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SECTION II : Les impacts du conflit armé interne en Côte d’Ivoire sur les droits de

Paragraphe 3 Les difficultés d’application du DIH en Afrique : l’alibi d’un droit

Les pays africains dans leur ensemble ont accédé à l’indépendance après les années 1950 bien après la proclamation de la DUDH et l’adoption du droit de Genève, respectivement en 1948 et 1949. Ce qui signifie que logiquement, aucun de ces pays n’a pu prendre part aux différents travaux ayant conduit à l’élaboration et l’adoption de ces instruments juridiques. Ils y ont donc tous adhéré et les ont ratifiés par la suite.

On peut donc à priori supposer que le DIH est pensé de ce point de vue, comme étranger à l’Afrique, dans la mesure où les puissances colonisatrices l’ont négocié « en leur nom », avant de le leur léguer au moment des indépendances, à partir de 1960. En plus donc d’être étranger, le DIH peut également, de ce point de vue, apparaître aussi comme un droit colonial274. Est-ce que cette perception d’un droit d’adhésion pourrait justifier une certaine réticence vis- à-vis des normes du DIH ? Cela induirait de ce fait une négation du DIH ou son déni. C’est ce que suppose en tout cas Owona en affirmant que « le DIH ne demeure qu’un droit platonique ne devant jamais recevoir d’application en Afrique »275. Autrement dit, la négation du DIH comme droit concernant l’Afrique explique selon lui, qu’il est bafoué en cas de conflit armé. Cela revient à lier le DIH à un continent, l’Europe et dans une certaine mesure, à une religion, le Christianisme, puisque de nombreuses règles ont été inspirées de pratiques chrétiennes visant à instaurer une certaine humanisation de la guerre276. Or, l’Afrique était, jusqu’alors, un continent non chrétien ayant des croyances multiples et propres, aux antipodes de la croyance chrétienne occidentale unitaire, sans être pour autant dépourvue de pratiques humanitaires.

En effet, il existait une certaine expérience africaine de l’humanitaire à travers des coutumes qui favorisaient le respect de la personne humaine. C’est ainsi que l’histoire de l’Afrique est riche d’enseignements utiles à la compréhension des pratiques qui avaient donné lieu à l’éclosion de sociétés vivant en paix et en harmonie et favorisée par des rites qui ont

274 I. BIRUKA, préc., note 30, p.102.

275 Joseph OWONA, « Droit International Humanitaire », in Encyclopédie Juridique de l’Afrique (EJA), T.2, Abidjan, Les Nouvelles Editions de l’Afrique, 1984, p 381.

81 longtemps garanti un certain équilibre social en assurant en tout temps, le règlement pacifique des conflits277.

Ainsi dans certaines coutumes, la conduite des hostilités et le traitement des personnes au pouvoir de l’ennemi sont règlementés : l’ouverture des hostilités doit être annoncée par tambour, sonnerie de cornes, tirs de flèches, déclarations motivées faites par des messagers278, pour éviter de s’attaquer n’importe comment à n’importe qui.Par exemple, chez les Peulhs, les Souhrais et les peuples du Burkina Faso (en Afrique de l’ouest), on ne peut s’en prendre aux femmes, aux enfants et aux travailleurs de champs, (principe de discrimination et de protection de la population civile)279 ; chez d’autres, l’emploi de flèches et de lances empoisonnées est prohibé et au pays des Ibos, au Nigéria, l’emploi d’armes à feu dans certains conflits intertribaux est interdit (moyens et méthodes de combat) et la violation de l’interdiction, sanctionnée par le chef de village280.

Traditionnellement donc, le déclenchement d’une guerre et sa conduite sont soumis à des règles d’honneur à appliquer par les combattants, lesquelles interdisent par exemple, l’emploi d’armes jugées trop dangereuses ou engendrant de trop grandes souffrances comme des flèches et des pointes empoisonnées ou la mise à mort d’un combattant désarmé. L’adversaire est aussi averti des raisons d’une attaque imminente et la guerre doit être l’ultime recours et n’intervenir que lorsque toutes les tentatives de conciliations ont échoué, et il est déshonorant pour un guerrier de s’en prendre à une femme281. Au Burkina-Faso, la coutume interdit de tuer les personnes ne participant pas au combat. Elles obligent encore à soigner les blessés des deux camps, et ordonnent le respect des morts, notamment en leur dressant sépulture. Ces règles interdisent aussi la profanation des lieux sacrés. Ces règles ne sont pas exhaustives.

Tout ceci montre que d’un point de vue traditionnel et coutumier, existaient des règles essentielles au déroulement d’un conflit, peut être non écrites, peut-être peu respectées, mais qui n’en existaient pas moins et « qui n’en constituent pas moins autant de jalons posés sur le chemin de l’humanitarisme »282. Ce qui revient aussi à dire que les règles et coutumes de la

277 Drissa DIAKITE, « Kuyaté, la force du serment aux origines du griot mandingue, Paris, l’Harmattan, 2009. 278 Adamou NDAM NJOYA, « La conception africaine », in Les dimensions internationales, cité par É. DAVID,

préc., note 166, p 44-45.

279 Yolande DIALLO, « Traditions africaines et droit humanitaire », Genève, CICR, 1976, cité par É. DAVID,

id., p. 45.

280Id.

281 Emmanuel BELLO, African customary humanitarian law, Geneva, ICRC, Oyez, 1980, p 34. 282 É.DAVID, préc., note 166, p 45.

82 guerre ne sont pas de variables inconnues à l’Afrique, comme à d’autres parties du monde. Il y a toujours eu des pratiques coutumières dans les situations de guerre.

C’est la codification de toutes ces pratiques communes à l’humanité qui ont conduit à établir des règles internationales écrites visant à limiter les effets des conflits armés pour des raisons humanitaires, à travers les Conventions de la Haye et les Conventions de Genève, en vue de préserver ce que l’humanité a de sacré. En plus, dans le but de favoriser un plus grand respect du DIH, le CICR en a recherché les règles coutumières dans la plupart des Etats afin de montrer à tous combien ce droit correspond à notre patrimoine commun d’être Humain, quelles que soient nos origines ou nos croyances283.

Le DIH contemporain n’est intervenu que pour consacrer ces règles humanitaires qui ont existé et ont été pratiquées en Afrique, cette prédisposition naturelle et traditionnelle à protéger « la veuve et l’orphelin », autrement dit les plus vulnérables, les personnes civiles qui ne prennent pas ou plus part aux hostilités. Ce sont donc la codification et la règlementation contemporaines du DIH auxquelles l’Afrique n’a pas pris part qui lui sont extérieures et non le DIH lui-même.

Autrement dit, l’hypothèse de son extranéité par rapport à l’Afrique ne peut tenir et ne saurait justifier que ces normes soient massivement violées lors des conflits armés. De plus, la totalité des Etats Africains ont ratifié les CG dans leur ensemble, sans émettre de réserves significatives284. Mieux, ils ont également ratifié massivement le PA II en tant que Etats indépendants285.

Il ne s’agit donc pas d’une question de spécificités régionales. D’ailleurs, la justification par les réalités propres à l’Afrique a déjà servi de fondement à l’adoption de la CADBE. Mais les droits n’en sont pas mieux respectés. On ne saurait donc affirmer que les normes qui protègent les enfants en période de conflit armé interne, c'est-à-dire l’article 3 commun et le PA II ne sont pas respectées du fait de leur incompatibilité avec la réalité africaine. Pour preuve, l’article 22 de la CADBE en tant que reprise de la CDE, renvoie lui-même à l’application des règles consacrées par l’article 3 commun et le PA II.

283 Consulté en ligne le 13 mars 2014 sur www.icrc.org.

284 Seuls l’Angola (CG et PA), l’Egypte (PA), la Guinée Bissau (CG), les Iles Maurice (PA) et la Namibie (PA) ont émis des réserves sur l’une ou l’autre des composantes du droit de Genève. A ce jour, seules la Somalie et l’Erythrée n’ont pas ratifié le protocole additionnel II.

83 C’est indubitablement une question de volonté politique de mise en œuvre d’engagements internationaux librement souscrits et de prétextes pour ne pas respecter lesdits engagements. En fait, l’Afrique n’a pas intégré les règles du DIH et il y a vraisemblablement une insuffisance dans sa diffusion. Rappelons qu’il découle pour les États, du fait de la ratification de ces traités, une obligation d’en faire connaitre les règles286. Il est même fait de la diffusion et de l’enseignement du DIH surtout en temps de paix, une condition sine qua none de son respect en temps de conflit. Cette diffusion passe entre autres, par l'obligation de traduire les instruments de DIH dans les langues nationales287. Dans son commentaire des 4 CG, Pictet note que « la connaissance du droit est la condition essentielle pour son application effective et que l’ennemi principal des Conventions de Genève est leur ignorance. Ainsi, pour être efficace, le droit conventionnel de protection aurait dû être connu»288.

Malheureusement, le DIH n’est pas jusqu’ici, le droit le plus connu en Afrique et reste peu diffusé, peu connu et n’est presque pas enseigné dans les universités africaines289, et ce mal- gré l’obligation conventionnelle de le diffuser qui s’inscrit en corollaire de l'engagement des États parties de « respecter et à faire respecter » les dispositions qu'ils contiennent290. Le manquement à cette obligation de l’Etat donne très peu lieu à sanctions et cette situation, combinée aux insuffisances et à l’imprécision des obligations, est exploitée non seulement par les armées nationales mais les groupes armés impliqués dans les conflits pour justifier son inapplication.

Il convient pour y remédier non seulement de renforcer les obligations des acteurs étatiques mais aussi de définir explicitement les obligations des acteurs non étatiques que sont les groupes armés.

286 Les quatre Conventions de Genève de 1949 réaffirment toutes, dans un libellé presque identique, l'obligation générale de diffusion (CG I/II/III/IV, art. 47/48/127/144): «Les Hautes Parties contractantes s'engagent à diffuser le plus largement possible, en temps de paix et en temps de guerre, le texte de la présente Convention dans leurs pays respectifs, et notamment à en incorporer l'étude dans les programmes d'instruction militaire et, si possible, civile, de telle manière que les principes en soient connus de l'ensemble de leurs forces armées et de la population.».

287 CG I/II/III/IV, art. 48/49/128/144; PA I, art. 84.

288 Jean PICTET, « Le Droit International Humanitaire : définitions » In Les dimensions internationales du droit humanitaire, Paris, Pedone /UNESCO, 1986, p 111.

289 J. OWONA, préc., note 275, p 3.

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SECTION 2 : Envisager autrement l’effectivité des droits de l’enfant en