• Aucun résultat trouvé

Étude de raisonnements mathématiques associés à la pensée algébrique chez les élèves avant l’introduction de l’algèbre

5. Analyse de l’activité mathématique des élèves

5.2. Deuxième temps de l’analyse : les processus de raisonnement

Les processus observés chez les élèves relèvent à la fois de la recherche de similitude et de différences que de la recherche de validation.

5.2.1. Les processus de recherche de similitudes et de différences

Les élèves devaient identifier une régularité, conjecturer et donc aussi généraliser. Toutefois, nous avons observé que, pour les trois classes, conjecturer apparaissait souvent avec l’intervention d’un adulte de la classe. En fait, lorsque la régularité est trouvée, elle est souvent généralisée sans que sa valeur de vérité soit mise en cause. Or, lorsque l’adulte amène le doute, les élèves entrent dans le jeu et s’engagent dans un processus de validation.

Toutefois, les élèves n’ont pas attendu la question b) pour générer des règles, mais l’ont fait à différents moments lors de l’expérimentation. Durant l’entrevue individuelle, l’élève de 4e année a tout de suite cherché une règle pour générer les multiples de quatre, car elle disait ne pas vouloir tout tester.

Dès la présentation de la tâche, un élève de 5e année a énoncé qu’un nombre divisible par 4 doit nécessairement être pair. Toutefois, malgré le fait que cette règle a été explicitée au groupe et même fait l’objet d’une discussion, d’autres élèves de cette classe ont tout de même senti le besoin de tester les nombres impairs lors de la phase d’exploration.

Lors du travail en dyade, certaines équipes et l’élève en entrevue réalisent sans qu’il n’y ait eu de retour sur la tâche que le chiffre à la position des centaines importe peu. Cette réalisation se fait de deux façons différentes. Certains dénotent que 100 se divise par 4, donc, la centaine peut être n’importe quoi.

On a ici un pas déductif qui mène à une affirmation vraie. D’autres le dégagent à partir de tous les cas possibles (pour les nombres à trois chiffres). Ici, on a un pas inductif qui mène à un énoncé vraisemblable.

Toutefois, l’exhaustion de cas permet de rendre cet énoncé vrai.

Enfin, lors du retour collectif en 4e année tout comme en 5e année, les élèves ont été en mesure d’identifier la régularité suivante pour le cas où le chiffre des dizaines et 5 ou 7 : « Un nombre qui se termine par 2 ou 6 est divisible par 4 ». Pour ce qui est du cas général, les deux règles présentées aux figures 5 et 6 ont été générées lors du retour collectif en 5e année. La règle de la figure 6 a aussi été dégagé par l’élève de 4e année interviewée.

Figure 5

Règle générée par une équipe de 2 lors du retour en 5e année

Figure 6

Règle générée par l’élève de 4e année interviewée

Ce qui précède met en évidence que des élèves de 4e et 5e année n’ayant reçu aucun enseignement visant le développement de la pensée algébrique sont en mesure d’identifier différentes régularités en lien avec la divisibilité par 4, à conjecturer et à généraliser à partir de la structure des nombres, processus du raisonnement mathématique liés à la pensée algébrique.

5.2.2. Les processus de recherche de validation : justifier et prouver

Un autre élément important de la pensée algébrique est la nature des justifications produites. Dans cette tâche, les élèves ont été en mesure non pas uniquement de justifier, mais aussi, dans certains cas, de prouver (au sens de Jeannotte, 2015) leurs règles. Les prochains paragraphes décrivent ces processus de recherche de validation mis en œuvre par les élèves.

Dans un premier temps, les élèves appuieront leurs processus de recherche de validation sur leur expérience mathématique et sur leurs connaissances mathématiques, mais surtout sur les exemples générés. La table des multiples de 4 fait clairement partie de la culture de la classe et est évoquée à plusieurs reprises (Figure 7 pour un exemple). Les manières de mener la tâche par les élèves laissent supposer que lorsqu’ils ont à effectuer une division, on les ramène aux tables de multiplication. De même, ils ont aussi travaillé les bonds (notamment de 4) avec le tableau de nombres (jusqu’à 100) au 1er cycle du primaire.

Évidemment, faire référence à la table ne permet pas de prouver ce qu’ils ont généré comme règle puisque la régularité de la table n’est pas un énoncé mathématique du point de vue des mathématiques savantes (élément central de la définition). Toutefois cette référence à la table permet d’observer une certaine régularité de la structure dans les nombres qu’elle contient et de justifier la règle au sens où cette dernière semble vraisemblable à la lumière de cette régularité. Bien que cette observation ne permet pas d’« expliquer » pourquoi elle est toujours vraie, elle permet de réaliser que cette régularité est présente ailleurs. La régularité de la table est une autre façon d’orienter le discours de la classe sur la recherche de structures des nombres.

Figure 7

Exploiter la table du 4 pour justifier la règle de la figure 6 (élève de 4e année interviewée)

En cinquième année, l’exhaustion des cas a été utilisée pour justifier que tous les cas possibles étaient obtenus, mais aussi pour valider la règle (Figure 8). On peut parler ici du processus « prouver ». En effet, en grand groupe, l’exhaustion de cas a été couplée avec le fait qu’une centaine est toujours divisible par 4, donc peu importe le nombre de centaines, notre nombre sera toujours un multiple de 4 s’il se termine par 72 ou 76. On a ici tout ce qu’il faut pour considérer qu’un processus (collectif) a été mis en œuvre et qu’il a mené à prouver la règle lorsqu’il y a un 7 à la position des dizaines. Par ailleurs, c’est la divisibilité de la centaine qui se centre réellement sur la structure et qui permet d’affirmer qu’il y a pensée algébrique. L’exhaustion de cas ne peut être considérée comme un processus de la pensée algébrique en soi quoiqu’acceptable mathématiquement. En effet, ce type de preuve s’appuie davantage sur les réponses et la déduction que sur la structure des nombres.

Figure 8

Exhaustion des cas, équipe de 2 en 5e année

Enfin, l’exemple générique est utilisé dès la 4e année pour parler de la structure du nombre avec le vocabulaire propre à l’élève. Par exemple, certains élèves feront directement référence au matériel :

« Par exemple, dans 152, si tu brises la 5e dizaine, tu peux en donner deux petits cubes, mais il en reste 2 ». L’élève cherchait ici à convaincre la classe que pour un 5 à la position des dizaines, on doit nécessairement avoir un 2 ou un 6 à position des unités. Pour ce faire, elle se réfère à 152. Or, il est clair dans son discours que le chiffre 1 des centaines n’est pas important. Elle n’y fait pas référence. Elle ne se centre que sur le reste des dizaines (4 dizaines, ça se divise par 4, pour la 5e, il reste toujours 2). La structure du nombre est clairement mise de l’avant ici.

À la figure 9, on retrouve le raisonnement d’une élève qui s’appuie aussi sur ce reste de 2 pour prouver la règle présentée à la figure 6 qui peut être reformulée ainsi : « Un nombre qui a un chiffre pair

aux dizaines et se termine par 0, 4 ou 8 est divisible par 4. Un nombre qui a un chiffre impair aux dizaines et se termine par 2 ou 6 est divisible par 4 ».

Figure 9

Une preuve à l’aide d’un exemple générique, élève de 4e année interviewée

Amener les élèves à valider les règles qu’ils ont développées a une importance non seulement en termes de raisonnement mathématique, mais aussi en termes de pensée algébrique. Il s’agit ici d’un élément intéressant de cette tâche puisque l’élève lors des discussions collectives peut se familiariser avec des règles qui régissent le discours mathématique. Par exemple, si un élève justifie le fait que 874 ne peut pas se diviser par 4, car 7 n’est pas divisible par 4, l’enseignant peut rapidement mettre en question ce raisonnement en fournissant un contrexemple (ex. 872). De même, avec l’aide de l’enseignant, l’attention des élèves peut se centrer sur les données du problème qui permettent d’identifier une régularité. Enfin, en mathématiques, valider des énoncés mathématiques demande de suivre des règles particulières. La tâche Charrière permet de s’appuyer sur les propriétés des nombres et d’amener les élèves à verbaliser dans leurs propres mots les arguments nécessaires.

5.2.3. Exemplifier

Comme on a pu l’observé dans les deux parties précédentes, il est difficile ici de parler des différents processus de RM sans aborder celui d’exemplifier. Cette tâche en vise explicitement la mise en œuvre puisqu’on demande aux élèves de trouver les nombres qui pourront leur servir à générer leur règle, essentiellement, elle leur demande d’exemplifier. On se souviendra que le processus exemplifier vient en support autant aux processus de recherche de similitude que de recherche de validation. Premièrement, les élèves s’appuient sur leurs expériences et connaissances passées pour choisir les nombres qu’ils testent. Par exemple, les nombres impairs sont rarement testés. Certains élèves viendront justifier ce choix, pour d’autres ça restera de l’ordre de l’intuitif. Différentes justifications seront données pour ne pas considérer les nombres impairs. Une élève de 5e année dira : « J'ai écrit les nombres impairs, mais ça ne se divise pas par 4. Je n'ai pas besoin de les tester ». Une élève de 4e année (entrevue individuelle) passera plutôt par la table : « Il n'y a pas de nombre impair dans la table du 4 ». La divisibilité par 2 est aussi invoquée. On peut penser que les élèves qui s’appuient sur la divisibilité par 2 pour tester (exemplifier)

uniquement des nombres pairs déploient une pensée algébrique puisqu’il s’appuie déductivement sur les propriétés des nombres pour justifier leur choix.

De même, pour plusieurs, les premiers exemples ont un 4 et/ou un 8 à la position des centaines et des unités. Encore ici, les élèves savent que 8 et 4 sont divisibles par 4. Ils vont donc naturellement vers des essais qui les incluent. Il faut parfois plusieurs essais pour quitter le 8 et le 4 à la position des unités.

Deuxièmement, quelques dyades se sont appuyées sur des calculs pour générer leur exemple dès le début. Par exemple, une dyade de 5e année, s’appuie sur le fait que 8 × 9 = 72 pour ensuite dire que 4 × 18 = 72 et donc 472 fonctionne. Il s’agit de leur premier exemple. L’associativité est alors exploitée.

Stratégies peut-être développer en calcul mental, cette dernière permet de tabler sur la structure des nombres pour effectuer les calculs et faire des choix éclairés. La flexibilité en calcul mental serait un élément important à développer pour favoriser les apprentissages en algèbre puisqu’il s’agit d’un travail qui exploite la structure des nombres et des opérations.

Troisièmement, plusieurs élèves s’appuient aussi sur les exemples générés pour en produire d’autres en se servant des propriétés des multiples ou de la division. Par exemple, l’équipe qui a généré 472 à partir de 4 × 18, ajoutera 4 à 472 pour générer 476. Ils passeront ensuite à 876, 872. Cette équipe ne teste rien d’autre que 72 et 76 et ne fait varier que la centaine en passant par 4, 8 puis 6 et 2. Elle termine ensuite par les chiffres impairs dans l’ordre suivant 1, 3, 5, 9 et 7. Le passage de 1 à 3 est ici plus difficile. Une intervention de l’enseignant a été nécessaire pour que les élèves poussent plus loin leur réflexion. L’enseignant leur demande si 572 fonctionnerait et les élèves répondent qu’ils n’en savent rien.

L’enseignant fait alors remarquer qu’ils ont testé que les nombres pairs outre 1. Les élèves continueront donc leur exploration, mais ressentent alors le besoin de faire la division. Ainsi, contrairement à tous les autres cas où le calcul mental est utilisé, pour 3, 5 et 9, l’algorithme de division est venu valider la divisibilité par 4. À travers ce processus d’exemplification, on voit l’exploitation de la structure des nombres pour générer tous les cas possibles à partir de leurs connaissances antérieures. Il ne s’agit pas d’un simple procédé d’essais erreur, mais bien d’essais réfléchis, ce qu’on peut rattacher ici à la mise en œuvre d’une pensée algébrique. En plus de tabler sur les essais qui fonctionnent comme l’équipe précédente, d’autres tableront sur les essais qui ne fonctionnent pas pour en générer d’autres. Une élève de 5e année tablait sur le reste de 2 de la division de 170 pour justifier l’essai de 172 : « 172 devrait marcher, car on l'a fait avec 170 puis il restait [2] ». Un autre élève de 4e année rejette l’essai de 453 après avoir testé 454 et observé un reste de 2 :

- élève 1 : Est-ce qu'on essaie 453?

- élève 2 : Non, essayons 452, avec 453, il restera 1.

Toutefois, à quelques exceptions près, ces raisonnements sont plus ou moins contrôlés puisque l’élève sent le besoin de tester la division ou doute malgré le fait que le raisonnement s’appuie sur une structure déductive qui ne peut mener qu’à une valeur épistémique vraie. On le voit bien avec le dernier exemple, si je suis capable de dire qu’il restera 1 à 453, je devrais être capable de dire qu’il restera 0 pour 452.

Quatrièmement, on s’attendait à ce que les bonds de 4 soient davantage réinvestis pour générer des exemples puisque les comptines par bond sont travaillées dès le 1er cycle. Or, c’est rarement le cas.

Par exemple, à la figure 10, les essais, quoique suivant une certaine logique, ne s’appuient pas sur les propriétés de la division. En effet, les élèves ont débuté par 170 à 179 (171 et 172 sont plus bas sur la feuille). 472, 476, 572 et 576 sont venus après, ce sont les seuls qui utilisent ce bond de 4.

Figure 10

Des essais plus ou moins systématiques, équipe de deux, 5e année

Cinquièmement, lorsque les essais ne sont pas systématiques dès le début, l’exemplification se systématise avec le temps. À la figure 11, une élève après avoir fait trois essais non systématiques, conclut qu’un 2 est nécessaire à la position des unités. Toutefois, elle se ravise et s’appuie sur 2372 pour générer 2376 (qu’elle ne teste pas) puis fait varier la centaine de façon systématique : 4, 5 en testant uniquement pour 72 et non pour 76. Cette nouvelle façon d’exemplifier lui permettra de conjecturer à propos du rôle du chiffre à la position des centaines et des unités : « comme j’ai essayé plusieurs centaines, je crois que c’est l’unité qui importe ».

Figure 11

Systématisation des essais, élève de 4e année interviewée