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Deuxième chapitre Les fluctuations de la jurisprudence

295. Même si les règles de compétence du statut des contrats publics semblent claires, les juges colombiens ont défini leur propre interprétation des limites de l’arbitrabilité des litiges consacrant l’existence d’un domaine de « compétence exclusive » du juge administratif. Or, aucune norme ne confère de « compétence exclusive » au juge administratif pour connaître les litiges découlant des contrats

administratifs : il n’y a pas dans le droit colombien de dispositions impératives ou d’ordre public qui déterminent la « non arbitrabilité » des litiges contractuels administratifs.

296. Existe-t-il des compétences implicites ? Compte tenu de l’interprétation

jurisprudentielle, on pourrait envisager l’hypothèse d’une lacune technique à cet égard : « il y aurait une lacune technique lorsque le législateur omettrait de poser une règle sur un point qu’il aurait dû régler, pour qu’il soit seulement possible, techniquement parlant, d’appliquer la loi ».537

297. Dans le cadre de la loi relative aux contrats publics, nous ne pouvons pas affirmer qu’il serait impossible d’appliquer la loi sans l’attribution de compétences exclusives au juge administratif puisque la loi n’établit pas de limites à la compétence des arbitres. Quant aux modalités du recours à l’arbitrage, la loi pose le principe d’application du droit commun de l’arbitrage. L’ordre juridique colombien s’y intègre donc excluant toute lacune en ce domaine.

298. Cependant, compte tenu de l’existence de pouvoirs exceptionnels de l’administration dans le procédé contractuel, le juge constitutionnel (première section) et le juge administratif (deuxième section) ont chacun livré leur propre interprétation sur cette question. Il est nécessaire de présenter la position des

juridictions constitutionnelles et administratives afin de pouvoir procéder à une analyse critique sur l’état actuel de la matière.

Première section. L’interprétation constitutionnelle

299. La constitution de 1991 introduit de nombreux bouleversements dans l’ordre juridique colombien.538 L’arbitrage, parmi d’autres institutions, acquiert un rang constitutionnel qu’il n’avait pas dans la constitution de 1886 même si la constitutionnalité de l’arbitrage avait été reconnue par la section constitutionnelle de la Cour suprême de justice en 1969.

300. Le contrôle de constitutionnalité est renforcé par la constitution de 1991 avec la création de la Cour constitutionnelle et d’un système complet de protection des droits fondamentaux.

L’article 241 de la constitution confie à la Cour constitutionnelle la sauvegarde de l’intégrité et de la primauté de la constitution. A cette fin, la Cour se prononce sur les requêtes de constitutionnalité présentées par les citoyens contre les actes de révision de la constitution,539 les lois540 et les décisions juridictionnelles relatives à l’action de tutela.541

301. L’article 86 de la constitution consacre l’action de tutela. Cette action a pour

finalité la protection immédiate des droits fondamentaux. C’est un mécanisme transitoire pour éviter des préjudices irrémédiables lorsqu’il n’existe pas d’autres moyens d’action juridictionnelle. Le juge saisi doit décider dans un délai maximal de 10 jours et peut ordonner à celui qui est en train de violer les droits fondamentaux de s’abstenir de le faire ou, encore, de prendre toute mesure nécessaire pour empêcher la violation de ces droits.

538 Vor n° 41 et s. 945 et s. 539Constitution. Article 241-1. 540Constitution. Article 241-4. 541Constitution. Article 241-9.

302. La question de la validité de l’action de tutela sur les actes juridictionnels, y

compris ceux des arbitres, s’est rapidement posée.542 La Cour constitutionnelle a rendu une première décision sur le sujet (T-006/92) le 12 mai 1992. Même en l’absence d’unanimité des magistrats de la Cour, cette décision constitue le premier précédent en la matière. Dans une seconde décision C-543 de 1992 du 1 octobre 1992, la Cour dispose que la tutela ne peut mettre en cause des décisions

juridictionnelles que lorsque celles-ci constituent des voies de fait juridictionnelles,

c'est-à-dire des décisions arbitraires prises par un agent juridictionnel de l’Etat et qui violent les droits fondamentaux du destinataire de la décision. Un acte juridictionnel est arbitraire selon la jurisprudence constitutionnelle lorsqu’il est entaché d’un défaut organique,543 substantiel,544 procédural545 ou factuel.546 La Cour constitutionnelle juge que la sentence arbitrale constituant un acte juridictionnel,547 l’action de tutela est possible à son encontre.548

303. La constitutionnalisation de l’arbitrage a modifié plusieurs aspects de l’arbitrage en Colombie. D’une part, l’arbitre cesse d’être un juge privé pour obtenir, avec la constitution de 1991, le statut de juge transitoire qui exerce des fonctions publiques. D’autre part, en tant que juge, l’arbitre rend des décisions juridictionnelles qui peuvent être contrôlées par le juge constitutionnel lorsqu’elles constituent une voie de fait juridictionnelle.

542 Voir n° 948 et s.

543 Lorsque l’autorité juridictionnelle n’a pas la compétence pour décider sur le litige qui lui est soumis. 544 Lorsque le juge utilise un pouvoir dans un but différent de celui prévu par l’ordre juridique. La voie

de fait est établie lorsque la décision se fonde sur une norme clairement inapplicable au cas d’espèce.

545 Lorsque le juge ne respecte pas la procédure légale applicable au cas qui lui est soumis.

546 Lorsque le juge applique le droit sans avoir les preuves nécessaires pour le faire. L’erreur commise

par le juge doit être ostensible et flagrante.

547C-242/97 ; Cour constitutionnelle, C-294/95, (06-07-1995) ; C-431/95 ; SU-174/07.

548 Cour constitutionnelle, SU-058/03, (30-01-2003). Cour constitutionnelle, SU-837/02, (09-10-2002).

Cour constitutionnelle, T-608/98, (27-10-1998). Cour constitutionnelle, T-1228/03, (05-12-2003). Cour constitutionnelle, T-192/04, (04-03-2004). Cour Constitionnelle, T-920/04, (23-09-2004). SU- 174/07. Cour constitutionnelle, T-1201/05, (24-11-2007). Cour constitutionnelle, T-800/04, (26-08- 2004). Cour constitutionnelle, T-1017/06, (30-11-2006). Cour constitutionnelle, T-104/07, (15-02- 2007). Cour constitutionnelle, T-244/07, (30-03-07). Cour constitutionnelle, T-972/07, (15-11-2007). Cour constitutionnelle, T-1031/07, (03-12-07).

304. Par ailleurs, il appartient au juge constitutionnel de se prononcer sur la constitutionnalité des lois,549 y compris celles relatives à l’arbitrage afin de vérifier leur conformité à la constitution (première sous-section) et, plus spécifiquement, de garantir la protection des droits fondamentaux face aux voies de fait juridictionnelles des arbitres (deuxième sous-section).

Première sous-section. Le contrôle de la loi

305. La citoyenne Bertha Suarez Giraldo a saisi la Cour constitutionnelle550 afin d’obtenir la déclaration d’inconstitutionnalité des articles 70551 et 71552 de la loi 80 de 1993. Madame Suarez Giraldo estime que ces normes violent les articles 29,553 116,554 236,555 237,556 et 238557 de la constitution. Elle reprend la motivation d’un arrêt du Conseil d’Etat qui juge que « le juge administratif a la compétence exclusive pour juger les actes administratifs »558 afin de conclure que le juge naturel des actes administratifs est le juge administratif, au regard des articles 236 à 238 de la constitution.

549Constitution. Article 229.

550 En vertu de l’action publique d’inconstitutionnalité. 551 Sur la clause compromissoire.

552 Sur le compromis. 553 Sur le procès équitable.

554 Sur l’organisation juridictionnelle et sur l’autorisation de l’arbitrage.

555 Sur le nombre de magistrats, la composition et l’organisation du Conseil d’Etat.

556 «Les attributions du Conseil d’Etat sont: 1. Exercer les fonctions de Tribunal suprême contentieux

administratif, selon les règles déterminées par la loi. 2. Décider sur les actions de nullité par inconstitutionnalité des décrets édictés par le gouvernement national, et dont la compétence n’est pas attribuée à la Cour constitutionnelle. 3. Agir comme corps consultatif du gouvernement par rapport à l’administration publique. Il doit être entendu de manière préalable dans tous les cas où la constitution et les lois le disposent ainsi, et particulièrement, lors du transit de troupes étrangères sur le territoire national, lorsque les avions ou navires de guerre échouent ou transitent sur le territoire maritime ou aérien de la nation. 4. Présenter les projets d’actes de révision de la constitution et les projets de lois. 5. Régler les cas de perte d’investiture des parlementaires en conformité avec la constitution et la loi. 6. Edicter son propre règlement »

557 « La juridiction administrative pourra suspendre de manière provisoire, selon les motifs et les

conditions déterminés par la loi, les effets des actes administratifs susceptibles d’être jugés par voie juridictionnelle. »

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