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CHAPITRE 2 : ENQUÊTE AUPRÈS DES DONNEUSES D’OVOCYTES EN

B. Sur la difficulté de dire et la curiosité de savoir

3) Un devoir de transparence

Étrangeté de notre part de penser que la conception médicalisée (où l’on y voit une procréation « industrielle » avec tout un secteur médical qui s’active) DOIT SE DIRE tandis que la conception naturelle, qui reste « artisanale » dans un acte d’amour avec son secret d’alcôve est donc un secret acceptable.

Aujourd’hui, au nom d’un droit de savoir et d’un impératif de transparence toujours plus impérieux, les couples demandeurs de fécondation avec tiers donneur sont fortement exhortés à dévoiler le plus tôt possible le secret vis-à-vis de leur famille en général et de leur enfant en particulier. Cette recommandation qui nous semble aller de soi, contrairement à ce que l’on pense, ne fait toujours pas l’unanimité. Le vice-président du CCNE, le philosophe Pierre Le Coz, plaide ainsi pour une vision spiritualiste de la famille où « le secret est un acte psychique qui peut être fort bien vécu comme un

devoir ».90

Pierre Le Coz ajoute de prendre au sérieux le choix des futurs parents et de considérer que lorsqu’ils demandent que le nécessaire soit mis en place pour que le secret soit préservé, ils disent quelque chose qui a un rapport à ce qu’ils désirent réellement.

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«Ainsi, dit-il, dans le cas du don de sperme, lorsque le père de

substitution prétend qu‟il sera le vrai père, il n‟est pas nécessairement prisonnier d‟un mécanisme de refoulement de la vérité […]. Il est philosophiquement défendable de faire résider la paternité essentiellement dans la relation affective et éducative à un enfant. C‟est pourquoi rien ne devrait incliner celui qui tient ce discours spiritualiste sur la paternité à se représenter le secret comme un mensonge […]. » Source spécifiée non valide.

D’ailleurs, après le choc de la révélation, certains jeunes qui ne se doutaient de rien semblent regretter d’avoir été informés et font valoir un « droit à ne pas savoir ».

Est-ce parce que nos donneuses ressentent ce risque de déstabilisation dans leur propre famille, qu’elles ne parlent pas ou très peu du don à leurs enfants ? Loin de nous l’idée qu’il faille cacher la vérité une fois que l’enfant est là, mais l’ensemble de ces éléments nous montre qu’il est beaucoup plus problématique qu’on ne le pense de préconiser abruptement, comme on le fait aujourd’hui, qu’il faut « tout dire » après avoir exhorté les couples il y a quelques années à «ne rien dire ».

Et puis quand et à quel âge faut-il en parler ?

Sociologue au CNRS, Dominique Mehl, pourtant favorable au don de gamètes et à la levée du secret, n’est guère précise lorsque la journaliste l’interroge91

à ce sujet

« C‟est très compliqué. Beaucoup de parents d‟ailleurs ne le révèlent pas à leur enfant. Sur les forums Internet, la question du “quand le dire” est énormément discutée. Lorsque la révélation est tardive, après l‟adolescence, c‟est assez dramatique. Les jeunes réalisent qu‟ils ont vécu dans un simulacre. Ils témoignent tous que c‟est un vrai choc ».

En somme, il faut le dire ni trop tôt, ni trop tard.

Peut-on se contenter de recommandations aussi vagues qui ne manqueront pas de laisser démunis les parents ? Nombreux sont ceux qui m’ont rappelée, après la naissance et qui ont évoqué ce problème avec moi.

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Peut-on confondre l’information de l’enfant issu d’un don et l’information des enfants de la donneuse ?

Michela Marzano reconnaît que lorsqu’une ou plusieurs personnes détiennent un secret en lien avec notre vie, elles peuvent exercer un pouvoir sur nous au risque de nous instrumentaliser, mais ajoute-t-elle, « s‟opposer toujours et a priori au secret au nom d‟une vérité idéalisée peut conduire à des effets dramatiques sur ceux qui sont concernés Source spécifiée non valide..

Mais la divulgation « du secret » semble avoir deux composantes. Il y a d’une part la révélation des circonstances de la conception (le don, l’ICSI…) et d’autre part la communication du nom et de l’adresse de la donneuse. Ainsi, en Suède, aucune demande dans ce sens n’a été déposée !

Un fait intéressant : une étude montre que les parents, ayant eu recours au don d’ovocyte, seront plus disposés à informer leurs enfants que ceux qui ont eu recours au don de spermatozoïdes (63). Pour cette raison, se pose la question du même droit pour chaque enfant et l’obligation de non discrimination.

Ainsi, nous vivons dans la conviction que le « tout dire » va « tout suffire » sans prendre conscience que la vie est irrationnelle. Dans la vérité, il faut faire la part du mythe, de l’affect, de l’amour, du repentir… Pourquoi les lettres qui constituent le mot « vérité » en hébreu (Emet) sont-elles la première, la dernière et la lettre médiane de l’alphabet ? Quelle signification universelle cela peut-il avoir ?

La vérité a la dureté du diamant et la tendresse de la jeune fleur, disait Indira Gandhi.

L’irruption d’un tiers donneur dans la procréation a le mérite de nous rappeler que l’esprit humain ne saurait être omniscient, que la réalité comporte toujours du mystère. Il nous faut négocier avec l’irrationalité, l’obscur, Rappelons-nous de la lecture Deleuzienne, 92 des années soixante-dix.

« Je crois au secret, c'est-à-dire à la puissance du faux, plutôt qu'aux récits qui témoignent d'une déplorable croyance en exactitude et vérité. Mes rapports avec les pédés, les alcooliques ou les drogués, qu'est-ce qu'ils ont à faire ici, si j'obtiens sur moi des effets analogues aux leurs par d'autres moyens ? L'intéressant n'est pas de savoir si je profite de quoi que ce soit, mais s'il y a des gens qui font telle ou telle chose dans leur coin, moi dans le

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mien, et s'il y a des rencontres possibles, des hasards, des cas fortuits, et pas des alignements, des ralliements, toute cette merde où chacun est censé être la mauvaise conscience et le correcteur de l'autre. [...] Le problème n'a jamais consisté dans la nature de tel ou tel groupe exclusif, mais dans des relations transversales où les effets produits par telle ou telle chose (homosexualité, drogue, etc.) peuvent toujours être produites par d'autres moyens. Contre ceux qui pensent "je suis ceci, je suis cela", et qui pensent encore ainsi de manière psychanalytique (référence à leur enfance ou à leur destin), il faut penser en termes incertains, improbables : je ne sais pas ce que je suis, tant de recherches ou d'essais nécessaires, non-narcissiques, non-œdipiens Ŕ aucun pédé ne pourra jamais dire avec certitude "je suis pédé". Le problème n'est pas celui d'être ceci ou cela dans l'homme, mais plutôt d'un devenir inhumain, d'un devenir universel animal : non pas se prendre pour une bête, mais défaire l'organisation humaine du corps, traverser telle ou telle zone d'intensité du corps, chacun découvrant les zones qui sont les siennes, et les groupes, les populations, les espèces qui les habitent. »

La vérité n’est pas figée à jamais. Elle a son mystère et ses incertitudes. Intégrer l’anonymat à la vérité racontée ne signifie pas que tout est incertain. Nous sommes amenés à naviguer dans un océan d’incertitude à travers des îlots et des archipels de certitude. Nous avons le problème d’un réel complexe. Pour reprendre l’image de la « vieille taupe » hégélienne, la recherche de la vérité est plus une recherche intérieure avec un esprit qui s’oppose avec lui-même jusqu’à ce qu’il trouve assez de force pour y soulever la croute terrestre qui le sépare du soleil.93