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Malgré les difficultés théoriques, conceptuelles et méthodologiques posées par les situations contingentes, les recherches réalisées, notamment à partir de retours d’expérience, ont permis de

faire ressortir des logiques de situations et des constantes dans les phénomènes qui caractérisent

les dynamiques de crise. Nous proposons ici quelques repérages à travers une grille de lecture

dans l’encadré qui suit.

74 Il développe aussi cette réflexion questionnant la notion de vulnérabilité dans l’approche des risques : « rien n’empêche a priori de concevoir un risque important voire majeur [ou une crise], résultant d’un aléa modéré et de grandes vulnérabilités » (Gilbert, 2009, p.29). Il mentionne même l’intérêt d’une recherche sur les risques faisant abstraction des aléas.

Grille de lecture des situations de crise

Malgré leur complexité, et bien qu’étant par nature exceptionnelles, singulières et uniques, il existe des constantes dans les situations de crises. Nous tentons ici d’en proposer une grille de lecture en nous appuyant sur les trois cas abordés dans le chapitre 1 ainsi que sur plusieurs textes, notamment de P. Lagadec : l’ouvrage de 1991 « La Gestion des Crises – Outils de réflexion à l’usage des décideurs » et un texte de 2003 « Conditions et mécanismes de production des défaillances, accidents et crises » (Lagadec et Guilhou, 2002). Nous avons repris aussi les éléments proposés par Quarantelli (2006) dans un article visant à distinguer les désastres des catastrophes, à partir des événements de Mexico (1985) et de la Nouvelle-Orléans (2005) : « Catastrophes are Different from Disasters: Some Implications for Crisis Planning and Managing Drawn from Katrina »*.

Nous organiserons cette grille en quatre catégories (les problèmes initiaux, les problèmes de la prise de décision, la communication et le politique)** :

Les problèmes initiaux

 Difficultés quantitatives : impacts de grande échelle, larges populations concernées, interventions lourdes, coûts économiques très importants, etc. “Most or all of the community built structure is heavily impacted”. A la Nouvelle Orléans, 90% de logements sont endommagés, alors qu’à Mexico, seulement 2% des infrastructures sont affectées, et 4,9% de la population.

 Difficultés qualitatives : problèmes hors échelle, combinés, génériques, de longue durée, qui épuisent les hommes, les organisations ; menaces qui se transforment dans le temps.

 Dynamiques de boule de neige : en raison de multiples phénomènes de résonnance.

 Interruption des services du fonctionnement normal : En 2005, les infrastructures vitales, en particulier les grands réseaux, sont paralysés (énergie, eau, télécommunications, transport). C’est aussi le cas des établissements de soins, établissements scolaires, etc. : “Most, if not all, of the everyday community functions are sharply and concurrently interrupted”. A la différence de la Nouvelle-Orléans, à Mexico, les dommages sont concentrés dans le centre-ville. Pour certains services cependant, les conséquences se font sentir sur l’ensemble de l’agglomération (en termes de télécommunications par exemple).

 Problèmes d’ordres techniques (et logistiques) : Le rétablissement de l’approvisionnement en eau à Mexico est ralenti dû au manque de pièces de rechange (tubes PVC).

 Caractère régional des problèmes: Il n’y a pas de zone d’impact délimitée - de « ground zero »-, mais tout est affecté. “Help from nearby communities cannot be provided”.

 Enjeux considérables, de toute nature.

Problèmes de prise de décision

 Problèmes d’ordre cognitif : échappent à la compréhension car sort des cadres de références.

 Remise en cause des certitudes : problème nouveau (qualitativement différent de ce qui était pensé). Incertitudes (voire inconnu) extrêmes, impossibles à lever dans le temps de l’urgence, et certainement pas par les seuls experts officiels.

 Dispositifs d'urgence pris à contre-pied : procédures habituelles hors-jeu, obsolètes, inapplicables inutiles voire contre-productives. Paralysie et inefficacité de la réponse : “Local officials are unable to undertake their usual work role”. A la Nouvelle-Orléans, Haïti ou Mexico, les forces de police, les pompiers, le personnel médical sont affectés et n’arrivent pas à s’organiser. A la Nouvelle-Orléans, les lieux prévus comme refuges sont inondés. A Port-au-Prince, il n’existe pas de plans d’opérations d’urgence.

 Manque d’information et de connaissance scientifique : à la Nouvelle-Orléans, personne n’a des cartes de base pour planifier la réponse. L’absence d’une vision d’ensemble des dommages entraine une réponse décentralisée, non coordonnée.

 « Retard à l’allumage » : Cette dimension de la crise ne se prête pas (moins) aux crises provoquées par des événements brutaux comme les séismes (l’ouragan Katrina était prévu). Elle est caractéristique cependant de la lenteur de la mise en œuvre de moyens adéquats, faute de savoir interpréter les signaux d’alerte ou par manque d’information (sous-estimation du nombre de morts par exemple), qui peut être observé même en cas de crises « évidentes », comme c’est le cas pour le refus de l’aide internationale à Mexico dans un premier temps (aussi observé au Chili en 2010).

La communication

 Le (sur)traitement médiatique : “The mass media system especially in recent times socially constructs catastrophes even more than they do disasters”.

 Difficultés de communication au sein des organisations responsables avec tous les publics : médias, victimes, administrations, professionnels spécialisés : la (mauvaise) communication des gestionnaires et responsables politiques au public peut aggraver la situation.

Le politique

 L’importance des dimensions politiques : “Because of the previous five processes, the political arena becomes even more important”. Pour la Nouvelle-Orléans, c’est l’intervention des plus hautes autorités dans la gestion de la crise, et la mise en évidence de la faiblesse des organisations (notamment locales) à faire face à l’événement. A Mexico, les plus hautes autorités sont directement affectées. C’est l’absence d’Etat pour Haïti.

 Problèmes d’ordre institutionnel : A la Nouvelle-Orléans, les conflits en l’Etat fédéral et le gouverneur de Louisiane freinent l’arrivée des secours.

 Convergence et irruption d’un nombre impressionnant d'institutions et d’acteurs (qui vont évoluer dans leurs positionnements tout au long de la crise). En Haïti, les organisations internationales et ONG « pullulent » (pour reprendre le terme de P. Metzger et al., (2009, p. 18) concernant la crise du Chikungunya à la Réunion).

 Remontée des conflits non résolus : Les vulnérabilités de fond ressurgissent et nourrissent la crise. « (Les) facteurs géographiques, cognitifs, historiques, symboliques, politiques, culturels, etc. Tous ces facteurs "extérieurs" vont donner forme à l'événement. Ils peuvent se révéler comme des terrains de crise particulièrement fertiles » (Lagadec, 1991, p.40).

Notes:

* Selon Quarantelli, le séisme de Mexico ne peut être qualifié de catastrophe, essentiellement dû au fait que seule une petite partie de la ville (et de la population) fut affectée : « the earthquake did not totally disturb the everyday community behavior of Mexico City » (1990). De notre point de vue, l’affectation du centre-ville, concentrant les lieux de pouvoirs et de logistique urbaine, suffit à classer cet événement parmi les catastrophes.

** Les citations en anglais sont tirées de Quarantelli (2006), ainsi qu’une partie des exemples.

2.3 Les crises en sciences sociales

Historique de la recherche sur les crises

La recherche sur les crises se prévaut d’un large historique. Les grands pionniers nord-américains

en matière de sociologie des désastres, en particulier Enrico Quarantelli (entre autres),

développent d’importants travaux dès les années 50-60, notamment dans le cadre du Disaster

Research Center de l’Université de Delaware, fondé en 1963 (Quarantelli, 2009). Les premières

études menées aux Etats Unis répondaient à des demandes militaires, concernant les réactions

des populations dans un contexte de Guerre Froide

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. Ces recherches se sont ensuite largement

consolidées avec l’analyse de catastrophes d’origine naturelle dans un contexte nord-américain