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Il n'est pas toujours facile de savoir distinguer ce qui est le respect d'un cheminement individuel chez l'enfant et ce qui est une ab­

DEVENIR PEDAGOGUE

Ma recherche de cohérence pédagogique, une expérience très per­ sonnelle, m'amène à certaines considérations et je trouverais cela in­ téressant d'en discuter avec des enseignants(es) et particulièrement ceux(celles) de l'école primaire. Elles concernent le devenir du pé­ dagogue .

Je me suis souvent demandée pourquoi les enseignants(es) n'étaient pas perçus(es) ou reconnus(es) comme des pédagogues et ce même après

une expérience de plus de 20 ans en éducation. Qu'est-ce donc qu'un(e) pédagogue?

Le Larousse nous donne deux définitions sous le mot pédagogue que je considère comme éclairantes. "Personne qui instruit et élève les en­ fants. Personne qui a l'art d'enseigner". (1975)* Cette dernière défi­ nition me paraît signifiante en regard de la nature du pédagogue.

Il(elle) est celui(celle) qui a l'art d'enseigner. Lorsque nous nous situons en terme d'art, nous sommes dans la ligne de la créativité, nous pensons en termes de cheminement et de processus.

Le langage familier est parfois très révélateur. Ainsi, nous ne

dirons pas de tous les joueurs de piano qu'ils sont des pianistes, pas plus que tous ceux qui font de la peinture sont reconnus comme des pein­ tres. Même des professeurs de violon par exemple, qui auront maîtrisé

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iine grande technique ne seront pas appelés des violonistes. En éduca­ tion, nous avons des enseignants(es) mais l'épithète pédagogue est peu familière. Serait-ce que nous retrouvons peu de personnes qui ont l'art d'enseigner? Comment devient-on pédagogue?

La pédagogie vue comme un art exige comme tout art des aptitudes naturelles, du travail pour acquérir les connaissances et développer les habiletés inhérentes à cet art. On ne devient pas pédagogue après quel­

ques années d'étude en pédagogie ou quelques années d'expérience dans l'enseignement. Le développement d'un art demande beaucoup plus de temps et de maturation.

Frieda Fordham, dans une étude sur Jung, écrit: "Les enseignants ne peuvent être "vraiment des individus", au sens d'être individués, avant d'avoir atteint le midi de la vie, et même plus tard..." (1 9 7 9, p. 125). Je dirais et je crois être dans l'esprit de Jung que 1'ensei­ gnante) ne peut devenir pédagogue qu'après un long temps de recherche et de mûrissement dans la pratique de son art.

Mon expérience dans l'enseignement et mes contacts avec différents intervenants dans le domaine de l'éducation m'amènent à penser que toute recherche vraiment active en pédagogie, la recherche d'une cohérence pé­ dagogique par exemple, est une façon de vivre son devenir comme pédago­ gue qui s'identifie à un devenir personnel. Les deux ne peuvent être isolés. Je deviens pédagogue en autant que je développe un geste péda­ gogique qui m'actualise en tant qu'être humain.

Il m'apparaît de plus en plus clairement que pour que ma tâche d'enseignante ait une valeur d'actualisation, pour que je demeure dans un devenir pédagogique, cinq conditions ou objectifs d'action me sem­ blent nécessaires. Je les formulerais ainsi: posséder sa propre iden­ tité, opérer un choix, innover dans sa tâche, assurer son perfectionne­ ment et adopter des attitudes.

Posséder sa propre identité

Maslow affirme que l'on peut prendre une vie pour devenir un ar­ tiste de valeur (1972, p. 35)* J'adhère à cette affirmation en disant la même chose du pédagogue car la conquête de sa propre identité, la reconnaissance de son individualité exigent un long cheminement. Pos­ séder son identité, c'est se donner naissance. Si le temps de la pre­ mière gestation est assez bien délimité, celui de la deuxième gestation est soumis à de multiples contraintes et suit un rythme très individua­ lisé.

La deuxième gestation implique un retour à l'enfance non pour en vivre les mêmes situations mais pour se les ré-approprier, pour retrou­ ver l'originalité de son être à travers les conditionnements inévitables qui l'ont façonné. "L'état adulte n'est pas une renonciation à l'en­ fance mais une intégration de ses valeurs positives, et une construc­ tion à partir de celles-ci." (Maslow, 1972, p. 200).

L'enseignant(e) du primaire est quelque peu privilégié(e) pour opérer ce retour aux sources parce qu'il(elle) est en contact direct avec l'enfance. Le comportement des enfants, leurs attitudes évoquent en nous le souvenir de certaines situations qui nous semblaient totale­ ment oubliées. Si nous prenons le temps de nous y arrêter, nous nous surprenons à retrouver encore en nous, les sentiments qui nous habi­ taient au moment de l'événement. Ce rappel de situations passées ne se fait pas toujours facilement.

En parlant du processus d'individuation de l'éducateur, Gérard Artaud faisait "... l'hypothèse selon laquelle la relation pédagogique serait le lieu de réactivation du conflit de l'adulte et le moteur de son processus d'individuation." (1973, P* 178). Il dégage aussi trois attitudes dans la relation vécue en classe entre 1'enseignant(e) et l'en­ fant qui prennent leur source dans la façon dont 1'enseignant(e) se si­ tue dans ce conflit qui est mis à jour par son contact quotidien avec

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les jeunes. Il parle d'une récupération par voie d'intégration. Les richesses de l'enfance qui sont retrouvées viennent enrichir la personne- adulte. "Elles prennent en quelque sorte une existence nouvelle en en­ trant dans une nouvelle gestalt..." (Artaud, 1973, p. 180).

L'appropriation de sa propre identité passe aussi par une décou­ verte de son caractère personnel, de ce qui fait son unicité. Cela se fait progressivement. On ne peut parler d'individualité de l'être si celle-ci n'a pas été perçue comme une richesse de la personne.

Cette possession de son être demande aussi de reconnaître les po­ larités comme des forces d'action qui ne sont pas véritablement oppo­ sées même si elles paraissent contradictoires. C'est leur caractère apparent d'opposition qu'elles perdent lorsque l'être a atteint une zone d'unité. C'est ce que Maslow appelle de la synergie ou la trans­ cendance des dichotomies dans une fusion des oppositions (1971, p. 210).

Posséder son identité signifie aussi pour moi se laisser habiter par sa propre force de croissance ce que Maslow définit comme une ten­ dance à être, "...il existe une tendance inhérente à l'individu à unifier sa personnalité, à s'exprimer spontanément, à constituer une individualité et une identité complètes, à rechercher la vérité plutôt que l'erreur, à créer, à vivre positivement, etc." (1972, p. 176). Il souligne aussi que la découverte de grandes forces ne procure pas que de la joie. Elle fait ressentir aussi des peurs, éprouver la souffran­ ce (Maslow, 1972, p. 71). C'est dans ce sens que je parle de se laisser habiter, vivre avec les différents mouvements dans lesquels oscille l'ê­ tre qui tend à être pleinement actualisé.

Opérer un choix

L'enseignement peut être choisi, au tout début, pour de multiples raisons et parfois il n'est que le résultat d'un concours de circons­ tances. Quand j'ai choisi d'aller à l'Ecole Normale pour faire une an­ née de pédagogie c'était pour moi la seule possibilité pour poursuivre

des études. Il y a seulement une vingtaine d'années, l'accès des filles au système supérieur d'enseignement était réservé à des privilégiées spécialement de milieu urbain.

Pour devenir pédagogue, il faut opter pour l'enseignement comme une voie possible de réalisation de ses possibilités, comme sa voie personnelle où il sera possible de s'exprimer et de créer. Je dirais qu'il faut adopter sa classe un peu comme le chevalet de l'artiste et l'enseignement comme la toile où s'expriment les richesses de son être, sa beauté intérieure.

Tant qu'on est dans l'enseignement parce que le salaire est bon, parce que les vacances sont appréciables, parce qu'on ne trouve pas un travail meilleur ou parce que ce que l'on voudrait faire est inaccessible, on ne se situe pas dans la pratique d'un art. On peut faire du bon tra­ vail mais l'élan n'y est pas. L'école est un lieu d'action non un lieu de croissance.

Le choix de l'enseignement doit être un choix passionnel en ce sens qu'il doit être porté par toutes les richesses et toutes les forces de 1'être.

Innover dans sa tâche

L'innovation pédagogique ne peut être que le fruit d'un long tra­ vail de création. Toutes les multiples innovations qui ont été soumi­ ses à 1'enseignant(e) n'étaient que des propositions de changement. La véritable innovation pédagogique, c'est l'oeuvre artistique de 1'ensei­ gnant (e). Elle ne peut pas être commandée. Elle peut prendre des an­ nées à naître.

J'aime reprendre ici l'exemple du peintre qui travaille assidûment à réaliser des tableaux. Certaines toiles lui semblent plus satisfai­ santes mais elles n'épuisent pas son énergie créatrice, elles le relan­ cent sans cesse. Le(la) pédagogue n'a jamais en main son modèle péda-

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gogique. Il(elle) possède à certains moments des données sûres,mais qui le(la) projettent en avant.

Etre pédagogue demande beaucoup d'énergie pour bâtir et souvent dans l'ombre à la manière de l'artiste. Un peintre ne pourra pas réa­

liser ses meilleures oeuvres dans un endroit public où chaque passant

vient l'interroger sur ce qu'il fait. Son oeuvre créatrice, la person­ ne la porte longtemps en elle. Elle la modèle parfois à son insu et d'autres fois avec une vision plus claire du but à atteindre.

L'innovation pédagogique même préparée en retrait doit à un mo­ ment donné franchir la rampe. C'est un moment difficile à choisir.

Trop tôt, elle risque d'être écrasée par la critique ou n'être qu'un feu de paille. Elle doit être faite à temps pour que les réactions qu'elle suscite deviennent un tremplin pour aller plus en profondeur. Il faut choisir le temps où l'oeuvre est tellement soi qu'elle ne puisse s'ex­ pliquer* qu'en se disant soi-même. Pouvoir se révéler par son oeuvre c'est avoir atteint une unité d'être qui ne peut qu'être intensifiée dans la communication.

L'enseignant(e) qui innove doit s'entourer de personnes sur les­ quelles il(elle) puisse compter: des maîtres qui le(la) confrontent, des collègues qui le(la) stimulent et ce même si le dynamisme du pro*- cessus de création ne peut qu'être enraciné dans la personne.

Innover dans sa tâche pédagogique exige un grand réalisme, une profonde honnêteté envers soi-même, une grande humilité pour reconnaî­ tre et se relever d'une erreur. Le(la) pédagogue a la responsabilité de son itinéraire. Il(elle) devra choisir ses pistes à explorer et se prémunir contre les dangers. Ceux-ci sont multiples venant de soi- même ou des autres. Ce sont les peurs, les fausses perceptions, les principes qui se durcissent, les erreurs mal évaluées, les échecs trop cajolés, les appuis mal calculés (ceux qu'on attend et qui ne viennent pas, ceux qui se présentent et qu'on ne voit pas).

Le devenir pédagogique devient visible, palpable par la qualité de l'énergie apportée dans sa tâche, par le souci constant de l'innova­ tion non pas réalisée ou souhaitée comme un changement, mais simplement comme un pas en avant dans la recherche d'un geste pédagogique de plus en plus cohérent.

Assurer son perfectionnement

L'enseignant(e) doit être apte à se fixer des priorités de perfec­ tionnement à l'intérieur de sa propre recherche. Son travail lui ouvre des domaines immenses de connaissances et d'habiletés. La didactique de chaque matière scolaire peut être vin champ à explorer mais il y a aussi tout ce qui compose l'acte pédagogique.

L'important est que le perfectionnement soit choisi en rapport avec ses propres besoins et non suivant la mode du temps. Il existe aussi des modes dans le perfectionnement. Il faut aller là où l'urgen­ ce personnelle commande et non là où les autorités scolaires voudraient nous voir aller.

Quand on voit la multiplicité des questions pédagogiques concer­ nant les programmes académiques, le système d'évaluation, les formes d'activités, les relations entre les intervenants auprès de l'enfant, le rôle de l'école et toutes celles qui surgissent des caractéristiques sociologiques d'un milieu de travail, il est clair que l'on ne peut pas jouer sur tous les paliers en même temps. On n'aurait pas assez d'une vie pour étudier chaque question l'une après l'autre. Il faut découvrir en soi les questions centralisatrices, organiser en soi une certaine structuration des problèmes soulevés ou rencontrés dans l'acte pédago­ gique. L ’ordre des priorités ne peut se faire aussi qu'à partir de ses propres ressources d'investissement.

Choisir plutôt que subir suppose une clarification de nos critères personnels de recherche. Il faut avoir de plus en plus le courage et la ténacité d'exiger que les cours de perfectionnement donnés à des profes­

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seurs se fassent de façon individualisée.

Enfin, il y a aussi ce perfectionnement intérieur qui se fait par une réflexion sérieuse et continue à partir de son agir, à partir de l'écoute de son propre langage intérieur qui dit autant sur soi et sa tâche et de façon plus sûre que bien des lectures et des conférences. Il y a un perfectionnement qui est l'écoute de sa sagesse intérieure.

Adopter des attitudes

Pour devenir pédagogue, il y a certaines attitudes qu'il faut pri­ vilégier en soi. Elles ne sont pas distinctes de celles qui permettent la croissance de l'être. Je me contenterai d'en énumérer quelques-unes:

une grande ouverture à soi pour découvrir ses propres ri­ chesses.

- une ouverture aux autres qui est faite d'accueil et de respect de l'expérience, du cheminement.

- une grande sensibilité à ses mouvements intérieurs, aux personnes et aux événements.

- une tranquille audace, une plongée dans l'aventure avec sérénité, sans éclat mais sans isolement.

- une solitude pleinement acceptée et vécue. Il faut savoir être seul, marcher seul. Accepter de vivre les heures les plus difficiles comme les temps de plus grand enthousiasme sans être capable d'entrer pleinement en communion avec l'autre, sans pouvoir les partager.

- une profonde honnêteté faite d'humilité envers soi et envers les autres.

- un grand sens des responsabilités face à la société qui ne

se mesure pas à l'efficacité des gestes extérieurs mais à

la force de l'engagement.

Il n'y a aucun programme à suivre pour devenir pédagogue ou plu­ tôt il n'y en a qu'un, celui de suivre en soi ses propres poussées de

croissance. Je ne crois pas au changement planifié ou non. On ne peut

parler de changement que lorsqu'on regarde le chemin parcouru dans la ligne d'une transformation. Il ne peut être un point de départ.

Si d'une part le(la) pédagogue chemine seul(e) dans une voie qui lui est unique, il(elle) a cependant besoin des autres en terme de sup­ port, d'éveil, de stimulation, en tant que les autres sont aussi en croissance. On ne peut faciliter la croissance de l'autre qu'en étant soi-même en croissance.

Pour faciliter le devenir des pédagogues dans l'école, pour ré­ pondre à tous(tes) ces directeurs(rices) qui voudraient aider les en- seignants(es) dans l'école, deux conditions me paraissent importantes:

le respect de l'individualité de chaque enseignant(e) un climat d'ouverture à l'expérience.

Il me semble que tous les programmes qui s'inscrivent dans vin effort de renouvellement de l'école comme tous les programmes de per­ fectionnement en éducation donnés dans les milieux universitaires de­ vraient être évalués en regard de leur pertinence à respecter les che­ minements individuels et de la confiance qu'ils manifestent dans l'ex­

périence de 1'individu-enseignant(e).

Enfin, au terme de cette recherche animée par vm grand désir de cohérence pédagogique, je découvre qu'être pédagogue c'est un don que l'on cueille en soi.

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