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Chapitre II. La production agricole

A. Les céréales

La majorité des déposants constatent la grande augmentation de la production céréalière entre 1835 et 1865 (voir le document 1 de la carte n°17 du fascicule). Bien qu'ils soient incapables de chiffrer ce développement (ils utilisent des adjectifs pour quantifier le processus), les déposants l'attribuent aux défrichements, à l'amélioration générale des pratiques culturales et à la hausse des prix de vente. Seulement, ce point de vue gomme les écarts entre les courbes d'évolution de chacune des céréales. Si, en effet, dans tel canton, le froment et le sarrasin ont pris de l'importance, le seigle y décline. Cette nuance n'est malheureusement pas assez mise en relief par l'enquête. Seuls les déposants des Côtes-du-Nord donnent une analyse plus détaillée des évolutions de la production61.

Ainsi, dans le canton de Plouagat, les cultures de froment et de méteil augmentent d'un quart, le sarrasin aussi mais dans une proportion inconnue, le seigle diminue alors que les autres – avoine, orge – demeurent stationnaires62. Il en va de même en ce qui concerne la différenciation faite entre

intensification et extensification des cultures. Dans le canton de Ploubalay, les productions en froment, orge, sarrasin et avoine augmentent uniquement en raison des nouvelles étendues ensemencées, et non grâce à une quelconque amélioration des terres63.

Le froment apparaît comme la céréale prédominante en Bretagne. En Loire-Inférieure, Le Roux prétend qu'il compte ainsi pour 55% du total des blés cultivés : « La statistique peut présenter quelques inexactitudes, prévient-il en donnant les chiffres, cependant c'est en général le document le plus rapproché de la vérité qu'on puisse consulter64 ». En Ille-et-Vilaine, où les chiffres pour

l'arrondissement de Redon restent inconnus, la culture du froment pèse pour au moins un tiers des cultures céréalières du département65. Dans les Côtes-du-Nord, il est également en tête mais de

justesse, avec 27% (juste devant le sarrasin avec 26% et l'avoine avec 25%)66. Dans le département

60 Pour une étude sur les variétés de froment, voir Henry de VILMORIN, Les meilleurs blés, description et culture des principales variétés de froment d'hiver et de printemps, Paris, Vilmorin-Andrieux, 1880. Pour un tableau complet

sur les céréales secondaires, voir André JOURNAUX, « Les céréales secondaires en France », L'information

géographique, tome 11, n°4, 1947, p. 139-148.

61 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale, 3e circonscription..., op. cit., p. 589-590.

62 Ibid. 63 Ibid.

64 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale. 7e circonscription..., op. cit., p. 73.

65 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale, 3e circonscription..., op. cit., p. 169.

du Finistère, la situation se révèle beaucoup plus contrastée. Dans le canton de Saint-Pol-de-Léon, situé sur le littoral, le froment compte pour 57% du total des céréales, à Plogastel-Saint-Germain il se situe juste derrière l'avoine avec 22%, sur l'île d'Ouessant, enfin, il occupe une place marginale avec seulement 2%67. Ce genre de contrastes infra-départementaux se retrouvent aussi en Ille-et-

Vilaine. À Fougères, le froment représente 31% des cultures céréalières, certes, mais le sarrasin 40%68. En basse-Bretagne par contre, hormis dans le Vannetais, le Trégor ainsi dans le pays

briochin, le froment reste une culture mineure (voir le document 2 de la carte n°17 du fascicule). Il est concurrencé par le sarrasin dans le Finistère et par le seigle dans le Morbihan.

Pour le rendement par hectare, il a augmenté en Loire-Inférieure, assure Le Roux : « La culture est plus soignée ; on fume davantage la terre ; par suite, le rendement s'est accru […]. La qualité des grains s'est un peu améliorée. Le poids du froment a augmenté d’un à deux kilogrammes par hectolitre69 ». C'est ce que constate aussi Lavenay en Ille-et-Vilaine : « La production des

céréales a certainement augmenté en raison des cultures mieux faites, mieux fumées, et aussi, sur quelques points, de l'importation de nouvelles espèces plus productives70 ». Dans les Côtes-du-

Nord, de nouvelles espèces de froment sont introduites et tendent à remplacer les anciennes. Cependant, là aussi, les rendements diffèrent selon les cantons (voir le document 3 de la carte n°17 du fascicule). Ils dépassent les 25 hectolitres par hectare à Plestin, dans le Trégor, bien servi par son sol limoneux, mais n'atteignent pas les dix hectolitres à La Chèze à l'intérieur des terres. La moyenne bretonne se situe quant à elle entre 14 à 16 hectolitres par hectare. Toutefois, comme l'indique la carte, cette moyenne cache de nombreuses disparités locales.

Parmi les « céréales pauvres », le sarrasin, ou blé noir, garde une place importante dans l'économie paysanne bretonne71. Introduit en Bretagne depuis plusieurs siècles, il demeure très

intéressant dans une agriculture de subsistance puisqu'il pousse très vite et peut ainsi sauver les paysans en cas de mauvaise récolte. En Loire-Inférieure, il occupe 35 000 hectares, soit 20% des cultures céréalières72. En Ille-et-Vilaine, d'après Lavenay, il compte pour environ 25%73et dans les

Côtes-du-Nord, 26%, pour une superficie totale de 66 000 hectares (contre 70 000 pour le froment)74. Bien qu'il n'y ait pas de données d'ensemble pour le Morbihan, nous pouvons citer

quelques exemples cantonaux : Napoléonville 28% (contre 16% pour le froment), Carentoir 38%

67 Ibid., p. 81. 68 Ibid., p. 169.

69 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale. 7e circonscription..., op. cit., p. 75.

70 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale, 3e circonscription..., op. cit., p. 171.

71 DENIS Michel et GESLIN Claude, La Bretagne..., op. cit., p. 117-118.

72 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale. 7e circonscription..., op. cit., p. 73.

73 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale, 3e circonscription..., op. cit., p. 169.

(contre 8%), La Trinité-Porhoët 34% (contre 10%), Mauron 43% (contre 18%)75. Dans le Finistère,

enfin, la répartition des cultures varie énormément selon les zones. Dans le canton de Quimperlé, le sarrasin compte pour 35% (contre 19% pour le froment), Brest 19% (contre 14%), Saint-Pol-de- Léon 5% (contre 57%)76. Quant aux rendements, la basse-Bretagne se montre décidément plus

productive que la haute-Bretagne, en particulier que l'Ille-et-Vilaine (voir le document 4 de la carte n°17 du fascicule). Les déposants Béziau et Lebiez, originaires des cantons de Saint-Mars-la-Jaille et de Varades, expliquent pourquoi : « À l'inverse de ce qui a eu lieu pour le froment, l'orge, et l'avoine, le rendement du sarrasin a diminué depuis 30 ans. En effet, le chaulage, très favorable au froment et aux cultures analogues, est, au contraire, nuisible à celle du sarrasin77 ».

L'enquête prouve que le seigle reste une céréale encore largement répandue en Bretagne. En Loire-Inférieure, il s'étend sur 25 000 hectares, soit, tout de même, 14% des cultures céréalières78. Il

semble toutefois moins exploité qu'autrefois. Dans les Côtes-du-Nord, le seigle occupe 32 000 hectares, soit 13% du total des céréales79. Sa production tend également à diminuer au profit du

froment, comme dans le canton de Plouagat80. En Ille-et-Vilaine, cependant, cette céréale ne compte

que pour environ 3% (930 hectares dans l'arrondissement de Montfort, 1500 dans celui de Fougères)81. C'est le département où il est le moins présent. L'enquête dévoile pourtant quelques

exceptions, comme dans l'arrondissement de Redon, à Maure, où le seigle demeure la deuxième céréale avec 2198 hectares, soit 29% (derrière le sarrasin pour 40%, mais devant le froment, avec seulement 10%). Dans les cantons voisins de Fougeray, de Guichen et du Sel-de-Bretagne, en revanche, il ne pèse pratiquement rien82. Le département du Finistère offre un résultat très contrasté

selon la localisation des cantons. Sur le littoral, à Brest, Saint-Pol-de-Léon et Pont-Croix, le seigle représente respectivement 6, 5 et 12% du total des cultures céréalières. Au contraire, dans les cantons intérieurs ou sensibles à l'influence morbihannaise, tels que Quimperlé, Châteauneuf-du- Faou et Huelgoat, sa présence s'élève à 22% (contre 19% pour le froment), à 30% (contre 1% pour le froment et 36% pour le sarrasin), à 71% (contre 1% pour le froment et 14% pour le sarrasin)83.

Enfin, dans le Morbihan, le seigle occupe dans chaque canton au moins un tiers des terres céréalières. Dans ceux d'Auray, de Pont-Scorff et de Port-Louis, il représente même respectivement 49, 49 et 54% du total84. C'est aussi dans le Morbihan que les rendements sont les plus élevés, avec

75 Ibid., p. 323. 76 Ibid., p. 426-427.

77 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale. 7e circonscription..., op. cit., p. 689.

78 Ibid., p. 73.

79 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale, 3e circonscription..., op. cit., p. 134.

80 Ibid., p. 590. 81 Ibid., p. 169. 82 Ibid., p. 746. 83 Ibid., p. 426-427. 84 Ibid., p. 323.

un taux supérieur à 20 hectolitres par hectare (voir le document 5 de la carte n°17 du fascicule). L'avoine est employée à la fois pour la consommation humaine et l'alimentation animale. En Loire-Inférieure, elle occupe une surface de 15 000 hectares, soit 8% des cultures céréalières85. Sa

place s'avère néanmoins plus importante dans la culture des Côtes-du-Nord, où elle se situe à la troisième place avec 65 000 hectares, soit un quart de l'ensemble des champs céréaliers86. Cette

importance s'explique par le fait que le département possède de nombreux haras. En Ille-et-Vilaine, l'avoine occupe des surfaces variables – entre 10 et 25% – selon les arrondissements, mais elle reste, là aussi, la troisième culture céréalière du département87. En basse-Bretagne, l'exploitation de

l'avoine a également un poids non négligeable. Il reste que l'absence de données d'ensemble, pour le Finistère et le Morbihan, empêche d'en mesurer l'étendue. Nous remarquons cependant que dans de nombreux cantons, elle est la troisième céréale semée – plus rarement la deuxième. Les pays du Léon et du Trégor obtiennent les plus gros rendements (plus de 35 hectolitres par hectare), rendant ainsi son exploitation avantageuse (voir le document 6 de la carte n°17 du fascicule).

L'enquête n'oublie pas non plus les autres céréales cultivées : orge, méteil et mil. Elles ne revêtent toutefois qu'une importance secondaire voire quasi nulle, sauf en quelques endroits, comme l'orge dans le canton de Brest, représentant 27% des céréales88. Le maïs, qui est aussi semé dans des

proportions insignifiantes, n'existe ni dans le Finistère ni dans les Côtes-du-Nord. En Loire- Inférieure, il sert essentiellement de fourrage pour les animaux mais Le Roux ne le cite même pas dans son rapport. Quant aux déposants du Morbihan, ils confondent cette plante avec le mil... En réalité, seul le canton de Guichen en Ille-et-Vilaine, d'après son comice, posséderait une culture de maïs conséquente, savoir 5609 hectares, soit 41% des cultures céréalières89. Ce nombre doit

néanmoins être pris avec précaution.

Au final, les résultats de l'enquête permettent de découvrir une Bretagne divisée grosso

modo en trois « régions céréalières ». Une « région du froment » impliquant la haute-Bretagne, l'est

du Vannetais, le Trégor, le haut-Léon et le Penthièvre. Une « région du sarrasin » formant une bande relativement droite regroupant les terres intermédiaires et intérieures des Côtes-du-Nord, ainsi que les cantons du nord-est du Morbihan, et traversant le Finistère jusqu'au pays de Crozon. Une « région du seigle » ayant pour cœur la Cornouaille et s'étendant essentiellement dans l'ouest du Vannetais, en particulier dans ses terres intermédiaires.

85 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale. 7e circonscription..., op. cit., p. 73.

86 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale. 3e circonscription..., op. cit., p. 134.

87 Ibid., p. 169. 88 Ibid., p. 426. 89 Ibid., p. 746.