Toute réflexion sur la
sécurité juridique croiseh
judsprudcoce. La Commission a ici choisi de concentrer Saréflexion en la matièr e S
ur laour de cassa
tion.Une telle approche s'explique déjà par le fait que les efforts
récents de la Cour decassation
pour réduire son stock d'affaires ont affecté sa fonction régulatrice.Elle se
jmcifie également au regard de la nécessité pour lajuridiction à
latête de l'ordre judiciaire d'assumer son rôle
normatif.Elle s'unpose, enfin, dans la mesure Où la our dt cassation sc trouve confl'ootée il. l'essor du c.ontrÔle de conventionnalité. La Commission a mené: ses travaux de concert avec ceu .. '" de la C01111nissioll Constitutions
ct
lnstimtions du Club des juristes .ur les Cours suprêmes en France, et parallèlement
à
la réflexion aujourd'hui lnenée au seinde la Cour de
cassation.La
Commission considère que le premier défi que la Cour de cassation doit relever concerne son évolution sous l'influence de la CEDH. L'essor decette demièl:e a bouleversé à divers égards
laCour de
cassation: outre le fait que sa méthode diverge du contrôle de conventionnalité, elle s'expose aujourd'hui au
démenti et risque demain de voir son rôle limité eo matière de protection des droits et libertés fondamentaux du fait de l'application du Protocole additionnel n"16à
laCEDH. Pour faire
faceà cette simation, il paraît
primordial àla Commission que la Cour de cassation puisse appliquer un contrôle de proportionnalité en
matière de protection des droitset libertés
fondamentaux (proposition n027). Plusieurs arglUuents militenten faveur
desa consécration :
outre lefait
quehi
Cour decassatioo
fait déjà us"gc ducontrôle
de proportionnalité en diversesoccas
ions, Sa formalisation conditionne l'aptimde de laCour à
protéger effectivement les droits ct bbertés fondament.ux et à transmettre des demandes d'avis à laCEDH dans
lecadre
du protocole précité. Outre laconsécration
ducontrôle
de proportionnalité, laCommission s'est
intcrrogée sur
l'opporulIlité decentraliser
le contrôle deconvenri o~nalité entre
les mains de laour de
cassation: au lieu
de permettreà
tout juge d'écarter la loi interne pOur contradétéà
untraité, ne doit-on pas
réserver cette sanction par hypothèse grave àla Cour de cassation? La Conunission, coosta
nt que cette mesures'avère
difficileà
mettre en place pour des raisons deconventionnalité et
deconflits
de nmmeSPage 36
externes, estime nécessaire qu'un groupe de travail
ad boc
envisage la transformation de l'office du juge Sous l'influence de la C "DH afin d'aboutir à une meilleur articulation des contrÔles de la loi au regard des droits ct libertés fondamentaux (proposition n028).Le second défi qui s'impose
il
la Cour de cassation a traitil
l'amélioration de la rationalité et de l'efficacité de Sa jutisprudence. La Cour devant réorienter ses médlOdes afin d'aftinner son"ôlc
normatif, il importe en tout premier lieu qu'elle réduise drastiquement le nombre de ses décisionsà
l'instar de ses homologues européennes.La Commission, après avoir analysé les pratiques étrangères, estime que le critère de l'importance de la question de droit
à
trancher doit l'emporter sur le critère financier pour opérer une sélection des affaires.Par conséquent, la Commission estime nécessaire de limiter la recevabilité des pourvois, outre les hypod1èses du contrôle opéré dans le cadt:e des droits fondamentaux ct le contrôle disciplinaire, aux questions de droit nouvelles ou présentant une difficlùté sérieuse (proposition n029). Cette sélection doit être accompagnée de mesu,,"s accessoires telles que l'adjonction de lettres particulières aux décisions selon le contrôle en question afin d'accroitre leur lisibilité (proposition n029 bis) ou encore la création d'une ordonnance d'irrecevabi]jté non motivée délivrée par le Président de la chambre concernée (proposition n029
'C/).
Outre la questi.on de la recevabilité des pourvois, celle de la motivation des décisions de la our de cassation est déterminante : l'obscurité que l'on prête à certains arrêts entame leur compt:éhcnsion, même pour les observateurs les plus avisés. Pout: remédier il cette situation insatisfaisante, la COl1unission propose qu'uoe motivation plus claire et explicite des décisions rendant compte des choix effectués par la Cour de cassation soit accompagnée par un recours systématique au conununiqué de presse pour les arrêts à portée normative (proposition n030).La Commission considère également que la compréhension de la jurisprudence pourrait être encore davantage assurée par la publication systématique du chaînage de chacune des décisions, c'est-à-dire le replacement de la décision dans une lignée jurisprudentielle (proposition n031). Enfin, au regard des profondes incohérences qu'elle a pu constater en matièt:e de publication ct de hiérarchisation des arrêts, la Conunission propose que toutes les décisions soient publiées sut: le site de la Cour de cassation, il l'exception des arrêts strictement discipl.inaixes, et que les mentions données aux arrêts (PBRI) soient abandonnées au profit d'une hiét:at:chisatioo en fonction de la nature du contrôle et de la formauon ayant "cndu l'arrêt (pmposition n033).
Le dernier défi à relever cOnCerne les avis de la Cour de cassation. Dans de nombreux domaines, le temps de la jurisprudence n'est plus adapté aux exigences de la sécurité jUlidique : les acteurs économiques ont besoin de solutions auxqucUes croire dans des délais toujours plus courts. La Commission considère gue
1.
manière la plus simple pout: favoriser une intervention rapide de la Cour de cassation consiste
à
encourager SOn expression par voie d'avis. Aujourd'hui prévue par le Code de l'organisation judiciaire, la procédure d'avis permet aux juges du fond de solliciter l'avis de la Cour de cassation pour les questions de droit nouvelles, présentant une difficulté sérieuse et se posant de il nombreux litiges. La Commission estime nécessaire de favoriser le développement des avis de divet:ses manières : outre l'institutionnalisation de la procédure snr le modèle de ceUe existante en matière de QPC, il paraît nécessaire d'ouvrir la demande d'avis aux parties et de l'étend<e aux questions de conformité de la loi aux droits et libertés fondamentaux consacrés par un Traité international tout en pelmettant que la question posée soit circonstanciée (proposition n034).Troisième Partie: Le droit fiscal
Panni les domaines frappés p'" l'insécurité juddique, le droit fiscal anive au premier rang: à la défaillance d'une législation complexe
il
l'extrême, on doit ajouter des dispositifs fiscaux qui rivalisent d'instabilité.Si
le renforcement de la sécurité juridique en matière fiscale est devenu un impératif décliné dans de nombreux rapports et prises de positions de J'administration,J'effectivité des remèdes appliqués n'est pas parfaîte et de nombreux chantiers restentà
l'abandon. La Commission entend donc insister sur les points saillants qui lui semblent devoir faire l'objet d'améliorations. ( ... .)Page 37
DOCUMENT 16
Recueil Dalloz 2015 p, 1326
Réflexions
à
la Cour de cassationBertrand Louvel, Premier président de la Cour de cZIIssatlon
Des groupes de travail ont été mis en place à la Cour de cassation afin de permettre aux magistrats, aux avocats aux Conseils et aux universitaires de réfléchir ensemble aux évolutions de fonctionnement internes que pourrait induire la montée en puissance de la jurisprudence européenne, en particulier celle de la Cour de Strasbourg, et de son influence de plus en plus marquée sur la jurisprudence et les méthodes de raisonnement de la Cour de cassation,
En effet, cet impact a atteint une amplitude forte dans notre pays par la combinaison de deux facteurs: d'une part, les développements que la Cour de Strasbourg a donnés au périmètre d'applicalion des droits fondamentaux de telle manière que peu de procès échappent désormais à leur emprise, que ce soit sur la forme DU sur le fond; d'autre part, la loyauté que la Cour de cassation observe à l'égard des orientations de cette Cour de Strasbourg dont elle n'hésite plus aujourd'hui à anticiper elle·même toutes les implications, Ce double phénomène provoque à son tour une multiplication des moyens fondés sur la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales devant les juges du fond avec pour objectif de faire écarter l'applicalion d'un texte de droit interne, normalement appelé à régir une situation dans la logique légaliste, en raison de la disproportion de ses effets sur un droit fondamental dans les circonstances propres à l'espèce,
Ce contrôle de proportionnalité est bien de nature juridique puisqu'il procède d'une norme du traité. Mais il implique une appréciation d'ensemble des situations, de nature pluridisciplinaire, qui s'étend, au·delà des seuls aspects juridiques, aux realités multiples du contexte, notamment social et économique, général et personnel, matériel et moral.
La Cour de cassation a eu l'occasion d'aller trés loin en ce sens,
Dans un arrêt du 4 décembre 2013, la première chambre civile a écarté l'application d'un texte prévoyant la nullité du mariage
1:1
(1), Pour cela, elle n'a pas retenu les motifs par lesquels la cour d'appel, analysant les circonstances de la situation, avait considéré que l'annulation du mariage n'était pas disproportionnée à la protection de la vie privée des intéressés, pour substituer à cette appréciation la sienne propre tirée d'autres circonstances de l'espéce et établissant, selon elle, au contraire le caractère disproportionné de l'annulation du mariage,Ce type de contrôle trés approfondi, comparable il celui que notre Cour exerce de longue date, par exemple sur l'appréciation par les juges du fond de la notion de faute, et qui est fondé lui aussi sur l'analyse des circonstances de l'espéce, correspond à l'examen complet de toutes les données d'une situation auquel se livre habituellement la Cour de Strasbourg, et qu'elle ne se dispense de faire que lorsque le Juge national y a procédé lui·même,
C'est ce qui découle du principe de subsidiarité, sur lequel la Cour européenne a eu récemment encore l'occasion d'insister ~ (2), principe qui veut que cette Cour n'exerce son contrôle sur la décision du juge national que si celul·cI ne l'a pas lul·même complètement effectué,
Autrement dit, il s'agit pour notre pays de trouver la voie devant lui permettre d'investir pleinement la marge nationale d'appréciation que la Cour de Strasbourg lui reconnan et l'invite même il exercer effectivement.
Un tel contrôle, qui est un contrôle de légalité puisqU'imposé par le droit international, n'affecte pas la technique de cassation traditionnelle, extrêmement souple et adaptable selon le degré de vérification que la Cour de cassation souhaite exercer, depuis le contrôle léger qu'elle porte par exemple sur l'interprétation des contrats, jusqu'au contrOle lourd qu'elle opère notamment à propos de l'application de la loi pénale.
C'est pourquoi notre Cour réfléchit il la conceptualisation de ce contrôle dit« de convention alité » afin d'en fixer l'étendue et le niveau.
Du résultat de cette réflexion, pourront résulter trois séries de conséquences:
• un effet sur la motivation de nos arrêts, fortement encore inspirée par la briêveté légaliste, et qui devrait alors s'enrichir de considérations plus développées sur le contexte, nécessaires à l'appréciation de la proportionnalité;
• une préparation des arrêts elle·même davantaQe pluridisciplinaire par une ouverture plus qrande de la Cour sur les institutions
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extérieures, publiques et privées, vis-à-vis desquelles notre ministère public, dans l'attente d'une redéfinition de son rôle, déstabilisé par la Cour de Strasbourg depuis une dizaine d'années, pourrait remplir une indispensable mission d'Intertace ;-la mise en place de conditions de recevabilité des pourvois, plus rigoureuses que celles de la non-admission actuellement en vigueur, qui a perdu de son efficience originelle au fil des années: cela devrait permettre à la Cour de cassation, face à un afflux prévisible de pourvois nouveaux fondés sur les développements attendus du contrôle de proportionnalité devant les juges de fond, de limiter son intervention aux recours s'inscrivant dans le rôle unificateur et normatif qui fait sa raison d'être,
On comprend mieux ainsi que les conditions de recevabilité des pourvois, au regard desquelles les justiciables sont à égalité, devant être simplement départagés par le mérite de leurs arguments, ne sont qu'un élément d'un enjeu beaucoup plus important, parmi d'autres qui forment un tout indissociable. Cet ensemble ne pourra être traité que globalement, dans un projet unique, aprés que la réflexion aura été menée complétement et sereinement sur chacun de ces éléments pendant tout le temps qui sera nécessaire, au sein et en dehors de la Cour, et dans la liberté d'expression la plus compléte.
Tous les arguments rationnels ont vocation à être pris en compte. C'est pourquoi j'encourage toutes les contributions scientifiques
à
ce travail collectif pour l'adaptation à notre temps de notre Cour de cassation, nourrie d'une tradition parmi les plus anciennes et les plus respectables de nos institutions nationales, et qu'il s'agit de sauvegarder en la rénovant.L'enjeu n'est autre, en effet, que de prendre toute notre part dans la protection des droits fondamentaux en recouvrant notre souveraineté juridictionnelle dans un cadre juridique européen partagé et pleinement assumé à l'échelon national.
DOCUMENT 17
Protocole n' 15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des Droits de t'Homme et des Libertés fondamentales, Strasbourg, 24.V1.2013
Article 1
A la fin du préambule de la Convention, un nouveau considérant est ajouté et se lit comme suit:
« Affirmant qu'II Incombe au premier chef aux Hautes Parties contractantes, conformément au principe de subsidiarité, de garantir le respect des droits et libertés définis dans la présente Convention et ses protocoles, et que, ce faisant, elles Jouissent d'une marge d'appréciation, sous le contrOle de la Cour européenne des Droits de l'Homme instituée par la présente Convention, »
Protocole n' 16 à la Convention de sauvegarde des Droits de t'Homme et des Libertés fondamentates, Strasbourg,2.X.2013
Arttcle 1
1 Les plus hautes juridictions d'une Haute Partie contractante, telles que désignées conformément à l'article 10, peuvent adresser à la Cour des demandes d'avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l'Interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles.
2 La juridiction qui procède à la demande ne peut solliciter un avis consultatif que dans le cadre d'une affaire pendante devant elle.
3 La juridiction qui procède à la demande motive sa demande d'avis et produit les éléments pertinents du contexte juridique et factuel de l'affaire pendante.