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Le diable au corps

Dans le document FAUCHÉS EN PLEINE GLOIRE (Page 23-29)

L

a Première Guerre mondiale vient de se terminer. Après quatre ans d'horreur, le monde devenu euphorique ne demande qu'à s'étourdir et oublier.

Partout c'est la fête, notamment au Bœuf-sur-le-toit, cabaret réputé des Champs- Elysées, animé par les pianistes Wiener et Doucet. Endroit à la mode, il est le lieu de rencontre des artistes, des écrivains et des élégantes. Les musiciens Francis Poulenc et Georges Auric retrouvent le poète Max Jacob et Jean Cocteau accompagné d'un jeune ami : Raymond Radiguet. Cet adolescent, comme un météore, bouleversera le monde des lettres pour disparaître à vingt ans, fauché en pleine gloire.

Il naît le 18 juin 1903 à Saint-Maur-des-Fossés. Son père est dessinateur humoristique dans un journal. L'enfant se révèle tout de suite vif et remuant. À quatre ans, désireux d'imiter son papa, il oblige la bonne à prendre le train, à la gare du pays, pour aller « faire l'homme ». À l'école communale, deux ans plus tard, à la distribution des prix, le gamin provoque des remous sur la répartition des couronnes de laurier. Déjà la lecture le passionne et l'absorbe des heures entières. Lorsqu'il atteint onze ans, il exige d'entrer au lycée. « Obtiens d'abord une bourse », rétorque le père. Avec ardeur et obstination, Raymond se met à l'étude, et réussit à boucler le programme de deux années en une seule.

Admis au lycée Saint-Charles, il passe pour un élève médiocre. « Quel malheur qu'il ne travaille pas, il pourrait faire ce qu'il voudrait ; c'est un cancre », déclare le proviseur.

Poète à quatorze ans, journaliste comme son père à quinze ans, il se lie au Montmartre artistique, puis au Montparnasse des surréalistes, fréquentant aussi les peintres Picasso et Modigliani.

La première fois que Raymond se rend seul chez Cocteau, rue d'Anjou,

la femme de chambre vient prévenir : « Il y a dans l'antichambre un enfant avec une canne. »

L'horizon littéraire est en pleine transformation. La guerre a tué Péguy, Alain-Fournier, Louis Pergaud, Apollinaire par suite de blessure, et bien d'autres. Les vieilles gloires disparaissent. Proust en 1922, Barrès, Pierre Loti en 1923 ; Anatole France suivra bientôt. Par ailleurs, de nouveaux prix voient le jour. La chasse aux jeunes bat son plein chez les éditeurs. L'un d'entre eux, Bernard Grasset, est très lié avec Jean Cocteau, dandy chéri de la haute bourgeoisie parisienne, déjà célèbre pour ses œuvres teintées de scandale. Le poète lui vante un jeune écrivain de talent, auteur d'un roman très prometteur qu'il vient d'achever.

Alléché, Grasset demande à rencontrer rapidement le prodige. Ce sera long. Finalement, le 3 mars 1922, Radiguet se rend dans l'austère bureau de l'éditeur rue des Saint-Pères, accompagné de son mentor qui se met à lire quelques pages choisies au préalable du Diable au corps. Le jeune homme, intimidé, debout dans un coin, fait figure de candidat devant un examinateur.

Grasset, ébloui par tant de facilité dans l'écriture, flaire le chef-d'œuvre et propose sans attendre à l'écrivain un contrat de 1 500 francs mensuels pendant deux ans « à valoir », avec un acompte immédiat de 4 500 francs.

Cependant, le texte devra être travaillé et quelque peu modifié. Ray- mond, déjà en pourparlers avec Laffite, craint un litige. « Qu'importe j'en fais mon affaire », répond l'éditeur.

L'auteur accepte et se met au travail, lentement, d'autant qu'il a en chantier un nouveau roman, Le Bal du comte d'Orgel. Cependant Jean Cocteau promène partout son protégé. Le romancier François Mauriac, à la critique corrosive, remarquera « son air de chouette dressée immobile et aveugle ».

On voit les deux amants ensemble, au théâtre lors des générales, au cinéma, au music-hall. Ils visitent les ateliers de peinture et assistent aux vernissages. Brasseries, restaurants, guinguettes jalonnent le tourbillon de leurs plaisirs.

Fin janvier 1923, Radiguet remet la version définitive du Diable au corps.

Alors commence une extraordinaire publicité fondée sur le jeune âge de l'auteur.

Ainsi, on annonce aux actualités du Gaumont : « Le plus jeune romancier de France vient de sortir son premier roman. »

Le livre raconte la liaison d'un lycéen avec une femme dont le mari est au front. On va jusqu'à suggérer qu'il s'agit probablement d'un récit auto- biographique. L'audace publicitaire de Grasset choque la presse, peu habituée à ce battage. Le public, toutefois, réserve bon accueil à l'ouvrage, attiré peut-être autant par la controverse que par la pureté du style et la finesse de l'étude

psychologique des personnages. Référence est faite à Mme de la Fayette et à Choderlos de Laclos. On s'étonne qu'un garçon de cet âge puisse avoir l'expé- rience d'un homme de quarante ans.

L'œuvre obtient le Prix du Nouveau Monde. Aussitôt, l'association des Écrivains anciens combattants crie à l'imposture, tant la situation décrite lui semble outrageante.

Grasset désire publier les poèmes Les Joues en feu. Depuis longtemps, Radiguet est engagé avec Kra. L'éditeur rachète à ce dernier les droits pour douze cents francs.

La lente maturation du Bal du comte d'Orgel se prolonge. Radiguet exécute les modifications encore exigées par Grasset, lorsqu'il reçoit convocation du conseil de révision. L'éditeur s'offre de l'y conduire. Peut-être espère-t-il agir sur l'agent de recrutement? Raymond est déclaré bon pour le service. L'éditeur écrit au général de la subdivision de Paris pour demander un sursis. Il l'obtient jusqu'à fin décembre. Le livre pourra donc être terminé à temps. Peine perdue.

Radiguet décède à Paris, le 12 décembre 1923, de la fièvre typhoïde, vers cinq heures du matin, pratiquement seul, après d'affreuses souffrances.

Cocteau corrige pieusement les épreuves, et l'ouvrage paraît en 1924. La mort prématurée de l'auteur fait office de réclame. Certains critiques, friands d'esclandres, ne craignent pas d'écrire : « C'est du Cocteau », provoquant d'énormes polémiques. Grasset riposte vertement, ce qui va provoquer bien des troubles dans le milieu des lettres. On ira jusqu'à parler de duel. Dans le Bal du comte d'Orgel, on retrouve, accentuées, les qualités de maîtrise et de lucidité du premier roman, qui renouait avec le classique.

Ce retour aux traditions fait monter le tirage qui approche les cent mille, Grasset dira cent vingt mille dans sa publicité, comme il avait annoncé quatre cent mille au lieu de deux cent mille pour le grand succès Maria Chapdelaine, de Louis Hémon. Avec le temps, les critiques s'assagirent. Ils n'avaient plus peur de dire du bien de l'auteur, puisqu'il était mort.

Napoléon II

V rs 1807, l'empereur Napoléon I finit par se rendre à l'évidence : Joséphine ne pourra jamais lui donner d'enfant. Doutant de ses propres facultés de procréer, il est fou de joie quand Marie Walewska, sa maîtresse polonaise, lui apprend qu'elle est enceinte. Obsédé par le problème de sa descendance, il se cherche une épouse de haute lignée, qui légitimera sa position. Influencé par Metternich et Fouché, il choisit Marie-Louise d'Autriche, descendante des Habsbourg, âgée de dix-neuf ans. Le mariage a lieu le 1 avril 1810.

« C'est un ventre que j'épouse », avoue Napoléon qui espère à l'avenir bénéficier de la neutralité autrichienne.

L'impératrice éprouve les premières douleurs le 19 mars 1811, pendant que son mari prend un bain brûlant, selon ses habitudes. L'accoucheur Dubois hésite. « Je vais être obligé d'utiliser les fers », dit-il, inquiet, réclamant la présence de Corvisart, premier médecin de la Cour. « La nature n'a pas deux lois, s'exclame l'empereur irrité, traitez-la comme une boutiquière de la rue Saint-Denis. »

Le lendemain matin, à 8 h 20, Napoléon, François, Charles Joseph jette son premier cri. On le trempe dans une baignoire d'eau tiède, avant de lui souffler quelques gouttes d'eau de vie dans la bouche. C'est le petit-neveu de Louis XVI et de Marie-Antoinette, descendant aussi de Henri IV et Louis XIV. Il reçoit le titre de Roi de Rome, héritier de l'Empire.

Jamais un bébé ne sera plus choyé. Entouré d'un luxe inouï, il est baptisé le 9 juin à Notre-Dame, par le cardinal Fesch, son grand-oncle paternel, devant une foule plutôt froide.

Enthousiasmé, Napoléon dira à Duroc : « J'aurai été Philippe, il sera

Alexandre. » Il est si fier de son fils, qu'un jour, à Bagatelle, il le présente discrètement, accompagné de sa gouvernante Mme de Montesquiou, à José- phine.

L'empereur adore jouer avec le bambin, au contraire de Marie-Louise, plus amante que mère, qui ne témoigne au prince qu'une affection mesurée, et abandonne à l'étiquette le soin de son éducation. Néanmoins, elle le fait peindre par Isabey et par Aimée Thibault, assis sur un mouton : miniature que Napoléon gardera toujours jusqu'à Sainte-Hélène.

L'altesse en maillot, insouciante, grandit sans problème, venant parfois troubler le Conseil des ministres.

Cependant Metternich, fort de l'appui des Anglais, tire les ficelles et noue de nouvelles alliances, à la grande colère de l'empereur qui doit affronter l'armée de son beau-père François. Le 25 janvier 1814, Napoléon, en quittant sa femme que cette guerre chagrine, regarde dormir le petit Roi aux mèches blondes. Il ne le reverra jamais plus.

L'invasion ennemie contraint le prince à se retirer avec sa mère au sud de la Loire. Puis Marie-Louise se rend à Rambouillet où elle retrouve son père François qui murmure, ému, en voyant l'Aiglon : « Mon sang coule dans ses veines. » Lorsque Napoléon part en exil, le Roi de Rome — devenu Prince de Parme — s'installe avec sa mère au château de Schoenbrunn, accompagné toujours de Mme de Montesquiou et de Marchand, dont le fils servira Napo- léon I à Sainte-Hélène jusqu'à la fin.

Afin que sa fille n'aille pas rejoindre son mari à l'île d'Elbe, François, machiavélique, place auprès d'elle un chevalier d'honneur, le général Neipperg, qui deviendra vite l'amant de Marie-Louise. (Elle l'épousera même après la mort de Napoléon.)

Sitôt connu le retour de Napoléon I les Autrichiens, inquiets, séquestrent le petit Roi à Vienne, à la Hofburg, et renvoient à Paris tout le personnel français. Après Waterloo et la seconde abdication du « Petit Caporal » en faveur de son fils, âgé de quatre ans, celui-ci est théoriquement reconnu empereur sous le nom de Napoléon II, le 23 juin 1815, par les chambres des Cent Jours. Mais l'enfant ne reviendra jamais en France. Il connaîtra l'existence dorée mais fastidieuse d'un dauphin autrichien ; son précepteur, le comte de Dietrich- stein, a pour mission de le couper de toutes ses racines françaises.

Par ses origines célèbres, le jeune prince inquiète toutes les cours d'Europe. Quand, le 11 juin 1817, le duché de Parme est donné en souveraineté à Marie-Louise, la clause de réversibilité dont bénéficie son fils — maintenant duc de Reichstadt — est rapidement annulée à la demande de Louis XVIII, qui a peur de voir régner un Bonaparte en Italie. La mort de Napoléon I son père,

attriste pour longtemps l'enfant, âgé de dix ans. Désormais, les passions bonapartistes toujours fort tenaces vont se trouver cristallisées sur lui, et le parti libéral en France s'indigne du sort du jeune « prisonnier » de la Gloriette, de plus en plus abandonné par sa mère.

Bon cavalier, il peut conduire avec dextérité une voiture à quatre chevaux. Le grand jeune homme blond aux yeux bleus brille dans les bals de Vienne, et séduit les jeunes princesses éblouies par son élégance.

Peu à peu, le duc de Reichstadt, que l'on appelle maintenant familière- ment Franz, découvre l'épopée de Napoléon, à la lecture des récents ouvrages d'histoire et lors des visites du maréchal Marmont. Subjugué, il va concevoir un véritable culte pour son père.

Nommé capitaine de chasseurs tyroliens, il prend plaisir à exécuter des manœuvres avec ses soldats, malgré sa santé de plus en plus délicate. En juillet 1830, au moment où Charles X est renversé en France, il devient chef de bataillon, portant un magnifique uniforme blanc. Des appels de tous bords arrivent pour que le fils du grand empereur soit installé sur le trône. Vu l'instabilité politique, il aurait probablement réussi s'il avait pu se présenter à Strasbourg, convaincu, un drapeau tricolore à la main.

On songe sérieusement à lui pour un trône en Pologne ou en Belgique, mais Metternich, qui a déjà utilisé le nom du prince comme moyen de pression auprès de Louis-Philippe, ne veut pas remettre en cause les principes de la Sainte-Alliance. L'Aiglon ne pourra jamais rien faire. Sa santé se dégrade, il maigrit. Lors d'une parade, il prend froid, et s'éteint à vingt et un ans, le 22 juillet 1832, emporté par la phtisie et non par un empoisonnement comme le bruit en courut.

Le 15 décembre 1940, cent ans jour pour jour après le retour des cendres de Napoléon de Sainte-Hélène, Hitler rendit le cercueil du Roi de Rome à la France afin que le Prince reposât aux Invalides, auprès de son père.

Dans le document FAUCHÉS EN PLEINE GLOIRE (Page 23-29)

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