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CHAPITRE 2 : LA LITTÉRATURE AUTOUR DU RENOUVEAU SYNDICAL

2.2. ACTION COLLECTIVE ET ACTION SYNDICALE

2.2.1. Déterminants de la mobilisation

2.2.1.3. Démocratie

Pour comprendre l‟action collective en milieu syndiqué, nous proposons finalement de nous intéresser à la démocratie au sein des organisations. En effet, selon Peetz (2010), l‟existence de structures démocratiques participatives serait un élément pertinent de l‟action collective en ce qu‟elle permet d‟encourager la collectivisation des enjeux et l‟implication réelle des membres. L‟auteur oppose ce qu‟il appelle la « coordination démocratique » (forme collective d‟implication) à la « coordination autocratique » (forme individuelle d‟implication) en postulant que l‟action collective se verrait générer une efficacité par les formes collectives, participatives et démocratiques de coordination. Ainsi, comme le postulait Madsen (1996) par rapport aux syndicats danois et suédois, l‟individualisation des orientations des membres n‟est pas obligatoirement synonyme d‟un déficit de participation. Ce serait plutôt lorsque cette individualisation est couplée à l‟inaction syndicale face à la représentation de ces intérêts

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individuels que la participation à l‟action syndicale diminuerait. De ce constat, nous retenons une nécessité d‟observer des structures flexibles et attentives aux « voix » des membres.

La démocratie renvoie donc à la capacité des membres de l‟action collective à voir leur voix entendue au sein des instances de l‟organisation (Dufour-Poirier et Laroche, 2015). Par ailleurs, la démocratie permet de dépasser la prise en compte des intérêts des membres pour favoriser une implication politique aux processus générateurs d‟actions. En effet, les travaux de Dufour-Poirier et Laroche (2015) sur la participation syndicale des jeunes semblent indiquer que la problématique n‟est pas tant l‟existence de structures spécifiques aux enjeux des différentes identités (comités jeunes, femmes, etc.), mais bien l‟intention des organisations syndicales d‟impliquer ces groupes marginalisés plutôt que de tenter de les modeler selon le modèle syndical traditionnel. Il ne s‟agit pas simplement d‟offrir la possibilité aux membres de s‟exprimer, encore faut-il les écouter.

Pour accorder une importance aux multiples identités collectives qui composent généralement un groupe représenté, plusieurs mécanismes de démocratisation s‟avèrent intéressants. Pour Fisk (2016), qui reprend les théories de Fung et Wright (2003), plusieurs aspects institutionnels doivent être mis en place afin de favoriser la participation démocratique :

« […] (1) the accountability of group leadership to members and power relations between leadership and membership, (2) the extent to which authority is centralized in group decision-making, and (3) the extent to which an association‟s membership includes a substantial percentage of the population whose interests the association represents. » (Fisk, 2016, p.110)

Dans le contexte américain, l‟auteure annonce la fin des organisations syndicales puisqu‟elles ne seraient plus en mesure d‟être des institutions démocratiques pertinentes. Elle favoriserait donc la démocratisation des centres de travailleuses et de travailleurs qui rempliraient déjà les critères de participation démocratique.

Par ailleurs, ce constat est loin de faire consensus au sein de la littérature sur le renouveau syndical. En effet, Langford (2015) présente une vision plus optimiste du syndicalisme dans laquelle il mentionne que :

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« union democracy (in the sense of active direct democracy at local levels in combination with highly accountable representative systems at more general levels) has the potential to do much more than revitalize unions – it could serve as a foundation for a participatory society that, once institutionalized, will endure even as particular unions rise and decline in response to technological changes and geographical shifts in economic production and population. » (p.80)

C‟est dans cet esprit de renouvellement de l‟action syndicale que Lévesque et Murray (2010) présentent la vitalité délibérative – renvoyant à la « participation des membres à la vie de leur syndicat » (p.47) – comme une dimension de la solidarité interne. Les auteurs décomposent ainsi la vitalité délibérative selon deux composantes : 1) les mécanismes internes de liens entre les membres et les leaders; et 2) la densité des réseaux internes, c‟est-à-dire la qualité de l‟engagement des membres (actif ou passif). À la différence des liens de socialisation entre les membres, les liens démocratiques se veulent toutefois plus politiques. En ce sens, l‟importance n‟est pas qu‟il existe un lien entre les différents groupes de membres, mais que ce lien serve à représenter les intérêts de ces groupes.

Pour appuyer ces propos, Colgan et Ledwith (2002) ainsi que Jahn (1988) postulent que l‟articulation nécessaire entre les différents groupes d‟intérêts devrait se produire par une transformation des stratégies syndicales instrumentales vers des stratégies interactives et conflictuelles. En permettant d‟ouvrir un débat intelligible et constructif entre les groupes sous- représentés et les groupes représentants, les organisations peuvent favoriser la participation à l‟action collective. Pour Colgan et Ledwith (2002), cette transformation des stratégies par les minorités devrait s‟effectuer d‟abord par une prise de conscience de l‟existence d‟identités collectives conflictuelles, puis par une action collective interne qui propose une alternative au

statu quo.

Notre analyse devra donc inclure une observation selon laquelle les travailleuses et les travailleurs précaires pourraient mettre en place de nouvelles stratégies que les groupes dominants de l‟organisation pourraient prendre en compte. Il serait toutefois nécessaire d‟assurer des liens suffisants entre les groupes périphériques qui s‟organisent et les structures centrales (mainstream structures). De cette manière, les groupes sous-représentés seraient en mesure de

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voir leur voix entendue au sein de l‟action collective par une transformation des enjeux politiques centraux. Dans le cadre de notre recherche, nous concentrons plus spécifiquement nos réflexions sur l‟influence des dispositifs démocratiques sur la participation des travailleuses et des travailleurs précaires à la vie syndicale.