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CHAPITRE I : LA RECONNAISSANCE DES DROITS ESSENTIELS A LA VIE DE

Paragraphe 2 Du concept de conflit armé interne à la qualification de la situation en

Le conflit armé interne ou conflit armé non international (CANI), en raison de sa spécificité, ne fait pas intervenir l’ensemble du droit des conflits armés, mais seulement certaines de ses règles. Il est ainsi essentiellement régi par l’article 3 commun aux 4CG, par le PA II et par le droit coutumier163.

En effet, l’existence de l’article 3 commun164 a permis de « garantir l’application de certaines règles de droit humanitaire sur la base d’un standard objectif »165. Aujourd’hui, « un nombre croissant de règles visent spécifiquement ces conflits »166, mais pas plus que l’article 3, aucune ne le définit en tant que tel en dehors du PAII167.

A. Qu’est ce que le conflit armé interne?

Aux termes de l’article 1er al.1 du PA II, qui développe et complète l’article 3 commun, « les conflits armés non internationaux sont constitués de conflits non couverts par l’article 1er du Protocole Additionnel I et qui se déroulent sur le territoire d’une haute partie contractante,

163 Le droit coutumier représente des règles reconnues par les Etats, qu’ils aient ou non ratifié certaines conventions. Selon un commentaire du CICR, une norme relève de la coutume quand il existe au sein de la communauté internationale, la conviction qu’une telle pratique est requise par le droit. Le CICR a réalisé entre 1995 et 2005, une étude sur le droit international humanitaire coutumier. Sur les 161 règles de la codification du Droit international humanitaire coutumier réalisées par le CICR, seulement dix-huit (18) règles sont applicables aux conflits armés internationaux ; toutes les autres s’appliquent aux deux types de conflit. J-M. HENCKAERTS, L. DOSWALD-BECK, préc., note 58. Il y a également lieu de mentionner que selon une étude du CICR, le droit coutumier étendrait largement aujourd’hui les dispositions générales du PA I aux conflits armés non internationaux. Voir à ce propos, Daniel IAGOLNITZER, Le droit international et la guerre,

évolution et problèmes actuels, Paris, L’Harmattan, 2007, p.42.

164 Pour une historique de l’adoption de l’article 3 commun, voir Jean PICTET, Commentaire de la Convention I

de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, Genève,

CICR, 1952, p.42-51.

165 Gregory LEWKOWICZ, « La protection des civiles dans les nouvelles configurations conflictuelles : retour au droit des gens ou dépassement du droit international humanitaire » dans C-L. POPESCU et J-M. SOREL (dir), préc., note 69, p.12.

166 Il s’agit de l’article 19 de la Convention de la Haye de 1954 sur les biens culturels, l’article 4 du Statut du TPIR, le 2ème Protocole à la Convention de 1980 tel que modifié en 1996, l’article 8 par.2 du Statut de Rome créant la Cour Pénale Internationale, l’article 22 du Protocole de la Haye du 26 mars 1999, l’article 3 du Statut du TSSL. Éric DAVID, Principes de Droit des conflits armés, 5e éd., Bruxelles, Bruylant, 2012, p.131.

167 Les seules dispositions juridiques consacrées au conflit armé non international sont demeurées pendant longtemps l’article 3 commun aux 4CG. Le Protocole II a comblé ainsi un énorme vide juridique en la matière, en dépit de la crainte des Etats en ce qui concerne leur souveraineté quant au maintien de l’ordre au plan interne. Voir Howard S. LEWIE, The law of Non-international armed conflict, Protocol II to the 1949 Geneva

47 entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie de territoire, un contrôle qui leur permet de mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer le présent protocole »168.

Le PA II ne s’applique pas « aux situations de tensions, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues qui ne sont pas considérés comme des conflits armés »169. Pour que le conflit armé soit qualifié de non international, il faut donc :

- que les affrontements mettent en présence des forces armées étatiques et non étatiques (forces armées dissidentes ou groupes armés organisés) sur le territoire d'une haute partie contractante ;

- que lesdites forces agissent sous la conduite d'un commandement responsable ;

- qu’elles exercent sur une partie du territoire un contrôle tel qu'il leur permettait de mener des opérations militaires continues et concertées;

Ces critères relatifs à la qualité des acteurs en présence, à l’existence d’un pouvoir responsable, au contrôle du territoire, au caractère continu des hostilités qui suppose l’existence « d’un seuil de gravité » 170, permettent d’une part, de distinguer un conflit armé interne et une simple situation de troubles ou de tensions internes dont le contrôle relève de la police interne de chaque Etat, et d’autre part, de faire intervenir le PAII.

A contrario, pour ce qui est de l’application de l’article 3 commun, le seuil requis est plus bas, en ce sens que le caractère prolongé du conflit et le contrôle de territoire ne semblent pas être requis pour son application. Ainsi, le CANI qui ne remplit pas ces deux critères mais répond à ceux reliés à l’intensité des hostilités et à l’existence d’un pouvoir responsable et identifiable n’est finalement régi que par cet article 3171.

Toutefois, le Statut de Rome en établissant la compétence de la CPI pour les crimes de guerre commis « dans des conflits armés qui opposent de manière prolongée sur le territoire d’un Etat, les autorités du gouvernement de cet Etat et des groupes armés organisés ou des groupes

168 É. DAVID, F. TULKENS, D. VANDERMEERSCH, préc., note 35, p. 377. 169 Id. Article 1er Paragraphe 2 du PAII.

170 É. DAVID, préc., note 166, p.134. 171 Id. p. 136-141.

48 armés organisés entre eux »172, met l’accent sur le fait que le contrôle de territoire est « un facteur clé pour déterminer si un groupe armé a la capacité de mener des opérations militaires pendant une période prolongée »173.

Sans vouloir établir une ligne de démarcation rigide entre l’application de ces deux instruments, il est important de souligner que l’article 3, considéré comme une convention - miniature contenant l’essentiel des règles du DIH applicable en situation de CANI, s’applique immédiatement, dès l’ouverture des hostilités174. En réalité, les dispositions de l’article 3 ayant été qualifiées de « considérations élémentaires d’humanité »175, ont une portée hautement coutumière et du coup, s’appliquent automatiquement.

Pour ce qui est du PA II, son article 1er al.1 n’envisage que les conflits qui se déroulent sur le territoire d’une haute partie contractante. Autrement dit, le Protocole ne s’appliquera d’abord et avant tout que si l’Etat, sur le territoire duquel se déroulent les hostilités, l’a ratifié. L’application du PA II ne dépend donc pas d’une appréciation discrétionnaire mais de la réalisation de l’élément de la ratification auxquels s’ajoutent les critères énumérés plus haut. Il n’est donc pas d’application automatique.

A la lumière de cela, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), dans sa jurisprudence à l’occasion du conflit intervenu au Rwanda a établi que le seuil d'application du PA II est plus élevé que celui de l'article 3 commun, mais en refusant de prendre en compte le degré de seuil, a décidé que l’article 3 et le PA II étaient tous les deux applicables au conflit rwandais176.

Qu’en est-il du conflit ivoirien ?

172 Article 8 par 2 al.f du Statut. G. LEWKOWICZ, préc., note 161, p.10; Anthony CULLEN, « The definition of Non-International Armed conflict in the Rome Statute of the International Criminal Court: An analysis of the threshold of Application contained in the article 8 (2) (f) », Journal of Conflict and Security Law, vol.12, 2007, 419-445.

173 Affaire ICC-02/05-01/09, Al Bashir, 4 mars 2009, par.60 cité par É. DAVID, préc., note 166, p.136.

174 Joël NGUYEN DUY TAN, Le droit des conflits armés : bilan et perspective, T. 2, Edition Pedone, Paris, UNESCO, 1991, p.853.

175 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, 27 juin 1986, Rec.1986, pp.112 et ss. 176 Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) avait décidé de ne prendre en compte aucune différence et a conclu que si un conflit armé interne répond aux conditions matérielles d'application du PA II, il satisfait ipso facto aux conditions minimum d'application de l'Article 3 commun, dont la portée parait plus vaste. Voir le Procureur c. Bagilishema, Affaire n° ICTR-95-1A-T, jugement, 7 juin 2001, par. 34-36. Consulté en ligne le 13 mars 2014 sur http://www.unictr.org.

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B. Les normes applicables à la crise ivoirienne

Le CICR, dans son commentaire sur l'article 3 commun, a proposé un certain nombre de critères qui, bien que n'ayant aucun caractère obligatoire, constituent autant d’éléments qui permettent de distinguer entre le conflit armé qui est de caractère non international et celui qui ne l'est pas177. Lesdites conditions sont extraites des divers amendements discutés lors de la conférence diplomatique de Genève de 1949 dont notamment :

- La partie rebelle au gouvernement légitime possède une force militaire organisée, une autorité responsable de ses actes, agissant sur un territoire déterminé et ayant les moyens de respecter et de faire respecter la convention ;

- le gouvernement légitime est obligé de faire appel à l'armée régulière pour combattre les insurgés organisés militairement et disposant d'une partie du territoire national ; - le gouvernement légal a reconnu la qualité de belligérant aux insurgés ou bien a

revendiqué pour lui-même la qualité de belligérant ou bien encore a reconnu aux insurgés la qualité de belligérant aux seules fins de l'application de la convention; - le conflit a été porté à l'ordre du jour du Conseil de Sécurité ou de l'Assemblée

générale des Nations Unies comme constituant une menace contre la paix internationale, une rupture de la paix ou un acte d'agression.

Dans le cas de la Côte d’Ivoire, lorsque le 19 septembre 2002, la tentative de coup d’état échoue, la rébellion armée tente de prendre le contrôle des principales villes du pays créant ainsi de nombreux troubles internes ; il s’agissait dans un premier temps pour les forces armées régulières de ramener tant bien que mal la paix et de réinstaurer l’ordre préexistant. Mais en vain. Force a été de constater que très rapidement, les rebelles ont progressé en réussissant à prendre plusieurs villes du Nord du pays et Bouaké, la deuxième agglomération du pays , la région du Sud avec le Port d’Abidjan et la capitale Yamoussoukro étant toujours sous le contrôle du gouvernement ivoirien.

En définitive, « c’est une large portion du territoire ivoirien qui échappe au contrôle du régime, sa partie septentrionale jusqu’à hauteur de Bouaké, mais aussi une partie de sa région occidentale »178. Autrement dit, la Côte d’Ivoire était dès lors géographiquement scindée en deux (02) zones distinctes : le sud tenu par les Forces Armées Nationales de Côte d’Ivoire (FANCI), l’armée régulière et le Nord tenu et contrôlé par les groupes armés organisés qui se sont rapidement identifiés sous le sigle de Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI)

177 CICR, Commentaire I sur la Convention de Genève I, article 3. §.1. 178 J-P. DOZON, préc., note 154, p.59.

50 auquel vont s’ajouter deux autres groupes rebelles, le Mouvement Populaire du Grand Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la Justice et la Paix (MJP) qui seront reconnus plus tard sous l’appellation commune de « Forces Armées des Forces Nouvelles (FAFN) ».

La crise a donc dépassé le stade de simples troubles internes dont elle a pris l’allure au départ. L’existence de ces groupes organisés qui possédaient des armes puissantes et le climat de peur, d’incertitude et d’insécurité qu’ils commençaient à véhiculer, ont conduit le pays dans la guerre civile. Celle-ci sera caractérisée par différentes phases dont l’escalade de la violence. Les combats, les pillages de tous genres, les violences interethniques, la destruction d’infrastructures socio-économiques, notamment les écoles et les hôpitaux amèneront la crise à son paroxysme, en novembre 2004, à la suite de bombardements par l’armée régulière de positions défendues par les rebelles à Bouaké et à Korhogo et de bases françaises.

Il convient de souligner que la présence militaire française en Côte d’Ivoire ne date pas de la crise. En réalité, la Côte d’Ivoire ne possédait pas en tant que telle une armée, celle-ci ayant toujours été le parent pauvre de sa croissance économique, selon la formule de Houphouët « pas d’armée, pas de coup d’état »179.

En vertu de cela, un accord de défense avait été signé entre la France et la Côte d’Ivoire, en 1963 qui stipulait que la France devrait mettre à disposition de la Côte d’Ivoire, une force armée en cas de besoin. D’ailleurs, la présence militaire française en Côte d’Ivoire n’était pas sans importance et passait pour une chose normale. Lorsque Laurent Gbagbo demande donc l’assistance française au cours de cette guerre civile, c’est un peu comme s’il faisait appel à sa propre armée régulière. Ce n’était pas encore à ce stade des hostilités, une internationalisation du conflit.

Seulement l’escalade de la crise et les différents rebondissements dans le degré des hostilités a mis plus qu’il n’en faut les populations civiles, notamment les enfants, en danger. La situation fera dès lors l’objet de résolutions du CS. Les exactions auxquelles toute la communauté internationale a assisté, la violation des droits les plus fondamentaux de l’enfant, posent la question de l’application du DIH à cette situation. Toutes choses qui font systématiquement intervenir l’article 3 commun. Mais bien que remplissant les critères d’application du PA II en ce qui concerne les forces en présence, l’existence de commandements responsables, le

51 contrôle de territoire, la durée des hostilités, c’est surtout le fait que la Côte d’Ivoire ait ratifié le PA II180, qui fait s’appliquer les normes du PA II à la situation en question.

SECTION II : Les impacts du conflit armé interne en Côte d’Ivoire sur