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PARTIE 1 : ARTICULATION DE LA NOTION DE « SAUVAGE » DU CONCEPT DE

1. Notion et perception de la « nature sauvage » : Approche par la psychologie

1.1. Du sauvage

2.3.2. Deux perceptions de la biodiversité urbaine à concilier

La notion de nature est complexe comme nous avons pu le voir, avec une représentation qui varie dans le temps et selon les cultures. Globalement, c’est une éthique anthropocentrée qui domine cette perception de la nature : « L’homme est au centre de la nature et la domine ». C’est donc pour l’Homme une ressource à exploiter, une valeur matérialiste et fonctionnelle. (Fabien MILANOVIC, 2014).

Dans l’approche scientifique, la vision créationniste domine le système de pensée jusqu’à ce que la théorie de l’évolution se répande à partir du XIXe siècle. « Dieu a créé toutes les espèces vivant sur terre », néanmoins elles peuvent disparaitre à cause d’actions humaines ou de cataclysmes, mais en aucun cas elles n’évoluent. Une vision d’une nature figée domine donc, et des naturalistes vont tenter de l’inventorier. Ainsi en 1758, Carl Von Linné publie un inventaire qui décrit 10 000 espèces de faunes et flores, qui prendra donc le nom de classification linnéenne. Même après l’apparition de la théorie de l’évolution, les scientifiques poursuivront cet idéal d’inventaire (Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS, 2009).

Cette perception instrumentale de la biodiversité n’est pas sans conséquence. L’homme a une vision utilitariste / instrumentale de la nature, celle d’une ressource qu’il exploite. La vision manichéenne de l’Homme et de la nature entraîne une approche conservationniste de la biodiversité, en créant des réserves où l’Homme est banni. La conservation consiste selon les auteurs Georges Rossi et Véronique André, à maintenir un milieu « naturel » à un instant T par la création d’une réserve naturelle. Il s’agit de le préserver d’une dégradation, ou le faire revenir à son état initial, c’est-à-dire celui observé à sa découverte ; nous avons l’exemple de la Forêt Amazonienne, une forêt édénique selon les écrits des premiers colons. Associé à une non-intervention de l’Homme et donc un état idéal, le milieu est « mis sous cloche » et protégé de toutes perturbations anthropiques et/ou naturelles. Pour les auteures Muriel Maillefert et

Céline Merlin-Brogniart, cette dominance de l’Homme sur la nature « est considérée comme un réservoir d’objets devenant des facteurs de production. Elle peut devenir une contrainte par

exemple en cas de raréfaction de la ressource ou d’apparition de règles juridiques en limitant l’exploitation ». (Muriel MAILLEFERT et Céline MERLIN-BROGNIART, 2016, p.39)

Pourtant, nous ne retrouvons pas cette vision dualiste de la nature, ailleurs que dans le monde occidental. Dans la culture animiste, l’utilisation des ressources est culturellement et socialement régulée de façon à respecter l’équilibre de l’écosystème et à ne pas dépasser son seuil de résilience. Leur imposer une conservation à l’occidental revient à leur imposer des pratiques et des modes de gestion différents. Il a donc été observé que la création d’aires protégées est coûteuse et semble jusqu’à maintenant peu efficace dans la majorité des cas, forçant l’Homme à reprendre des techniques ancestrales pour revenir à l’écosystème originel. Ces échecs sont pour certains la preuve que la conservation ne peut consister à protéger une nature aseptisée et la maintenir à un état stable, alors que les écosystèmes sont en perpétuels mouvements, nécessaires au maintien de la biodiversité. (Georges ROSSI et Véronique

ANDRE. 2006).

Cette vision instrumentale de la nature est présente dans de nombreux domaines, car elle se retrouve dans la plupart des sociétés qui régissent l’économie mondiale. En Droit de l’Environnement, nous pouvons prendre un exemple basé sur cette vision instrumentale de la nature. Les études d’impacts précédant les aménagements imposent une vision du phénomène instrumentale de la nature. Il s’agit en effet de « supprimer réduire ou compenser les conséquences dommageables pour l’environnement ». (Claude GUIRAL., 2013, p.30). En 2000, le Millenium Ecosystem Essessment (MEA) a créé la notion de services écosystémiques et en définit trois types : les services d’approvisionnement, les services de régulation et les services culturels. A ces grands types, s’ajoutent les services de soutien qui permettent le maintien des trois autres. Cette notion de services a pour but de donner du poids aux dimensions environnementales pour les bienfaits qu’elles procurent à l’Homme, et ainsi faciliter leur prise en considération au même titre que les dimensions économiques et sociales. De nos jours, les scientifiques s’emparent de cette notion pour tenter de justifier la conservation des écosystèmes, en s’insérant dans le schéma économique mondial.

Nous observons néanmoins des visions opposées. L’Homme fait partie intégrante d’une nature complexe et dynamique. Les éléments de nature ont donc une valeur d’existence en tant qu’êtres et pour leur complexité. Cette perception est basée sur une valeur intrinsèque non instrumentale. Contrairement à la représentation de la nature exposée précédemment, ce sont ici les découvertes scientifiques qui vont entraîner un changement de perception de la nature. A la fin des années 60, l’Ecologie du Paysage met au point deux théories qui vont révolutionner la biologie de la conservation : la théorie de la biogéographie insulaire (1967) et

la théorie des métapopulations (1969). Elles montrent qu’un habitat isolé d’autres habitats similaires dans le paysage va voir sa diversité génétique décliner et est nécessairement condamné à long terme. Les différents habitats doivent donc être connectés les uns aux autres dans le paysage, afin d’assurer les déplacements actifs et passifs des populations. La notion de corridor écologique fait ainsi son apparition, permettant de relier les habitats entre eux eu sein d’une nature « ordinaire ». Les déplacements apparaissent, mais le système est toujours stable.

Certains scientifiques affirment que les écosystèmes ne sont ni homogènes, ni stables, mais dans un état d’équilibre dynamique permanent ou temporaire. C’est ce qu’on appelle la théorie des systèmes. La composition et la structure d’un écosystème dépend de perturbations nécessaires à son maintien et même à sa régénération. La diversité permet à l’écosystème d’acquérir une résistance et une résilience à ces perturbations qui sont donc nécessaires à la sélection naturelle qui entretient la diversité. La prise en compte de cette dynamique entraîne une nouvelle représentation de la biodiversité. (Fabien MILANOVIC, 2014). Et pour les auteures Muriel Maillefert et Céline Merlin-Brogniart, cette nouvelle représentation est un « Modèle de la cohabitation », un impact de l’Homme sur la nature qui « doit s’assurer de l’équilibre de la relation H/N. Il y a donc une question de réciprocité de service. La nature est perçue à travers le bon fonctionnement des systèmes. ». (Muriel MAILLEFERT et Céline MERLIN-BROGNIART, 2016, p.39)

Ces différences de perceptions révèlent une pluralité d’univers de justifications. Ces univers dépendent du degré de « naturalité » accordé à la « nature », selon les acteurs. Il est ainsi remarqué qu’il est possible de proposer une prédominance de certains univers de justifications en fonction des deux perceptions repérées par les différents auteurs.