En promouvant des pratiques adaptées à la réalité des nouvelles formes d‟emploi, les organisations syndicales pourraient faciliter le recours à une action syndicale.