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Chapitre III : le suivi orthophonique d’une patientèle issue de l’immigration

3. La rééducation orthophonique en situation multiculturelle

3.1. Le croisement des deux cultures

F. ROSENBAUM avalise une prise en charge dynamique basée sur une médiation linguistico-culturelle. Afin d’engager une compréhension réciproque, la méthode propose de construire des échanges entre les deux groupes culturels. Ces échanges peuvent reposer sur des situations conflictuelles rencontrées, sur les besoins du patient… Ce dispositif peut se faire en plusieurs langues dans la mesure où il est encadré par un médiateur linguistico-culturel, utilisant la même langue maternelle que la patientèle.

Dans son approche transculturelle des troubles de la communication, F. ROSENBAUM (1997) propose différentes possibilités de prises en charge :

 La logothérapie de groupe : en prenant en compte le contexte dans lequel évoluent les familles multiculturelles et migrantes, la logothérapie de groupe permet aux enfants de se situer en tant qu’individus. Des rituels précis et des commentaires différés sur l’expérience permettent d’amener à une mise en commun et un partage autour du système d’appartenance.

 La constitution d’un génogramme : le génogramme consiste à recréer l’arbre généalogique de l’enfant pris en charge. L’histoire de sa famille est ainsi représentée symboliquement, ainsi que l’histoire de la migration. Il s’agit de mettre en évidence, par des questions ciblées, les différentes informations, telles que les liens entre les membres de la famille, les conséquences de la migration…

Il est donc important que le thérapeute puisse établir un lien entre les deux cultures et les deux langues. Cela est d’autant plus vrai que les deux langues pratiquées par l’enfant sont interdépendantes et évoluent conjointement. Dans une situation de plurilinguisme, s’appuyer sur les scripts maternels de l’enfant permet de lui faciliter son appropriation du français : il est donc recommandé d’aider l’apprentissage en amenant une comparaison entre les deux langues. En effet, les universaux entre les langues, à savoir les « traits qui sont supposés propres à la totalité des langues » (C. HAGEGE, 2001) sont appréhendés différemment selon les environnements mais peuvent néanmoins être soumis à des comparaisons. Il y a des similitudes et des différences entre les langues, au niveau phonétique, lexical, syntaxique. Ce

44 fonctionnement n’a pas pour but bien sûr de hiérarchiser les langues, ni de souligner exclusivement les différences pouvant exister. La démarche proposée dans Comparons nos

langues (2005), destinée aux enseignants accompagnant les Enfants Nouvellement Arrivés en

France (ENAF) dans les classes spécifiques, offre plusieurs pistes afin de travailler les différents aspects de la langue :

- La phonétique : l’enfant est amené à produire des mots nouveaux dans sa deuxième langue, et donc aussi des sons nouveaux. Il faudra travailler sur les plans acoustiques et articulatoires, en faisant prendre conscience à l’enfant du filtre phonologique de sa langue maternelle.

- Le lexique : d’une langue à l’autre, les réalités sont exprimées différemment dans le système linguistique, voire inexistantes, du fait des visions du monde variables. Le lexique pourra être abordé par un travail de traductions ou de paraphrases. Pour souligner les relations entre les cultures, on pourra également travailler sur les emprunts d’une langue à l’autre.

- La syntaxe : il sera possible de faire prendre conscience à l’enfant de l’utilisation d’une syntaxe différente en comparant les diverses structures rencontrées (marques de la négation, ordre des mots dans les phrases interrogatives…)

- La morphosyntaxe : l’appropriation de la notion temporelle n’est pas toujours la même selon les cultures. Cela pourra donner lieu à un découpage particulier du temps et donc à des notions de mode et de temps différentes de celles du français. Encore une fois, une comparaison entre les manières de marquer le temps pourra aider l’enfant à s’approprier le français.

- Relation au temps : chaque société entretenant avec le temps un rapport différent, l’expression du temps devra être abordée, par exemple par la comparaison de différents proverbes y étant rattachés.

- Expression de l’espace : en comparant différents espaces (par exemple l’espace public ou l’espace privé) dans le pays d’accueil et le pays d’origine, cela amènera à un travail sur les différentes structures pouvant exprimer l’espace.

En dehors de ces aspects, la méthode n’exclut pas la communication non-verbale et mimo-gestuelle (quel geste utilise-t-on pour exprimer telle ou telle expression…), ni les aspects

45 supra-segmentaux (choix des courbes intonatives, prosodie …) et pragmatiques (comment engager la conversation avec un locuteur précis, quels thèmes aborder…) Enfin, il convient de s’intéresser aux différentes normes sociales afin d’aider l’enfant à s’adapter aux différentes situations de communication, mais également de prendre en compte les valeurs associées aux grands thèmes de la société (la langue, la relation à l’éducation, à la santé…)

Pour ce qui est de la langue écrite, l’appropriation du code graphique, variable selon les langues, constituera un autre aspect à travailler : correspondance phonème-graphème aléatoire, sens de l’écrit, indication des accents et de la ponctuation…

Dans cette optique interculturelle dans laquelle la langue maternelle et la deuxième langue ont toutes deux leurs places, J. F. HAMERS et M.H.A. BLANC (1983) valorisent le « code switching », permettant au cours d’une même interaction verbale d’alterner les deux langues. Cette pratique permettrait de renforcer les liens entre les deux univers linguistiques.

Le changement de rôle peut également être envisagé au cours de la prise en charge afin de renforcer la confiance de l’enfant dans ses productions orales : l’orthophoniste occupera le rôle de l’enfant en tentant de prononcer des mots dans la langue maternelle de ce dernier. Cela visera à mettre en évidence les difficultés auxquelles il est normal d’être confronté face à une langue étrangère.

Enfin, différents supports pourront être proposés à l’enfant pour lui présenter la deuxième langue et l’amener à la comparer à sa langue maternelle (M. ABELILAH-PRETCEILLE, 1982) :

- La bande dessinée et le contenu des bulles permettront de travailler sur les structures linguistiques. Cela constituera également un excellent moyen de développer l’expression orale, notamment par l’usage des onomatopées, le travail de l’intonation, la gestion du dialogue…

- Les publicités et leurs slogans pourront servir de support à un travail d’oppositions phonologiques, d’homonymie et synonymie, à partir de structures de phrases particulières (comparatifs, superlatifs…) mais amèneront également à un travail d’approche lexicale.

- Les questionnaires d’état civil sont propices à un travail sur l’identité, sur la forme interrogative et sur l’expression du lieu et du temps.

- Les pronostics, sondages, tracts, ou articles sportifs aident à se familiariser aux structures utilisant le conditionnel ou le futur, mais également aux formules permettant

46 l’expression de l’opinion.

- Les panneaux de signalisation permettent l’expression du devoir

- L’étude de petites annonces pourra développer la connaissance des abréviations et la compréhension des sous-entendus

- Le théâtre permet de travailler les notions de rythmes, d’intonations propres à chaque langue, mais aussi les mimiques et les gestes.

- Les chansons sont un moyen de travailler les structures et tournures de phrases, et de présenter les sons dans leurs contextes phonétique et prosodique. Un travail sur les oppositions phonologiques, les rimes, les différentes graphies d’un même son… pourra être abordé.

Les images (cartes postales, photographies, schémas…), marquées socialement et culturellement, seront par ailleurs complémentaires au dialogue et favoriseront l’expression personnelle.

La rééducation au cœur de l’interculturalité a donc pour objectif principal de valoriser l’élève en le considérant comme expert de sa langue et donc en le plaçant en tant que réel partenaire de travail.