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Le diagnostic : critères d’analyse et cohérence stratégique 91

CHAPITRE II CADRE THÉORIQUE 39

2.2 L’analyse stratégique des systèmes d’échange de proximité 46

2.2.6 Le diagnostic : critères d’analyse et cohérence stratégique 91

Cette section constitue en quelque sorte la plaque tournante de notre cadre théorique puisqu’elle lie entre elles l’ensemble des sections précédentes et nous fournit les outils nécessaires à notre réflexion portant sur le potentiel de pérennité et de développement des systèmes d’échange de proximité. Nous présenterons les tests de cohérence stratégiques issus du tétraèdre stratégique de Côté et al. (2008), puis les critères d’évaluation des stratégies coopératives de Desforges (1980) et les notions d’équilibrage et d’arbitrage coopératifs de Côté (1992-1993). Nous terminerons par un survol des

quatre diagnostics sur l’entreprise et ses contextes d’Allaire et Firsirotu (2003) qui nous permettront d’aborder la question du cadre mental influençant la qualité du diagnostic stratégique.

2.2.6.1 L’évaluation de la cohérence stratégique globale

Le schéma 2.10 regroupe les quatre tests de cohérences fondamentaux du tétraèdre stratégique proposé par Côté et al. (2008). Selon les auteurs, les orientations stratégiques les plus cohérentes sont celles qui satisfont les quatre tests de cohérence : la cohérence intrinsèque (MOST), la cohérence externe (POST), la cohérence interne (CAST) et la cohérence avec les attentes et les intentions des meneurs d’enjeux (AIME).

Schéma 2.10– La quadruple cohérence des orientations stratégiques (ORIST)

Source : adapté de Côté et al. (2008, p.276)

Le test de cohérence intrinsèque des orientations stratégiques (MOST) « concerne le niveau de concordance que doivent afficher les quatre volets : la mission, les objectifs généraux, la stratégie directrice et la stratégie d’affaire de chaque couple produit-marché (CPM) » (Côté et al., 2008, p. 273). Selon les auteurs, « L’évaluation constante de la cohérence intrinsèque des quatre premiers maillons de la chaîne fins-moyens d’une organisation est une condition essentielle au succès et à la pérennité des organisations. » (p.20).

Le test de cohérence externe (POST) concerne la cohérence entre les orientations stratégiques et le diagnostic externe, laquelle cohérence implique que les orientations stratégiques « soient à jour par rapport aux tendances, ambitieuses au regard des occasions d’affaires, prévoyantes et prudentes face

aux menaces, et parfaitement alignées sur les FCS [facteurs clés de succès] (de chaque CPM). » (Côté et al., 2008, p.274).

À partir du diagnostic interne, le test de cohérence interne (CAST) amène le sommet stratégique à « vérifier si les orientations stratégiques sont cohérentes avec ce que peut faire l’entreprise, compte tenu de sa capacité stratégique établie sous l’angle de : 1) ses forces et ses faiblesses ; 2) ses activités à valeur ajoutée ; 3) ses ressources rares ; 4) ses compétences distinctives ; 5) son cœur de compétences ; 6) son portefeuille de relations et d’expertises mobilisables. » (Côté et al., 2008, p.274).

Enfin, « La cohérence globale des orientations stratégiques dépend aussi […] de la manière dont [elles] satisfont les attentes et les intentions des meneurs d’enjeux (AIME). » (Côté et al., 2008, p.275) La synthèse des diagnostics des meneurs d’enjeux porte sur : leurs valeurs et croyances, leurs intentions et attentes, les structures relationnelles, les attitudes et les comportements.

Pour Côté et al. (2008), la cohérence stratégique globale permet de déterminer les causes de succès ou d’échec des entreprises. Le test de cohérence fondamentale des orientations stratégiques (ORIST) qui résulte de la combinaison des quatre tests précédents « débouche le plus souvent sur un compromis » (Côté et al., 2008, p.278).

2.2.6.2 Les critères d’analyse des stratégies coopératives de Desforges

Selon Desforges (dans Desforges et Vienney, 1980, p. 302), « la stratégie de l’entreprise coopérative doit relever le double défi de satisfaire aux critères associatifs et aux conditions d’insertion dans une économie de marché à titre d’agent efficace ». À cet effet, l’auteur propose une grille d’analyse des modalités de développement des coopératives présentée sous deux volets, celui de l’association et celui de l’entreprise. Du point de vue de l’association, les critères d’évaluation des stratégies reposent sur le statut de propriétaire-usager des membres : l’usage, la pérennité, l’organisation de l’activité et la légitimité communautaire et collective. Alors que les critères d’usage et de pérennité mettent l’accent sur l’usager, le mode d’organisation de l’activité et de poursuite de valeurs communautaires et collectives sont associées au propriétaire. Le support du membre est lié à l’évaluation de l’usage qu’il fait des activités de la coopérative. L’intensité du lien d’usage est fonction de la part que l’activité coopérativisée occupe dans l’ensemble des activités de l’individu (Vienney, 1980, d’après Bouchard, 2001). « Plus cette activité est importante pour l’usager, plus il tendra à donner de l’importance à l’entreprise collective. » (Bouchard, 2001, p.9). Toute stratégie qui maintient ou augmente cet usage pour le sociétaire assure le développement de l’organisation. Le risque de perte d’usage, situé dans une perspective temporelle, ou critère de pérennité, peut être perçu comme plus ou

moins important pour les sociétaires dépendamment du type de coopérative, mais est souvent subordonné au risque financier dans l’évaluation des stratégies par les membres. Au niveau de l’organisation de l’activité, une stratégie diminuant le contrôle des membres exercé sur l’orientation, la structure et le fonctionnement de la coopérative est généralement mal perçue par ceux-ci. Enfin, si la coopérative se développe de manière telle qu’elle s’éloigne de sa légitimité première (réponse aux besoins d’individus marginalisés dans l’économie de marché), une réidentification associative sera nécessaire. Les stratégies qui contribuent à renforcer le sentiment d’appartenance et la légitimité

communautaire et collective (la stratégie de polyvalence surtout) seront privilégiées à la lumière de ce

critère. Alors que les modalités de développement par polyvalence et en surface privilégient les critères liés à l’usage, celle d’intégration économique et de diversification favorisent habituellement ceux de propriété. Pour Bouchard (2001, p.9), les stratégies des entreprises collectives « doivent viser au renforcement constant du lien d’usage ». L’intensité du lien d’usage peut varier dans le temps, la mobilisation étant très forte aux premiers temps du projet, mais étant susceptible de décliner une fois qu’une réponse a été apportée au besoin des membres et également avec l’arrivée de concurrents offrant les mêmes services (Bouchard, 2001).

« L’entreprise coopérative est […] influencée par le contexte, le système de valeurs et la technologie, au sens large, qui prévaut à son insertion dans les économies de marché contemporaines » (Desforges, 1980, p.303)

Cinq critères d’évaluation des choix stratégiques sont présentés par Desforges du point de vue de l’entreprise. L’accès à la technologie moderne implique un besoin croissant de capitalisation et une gestion planifiée des investissements. Le mode d’organisation est également influencé par les choix technologiques. Dans un type d’organisation où l’individu est placé au centre des préoccupations, il est difficile de considérer les ressources humaines comme des facteurs de production. La spécificité de la gestion des ressources humaines dans la coopérative est souvent considérée comme une contrainte à l’efficacité.

« Le gestionnaire et souvent même le sociétaire, plus ou moins consciemment, projettent sur l’entreprise coopérative un modèle d’efficacité et de performance hérité de l’entreprise capitaliste, à tort ou à raison. » (Desforges, 1980, p.302).

L’évaluation des stratégies de la coopérative sous le critère des finances est ardue et soulève beaucoup de questions. Ce critère sera peu utile dans le cas des systèmes d’échange de proximité. L’auteur parle en outre des deux types de relations de commercialisation dans la coopératives : celles avec les membres et celles avec les non-membres. Ces deux relations doivent être analysées individuellement, mais un minimum de cohérence doit être maintenu entre les deux aspects. Il ne faut pas en venir à considérer les membres comme des fournisseurs ou des clients, sans quoi les valeurs

coopératives risquent d’être dénaturées. Enfin, un des défis des coopératives consiste à influencer leur

secteur d’activité sans en adopter toutes les caractéristiques. Les secteurs industriels adoptent

généralement des structures qui facilitent la pérennité des agents dominants.

Les critères d’évaluation proposés « mettent en évidence le rôle d’interface de l’entreprise coopérative entre les besoins du sociétariat et les exigences d’un marché capitaliste. » (Desforges, 1980, p. 307).

2.2.6.3 La typologie de développement du mouvement coopératif de Côté

Côté (1992-1993), qui s’est intéressé à l’analyse stratégique des coopératives, propose un concept analogue à celui de fit stratégique dans l’entreprise privée (Andrews, 1973, dans Côté, 1992-1993). L’arbitrage coopératif correspond à l’adéquation entre les capacités de la coopérative (aboutissement du diagnostic organisationnel) et les opportunités offertes par l’environnement (à la lumière de l’analyse environnementale). C’est la notion d’équilibre qui est recherchée. Cet arbitrage doit se faire à l’intérieur de la marge de manœuvre de la coopérative qui est contrainte aux niveaux économique, politique, bureaucratique, technologique, mais surtout idéologique (certaines opportunités offertes par l’environnement ne sont tout simplement pas envisageables si l’on tient compte de la spécificité de la coopérative et des valeurs promues). Pour que l’équilibre soit atteint, il faut qu’un minimum d’efficacité économique soit obtenu et que le lien d’usage soit maintenu. La stratégie dans la coopérative vise à la fois à assurer la pérennité (perspective de l’entreprise) et à améliorer la relation entre les membres et l’environnement (perspective de l’association).

Côté propose lui aussi une typologie du développement des mouvements coopératifs (voir schéma 2.11). Lors de l’émergence, l’aspect associatif prédomine sur l’aspect entreprise. La coopérative sert alors à « limiter les effets négatifs propres aux perturbations liées aux transformations du système économique » (idem, p. 21). Le regroupement des unités locales en fédération puis en confédération accélère le processus de développement et amène le mouvement en phase d’institutionnalisation. On assiste à un glissement vers la prédominance de l’entreprise. Le mouvement risque de perdre sa spécificité par rapport à l’entreprise privée et la réussite économique devient la seule finalité de la coopérative. Une fois un certain niveau de maturité atteint, l’avènement d’éléments perturbateurs (à l’interne ou à l’externe) pousse la coopérative à réévaluer sa pertinence et la dirige vers un nouvel

équilibrage coopératif. On peut donc résumer les propos de Côté en soulignant l’importance, dans le

choix des stratégies, de rechercher un équilibre entre le maintien de la vie associative et la recherche d’une viabilité économique. Les stratégies devront être formulées à la lumière des diagnostics interne et externe et de la prise en compte des contraintes réduisant l’éventail des stratégies envisageables.

Schéma 2.11 – La typologie de développement des mouvements coopératifs

Source : Côté (1992-1993)

2.2.6.4 Le diagnostic sur l’entreprise et ses contextes et les obstacles au diagnostic

Pour Allaire et Firsirotu (2003), la qualité du jugement des dirigeants est un enjeu important. La compréhension de la situation par les dirigeants est limitée par un cadre mental, lequel emprisonne leurs facultés d’analyse et délimite leur vision de façon à filtrer l’information pour renforcer et confirmer les a priori et les préjugés. Le phénomène peut se produire dans toutes les organisations, même les mieux gérées, les organisations d’économie sociale n’étant pas à l’abri. Ce cadre mental, influençant l’analyse de la situation de l’entreprise par le sommet stratégique, est susceptible de mener à de mauvais choix stratégiques. Allaire et Firsirotu (2003) présentent quatre diagnostics auxquels sont susceptibles d’être confrontées les entreprises. Ces diagnostics reposent sur le niveau d’adaptation de l’entreprise au contexte présent et sur la continuité entre les contextes présent et futur. Le schéma 2.12 résume les quatre situations envisageables.

Schéma 2.12 – Le diagnostic sur l’entreprise et ses contextes : 4 cas

Source : Allaire et Firsirotu (2003, p.449)

Lorsque l’entreprise est adaptée au contexte présent (cette adaptation se traduit par une bonne performance) et qu’aucune perturbation majeure n’est jugée probable, l’entreprise prévoit s’adapter graduellement à l’évolution du contexte, possiblement même en l’influençant (Cas I). Lorsque l’entreprise a une performance mitigée, mais que la direction juge que le contexte présent évoluera de façon à favoriser l’entreprise à l’avenir, l’inadaptation est temporaire (Cas II). Un événement transitoire, comme une récession, peut affecter temporairement une entreprise. Les dirigeants peuvent toutefois se tromper et mal évaluer le potentiel d’évolution du contexte. Si l’entreprise est bien adaptée au contexte présent, mais que la direction n’arrive pas à déceler les bouleversements à venir dans un futur plus ou moins proche (discontinuité), l’entreprise se retrouvera inadaptée à plus ou moins long terme (Cas III). D’autre part, si l’entreprise est inadaptée au contexte présent, mais que les dirigeants jugent à tort que le contexte évoluera de façon favorable dans l’avenir, l’entreprise demeurera inadaptée au contexte futur (Cas IV). Dans les deux derniers cas, des changements radicaux – portant à

la fois sur la structure et la culture – doivent être menés dans l’entreprise afin d’assurer sa survie. Ces propos nous rappellent l’importance, dans tous les types d’organisation, de rester alerte à d’éventuels bouleversements dans le contexte (analyse environnementale) qui pourraient nécessiter des changements dans les stratégies.

Selon nous, le cas de l’échange de proximité en Argentine s’apparente au diagnostic III : bien que le système monétaire mis en place par les réseaux de troc fût adapté au contexte (dévaluation de la monnaie, inflation, taux de chômage élevé), l’évolution du contexte, soit la résorption de la crise économique, a entraîné un retrait massif des individus du réseau, qui a rapidement perdu le poids qu’il jouait dans l’économie. La montée a été spectaculaire, tout comme la chute, l’expérience n’entraînant pas de changement durable dans les modes de consommation des individus. La littérature fait état de plusieurs expériences qui s’effritent après une croissance rapide, dans des pays qui ne sont néanmoins pas aux prises avec des crises économiques majeures. Un dilemme peut survenir entre l’identification d’un cas II et d’un cas IV. L’enjeu est le niveau de continuité entre le contexte présent et le contexte futur. Si les dirigeants jugent que le contexte évoluera de façon à favoriser l’organisation à moyen terme (par exemple, en raison de l’évolution des mentalités et de l’intérêt de la population pour les pratiques de consommation éthiques), aucun changement stratégique radical n’est à envisager. Comme nous l’avons vu plus tôt, la direction peut toutefois faire preuve de presbytie en considérant que les changements à venir sont plus imminents qu’ils ne le sont en réalité. Dans ce cas, la survie même de l’organisation est en danger et une réflexion doit être rapidement amorcée afin d’identifier des pistes de développement futur. Ce modèle de diagnostic constitue un outil supplémentaire qui nous aidera à évaluer le potentiel de pérennité et de développement des systèmes d’échange de proximité.

De cette section sur le diagnostic et les critères d’évaluation, nous retenons donc que les stratégies développées dans les systèmes d’échange de proximité doivent prendre en considération à la fois la capacité stratégique de l’organisation (analyse interne), sa position stratégique (analyse externe) et les attentes des parties prenantes. L’analyse externe doit tenir compte de l’évolution à plus ou moins long terme du contexte dans lequel l’organisation évolue, notamment les phases de développement du marché (que nous avons abordées à la section 2.2.3). L’organisation doit maintenir une cohérence permanente entre les quatre éléments de ses orientations stratégiques, c’est à dire la mission, les objectifs généraux, la stratégie directrice et la stratégie d’affaires. De plus, les choix stratégiques doivent intégrer la nécessaire conciliation de la viabilité de l’association et de celle de l’entreprise, de façon à trouver un équilibre qui permettra à l’organisation de se développer harmonieusement. Rappelons enfin que les dirigeants doivent demeurer alertes dans leur réflexion stratégique et éviter

toute forme de myopie ou de presbytie stratégique pouvant nuire à leur compréhension de la situation réelle de l’organisation.