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Chapitre II : La situation de bilinguisme

4. Difficultés de langage chez l’enfant en situation de migration

Le développement langagier de l’enfant en situation de bilinguisme est propre à chacun. Il est difficile de généraliser les difficultés que l’on peut être amené à rencontrer. Néanmoins, différentes hypothèses ont été formulées quant au lien entre la migration et d’éventuelles difficultés langagières :

4.1.Le langage de l’enfant vulnérable

Du fait de sa position entre deux mondes et de sa vulnérabilité, les repères de l’enfant issu de l’immigration peuvent être perturbés. La culture du pays d’accueil peut être connue de manière superficielle, sans que son fonctionnement n’ait été totalement assimilé.

31 Cela peut donc dans quelque fois créer un déséquilibre chez l’enfant, qui est alors amené à baser sa construction sur des repères mal établis. Cela tend à favoriser les difficultés et retards sur différents aspects. F. ROSENBAUM l’a soulevé en ce qui concerne l’acquisition des notions spatio-temporelles et du schéma corporel. La logopède explique que « le déroulement du temps semble avoir été gommé par les séparations et les attentes des retours aléatoires […] les ruptures dans le cycle de la vie familiale » (1997, p.100). Beaucoup d’enfants seraient ainsi incapables de s’orienter dans le temps et de se détacher du moment présent (méconnaissance des âges de l’entourage, des mois de l’année, des dates d’anniversaires…) Les difficultés rencontrées peuvent également s’exprimer dans le langage de l’enfant comme l’explique B. VIROLE (2007) : « les conditions de la migration et la désorganisation transculturelle chez les parents entraînent une altération particulière dans la transmission symbolique et de l’identité de soi qui se manifeste dans la détermination d’un trouble du langage. » Il y aurait donc derrière l’altération du langage une désorganisation globale du développement, au niveau psychoaffectif, développemental ou encore culturel.

Le niveau socio-culturel de la famille joue également un rôle dans le développement du langage, dans la mesure où il influence le modèle linguistique qui sera présenté à l’enfant. En aucun cas le bilinguisme ne saurait être considéré comme étant la cause directe d’un retard langagier : c’est la situation à l’origine du bilinguisme qui peut s’avérer être défavorisante pour l’enfant. Comme le soulignent P. ANTHEUNIS, F. ERCOLANI-BERTRAND et S. ROY (2006), « le facteur sociolinguistique est déterminant dans l’aventure bilingue, c’est lui qui provoque des perturbations dans les langues ». Prenons l’exemple des parents qui parlent la langue du pays d’accueil sans la maîtriser. Les stimulations offertes à l’enfant sont incorrectes et peuvent alors entraver les apprentissages ultérieurs, avec notamment la production d’un langage appauvri.

4.2.Langage et psychopathologie

Bien souvent, les retards de langage dans le cadre d’un contexte migratoire révèleront un mal-être plus profond. Les études de B. VIROLE (2007) ont mis en évidence

une « souffrance psychologique associée à des difficultés culturelles, sociales et psychologiques » à prendre en compte (dépressions, contextes familiaux marqués par la précarité…) Pour F. ROSENBAUM, les problèmes langagiers rencontrés seraient donc

32 davantage des difficultés à établir des relations avec le nouvel environnement social. Les enfants peuvent alors passer par une phase de mutisme lorsqu’ils se trouvent en dehors du cercle familial. Face à ce mutisme extra-familial apparaissant dans le cadre de l’immigration, différentes hypothèses psychopathologiques ont été proposées :

Les premières études portant sur le mutisme extra-familial ont été menées par S. BRADLEY et L. SLOMAN (1975). Elles faisaient part de la situation de certaines mères immigrées isolées, voire en dépression dans le pays d’accueil, qui adoptaient une attitude négative à l’égard de ce nouveau pays. Cela contribuerait à créer un lien pathologique mère-enfant, impliquant entre autres un comportement d’indifférence face à l’apprentissage de la deuxième langue par l’enfant. L’investissement langagier serait compromis par un tel comportement.

Pour O. DOUVILLE, psychanalyste, il faudrait prendre en compte l’esprit de loyauté des enfants envers leur pays d’origine, et leurs parents. La peur de devoir choisir entre l’un de leurs deux mondes entraînerait une inhibition langagière, notamment au moment de l’inclusion scolaire.

D’autre part, Z. DAHOUM s’est intéressé plus précisément au lien entre le mutisme extra-familial et le traumatisme de l’immigration sujet à un « refoulement extra-familial ». En effet, dans les cas où l’histoire familiale est tue, l’événement va prendre forme dans l’inconscient de l’enfant et sera contenu en lui, gardé sous silence. C’est alors que « La communication s’éteint, isolant encore plus l’enfant et confirmant à chaque tentative de rencontre son impression d‘être exclu des circuits sociaux et des échanges affectifs. » (B. CYRULNIK, 1983).

Enfin, l’enfant peut, au début de son apprentissage de la langue du pays d’accueil, se placer dans une position où il écoute, observe et intègre sans parler. Cette position n’est pas le reflet d’un problème mais d’une stratégie pour apprendre la deuxième langue.

Il est recommandé face à ce stade normal de l’apprentissage de laisser du temps à l’enfant. Il doit parvenir à se familiariser aux deux systèmes linguistiques auxquels il est confronté, que ce soit sur le point de vue phonologique, lexical ou syntaxique. Le langage se construira progressivement dans la relation à l’autre, et dans différents contextes.

Des actions de prévention pourront être entreprises par ailleurs si une lenteur d’acquisition est constatée.

33 4.3.Prévention des difficultés de langage

Un certain nombre d’atouts chez l’enfant favoriseront ses apprentissages, comme le mentionnent P. ANTHEUNIS, F. ERCOLANI-BERTRAND et S. ROY (2010). En dehors des conditions nécessaires à la mise en place d’un bilinguisme harmonieux décrites plus haut, nous pouvons évoquer un certain nombre de facteurs de protection et prédictifs d’évolution positive :

- Capacités mnésiques et attentionnelles préservées - Pas de difficultés praxiques ou gnosiques

- Jeu symbolique correspondant à l’âge de l’enfant - Communication non-verbale

- Initiation des interactions

- Compétences dans la langue maternelle

- Valeurs chez l’enfant de respect de l’autre, de partage, d’empathie - Curiosité

- Confiance en soi - Humour et imagination

A l’école, certains atouts favoriseront également les apprentissages, comme nous le développerons dans le chapitre suivant (partie 3.2). Si ces atouts manquent, un travail spécifique de prévention pourra être entrepris, avant de décider ultérieurement de l’éventuelle nécessité d’un suivi spécialisé.

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Chapitre III : le suivi orthophonique d’une patientèle issue de