• Aucun résultat trouvé

Différentes routes vers le ralentissement

Les considérations théoriques et les observations expérimentales précédentes permettent de relier l’évolution de la longueur de corrélation ξvv à celle de la vitesse quadratique vrms, tout en suggérant des mécanismes pouvant potentiellement expliquer le ralentissement des mouve-ments dans la monocouche. Afin d’explorer plus avant ces hypothèses, nous avons collaboré avec Édouard Hannezo et Jean-François Joanny du laboratoire, ainsi que Jens Elgeti du Centre de recherche de Jülich (Allemagne) pour conduire des simulations de dynamique de particules dissipative (DPD) sur un système équivalent.

3.4.1 Système simulé

En s’inspirant du travail de Basan et al. [69], on simule nos cellules par des sphères molles adhésives qui évoluent sur une surface plane. Chaque cellule exerce constamment une force motile de norme f0 dont la direction reste fixe pendant un temps de persistance moyen τ, avant d’en choisir une nouvelle aléatoirement (avec une probabilité uniforme). Chaque cellule i interagit avec ses voisines via une force conservative ~Fk dérivant d’un potentiel U =P

Uj de raideur k, répulsif à courte portée et attractif à plus longue portée, de rayon d’équilibre rn :

Uj(~rij) = k 2rrn22

ij

rn

rij !

Le mouvement des cellules est dissipé de deux manières différentes, dont les formulations sont inspirées de celles présentes dans le travail d’Español et al. [187]. Un facteur λcell rend compte des interactions cellule-cellule en venant amortir la composante radiale de la vitesse relative des paires de particules en contact. La force de cette interaction est modulée par un

poids w fonction de la distance rij entre les deux particules : ~ Fλj= −λcellw(rij)h ~uij ·(~vj− ~vi)i ~ uij

où ~uij est le vecteur unitaire dirigé de i vers j.

Un facteur λ décrit, lui, la friction entre cellules et substrat en opposant à chaque vecteur vitesse ~vi une force ~Fλ :

~

Fλ = −λ~vi

Il est important de noter que ce modèle ne possède pas de mécanisme de couplage entre la direction des forces motiles des cellules et les interactions avec l’extérieur. À la différence de celui décrit dans Basan et al. [69], il n’existe pas ici d’interactions explicites d’alignement à la Vicsek.

Ces éléments constituent le système simulé dont on va mesurer la longueur de corrélation ξvv, que l’on va suivre pendant qu’on fait ralentir le système.

3.4.2 Caractéristiques corrélation-vitesse

Le fait de travailler sur un système simulé permet d’explorer de manière indépendante plu-sieurs processus menant à la diminution de vitesse dans la monocouche : une augmentation au cours du temps de l’interaction entre cellules (et donc de k), une diminution de la force de traction f0, une augmentation de l’un ou l’autre des termes de friction (λcell et λ), et cætera. Les résultats des simulations conduites pour ces différentes « routes » vers le ralentissement sont résumés figure 3.22, où il est possible d’observer des lois d’échelles différentes pour chaque cas.

Des contacts d’adhésion cellule-cellule de plus en plus forts se traduisent dans ce système simulé comme une augmentation de la profondeur k du potentiel U d’interaction. La ralen-tissement de la monocouche via cette route se fait alors avec une loi d’échelle vrms ∝ ξα

vvα ≈ −1 (voir figure 3.22a), ce qui s’accorde aux observations expérimentales. Une décroissance des forces de traction ou une augmentation de la friction effective entre cellules se traduit par une décroissance plus douce de la vitesse avec un exposant α > −1 (voir figures 3.22b et 3.22c). Une augmentation de la friction avec le substrat inverse la corrélation entre la longueur ξvv

et la vitesse vrms (α > 0, voir figure 3.22d). Enfin, une augmentation de la densité provoque un ralentissement dont la loi d’échelle est très dépendante de la forme et de la profondeur du potentiel U, mais en général en dehors des exposants obtenus dans les expériences (voir figure 3.22e).

Notons que la loi d’échelle avec α = −1 obtenue pour l’augmentation de la profondeur k du potentiel d’interaction (figure 3.22a) est satisfaite de manière continue du début à la fin de la simulation, c’est-à-dire d’une phase fluide obtenue pour de faibles valeurs de k à une phase solide amorphe (avec effets de confinement local) obtenue pour les grands k. Cette loi donne une dépendance monotone de ξvv avec vrms alors même que le système traverse une transition de jamming. La forme en cloche des caractéristiques corrélation-vitesse étudiées section 3.3.2 ne peut donc être expliquée sur la seule base de la maturation des adhésions cellule-cellule, mais nécessite un ingrédient supplémentaire. Au vu de nos observations, la friction avec le substrat pourrait jouer ce rôle.

3.4.3 Friction avec le substrat non constante

Afin de modéliser l’évolution de cette friction, il est possible de s’inspirer des résultats du modèle aux liens glissants développé section 3.3.4, et en particulier du cas où le système est

Figure 3.22– Résultats des simulations. Ces caractéristiques corrélation-vitesse, à l’exception de la dernière, sont obtenues en faisant varier un unique paramètre. Elles sont ensuite ajustées par une loi de puissance vrms ∝ ξα

vv. Les deux grandeurs ξvv et vrms sont adimensionnées à l’aide de la distance caractéristique ρ1/2 entre cellules et du temps τ de persistance des forces motiles. Les valeurs de référence pour les paramètres gardés fixes sont les suivantes : k= 5, f0= 1, λ = 10, λcell= 10. (a) Augmentation de l’adhésion cellule-cellule k de 0,1 à 30. (b) Diminution de la norme f0des forces de traction de 10 à 2. (c) Augmentation de la friction cellule-cellule λcell de 1 à 100. (d) Augmentation de la friction cellule-substrat λ de 1 à 100. (e) Exemple d’une augmentation de la densité cellulaire ρ (distance ρ1/2 diminuée de 1 à 0,2). (f) Augmentation de l’adhésion cellule-cellule k, avec une dépendance en vrms

ralenti par une augmentation de l’adhésion entre cellules tout en ayant une friction cellule-substrat fonction de la vitesse (courbe violette de la figure 3.21). On se place à nouveau dans le cas où k augmente, en se munissant donc en outre d’un coefficient λ dépendant de la vitesse, et ce d’une manière non linéaire. La réalisation de cette dépendance, qui rend λ plus important pour les vecteurs vitesse ~v de plus petite norme, est faite comme suit :

λ(v) = λ0+ λ1e−v/v0

Cette dépendance est principalement ressentie pour les basses vitesses : le coefficient λ vaut ainsi λ0 pour de grandes vitesses, mais va augmenter de manière de plus en plus prononcée au fur et à mesure du ralentissement, jusqu’à une valeur théorique de λ0+ λ1 à vitesse exactement nulle. Le résultat de ces simulations, illustré figure 3.22f, est très similaire aux caractéristiques obtenues expérimentalement ainsi qu’à celles données par le modèle aux liens glissants. On retrouve bien l’allure en cloche de nos caractéristiques, ainsi que l’exposant α voisin de −1 observé dans le premier régime de nos expériences. Ce résultat est très robuste, particulièrement dans ce régime de grande vitesse, et est obtenu pour diverses valeurs des coefficients de friction λcell et λ0 (voir figure 3.23).

vrms 0,1 1 v−1 rms 1 2 ξvv

Figure 3.23– Caractéristiques corrélation-vitesse obtenues dans le cas d’une friction avec le substrat non constante. Les couleurs correspondent à différentes valeurs des coefficients λcell

et λ0 : valeurs de référence pour la courbe rouge, λ0 valant 0,53 fois la valeur de référence pour la courbe magenta, λcell valant respectivement 0,5 ; 2,5 et 5 fois la valeur de référence pour les courbes bleu foncé, cyan et verte. On retrouve quoi qu’il en soit le large pic en ξvv

et la loi d’échelle aux grandes vitesses ξvv1/vrms.

En conclusion, au regard des observations expérimentales et des résultats de ces considéra-tions théoriques, il semble que l’on puisse rapprocher la forme en cloche de nos caractéristiques corrélation-vitesse réelles comme simulées d’un passage au travers d’une transition de jamming vers un état vitreux, due au « refroidissement » du système, c’est-à-dire une baisse de la vitesse quadratique. Ces simulations contribuent en outre à relier ce ralentissement au changement de nature de la friction effective ressentie par les cellules au cours du temps. Elles sont cohérentes avec la maturation des jonctions cellule-cellule et des adhésions cellule-substrat qui a été montrée expérimentalement.