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4.2.1. Coordination interne externe et régulation émotionnelle

Dans un premier temps, les analyses de corrélations ne permettent pas de mettre en lien la coordination interne-externe et l’utilisation de stratégies de régulation émotionnelle non-adaptatives comme le blâme de soi, le blâme d’autrui et la rumination. Cependant, les analyses de régressions multiples ont permis de mettre en évidence un effet modérateur de l’Indice du Switch externe sur le lien entre les affects négatifs et l’utilisation de stratégies de régulation émotionnelle non-adaptatives d’une façon générale et plus spécialement sur l’utilisation du blâme de soi et de la rumination. Cet effet de modération est le résultat central de notre étude et traduit le fait qu’en présence d’affects négatifs, des difficultés à passer de façon flexible et contrôlée des représentations internes aux informations présentes dans l’environnement augmentent la tendance à l’utilisation des stratégies de régulation émotionnelle non-adaptatives telles que le blâme de soi et la rumination. En d’autres mots, ces résultats indiquent que la présence de difficultés à désengager l’attention des représentations internes affecte le lien entre les affects négatifs et l’utilisation de stratégies de régulation émotionnelle non-adaptatives en rendant l’utilisation de ces dernières plus probable et ce particulièrement en ce qui concerne l’utilisation de la rumination et du blâme de soi. Aucun

effet modérateur de l’Indice du Switch interne n’a été mis en évidence concernant l’utilisation du blâme d’autrui.

Les résultats concernant l’effet de modération de l’Indice du Switch externe sur le lien entre les affects négatifs et la rumination vont dans le sens des résultats de l’étude de Davis et Nolen-Hoeksema (2000). Davis et Nolen-Hoeksema (2000) suggèrent qu’une pauvre flexibilité mentale, chez des personnes qui ont tendance à ruminer peut entraver la sélection d’environnements qui minimisent l’utilisation de la rumination. D’autre part, ils ont également montré que les personnes qui ruminent semblent être mentalement bloquées dans un style de relation à l’environnement bien qu’il ne soit pas bénéfique au long terme. Au vue des résultats de notre étude, nous pensons que des difficultés à désengager son attention des représentations internes pourraient contribuer à ce « blocage mental » ainsi qu’aux difficultés de sélection d’environnement minimisant la rumination. Effectivement, avoir des difficultés à désengager son attention des représentations internes, revient à être préférentiellement focalisé sur les représentations internes (contribuant au « blocage mentale »), et revient également à être freiné dans la prise en compte des informations présentes dans l’environnement (ce qui peut entraver la sélection d’environnements minimisant les possibilités de ruminer). Qui plus est, dans l’étude de Davis et Nolen-Hoeksema (2000), la tendance à ruminer est également en lien avec un score plus élevé de symptômes dépressifs.

Muraven (2005) montre que le fait d’être focalisé sur soi et d’avoir des difficultés à désengager son attention du self est en lien avec la dépression et l’anxiété. D’une certaine manière, les résultats de notre étude montre le même type de lien. Effectivement, nous avons démontré qu’ avoir des difficultés à désengager son attention des représentations internes (incluant les pensées concernant le self) en présence d’affects négatifs (symptômes dépressifs) augmentent l’utilisation de la rumination et du blâme de soi (stratégies de régulation émotionnelle qui consistent à être focalisé sur le self).

La présente étude a permis de démontrer une implication de difficultés de coordination interne-externe (difficultés à désengager son attention des représentations internes) en présence d’affects négatifs sur l’utilisation de la rumination. En référence à l’étude de Davis et Nolen-Hoeksema, (2000), cette implication pourrait prendre place dans un maintien du blocage mental dans lequel se trouvent les personnes qui ruminent, dans une altération de la sélection d’environnements minimisant la possibilité de ruminer ou dans les deux à la fois.

Nous savons également que le fait de ruminer exacerbe les symptômes dépressifs (Nolen-Hoeksema, Wisco, Lyubomirsky, 2009). La rumination intensifie les symptômes dépressifs en augmentant les pensées négatives, en empiétant sur la résolution de problème, en

interférant avec les comportements instrumentaux et en érodant les relations sociales (Nolen-Hoeksema et al., 2009). En somme, une personne qui présente des affects négatifs et qui a des difficultés à désengager son attention des représentations internes aura plus facilement tendance à utiliser la rumination afin de réguler ses émotions suite à un événement de vie négatif, ce qui aura pour conséquence d’augmenter ses affects négatifs, au risque de mener à une dépression majeure (Figure 7).

Figure 7. Représentation schématique de l’influence des difficultés à désengager son attention des représentations internes sur le lien entre les affects négatifs et la rumination.

Cette influence a pour effet d’augmenter l’utilisation de la rumination, qui a son tour exacerbe les affects négatifs.

Il semble raisonnable de penser que des difficultés de désengagement des représentations internes puissent être impliquées dans le maintien des affects négatifs par le biais de l’effet qu’ils ont sur l’utilisation de la rumination. Nous pensons qu’un moyen de diminuer les ruminations et par la même les affects négatifs est de travailler directement sur les difficultés de désengagement des représentations internes.

Selon Wells et Matthew’s (1994) (cité par Papageorgiou & Wells, 2000), un syndrome cognitif attentionnel contribue aux dysfonctions émotionnelles et aux rechutes suite à un traitement. Ce syndrome prend la forme de rumination et de soucis répétitifs et est caractérisé par une chronique, intensifiée et inflexible attention focalisée sur le self, une activation non-adaptative de croyances personnelles, une diminution de l’efficience du fonctionnement cognitif, de biais attentionnels et d’une limitation des capacités. Ces auteurs ont mis au point un programme d’entraînement attentionnel qui a pour but de réduire la focalisation sur le self

Difficulté à désengager son attention des

représentations internes

Affects négatifs Rumination

et d’augmenter le contrôle attentionnelle ainsi que le contrôle métacognitif. Ce programme est nommé « Attention Training » (ATT). L’ATT consiste en une série d’exercices d’attention auditive qui travaille l’attention sélective, le switching attentionnel rapide et l’attention divisée et soutenue. Papageorgiou et Wells (2000) ont testé l’efficacité de ce programme sur des patients qui souffrent de dépression majeure récurrente. Les résultats de l’étude montrent que l’ATT produit des changements bénéfiques au niveau de la focalisation sur soi et des métacognitions, cependant les auteurs ne peuvent pas affirmer que ces améliorations sont un effet direct de l’ATT et qu’ils ne viennent pas d’une diminution des symptômes cliniques. Ils soulignent le besoin d’études supplémentaires afin de confirmer ces résultats. Les données de notre étude ne permettent en aucun cas de confirmer ces résultats, néanmoins elles permettent d’approuver ce type d’approche thérapeutique chez les personnes qui souffrent de dépression et qui emploient des stratégies de régulation émotionnelle comme la rumination. Les participants de la présente étude étant issus de la population générale nous proposons également d’envisager l’utilisation d’une approche telle que l’ATT comme mesure préventive. Effectivement, les personnes qui présentent des difficultés du contrôle attentionnelle semblent être plus enclines à utiliser la rumination que les autres. Or nous pensons qu’agir de façon préventive sur les personnes qui présentent ce genre de difficultés et qui se plaignent de souffrir d’affects négatifs (sans que ce soit pathologique), pourrait minimiser les risques d’aggravation des troubles de l’humeur. Cependant, les données de la présente étude indiquent également que certaines personnes semblent souffrir d’affects négatifs et ruminer sans pour autant avoir des difficultés à se désengager de leurs représentations internes. Ces derniers cas nous laissent penser qu’une technique telle que l’ATT serait peut-être moins efficace sur des personnes ne présentant pas de difficultés de désengagement de l’attention des représentations internes.

À notre connaissance, il n’existe pas à ce jour d’étude qui s’est intéressée aux mécanismes psychologiques sous-tendant spécifiquement le blâme de soi. Comme mentionné plus haut, les données de la présente étude permettent désormais de savoir que des difficultés de désengagement de l’attention des représentations internes vont augmenter la tendance à l’utilisation du blâme de soi suite à un événement de vie négatif lorsqu’une personne présente des affects négatifs. Le fait de se blâmer a notamment été mis en lien avec la détresse psychologique suite à des agressions sexuelles et avec des troubles de l’humeur chez des femmes souffrant de cancer du sein (Breitenbecher, 2006 ; Bennett, Compas, Beckojord &

Glinder, 2006). Bennett et al. (2006) ont mis en évidence que l’anxiété est prédite de façon significative sur le long terme par le blâme de soi mais que ce n’est pas le cas pour la

dépression, du moins chez des femmes souffrant d’un cancer du sein. Ces résultats suggèrent que contrairement à la rumination, le blâme de soi n’amplifie pas les symptômes dépressifs.

Nous pensons néanmoins qu’une technique thérapeutique comme l’ATT pourrait également être utile à la diminution du blâme de soi.

Un résultat intéressant et non attendu a également été mis en évidence grâce aux analyses de régressions multiples. Ces analyses révèlent que des difficultés à passer des représentations externes aux représentations internes prédit de façon négative l’utilisation des stratégies de régulation émotionnelles non-adaptatives comme le blâme de soi et la rumination. Nous interprétons ces résultats en termes de facteur protecteur. Effectivement, il semble que le fait d’avoir des difficultés à désengager l’attention des représentations externes est un facteur protecteur contre l’utilisation de la rumination et du blâme de soi. Ces résultats suggèrent d’autant plus l’utilité de travailler l’attention aux représentations externes, comme le propose l’ATT, afin de diminuer la rumination et la blâme de soi.

Enfin, les résultats de la présente étude nous permettent d’appuyer les études d’imagerie cérébrales qui indiquent une implication de l’aire BA10 dans la régulation émotionnelle (Urry et al., 2006 ; Kim & Hamann, 2007 ; Alber et al., 2008).

4.2.2. Coordination interne-externe et impulsivité

Nous avons supposé que des difficultés à désengager l’attention des représentations externes, comme des difficultés à désengager l’attention des représentations internes pourraient être en lien avec des comportements urgents, un manque de persévérance et un manque de préméditation. Cependant aucune des données récoltées lors de notre étude ne permet d’appuyer de tels liens.

Dans le cas de l’urgence, nous avons supposé que des difficultés à désengager son attention des représentations externes pourraient contribuer à l’émergence de réponses dominantes. Cette supposition a été faite en référence à la suggestion de Dumontheil et al.

(2010) selon laquelle une altération du processus de coordination interne-externe pourrait contribuer à l’émergence de comportements non adaptés à la situation car provoqués par des schémas dominants déclenchés par des stimuli perceptuelles. Il est probable que nous n’ayons pas trouvé de lien entre la coordination interne-externe et l’urgence car le processus de coordination interne-externe chez nos participants n’est pas réellement altéré. Effectivement, les participants de notre étude sont issus de la population générale et n’ont ni troubles psychologiques ni neurologiques. Dès lors nous ne pouvons pas exclure que le processus de coordination interne-externe n’est en aucun cas impliqué dans l’urgence. Ce que les résultats

nous permettent d’avancer est que la capacité de coordination interne-externe ne semble pas jouer de rôle dans les comportements urgents observés chez des individus pour lesquels ce processus de coordination n’est pas réellement altéré.

Dans le cas du manque de persévérance et du manque de préméditation nous avons supposé que des difficultés de désengagement de l’attention des représentations internes comme des représentations externes pourraient être impliquées. Effectivement, faire preuve de préméditation nécessite de prendre en compte de façon équivalente les représentations internes et les représentations externes afin d’émettre un bon jugement vis à vis des conséquences d’une future action. D’autre part, la persévérance pourrait être entravée par la non prise en compte de plans d’action (difficulté de désengagement de l’attention des représentations externes) lors de l’accomplissement de tâches difficiles et par l’exacerbation des difficultés d’inhibition de pensées dominantes (difficultés de désengagement de l’attention des représentations internes).

Les différences interindividuelles observées lors de la tâche de l’alphabet sont significatives, cependant elles ne mettent pas en avant une réelle incapacité à passer de façon flexible et contrôlée des représentations internes aux représentations externes et vice versa chez les participants qui ont plus de difficultés. Nous pensons que les difficultés observées chez certains participants ne sont probablement pas assez importantes pour être impliquées dans les comportements impulsifs de tous les jours. Néanmoins, nous continuons de penser qu’une altération effective de ce processus de coordination suite à une lésion cérébrale frontale peut être en partie responsable de l’émergence de comportements impulsifs et plus particulièrement de comportements urgents.

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