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Dessèchements, drainage et irrigations

Chapitre II. La production agricole

D. Dessèchements, drainage et irrigations

Le dessèchement, le drainage et l'irrigation sont des techniques ayant pour objectif de lutter contre les problèmes d'eau. Elles symbolisent, davantage que les défrichements, la volonté des hommes de l'époque de dominer la nature. Cependant, et l'enquête va le montrer, les procédés utilisés par les paysans bretons varient en termes de conception et de planification. Aussi convient-il de décrire pour chacune des trois techniques les méthodes mises en place et les initiatives personnelles, associatives et administratives opérantes à l'heure de l'enquête.

Les travaux de dessèchements se limitent la plupart du temps à l'endiguement des lais de mer sur les côtes et à l'assainissement des marais et des étangs. Il reste que le dessèchement est une pratique rarement employée en Bretagne (voir le document 1 de la carte n°16 du fascicule). Dans le Morbihan, indique Lavenay, « beaucoup de dessèchements seraient utiles42 ». Les quelques travaux

d'endiguement et d’assainissement sur les côtes restent généralement à l'initiative des propriétaires. Les travaux les plus importants sont toutefois à mettre au compte de groupes ou d'associations. En Ille-et-Vilaine, écrit Lavenay, « 350 à 400 hectares ont été endigués et mis en culture dans la baie du Mont-Saint-Michel. Un immense projet d'endiguement de cette baie avait été conçu par une compagnie et sur le point d'être mis à exécution ; on nous a dit qu'il n'était pas abandonné, mais nous n'avons pas appris que les travaux fussent commencés43 ». Mais le département le plus

« desséché » est la Loire-Inférieure où, déclare Le Roux, « de nombreux dessèchements ont été entrepris. Souvent on n'a pas pu arriver à dessécher complètement ; mais du moins les terrains mouillés ont été notablement améliorés. Les obstacles ne viennent pas de la législation, mais de la nature du sol44 ». De grands entreprises ont été lancées, comme dans le canton de Saint-Philbert-de-

Grand-Lieu, où « le lac s'est desséché naturellement d'une manière sensible. Aujourd'hui plus de 500 hectares qui étaient sous l'eau, il y a 30 ans, produisent des broussailles d'une grande utilité pour le chauffage du pays45 ». L'autre action remarquable concerne le marais du « haut et du bas

Brivet », situé dans le canton de Pontchâteau : « d'une contenance d'environ 6000 hectares, [son] dessèchement, déjà entrepris en 1771 par la société de Bray, puis abandonné pendant la tourmente révolutionnaire, a été repris en 184246 ». Cette « fièvre » du dessèchement se traduit notamment par

l'existence d'un intense réseau de syndicats (au nombre de 28), couvrant un périmètre total de 25 911 hectares47. Certaines de ces associations s'occupent de gigantesques étendues telles que le

42 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale, 3e circonscription..., op. cit., p. 39.

43 Ibid., p. 165.

44 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale. 7e circonscription..., op. cit., p. 71.

45 Ibid., p. 656. 46 Ibid. 47 Ibid., p. 587.

syndicat du canal de Buzay avec 5000 hectares, ou encore celui des marais de Donges avec 7836 hectares.

Le drainage est une technique qui, pareillement au dessèchement, permet l'évacuation de l'eau. L'enquête montre qu'il s'agit là d'une pratique peu répandue en Bretagne (voir le document 2 de la carte n°16 du fascicule). Si, dans le Morbihan, le drainage agricole reste inconnu, dans le Finistère, les travaux opérés se cantonnent au creusement de fossés ouverts. Le drainage pénètre cependant très lentement en basse-Bretagne, ainsi dans l'arrondissement de Quimperlé, où l'école de drainage et d'irrigation du Lézardeau a ouvert ses portes en 1861 : « plus de 1000 hectares auraient besoin d'être assainis, 50 seulement l'ont été depuis six ans48 ». Afin de faire face à l'inertie des

paysans des Côtes-du-Nord :

Un service d'irrigateurs-draineurs avait été établi par le préfet dans le département, et y a fonctionné pendant 12 ans. On a dû le supprimer il y a deux ans, faute de demandes […] Le département accordait, en outre, annuellement, 2500 F aux comices pour encouragements au drainage. Sous cette influence, 750 hectares avaient été drainés directement par des particuliers, sans le concours du service officiel49.

Plusieurs notables des Côtes-du-Nord, mais également du Finistère, se plaignent justement de ce « service officiel », du fait de la mauvaise qualité des tuyaux « qui se sont fondus en terre et ont rendu le travail inutile50 ». L'utilisation du drainage en tuyaux fonctionne uniquement lorsque le

sol est argileux. Dans les sols tourbeux ou plantés de nombreux arbres, « le drainage en pierres est infiniment plus solide et plus efficace51 ». Toujours est-il que ce dernier type de drainage reste

extrêmement coûteux, encore que le drainage en tuyaux exige aussi une importante mobilisation de capitaux. Lavenay estime que pour ce système en tuyaux, les frais s'élèvent à 250 F par hectare52.

Cela nécessite donc des moyens considérables mais La Rochemacé, propriétaire dans l'arrondissement d'Ancenis, pense que l' « on peut obtenir les résultats avantageux du drainage au moyen de simples rigoles d'assainissement à ciel ouvert, qui ne coûtent que 8 F par hectare, tandis que le drainage en coûte 260 F53 ». Quoi qu'il en soit, le drainage s'implante trop lentement en

basse-Bretagne, selon Lavenay : « L'Administration pourrait peut-être examiner s'il n'y aurait pas lieu de rétablir le service officiel et d'employer quelque moyen pour faire revivre l'élan vers une des améliorations qui pourraient donner les résultats les plus immédiats54 ».

L'enquête recense deux sortes d'irrigations en Bretagne : les naturelles et les artificielles. Les

48 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale, 3e circonscription..., op. cit., p. 84.

49 Ibid., p. 129. 50 Ibid., p. 85. 51 Ibid., p. 165. 52 Ibid., p. 129.

53 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale. 7e circonscription..., op. cit., p. 658.

irrigations naturelles, largement plus répandues (voir le document 3 de la carte n°16 du fascicule) regroupent toute une série d'aménagements parfois très rudimentaires. Ainsi, dans le Morbihan, regrette Lavenay, « Les irrigations pratiquées sont des plus simples ; on se contente de dérivations au moyen de petits barrages et on dirige ensuite les eaux, du mieux que l'on peut, par des rigoles. Nulle part on a cherché à élever l'eau par des machines55 ». Souvent, estiment plusieurs déposants,

l'agriculture les subit plus qu'elle ne les maîtrise. Ces irrigations fonctionnent en effet essentiellement par « débordements », c'est-à-dire que les eaux vont jusqu'à inonder les champs. Si dans certaines contrées – rives de la Loire ou de la Vilaine par exemple – ce phénomène s'avère inévitable, et que les paysans s'y adaptent tant bien que mal, dans le canton de Saint-Étienne-de- Montluc (Loire-Inférieure), par exemple, « il en résulte que les prairies restent baignées trop longtemps56 ». Afin d'éviter ou du moins de réduire ce genre d'aléas, le curage des fossés s'impose.

Cette tâche incombe aux agents des ponts et chaussées. Néanmoins dans le Finistère, rapporte Lavenay, « on se plaint, dans l'arrondissement de Morlaix, des dispositions administratives prises pour le curage des petites rivières. Ce service […] est souvent exécuté d'une façon impérieuse et vexatoire, et l'on assure que, dans la crainte de s'exposer à des procès-verbaux, trop facilement intentés, beaucoup de propriétaires et de fermes préfèrent ne pas se servir des eaux pour l'irrigation57 ». D'autre part, ces curages auraient, selon des déposants, « l'inconvénient de détruire le

limon qui rendait les eaux plus fertilisantes pour l'irrigation et de dépeupler les rivières et ruisseaux du poisson qui y abondait autrefois58 ». Les résultats de ces curages sont donc contrastés selon les

cantons, d'autant que l'évolution des irrigations naturelles par débordements varie (voir le document 4 de la carte n°16 du fascicule). Lavenay, qui regrette en tout cas le manque d'initiative des paysans bretons, déclare : « C'est cependant une des plus belles, une des plus sûres et des plus fructueuses opérations qu'offre l'agriculture ; celle peut-être qui peut le mieux supporter l'emprunt59 ».

II. Les cultures

L'enquête de 1866 se livre à un examen approfondi des différentes cultures bretonnes. Trois raisons principales expliquent cet intérêt. Premièrement, la céréaliculture est directement liée à la question du libre-échange et à la crise agricole. Deuxièmement, la culture, et plus particulièrement celle du blé, reste la principale source de revenus chez la majorité des paysans bretons. Troisièmement, le développement d'autres types de cultures (maraîchères, fourragères, fruitières

55 Ibid., p. 39.

56 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale. 7e circonscription..., op. cit., p. 659.

57 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale, 3e circonscription..., op. cit., p. 85.

58 Ibid. 59 Ibid., p. 39.

etc...) constitue un réel progrès aux yeux des enquêteurs. Néanmoins, l'enquête s'arrête assez longuement sur deux autres types de cultures dont l'importance se limite à quelques zones : la viticulture et la culture des plantes textiles. Toujours est-il que la culture du blé, en particulier du froment, conserve une importance considérable dans les campagnes armoricaines.