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Le devoir de compétence

L’article 122(1)(b) de la loi fédérale impose aux administrateurs et dirigeants un devoir de « compétence » (skill).

Le droit antérieur n’avait certes pas été exigeant à leur endroit à cet égard, ainsi qu’en témoignent les passages d’arrêts suivants : [A director] is, I think, not bound to bring any special qualifications to his office. He may undertake the management of a rubber company in com-plete ignorance of everything connected with rubber, without incurring responsibility for the mistakes which may result from such ignorance.2 A director need not exhibit in the performance of his duties a greater degree of skill than may reasonably be expected from a person of his knowledge and experience. A director of a life insurance company, for instance, does not guarantee that he has the skill of an actuary or of a physician.3

Une explication possible à cette attitude laxiste des tribunaux anglais est qu’à l’époque de ces jugements les administrateurs étaient des dirigeants à temps partiel, des «figureheads and adornments to the company Christmas tree», bien souvent des gens de la noblesse avec du temps libre que les tribunaux considéraient comme des

«pleasant, if incompetent, amateurs»4.

On n’attendait pas d’un administrateur qu’il fasse preuve d’une habileté qu’il n’avait pas. Il aurait d’ailleurs été illusoire de s’attendre à cela d’un administrateur naïf, ignorant ou incompétent, et injuste de lui tenir rigueur d’une telle lacune. On ne demandait pas à l’ad-ministrateur d’être un expert, à moins qu’il n’ait été choisi juste-ment parce qu’il en était un, ou qu’il avait prétendu en être un. Si,

2 In Re Brazilian Rubber Plantations & Estates Ltd., [1911] 1 Ch. 425 (C.A.) (j. Neville).

3 In Re City Equitable Fire Insurance Co. Ltd., [1925] 1 Ch. 407, 428 (C.A.) (j. Romer).

4 Dixon c. Deacon Morgan McEwen Easson, (1989) 41 B.C.L.R. (2d) 180, 193 (S.C.), citant Farrar on Company Law, 1985, p. 317.

dans les faits, il était un expert dans un champ donné, il devait faire bénéficier la société de cette science.5

L’adoption de la norme de compétence de l’article 122(1)(b) de la loi, qui doit être celle « dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne (raisonnablement) prudente », n’a probablement pas changé grand-chose à ces principes.

John L. Howard, en commentant la nouvelle norme de diligence et de compétence lors de son entrée en vigueur, a dit qu’elle était essentiellement «declaratory of the common law standard», et pré-cise :

Each director or officer, although he is not required to bring to his office a predetermined level of skill, must exercise reasonably on behalf of the corporation the specialized skills he has. For example, a lawyer is expected to be more sensitive to prospectus disclosure requirements and an accountant is expected to be more critical of a proposed audit pro-gram.6

Il ajoute que

The term skill was expressly used to legitimate distinctions between inside and outside directors and between business generalists and pro-fessionals.7

La Cour d’appel fédérale a, dans l’arrêt Soper c. Canada8, établi une différence d’intensité des devoirs de prudence et de diligence des administrateurs « internes » et des administrateurs « externes », et déclaré :

[...] un administrateur est censé exercer ses fonctions avec soin en agis-sant raisonnablement en fonction des connaissances et de l’expérience qu’il possède effectivement [...] Par conséquence, dans le cas où la per-sonne prudente est inexpérimentée [...], la loi requiert uniquement que

5 In Re Brazilian Rubber Plantation & Estates Ltd., précité, note 2.

6 John L. HOWARD, « Directors and Officers in the Context of the Canada Busi-ness Corporations Act », (1975) Mer. Mem. Lect., 297. Voir notamment les arrêts Lassonde c. Canada, [1996] A.C.I. (Quicklaw) nº 1792 et Edison c. Canada, [2000]

D.T.C. (Quicklaw) nº 6230, imposant un devoir plus intense à un administra-teur avocat.

7 J.L. HOWARD, loc. cit., note 6, 298.

8 [1998] 1 C.F. 124, par. 33 et 40 (C.A.), de même que dans les arrêts Cadrin c.

Canada, 99 D.T.C. 5079 (C.A.F.) et Smith c Canada, (2001) 198 D.L.R. (4th) 257 (C.A.F.).

cette personne agisse avec le degré de soin qui est proportionné à son niveau de compétence. C’est de cette façon que la compétence et le soin sont visiblement liés entre eux. Cela dit, il importe de souligner qu’il ne suffit pas qu’un administrateur affirme simplement qu’il a fait de son mieux si, eu égard à son niveau de compétence et à sa pratique des affaires, il n’a pas agi avec prudence.

[...] La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi [de l’impôt sur le revenu] est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances per-sonnelles et de l’expérience de l’administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usa-ges et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d’affaires chevronnés).

Bruce Welling opine que la norme de compétence de l’article 122 (1) (b) n’est pas plus exigeante que sous la common law :

The skill requirement appears to be no different from the common law test. A director or officer is now required to « exercise the [...] skill that a reasonably prudent person would exercise in comparable circum-stances ». It would seem arguable, indeed intuitively obvious, that a rea-sonably prudent person might be utterly unskilled, particularly where matters of corporate management are concerned. The argument is the same as at common law; there are no educational requirements or diplo-mas or other formal prerequisites to be a corporate manager, as there are for plumbers and paediatricians; so there is no method of preselecting skilful managers. The legal standard reflects this by requiring only the exercise of a certain skill, but qualifies that by relating the test to « com-parable circumstances ». The level of skill possessed by the particular manager in question is part of the circumstances. Furthermore, the standard is clearly not that of a reasonably skillful person. The test is phrased in terms of the reasonably prudent person and, as already pointed out, there is no obvious relationship between reasonable pru-dence and managerial skill.9

Yves Lauzon est du même avis :

Ce mélange ne semble pas avoir eu pour effet d’élever la norme de façon appréciable en ce qui concerne le soin et la compétence puisque la

per-9 Bruce WELLING, Corporate Law in Canada – The Governing Principles, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1991, p. 333.

sonne prudente peut n’avoir aucune compétence ni faire preuve de soin, ce qui aura pour effet qu’en pareilles circonstances, elle ne fera preuve que du degré de compétence et de soin qu’elle possède déjà, sans plus.

Ce résultat est aussi teinté de subjectivisme qu’en vertu des règles éta-blies par la jurisprudence classique.10

Il est exact que le critère de la « personne prudente » n’implique aucune exigence de compétence particulière. Il en aurait été autre-ment si le législateur avait choisi de suivre la recommandation du

«prudent director» du Rapport Lawrence, dont nous traiterons plus loin. La norme de compétence aurait, dans ce cas, été sensiblement haussée.

Kevin McGuinness est moins catégorique, se contentant de dé-clarer :

Given the history of the case law in this area, and the prevailing stand-ards of competence displayed in commerce generally, it is quite clear that directors were not expected at common law to have any particular business skill or judgment. It is far from clear that either the OBCA or the CBCA depart from the general approach, and impose a requirement to possess a degree of skill. Until this question is squarely addressed by the courts, it must remain open, although recent case law in this area does indicate that there has been no radical departure from earlier case law with respect to the skill and knowledge required of directors.11 Chose certaine, les exigences relatives à la compétence des admi-nistrateurs des sociétés faisant appel public à l’épargne ont été res-serrées par les lignes directrices de régie d’entreprise des Bourses.

Non seulement est-il suggéré que les administrateurs possèdent un éventail suffisant de compétences, mais en plus tous ceux d’entre eux qui siègent au comité de vérification doivent posséder une exper-tise financière.

10 Yves LAUZON, « La perception judiciaire des devoirs des administrateurs de per-sonnes morales : quel progrès ? », dans Développements récents en droit commer-cial (1998), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 228. Voir aussi, dans le même sens : Raymonde CRÊTE et Stéphane ROUSSEAU, Droit des sociétés par actions, Montréal, Éditions Thémis, 2002, p. 458 et suiv.

11 Kevin Patrick McGUINNESS, The Law and Practice of Canadian Business Cor-porations, Toronto, Butterworths, 1999, p. 776.